Édito

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Texte

La lecture de dossiers proposés par des rédacteurs invités me procure souvent une impression étrange, une sensation de déjà lu associée à la découverte d’un nouveau champ disciplinaire, d’un terrain de pratique psychologique inédit pour moi ou encore d’un domaine de recherche insoupçonné.

La nouveauté d’abord… car il est impossible de prétendre à une connaissance exhaustive des multiples lieux d’intervention du psychologue, toutes spécialités confondues. Dossier après dossier, on se retrouve à parcourir les couloirs inhospitaliers et malodorants des prisons, les bordures inquiétantes et dérangeantes du lien avec le patient psychotique, les arêtes finement ciselées des modèles sur le fonctionnement de la mémoire, les plateformes immatérielles des médiations numériques, les abîmes relationnels de la clinique auprès d’enfants autistes, la course d’obstacles pour apprivoiser le lien auprès d’adolescents violents… sans cesse pris à contrepied de ses connaissances supposées, à rebrousse-poil de ses repérages méthodologiques, éthiques, et autres termes en « ique » bien pratiques pour asseoir son identité professionnelle… un panorama bien dépaysant ou décontenançant selon les situations.

Ce dépaysement – qui rend passionnant (il faut le dire) le travail éditorial au sein d’une revue de psychologie – est du même type que celui qui nous saisit lors de colloques ou de discussions à bâtons rompus entre collègues… « Ah oui quand même, il faut le faire travailler auprès de ce public », ou « dans ces conditions », ou « avec ces outils », etc.

On le sent vivement lorsque l’on parcourt les différents témoignages de ce dossier très complet présenté par Patricia Attigui et Raphaël Minjard, ce n’est pas rien d’être psychologue en soin intensif. Il s’agit sans doute de ce que l’on nomme une « clinique de l’extrême » comportant des similitudes saisissantes avec les particularités d’intervention en service de néonatalité, mais avec ceci de différent que cet extrême-là… nous parle cruellement de notre propre fin.

La familiarité ensuite… car après un premier temps de saisissement, très sensible d’ailleurs dans tous les textes que traduisent ici les stagiaires qui découvraient ce lieu de soins intensifs, la rythmicité propre de la pratique du psychologue reprend sa cadence. Pour le lecteur, ce sont les retrouvailles rassurantes avec une pensée clinique, une pensée clinée vers son objet, ici, les corps suspendus entre la vie et la survie et leurs psychés entre deux eaux, et une pratique clinique faite d’écoutes, d’après-coup et de créativité. Écoute de son contre-transfert, de ses contre-attitudes, écoute de la polyphonie sourde que ses corps soignants et soignés engagent à leur insu, écoute de la parole inquiète des familles, des patients eux-mêmes lors de leurs instants de présence.

Le point de vue des médecins est aussi très représentatif de ce qu’est cette fonction de psychologue et cette capacité à progressivement disparaître, se fondre dans les équipes, non pas au sens d’une confusion ou d’une désertion, mais au sens de l’accompagnement des parties les plus silencieuses de la vie psychique individuelle, groupale et institutionnelle.

Il est parfois compliqué d’expliquer « pourquoi » le recrutement et l’intervention de psychologues cliniciens sont essentiels dans des lieux ou des milieux aussi étrangers à la question du soin psychique que des services de réanimation ou des lieux d’accueil de réfugiés ou des lieux de détention. Sachant qu’à notre époque tout ce qui est nécessaire devient superflu (et vice-versa1).

Et pourtant… toutes les observations qui nous parviennent de ces terrains convergent vers une amélioration des conditions de prise en charge des usagers comme des accompagnants, peut-être parce que notre métier et nos manières de l’exercer ont en commun un profond souci de l’humain.

En vous souhaitant une agréable lecture…

1 Cf. les dernières conclusions du rapport « Pisa » de l’OCDE.

Notes

1 Cf. les dernières conclusions du rapport « Pisa » de l’OCDE.

Citer cet article

Référence papier

Frédérik Guinard, « Édito », Canal Psy, 112 | 2015, 3.

Référence électronique

Frédérik Guinard, « Édito », Canal Psy [En ligne], 112 | 2015, mis en ligne le 19 novembre 2020, consulté le 20 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=1421

Auteur

Frédérik Guinard

Rédacteur en chef

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