Le Collectif PsyRéa, de la rencontre d’une pratique singulière à l’élaboration conjointe hospitalo-universitaire

DOI : 10.35562/canalpsy.1422

p. 5-7

Plan

Texte

Présentation d’une recherche issue d’une pratique spécifique

Le Collectif PsyRéa est une association créée dans le sillon des travaux de recherche de Raphaël Minjard qui concernent essentiellement la notion de « précarité vitale » de « dispositifs d’accompagnement aux limites » et de « travail de l’éveil ». Sa réflexion s’inscrit au sein d’une pratique de psychologue clinicien, psychanalyste en service de réanimation médicochirurgicale adulte et se porte en particulier sur la compréhension des processus psychiques à l’éveil de coma et dans les états de précarité vitale.

Le champ concernant la place du psychologue en services médicaux et particulièrement en services de haute technicité, comme les réanimations, est peu exploré dans la perspective de la psychologie clinique d’orientation psychanalytique. Un premier temps de ces travaux a consisté à faire l’inventaire des travaux existants et des concepts mobilisables dans le champ de la clinique psychanalytique. Un second temps a visé à développer des recherches à partir des expériences cliniques auprès de sujets comateux et de leur environnement afin de dégager les paradigmes pertinents pour penser les mécanismes psychiques de l’éveil de coma.

Le travail de Raphaël Minjard est plus spécifiquement centré sur la réorganisation psychique du patient comateux nommé « travail de l’éveil » (2014).

Il aborde :

  • Le coma comme un mouvement, un processus réactionnel, défensif et potentiellement protecteur pour le Moi quelle que soit l’issue.
  • La notion d’état végétatif, non seulement comme un aléa de la technique réanimatoire, un « ratage » de la prise en charge, mais aussi comme un processus hallucinatoire enfermant le sujet dans sa propre image.
  • La question de l’environnement et du rôle des proches dans la relance des processus de symbolisation et dans le travail de « co-mémoration » nécessaire à la réorganisation psychique.

Reprendre conscience, c’est se ressaisir et se réorganiser sur le plan somatique, mais aussi sur le plan topique, économique et dynamique, au sein d’un environnement particulier. Le coma et l’éveil sont des processus engendrant des mouvements psychiques et corporels, nécessitant un accompagnement constant et doivent être d’abord pensés dans les lieux où les soins s’accomplissent, mais aussi dans un « à côté », celui de la perlaboration qui va soutenir les soignants engagés dans leurs pratiques de soins, le patient et sa famille.

Ce travail de réflexion autour de ces différentes modalités de passage allant jusqu’à provoquer parfois des débâcles somatiques, dégage un modèle de l’éveil appelé « travail de l’éveil », questionnant et ouvrant une réflexion plus large sur nos modèles de soins actuels. C’est à ce titre qu’une collaboration s’est engagée avec Patricia Attigui, professeur de psychopathologie et de psychologie clinique à Lyon 2, également psychanalyste, pour instaurer avec les praticiens et les étudiants un espace de pensée réflexive sur ces pratiques et ces situations extrêmes de la médecine somatique, jusque-là peu investies sur le plan universitaire en psychologie clinique. Ce modèle du « travail de l’éveil » révèle les processus sous-jacents aux mouvements de l’appareil psychique s’éveillant. Le cheminement consiste à aborder l’éveil du point de vue de la métapsychologie au sein du service de réanimation médicochirurgicale adulte par la mise en tension de la question de la place du psychologue dans un service de réanimation. Ce cheminement permet de questionner non seulement la place de l’affect dans le processus de l’éveil, mais aussi celle de l’environnement soignant et familial.

Ces recherches menées par des étudiants de Lyon 2, sous la supervision d’enseignants-chercheurs et de cliniciens, sont en prise avec la tâche primaire des services de réanimation et conduisent à ouvrir des perspectives vers de nouveaux dispositifs de prise en charge psychothérapique et institutionnel auprès des familles et des proches des patients comateux, ainsi que des équipes de ces services de réanimation.

