Comprendre les relations humaines, et notamment les relations de pouvoir, est particulièrement essentiel pour notre vie en société. Ce numéro insiste plus particulièrement encore sur la manière dont la question du pouvoir est constitutive de toute relation, qu’elle soit instituée ou qu’elle soit spontanée ou fortuite. Ainsi, le terme « pouvoir » peut être entendu dans deux acceptions différentes : d’une part, il désigne le fait de détenir une « autorité », d’autre part il peut signifier « la possibilité, l’éventualité ». La notion de pouvoir est ainsi comprise dans différentes perspectives toujours aux prises avec, comme point de centration, la relation à soi, aux autres et au monde.
Les auteur.e.s nous font découvrir dans ce numéro leurs réflexions sur cette notion complexe. Nous commençons avec Patricia Mercader et Annik Houel qui explorent les rapports entre sexe et pouvoir avec le titre « Sexe et pouvoir, ou le harcèlement sexuel comme fait de structure ». Elles abordent la question du pouvoir sous l’angle des enjeux noués par les rapports de domination, notamment sexuels. Elles évoquent également les différents modèles de la position victimaire et du consentement, mais aussi les leviers de transformation du côté de la résistance et de la solidarité.
Nous poursuivons notre réflexion en nous intéressant avec Anna Eve Helmlinger et Jean-Baptiste Van der Henst aux « Identifications, inférences et évaluation de la dominance : les mécanismes cognitifs à l’œuvre chez le bébé ». Dans leur texte qui nous plonge au cœur du développement des tout-petits, nous apprenons comment la dominance, cette relation sociale dans laquelle les individus dominants tendent à l’emporter lorsque leurs objectifs sont en conflit avec ceux de leur subordonné, s’organise dès notre jeune âge et quand et comment les bébés identifient la dominance ; qu’est-ce qu’ils en infèrent et quelles sont leurs attitudes vis-à-vis des individus dominants ?
C’est la clinique des adolescents avec Marion Durand qui prend la suite dans un texte intitulé « Travailler la question du pouvoir avec les adolescents dans une structure d’hébergement au pénal », l’occasion de laquelle l’autrice nous amène à penser l’articulation entre éducation et pouvoir. Il est encore question de relation à autrui à partir de ce qui se trouve être en souffrance chez ces adolescents, du fait d’un vécu précoce de déprivation affective, mais également de ce qui peut constituer une solution, car dans la tendance antisociale s’opère un retournement des enjeux de pouvoir ouvrant ainsi des éléments de compréhension. Il s’agit par exemple de pouvoir penser qu’à travers leurs conduites, ces jeunes ne viennent pas seulement interpeller l’environnement, mais plus spécifiquement la Loi. On peut dès lors comprendre que très souvent, le « refus de l’autorité » dont on les accuse est surtout un « refus de soumission », dans une confusion entre autorité et domination. Ce texte nous montre que le travail du psychologue est d’entendre au plus près le monde de l’adolescent tout en gardant à l’esprit le caractère parfois profondément désocialisant de ce refus d’autorité dont, en outre, les éducateurs font souvent les frais.
L’article suivant nous invite à la découverte de l’espace potentiel qui semble apparaître lors de la mise en récit de relations significatives passées en milieu scolaire, qui prennent alors la forme de liens intériorisés. C’est à partir du cas « Clarisse » que Jessica Rosand Soto, dans son texte intitulé « Le pouvoir : du besoin vital de cramponnement à l’ouverture d’un espace potentiel », nous parle de l’évolution d’une recherche de pouvoir au sens de l’autorité que l’on tend à imposer à l’autre ou bien à recevoir comme mesure de rétorsion, à un pouvoir en tant que possibilité, en tant « qu’espace potentiel » ouvrant sur une aire créatrice qui pourrait permettre de dépasser le recours à l’omnipotence.
Enfin, c’est vers une réflexion politique intitulée « L’impouvoir des psychanalystes — note pour une politique » que Théo Lucciardi nous amène. À partir d’un regard historique sur la situation de la psychanalyse, il nous propose d’interroger les rapports au pouvoir et le maniement du pouvoir de la psychanalyse, depuis son émancipation de l’hypnose et du savoir psychiatrique, tels qu’ils se jouent dans l’espace de la cure, dans la construction d’une théorie du pouvoir, et dans les lieux de pouvoir, notamment les scènes médiatiques sur lesquelles son savoir et le désir de savoir des psychanalystes sont sollicités, reposant chaque fois la question de la légitimité de leurs discours.
Je vous souhaite un agréable moment de lecture et de réflexion !