Depuis qu’il est admis que la rééducation ne vise pas à compenser un déficit instrumental, mais à restaurer d’abord le désir d’apprendre qui peut en amont débloquer les ressources psychiques d’un enfant pour favoriser le fonctionnement d’un instrument, force est bien d’admettre qu’il s’agit d’une aide à visée psychothérapique. Bien avant elle, la pédagogie curative, terme repris de l’allemand Heilpädagogik, et introduit dans les CMPP par Maurice Debesse, s’appuyait sur les approches de la psychologie clinique et s’intéressait aux dimensions affectives de tout apprentissage. Il en fut de même avec la pédagogie relationnelle du langage de Claude Chassagny. Il est donc indéniable que la rééducation, et particulièrement celle qui s’opère à l’école, a de par ses intentions un caractère thérapeutique. Soutenir le contraire n’est possible que pour celui qui voudrait affirmer – encore faudrait-il le démontrer – que la rééducation ne peut être que cognitive, comme se plaît à le souligner dans un article au titre provocateur Dominique Barataud (1992).
Admettons-donc le postulat hérité de la Pédagogie curative et de la Pédagogie relationnelle du langage, et cherchons à savoir quels sont ces effets thérapeutiques en rééducation quand il y a usage du conte.
C’est du côté de la psychanalyse et chez Bettelheim que nous trouvons les réponses. Ce qu’exprime le conte est en rapport avec l’inconscient, parce qu’il amène à fantasmer, mais aussi à résoudre, par un processus qui s’écoule du préconscient vers le conscient, les problèmes psychologiques de l’enfant. Lorsque Bettelheim dit que le conte permet de s’évader du réel à travers la fiction, ce n’est pas pour fuir les problèmes posés par le réel, c’est pour mieux les traiter, puisque la fin heureuse du conte constitue au niveau fantasmatique une réponse à un conflit réel. Le conte fournit en effet à l’enfant des matériaux de scénarios imaginaires qu’il serait incapable de concevoir tout seul, et qui lui serviront à transformer en fantasmes les contenus de son propre inconscient, en même temps qu’il rend supportables les frustrations subies dans la réalité par l’identification aux héros de l’histoire. On a voulu prétendre que ces identifications n’étaient pas toutes morales, l’enfant pouvant tout aussi bien vouloir s’identifier au méchant géant qu’à la douce Zéralda1. Mais n’est-ce pas précisément aussi une des fonctions thérapeutiques du conte, telle que la perçoit par exemple René Diatkine ?
« L’amateur de contes peut aussi bien reconnaître chez un personnage sympathique une référence plus ou moins allusive à un aspect de son idéal du moi, qu’être soulagé parce qu’il repère chez un personnage antipathique une mauvaise partie de lui-même, dont il peut se débarrasser dans un jeu qui ne dure que l’instant du conte » (Diatkine, 1989, p. 3.)
De quoi le conte délivre-t-il encore l’enfant ? De son angoisse de ne pouvoir aboutir à la réussite. Beaucoup de contes merveilleux nous apprennent que l’être le plus insignifiant peut réussir. Le Petit Poucet abandonné par ses parents doit son salut en partie à la femme de l’ogre, mais surtout à sa propre débrouillardise, et à sa ruse qui lui font voler les bottes de sept lieues et toutes les richesses de l’ogre. Le simplet dans Les trois plumes des Grimm réussit tout ce qu’il entreprend grâce à l’adjuvant incarné par un crapaud, et finit par obtenir en mariage la princesse et hériter du royaume. Mais il doit aussi sa réussite au fait qu’il est vaillant et actif dans sa recherche, alors que ses deux frères plus intelligents que lui sont de vrais fainéants qui ne répondent pas aux sollicitations de leur père.
Tout seul dans l’existence, le héros ne peut réussir. Il lui faut le secours d’auxiliaires – fées, lutins, vieilles femmes, magiciens – qui l’aident à s’en sortir. Mais très souvent cette aide, ou ne suffit pas, ou n’est pas accordée, s’il s’agit d’un faux héros. Dans Dame Holle ou Les trois nains de la forêt des Grimm, et dans Les fées de Perrault, l’héroïne est une fille gentille et serviable, qui accepte d’aider les vieilles femmes ou les nains. La récompense sous la forme du don – cracher de l’or ou des pierreries à chaque fois qu’elle ouvre la bouche – n’est pas un simple effet de magie, mais vient sanctionner positivement celle qui sait mettre de l’ordre en soi et ne pas céder à la pente la plus facile de son inconscient et qui est en fait le ça, cause de la ruine des fausses-héroïnes de ces mêmes contes qui finissent par cracher serpents ou crapaud. Dans le conte de Perrault, la fausse-héroïne est même condamnée à mourir au coin d’un bois.
Se laisser guider par l’idéal du moi, et renoncer au ça, tel pourrait être le message que le rééducateur essaie de faire passer à l’enfant lorsqu’il utilise le conte dans ses séances. Le ça, c’est le côté pulsionnel de l’appareil psychique, celui qui nous fait préférer le principe de plaisir au principe de réalité, ou bien nous empêche de trouver un équilibre entre les deux. L’idéal du moi c’est « l’instance de la personnalité résultant de la convergence du narcissisme (idéalisation du moi) et des identifications aux parents, à leurs substituts et aux idéaux collectifs » (Laplanche, Pontalis, 1967).