Le modèle de l’éveil souligne la nécessité de penser la place du patient comme sujet au sein du processus soignant. L’éveil de coma se fait dans la rencontre de l’autre, dans la confrontation et dans l’actualisation du discours du patient. Ce modèle de l’éveil de coma met en lien les différentes conceptualisations préexistantes au sujet de l’éveil de coma, mais propose aussi une réflexion métapsychologique sur l’approche du patient au sein d’un environnement particulier tel que celui de la réanimation. Il propose de considérer le coma comme faisant partie du parcours du patient, de son histoire de vie et non comme une rupture de la continuité psychique.

Différents points sont développés dans cette recherche :

  • Le fond hallucinatoire comme support de la continuité psychique.
  • Les pathologies de l’éveil au regard de l’échec de la symbolisation primaire et de l’échec de la prise en charge médicale.
  • Le délire comme espace transitionnel entre la période de coma et la rencontre avec la réalité.
  • L’absence de douleur et ses réminiscences dans les discours des patients.

La recherche ouvre sur un questionnement plus large concernant les fonctionnements actuels des réanimations et le rôle de l’environnement dans l’approche globale du malade.

Une grande attention est portée à la question des stimuli, de l’historicisation et du rapport à l’autre dans sa dimension de sujet comme vecteurs de l’éveil dans une double composante soit de l’éveil vers la vie, soit de l’éveil vers la mort.

Ces travaux de recherche se développent notamment au sein du Collectif PsyRéa notamment au sujet de la représentation douloureuse en absence de douleur ressentie lors de l’éveil de coma, de la place des proches et de leur possible participation aux soins dans l’environnement réanimatoire.

Présentation du Collectif PsyRéa

L’association est née de la volonté de quelques psychologues et neuropsychologues (Aurélie Frenay, Justine Peirera et Raphaël Minjard) de vouloir réfléchir à la demande des soignants, infirmiers et médecins, de pouvoir instaurer un temps d’élaboration autour de grandes problématiques rencontrées dans leur pratique en réanimation telle que l’accompagnement psychologique des patients ; la place des familles et leur possible participation aux soins ; la fin de vie et son accompagnement ; le travail en équipe pluriprofessionnelle ; l’accueil des enfants…

L’objet du Collectif PsyRéa est de mieux comprendre les pratiques soignantes en réanimation, de croiser les regards et les modèles théorico-cliniques auxquels se réfèrent les praticiens, de croiser les pratiques de différentes réanimations et de développer enfin une filière d’enseignement théorico-clinique destinée à des étudiants de M1 et M2 R désireux d’apprendre des cliniques de la précarité vitale au sein des services conçus pour l’accueillir. Le collectif vise également à la création et encourage la publication d’articles scientifiques concernant la problématique de la précarité vitale comme vont en témoigner les textes suivants de ce dossier.

L’objectif est donc aussi de créer une filière de recherche en ouvrant des lieux de stages dans des services qui étaient jusqu’alors exclusivement ouverts aux professions médicalisées. Par cette ouverture, et depuis la création universitaire de ce déploiement du Collectif PsyRéa, il est devenu possible d’échanger sur les savoirs faire pour créer de nouveaux dispositifs et développer nos pratiques en lien avec l’actualité des réanimations. Pour ce faire, le groupe se déplace dans les réanimations pour travailler directement avec les soignants, en partant de leur pratique quotidienne et de leurs connaissances des soins. Ainsi le processus s’inscrit dans un mouvement dialectique permettant à chacun : soignant, chercheur et étudiant de se déplacer non seulement physiquement, mais aussi, pourrions-nous ajouter, psychiquement, et de s’inscrire dans des milieux institutionnels diversifiés qui donneront de facto une idée plus concrète de la réalité des différents services.

La création du Collectif PsyRéa fut une première réponse à cette demande des soignants en créant des temps de formations dispensées dans les réanimations. Les premiers partenaires de ce travail furent les services de réanimation de Nîmes et de Roanne.

Il est très vite apparu que ce dispositif pouvait se développer au-delà des services de Réanimation et ouvrir sur un espace d’échange et de création de savoirs.

