Françoise Guérin, Maternité

p. 41

Référence(s) :

Françoise Guérin, Maternité, Paris, Albin Michel, 2018.

Texte

J’ai lu Maternité, de Françoise Guérin1 (Albin Michel, 2018) sans trop savoir pourquoi, ou plutôt sans raison bien précise. Un peu parce que je connais l’autrice, une collègue douée, drôle et sympathique, un peu parce que j’ai déjà lu avec plaisir quelques-uns de ses romans policiers (mention spéciale pour Jeunes filles à croquer), un peu parce que le thème m’intéresse tout spécialement.

En même temps je n’avais pas d’attentes particulièrement enthousiastes : je ne sais pourquoi, j’ai généralement une petite réticence à lire les ouvrages des gens que je connais, comme une pudeur initiale, comme si j’anticipais une déception. Restes d’un mouvement vaguement envieux sans doute, surtout quand il s’agit de romans, que voulez-vous, j’aurais tant aimé écrire des romans…

Eh bien Maternité est une formidable réussite, un récit saisissant et intense, vrai concentré d’émotion et de finesse, écrit avec une intelligente bienveillance, nourri par une expérience clinique profonde. On y lit l’histoire de Clara, directrice financière pas franchement sympathique, psychorigide et fière de l’être, qui ambitionne d’être « ordinaire », confrontée à une maternité « programmée » plutôt que désirée. Et c’est une impossible rencontre avec ce bébé, cette petite fille énigmatique et angoissante, qui fait remonter en Clara les souvenirs enfouis de ses vécus infantiles. Clara décompense, évidemment, la maternité la rend folle et même d’une folie dangereuse, le récit pourrait s’en tenir là et laisser le lecteur dans une confortable posture de condamnation : on sait combien les « mauvaises mères » suscitent de rage, de réprobation impitoyable, et pour tout dire de schadenfreude chez les lecteurs de faits divers même les plus avertis. Mais non, la subtilité de l’écriture nous permet d’éprouver pour Clara autant d’empathie que pour le bébé en détresse qui tente quand même de vivre et d’entrer en relation, pour le père qui travaille à aider à la fois sa fille et sa femme, un peu moins peut-être en ce qui me concerne (quoi que…) pour les parents de Clara bien engagés, victimes-bourreaux, dans ce drame transgénérationnel.

Ce livre m’a profondément émue. Il m’a fait associer, a fourni la matière de rêves, a fait résonner des souvenirs de mon enfance, mais aussi de ma rencontre plutôt gauche au départ avec des bébés si terriblement énigmatiques. Il m’a aussi, car l’histoire comporte une ouverture, ramenée à l’émerveillement de ma première rencontre avec la relation analytique : enfin, un lieu où parler comme on sent, et où quelqu’un entend…

Les mères, les femmes, les anciens bébés en tous genres, les filles et les fils, les pères réels, symboliques, potentiels ou putatifs ne peuvent que se sentir concernés par ce beau texte qui j’ai lu presque d’une traite, et qui ne m’a pas quittée ensuite. Et pour les étudiant·es en psychologie, surtout intéressé·es par la néonatalité, disons qu’il devrait être inscrit au programme ! Car rien, mieux que le récit, le mythe, le conte, le roman, ne nous permet de saisir en profondeur ce qu’il en est de la psychanalyse…

1 Le blog de Françoise Guérin : http://motcomptedouble.blog.lemonde.fr/a-propos/.

Notes

1 Le blog de Françoise Guérin : http://motcomptedouble.blog.lemonde.fr/a-propos/.

Citer cet article

Référence papier

Patricia Mercader, « Françoise Guérin, Maternité », Canal Psy, 122 | 2018, 41.

Référence électronique

Patricia Mercader, « Françoise Guérin, Maternité », Canal Psy [En ligne], 122 | 2018, mis en ligne le 09 avril 2021, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=1893

Auteur

Patricia Mercader

Professeure émérite de psychologie sociale, Université Lumière Lyon 2

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