Le travail du rééducateur est d’accompagner l’enfant dans l’avènement de cette idéalisation, solution qui est d’abord éducative avant d’être rééducative et thérapeutique, et qui consiste à mettre de l’ordre là où précédemment il y avait du désordre et l’emprise du ça. En rééducation, à travers le conte, l’idéal du moi consiste à s’identifier à des personnages qui veulent grandir, atteindre leur maturité, et peuvent assumer la contradiction entre le principe de plaisir et celui de réalité, en devenant donc également capable d’assumer la frustration et le renoncement à l’objet immédiat, pour différer sa conquête à plus tard. Peu d’enfants pris en charge en rééducation sont à même d’échanger une perte momentanée du plaisir contre un gain ultérieur (la réussite sociale grâce à l’école). Ce n’est pas faute seulement d’être entravé dans le conflit psychique par l’incapacité de désirer, mais c’est également et souvent l’absence de possibilité de se projeter en avant, ce qui suppose à la fois le désir, le projet, et la capacité cognitive de se représenter cet ailleurs et ce futur. Donner de la signification à la vie de l’enfant à l’école par un processus de transformation du non-sens en symbolisation, telle est la fonction de la rééducation. Donner du sens à la vie, telle est la fonction du conte, nous dit et nous répète Bettelheim, dès les premières pages de Psychanalyse des contes de fées. Le parallèle est parfait.
Si le conte en rééducation est thérapeutique en soi, ce n’est pas seulement parce qu’il permet à l’enfant de restaurer sa capacité de se projeter en avant et de vouloir grandir. C’est aussi parce qu’il lui offre la possibilité de se rassurer et de vaincre ses peurs. Bettelheim nous dit que si le conte a trop de similitudes avec la vie réelle de l’enfant, il l’inquiète plus qu’il ne le rassure. C’est pourquoi je reste sceptique à l’égard de ces contes fabriqués exprès dans un but thérapeutique, comme ceux de Jacques Salomé (1993) ou ceux de Françoise Dejong-Estienne (1994). Ces contes sont la plupart écrits au premier degré, délivrent surtout les préceptes d’une hygiène morale censée guérir la plupart des symptômes et des somatisations, et sont d’un symbolisme très pauvre, n’autorisant que peu d’identifications. Ils ne laissent à l’auditeur aucune possibilité de créer sa propre imagerie, puisque tout est dit. Comment un enfant pourrait-il trouver un secours thérapeutique dans l’écoute d’un conte qui lui raconte littéralement sa propre histoire, au risque que son inconscient n’élève immédiatement des censures et réactive le refoulement, lorsque le titre même du conte s’appesantit lourdement sur le symptôme ? Ainsi en est-il du conte Le conte du petit bouquetin qui avait peur de perdre son zizi de Jacques Salomé et du conte François a la langue tordue de Françoise Dejong-Estienne. Je préfère de loin le conte merveilleux traditionnel qui, par sa mise à distance du réel et son déroulement dans l’imaginaire, incarne la peur de l’enfant et en même temps l’en débarrasse, puisqu’il sait qu’il ne s’agit pas d’un vrai loup et que ce dernier ne se déguise jamais en grand-mère pour manger les petites filles. De même qu’à la fin de chaque conte le héros revient à la réalité, après être passé parfois par une mort symbolique, sauf dans la version de Perrault du Petit Chaperon Rouge, l’enfant qui redemande au rééducateur qu’il lui raconte toujours la même histoire horrible, veut se réassurer dans le réel et le quotidien, en se confrontant dans l’imaginaire à la peur. Comme le dit Bettelheim (1979 p. 213), « si notre peur d’être dévoré se matérialise sous la forme d’une sorcière, il est facile de s’en débarrasser en la faisant rôtir dans un four ».
L’École du conte pour utiliser le conte dans l’enseignement et dans la formation : des supports
• Le tarot des mille et un contes (Debyser, Caré, Éd. L’école des loisirs). Il s’agit d’un jeu de cartes dont les figures sont suffisamment floues pour débloquer l’imaginaire. Héros, désirs, conseillers, obstacles, alliés, sites, ennemis, défaites, victoires, bonheurs font l’objet de codages qui permettent une utilisation des cartes au plus près de la structure morphologique du conte.
• Conte 2, logiciel d’Alain Lambert. Ce logiciel permet de démarrer et de créer des histoires, d’utiliser le traitement de textes au niveau des choix narratifs.
• Le théâtre Forum : une cassette vidéo est disponible à l’ADES (Association D’Éducation pour la Santé).
• Protolecture. Le schéma de départ est visuel et comporte des figures géométriques. Il s’agit de faire la description d’une figure puis de créer une histoire en relation avec le schéma (ou plusieurs histoires s’il y a plusieurs groupes). C’est un moyen de faire émerger des récits de vie. La méthode a été utilisée par Henri Planchon.
• L’arbre à parole : objet-jeu conçu en direction de la petite enfance. Il permet un aller-retour entre le récit, l’écoute, le visuel, le tactile.
• Le labyrinthe des histoires : espace conçu pour les tout-petits, leurs parents et les professionnels autour de cinq thèmes : la dévoration, le câlin, la peur, la démesure et la transformation.
• Le musée Dauphinois et les Arts du Récit ont réalisé un CD sur Les contes et légendes du Dauphiné recueillis par Charles Joisten.