Les séminaires du Collectif PsyRéa

Pour conserver sa fonction d’interface et d’échanges, de création de savoirs et de dispositifs sur les problématiques réanimatoires et les pratiques soignantes en réanimation et soins continus, le Collectif PsyRéa a souhaité, tout en devenant association, s’inscrire dans le dispositif de formation de l’université Lumière Lyon 2 en conservant la particularité d’être un dispositif dedans/dehors : c’est-à-dire à la fois dans les réanimations et dans l’université.

Dans cette perspective d’ouverture, l’idée a émergé de créer un séminaire universitaire pluriprofessionnel et transdisciplinaire co-animé par le professeur Patricia Attigui et Raphaël Minjard.

Ces séminaires sont le point central du dispositif de formation et sont aussi l’étai principal pour les étudiants en stage dans les Réanimations. Ces séminaires se déroulent une fois par mois alternativement à l’université et dans un service de réanimation.

Ils ont pour objectif de permettre de mettre au travail non seulement le positionnement des étudiants en psychologie dans les services de haute technicité, mais ils permettent aussi d’élaborer les dimensions théoriques inhérentes à la clinique du « réanimatoire ». Ils sont également le lieu d’échanges interdisciplinaires et pluriprofessionnels en recevant régulièrement des praticiens de réanimation et de soins continus permettant de développer des thématiques cliniques et de recherches spécifiques.

Dans une perspective interdisciplinaire, l’accent est mis sur le nécessaire travail de perlaboration que chacun doit accomplir au contact d’une clinique de l’épreuve vitale, et qui trouve à se conjoindre aux travaux menés par P. Attigui sur l’empathie (2011). Ces recherches sur l’empathie sont aujourd’hui d’une grande actualité, car certaines d’entre elles en neurosciences, en psychanalyse et en psychologie ont apporté des connaissances qui éclairent d’un jour nouveau, et en réalité redécouvrent, ce phénomène1. Elles méritent ici toute notre attention, car elles permettent de dessiner de nouveaux contours à la compréhension d’états mentaux qui se situent aux frontières du verbal et du non-verbal. Le collectif PsyRéa s’attache à une herméneutique, à un travail de traduction des éprouvés émotionnels de sujets en proie à la douleur ou à la mort imminente. L’intérêt pour les phénomènes d’échoïsation trouve ici sa place entre psyché et soma, cherchant dès lors à tracer de nouvelles voies d’accès à la compréhension du processus d’identification au sens psychanalytique du terme.

Le Collectif PsyRéa par la dynamique de travail dans ces séminaires permet la constitution d’une articulation pour les étudiants en stage dans les Réanimations partenaires, à ce jour la Réanimation de l’hôpital de la Croix Rousse et de l’hôpital Édouard Herriot à Lyon. La particularité de ces stages de M1 et M2 fait directement écho aux difficultés des services de réanimation que nous avons rencontrés jusqu’à présent, c’est-à-dire de ne pas posséder de temps de psychologue dédié spécifiquement à la réanimation.

La question de l’accompagnement des stagiaires dans de tels lieux est par conséquent fondamentale, tant les enjeux de vie et de mort y sont présents et poussent l’étudiant à chercher des modèles d’identification. Il est donc très difficile de trouver des psychologues acceptant d’être tuteurs pour un ou des étudiants en stage en réanimation. La principale raison évoquée étant de ne pas connaître cette clinique spécifique et de ne pas pouvoir se tenir suffisamment proche des étudiants pour les accompagner.

Ainsi nous remercions très sincèrement les psychologues Catherine Beignard et Judith Kerleroux2 qui ont bien voulu encadrer les stagiaires de réanimation ainsi que les médecins anesthésistes réanimateurs notamment Serge Duperret, Bernard Floccard, Claude Guerin pour leur participation à ce dossier et leur engagement dans l’aventure PsyRéa.

Actuellement le Collectif PsyRéa prépare plusieurs journées d’étude autour de la vie psychique en réanimation. Ces journées se décomposeront en deux temps de travail l’un très spécifique à l’approche psychodynamique développant des points théoriques spécifiques de la métapsychologie notamment autour de la question du transfert, de la subjectivité, des vécus oniroïdes, l’autre proposant un échange pluriprofessionnel autour de la question du soin en réanimation.

