Champ d’intérêt relativement récent pour les sciences, la gérontologie a bénéficié d’un acte de naissance lors de la remise du rapport réalisé par P. Laroque, conseiller d’État, en 1962. Dès lors, un certain nombre de démarches et de décisions étaient engagées en direction des personnes âgées afin d’améliorer leurs conditions de fin de vie. En même temps se réalisait un double mouvement : d’une part, la personne âgée faisait son entrée sur la scène de l’intérêt social, d’autre part, la naissance du concept de gérontologie engageait les sciences de la vie et de la santé ainsi que les sciences humaines à considérer la vieillesse et le processus de vieillissement comme des champs intéressants.
L’engouement des disciplines scientifiques n’a pas été fulgurant dans les années 60. C’est aux alentours de 1972-1975 que le mouvement s’est mieux organisé et qu’émergeait une « seconde génération » de gérontologues, en appui et en relais des pionniers des années sixties !
L’Institut de Psychologie a été très vite impliqué dans cette ouverture gérontologique par H. Reboul, professeur de psychologie sociale, qui créa le premier cours de psychologie gérontologique en 1969. Depuis, l’Institut de Psychologie a constitué un véritable centre de recherche et de formation de haut niveau dans le domaine que nous appelons aujourd’hui, selon la terminologie internationale, la psychogérontologie. Qu’il s’agisse d’une distribution tout au long du cursus d’enseignement de psychogérontologie offert aux étudiants ou de formations de spécialisation professionnelle (DESS de psychogérontologie créé en 1985) ou encore de formation à la recherche scientifique (EAD n° 3 du DEA de Psychologie et Psychopathologie Cliniques, créé en sept. 1995), l’Institut de Psychologie a mis en place une spécialisation très regardée dans l’hexagone et au-delà des frontières. La psychogérontologie n’est pas éloignée des terrains puisque par son DUGS (Diplôme Universitaire de Gérontologie Sociale créé en 1975) et son CESS (Certificat d’Études Supérieures Spécialisées en gérontologie, crée en 1996 en convention avec Grenoble 2) l’Institut de Psychologie accueille des professionnels pour leur assurer un complément de formation professionnelle et de recherche dans le domaine de la gérontologie.
Ce cadre universitaire complet, riche et varié, fait du Centre de Recherche en Psychogérontologie de l’Institut de Psychologie un creuset formidable pour développer la connaissance en matière de vieillesse et de vieillissement. L’évolution a été rapide et l’accélération incessante pour l’organisation de la recherche dans le champ du vieillissement.
De nombreuses universités se sont aujourd’hui ouvertes à ces préoccupations, mais contrairement à Lyon qui est restée, de par sa position fondatrice, très pluri-disciplinaire, les universités plus récemment intéressées se sont vite spécialisées dans une orientation sous-disciplinaire.
Le Centre de Recherche en Psychogérontologie de Lyon a donc la chance d’être habité de nombreuses problématiques et de conduire des travaux dans des orientations à la fois spécifiques et très complémentaires. Chaque enseignant-chercheur de l’équipe de psychogérontologie est en charge de l’une de ces orientations.
Liliane Israël, professeur de psychologie, travaille dans une orientation clinique cognitive sur des objets réputés de la psychogérontologie tels que la mémoire, les modifications de la cognition dans la vieillesse en santé et/ou dans la vieillesse pathologique. Ses travaux, articulés aux grands organismes (CNRS, INSERM, OMS, …) visent à explorer les mécanismes du vieillissement cognitif et leur évaluation, et après avoir fait un recensement exhaustif pour l’OMS des outils d’évaluation utilisés dans les pratiques géronto-gériatrique au niveau international, elle a mis au point elle-même des outils de synthèse et des méthodes de stimulation et de soutien aux activités cognitives des personnes âgées. Ce corpus constitue son enseignement à l’Université.
L. Israël conduit depuis plus de trente ans cette activité de recherche en articulation avec les terrains hospitaliers, en particulier.
Actuellement son intérêt se porte sur une étude longitudinale permettant d’évaluer la place qu’occupe la plainte concernant la perte de mémoire, son évaluation et le devenir déficitaire de personnes âgées venues consulter en gériatrie pour la première fois il y a une dizaine d’années.
Cette étude cherche à vérifier si effectivement la démence de type Alzheimer s’origine dans des troubles bénins de la mémoire et si la plainte « protège » du devenir déficitaire.
Jean-Marc Talpin développe depuis plusieurs années un travail autour de la crise dans ce qu’elle permet d’éclairer les situations de développement de l’adulte et en particulier chez l’adulte avancé. Son approche est en référence à la métapsychologie freudienne et vise à explorer les réaménagements psychiques qui s’opèrent lors de telles crises. Dans la lignée des travaux d’E. Jacques, il interroge aussi les potentialités nouvelles libérées à ces occasions et ouvrant sur des processus de création (littéraire, artistique…).
Un autre axe de travail concernant l’institution gérontologique intéresse J.-M. Talpin qui vise à mieux connaître le cadre institutionnel d’accueil des personnes âgées. En appui sur les travaux des psychanalystes qui se sont particulièrement centrés sur la question de l’institution, J.-M. Talpin explore le cadre de prise en charge des personnes âgées institutionnalisées.
