De quelque nature qu’ils soient, les écrits sont intimement liés au travail du psychologue. Des notes personnelles aux écrits institutionnels en passant par les transmissions aux équipes, les compte-rendu de bilans, les écrits à visée didactique et pour certains l’exercice de l’écriture romanesque, le psychologue est amené à faire avec la trace brute de l’expérience pour la rendre « lisible » à d’autres tout en maintenant vivant l’essence de la rencontre, sa qualité, sa singularité. Dans ce numéro 130 de Canal Psy, nous souhaitons éclairer ce « passage » à / par l’écrit avec un premier texte rédigé par Gaëlle Picoche, psychologue clinicienne. Ce texte, à visée didactique pour les psychologues en formation et les professionnels d’autre champs, propose une plongée dans le quotidien du travail d’un psychologue en Institution de la Protection de l’Enfance. Ce travail offre, à travers le récit du processus d’écriture d’une note d’Information Préoccupante, un regard sur une pratique clinique dans le champ du médico-social et donne à comprendre un peu plus avant les différents maillages des dispositifs qui s’y trouvent, en mettant en évidence la façon dont un éclairage clinique proposé à des services sociaux et des magistrats permet de faire émerger une dimension thérapeutique. Les précisions apportées dans ce texte sont fondamentales pour « sentir » les logiques cliniques empruntées en vue de protéger « au plus près ». À partir du premier regard clinique livré « dans » cette Information Préoccupante, l’auteure poursuit cette réflexion dans un second texte par une mise en perspective théorico-clinique qui donne à la fois une compréhension du cas présenté dans le premier article et présente également toute la portée interrogative et ouvrante de l’écriture. Le troisième texte de notre numéro 130 présente à la fois le parcours singulier d’une psychologue clinicienne, une perspective professionnelle et un rapport à l’écriture et ses transformations possible. Françoise Guérin nous invite à nous intéresser au travail minutieux demandé au psychologue romancier lorsqu’il s’agit de passer de l’écrit à l’image pour rendre compte « des processus de l’analyse car ce sont des mouvements intérieurs, aussi forts que discrets ». Elle nous amène par ce texte mêlant récit de vie, témoignage d’une évolution professionnelle et d’une passion pour l’écriture, à réfléchir sur « comment témoigner du transfert, des défenses, du désir… comment représenter l'irreprésentable qu'est une séance ? Le cheminement intérieur, les associations, le transfert, la jouissance qui s'attache au dire, les effets de l'énonciation ? » dans la transformation d’un écrit en la réalisation d’un film. L’arrière-fond de son propos présente également une réflexion sur la difficulté à soutenir la place de la psychanalyse tant ses processus sont insaisissables directement. « Il y a des choses qu’il faut vivre en tant qu’expérience singulière. Le vivre pour le croire », dit-elle. Le quatrième texte proposé par Anna-Livia Marchionni, psychologue clinicienne, docteure en sciences politiques et sociales et écrivaine, décale le regard vers une mise en perspective entre les écrits de recherche et les écrits littéraires en amenant une question centrale qui est celle de la connivence entre l'activité d'écriture et la folie. Elle nous offre à regarder l’écriture comme une forme de « travail » sur la réalité auquel « s'adonnent volontairement l'écrivain et involontairement le sujet pris dans le délire », en nous proposant de nous interroger sur ce en quoi ce travail sur la réalité, spécifiquement dans un roman, peut enrichir la compréhension de cette part de la réalité qu'il montre en la transformant. En soutenant qu’il est possible de faire des découvertes, d'approcher le monde sensible et subjectif d'un individu, voire d'en faire intérieurement l'expérience, en passant par l'anthropologie et l'écriture ethnographique, Anna-Livia Marchionni aborde l'écriture littéraire en tant que moyen d'exploration de la réalité. Son texte se termine sur une belle réflexion concernant l'écriture comme un moyen d'explorer l'expérience « d'être fou » adossée à l’hypothèse « qu'écrire la folie d'un personnage amène à considérer sa folie, non pas en tant qu'aliénation, mais en tant qu'altérité ».
Ce numéro 130 se termine par un entretien avec Sidney Cohen, psychiatre et psychanalyste, au sujet de son livre « Suivre Pauline » qui révèle le travail difficile avec une jeune femme toxicomane pour laquelle il décrit un travail d’écriture inévitable, mais mis en suspend pendant 35 ans. L’entretien nous emmène dans l’écriture qui traduit, qui transmet et qui permet aussi de rendre compte d’une approche, d’une méthode vivante de travail psychothérapeutique. Sidney Cohen, en nous rappelant que « la psychanalyse au fond n'est bien sûr qu’une expérience humaine et comme toutes les expériences humaines on doit pouvoir en rendre compte de façon compréhensible », nous permet aussi de penser un pont avec l’écriture qui, par « le simple fait de traduire en mots les choses vécues, ressenties, leur donne corps, les fixe alors qu’autrement elles seraient beaucoup plus fugaces, à peine perceptibles ». L’écriture se pose alors là entre les choses vécues, ressenties, et une manière d’en rendre compte, de les traduire, de les partager.
Je vous souhaite une belle lecture !