Mais avant de laisser la parole à tous ceux qui ont contribué à ce dossier spécial sur ce domaine de recherche, et que nous remercions encore, écoutons ce que pouvait nous dire D. Bromberger de ce vertige des confins :

« Il ne fait pas de doute que c’est l’excellence des soins que j’ai reçus, la qualité des chirurgiens qui m’ont opéré qui m’ont permis de ne pas mourir rapidement de mes blessures. Mais il y a une grande différence entre le fait d’être maintenu en vie et celui de revenir à la vie. Je suis persuadé, il s’agit là d’une simple conviction qui n’a pas de valeur scientifique, que si ce sont la médecine et les médecins qui nous “sauvent” la vie, c’est nous-mêmes, comateux, qui décidons de notre “retour à la vie”. […] Il est plus facile, plus naturel, dirais-je de se laisser mourir que de faire l’effort de revenir à la vie. La mort est paisible, la vie est une série d’épreuves qu’il faudra de nouveau affronter. Le coma est le moment où l’individu effectue le choix entre l’une et l’autre. » (Bromberger, 2002)

1 Ce fut par exemple, sans qu’elle ait été découverte initialement dans le cadre d’un programme de recherche spécifique sur l’empathie, le cas des

2 Judith Kerleroux, Psychologue clinicienne, Urgences psychiatrique, hôpital Édouard Herriot, Lyon.

Bibliographie

Attigui, P. & Cukier A. ss. la dir. de (2011). Les paradoxes de l’empathie – Philosophie – Psychanalyse – Sciences sociales. Paris, CNRS Éditions.

Bromberger D. (2002). « Du bonheur d’être dans le coma, de la difficulté d’en sortir », Les Cahiers du Réseau, Publication du REIRPR, n° 17.

Gallese V. et al. (1996). « Action recognition in the premotor cortex », Brain, 119/2, pp. 593-609.

Minjard R. (2014). L’éveil du coma, approche psychanalytique, Paris, Dunod.

Rizzolatti G. et al. (1999). « Resonance behaviors and mirror neurons », Arch ital. Biol., 137(2-3), pp. 85-100.

Rizzolatti G. et Sinigaglia C. (2009). Les neurones miroirs, Paris, Albin Michel.

Notes

1 Ce fut par exemple, sans qu’elle ait été découverte initialement dans le cadre d’un programme de recherche spécifique sur l’empathie, le cas des célèbres « neurones miroirs », qui furent détectés lors d’enregistrements de l’activité cérébrale recrutée dans le codage des mouvements manuels de grands singes, c’est-à-dire sans qu’il soit question d’empathie ou même d’interaction sociale (Gallese V. et al., 1996, Rizzolatti G. et al., 1999) et pour une présentation et une autre interprétation, destinées à un plus large public, voir Rizzolatti G. et Sinigaglia C., 2009.

2 Judith Kerleroux, Psychologue clinicienne, Urgences psychiatrique, hôpital Édouard Herriot, Lyon.

Citer cet article

Référence papier

Patricia Attigui et Raphaël Minjard, « Le Collectif PsyRéa, de la rencontre d’une pratique singulière à l’élaboration conjointe hospitalo-universitaire », Canal Psy, 112 | 2015, 5-7.

Référence électronique

Patricia Attigui et Raphaël Minjard, « Le Collectif PsyRéa, de la rencontre d’une pratique singulière à l’élaboration conjointe hospitalo-universitaire », Canal Psy [En ligne], 112 | 2015, mis en ligne le 07 décembre 2020, consulté le 20 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=1422

Auteurs

Patricia Attigui

Psychologue clinicienne, psychanalyste, professeur de psychopathologie et psychologie clinique, responsable du Master 2 Recherche de psychopathologie et psychologie clinique, Université Lumière Lyon 2, CRPPC

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Raphaël Minjard

Psychologue clinicien, psychanalyste, PhD, Mcf en psychopathologie et psychologie clinique, Université Lumière Lyon 2, CRPPC, vice-président de la Société Lyonnaise d’Étude de la Douleur (SLED), correspondant Régional Rhône Alpes Psychologue pour la Société Française d’Étude de la Douleur (SFETD)

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