Louis Ploton, psychiatre et psychogérontologue de formation systémique, conduit depuis vingt ans des recherches dans le domaine de la démence de type Alzheimer dans une approche clinicienne. Ses travaux montrent l’importance des comportements psychiques des personnes âgées elles-mêmes et de leur entourage immédiat dans la production des conduites déficitaires réunies sous le vocable de comportements démentiels. Très en prise avec les terrains institutionnels, les recherches de Louis Ploton abondent de très nombreuses questions de l’accompagnement individuel et/ou institutionnel de la personne âgée en général et de la personne réputée démente en particulier. Professeur associé de psychogérontologie, Louis Ploton contribue à de nombreuses recherches internationales autour du programme de recherche ABORD qui a constitué une banque de données cliniques très riche et très diversifiée en matière de syndrome démentiel. Les recherches actuelles sur la démence concernent très souvent la neurobiologie et la neuropathologie, les approches psychodynamiques étant à la fois rares et peu reconnues par la communauté scientifique. Cette approche originale provoque le débat dans un domaine qui évolue très vite mais qui tend à se rétrécir autour du seul point de vue biologique.
Moi-même, en tant que responsable du Centre de Recherche en Psychogérontologie, je conduis depuis six ans un travail de recherche qui s’articule autour d’une approche développementale de la vieillesse, considérant les objets de la gérontologie, à savoir le vieillissement et la vieillesse comme distincts : le premier est un processus, le second un état. En référence à la métapsychologie freudienne mais aussi aux théories développementales, cette recherche vise à comprendre par quels processus d’une construction psychique continuée, une personne âgée peut accéder à un état de vieillesse en santé et par quels défauts de cette dynamique intrapsychique et inter-relationnelle pourraient s’expliquer les orientations psychopathologiques tardives. En prolongement de ce travail générique, se sont organisées en collaboration avec des centres de recherche en psychogérontologie étrangers (et particulièrement canadiens) des recherches plus spécifiques dont les trois directions principales sont :
- Les enjeux narcissiques de l’entrée en vieillesse, la place, et la fonction du « bilan de vie » dans les enjeux de l’investissement libidinal d’objet chez la personne âgée. Ce travail de recherche est articulé à une activité de recherche dirigée par P. Cappeliez, professeur de psychogérontologie à l’université d’Ottawa, dans une perspective cognitivo-comportementale.
- Comment peut se penser et se mettre en place un accompagnement de la personne âgée dépressive dans le cadre de ce bouleversement dont la psyché de la personne âgée est le siège. Cette recherche s’intéresse entre autres à définir les conditions de « désignation » de l’accompagnant naturel du parent âgé déficitaire, ainsi que le rôle que l’institution gérontologique peut avoir à son égard. Ce thème de recherche concernant « l’enfant désigné », et son soutien ou sa prise en charge, est aussi organisé dans le cadre d’un réseau international rassemblant trois universités européennes (Lyon, en tant que tête de réseau européen, Leicester en Angleterre, Maïa au Portugal) et trois universités canadiennes (Ottawa en Ontario, Laval à Québec et Moncton dans le New-Brunswick).
- Le projet gérontologique institutionnel en tant qu’il s’origine dans un paradoxe culturel fait d’une fonction contenante de l’institution qui est, à la fois, isolante et chargée d’une déportation du vieillard au dehors du socius et de l’humain, et aussi, d’une contenance toute « maternelle régressive » d’une institution bonne et/ou mauvaise mère qui est en position de holding du sujet âgé qu’elle accueille. Cet axe de recherche explore des questions comme la construction possible ou impossible d’un projet d’institution ou encore les souffrances éprouvées dans l’institution soignante. De même, la question de la place du corps et du somatique en général dans la relation instituée et vécue avec la personne âgée malade et/ou plaintive.
Nous retrouvons à travers ce bref exposé des recherches des enseignants-chercheurs du Centre de Recherche en Psychogérontologie ce qui fait, d’une part, le socle sur lequel peuvent se développer les contributions d’étudiants avancés (Doctorat, DESS, DEA, Maîtrise) au sein même de l’Institut de Psychologie de Lyon et, d’autre part, la « matrice » de recherche à laquelle s’articulent de nombreux centres de recherche des universités françaises ou étrangères.
Très imprégnée du modèle métapsychologique freudien, la recherche en psychogérontologie de Lyon se démarque beaucoup des approches plus descriptives et comportementales des Nord-Américains et autres Anglo-Saxons. Elle y définit son originalité et la part qu’elle peut amener à la connaissance scientifique en psychogérontologie. Elle est connue pour cette spécificité et entretient, de ce fait, un commerce tout à fait favorable avec les partenaires de recherche proches (Grenoble, Toulouse, Paris…) ou plus éloignés (Heidelberg, Ottawa, Porto…). Délibérément multi-sousdisciplinaire, la recherche lyonnaise en psychogérontologie peut établir des liens suffisamment diversifiés avec les grandes orientations sus-citées de la recherche en psychogérontologie au niveau international (question de la cognition, de la vie psychique, de l’organisation de l’accompagnement, du culturel, etc., à l’épreuve du vieillissement et de la vieillesse).
Les publications de l’équipe lyonnaise sont toutes en référence par consultation à la bibliothèque du Centre de Recherche en Psychologie et Psychopathologie Clinique (CRPPC) et donnent une indication assez fiable du panorama de la recherche actuelle en psychogérontologie.