Pourquoi, comment, et patati et patata… On devient auteur pour enfants…

DOI : 10.35562/canalpsy.2231

p. 9

Editor's notes

Évelyne Reberg a publié de nombreuses histoires pour enfants chez des éditeurs aussi divers que Bayard, Duculot, l’École des loisirs, ??, Flammarion, Nathan, Le Seuil… Depuis 12 ans, elle fait avec Jacqueline Cohen le scénario d’une bande dessinée à succès : Tom-Tom et Nana.

Text

Je n’ai pas trop envie de savoir pourquoi j’écris des histoires pour enfants. J’aime parfois obéir à cette bizarre impulsion de l’écriture, où se mêlent doute, souffrance et plaisir. Mais puisqu’on me demande si souvent comment j’en suis arrivée à pratiquer cette innocente occupation, je sais pointer quelques moments de ma vie. Sont-ils déterminants dans mon écriture ?

Pendant la guerre, confiée quelque temps par mes parents à un « grand-père » inconnu, je savourai les histoires sur mesure qu’il inventait pour me rassurer. Elles pansaient si bien la blessure de l’absence que je n’ai jamais oublié la jubilation et la paix qu’elles m’apportaient.

Plus tard, mes dix-sept ans furent vécus sans télé, sans contrainte autre que scolaire, avec les copains, dans la rue. Cette pure intensité de la joie et des chagrins, cette saveur de la liberté, je ne les ai jamais retrouvés dans ma vie d’adulte où tout se brouille et se complique. Auteur pour enfant, je me sens un peu chercheur d’or, en quête de pépites : quelque chose d’enfoui, de primitif, de léger, de fort, d’éblouissant.

J’ajouterai que la littérature pour enfants est une littérature dynamique, où les héros s’emballent, flottent, luttent, courent le monde. C’est le règne des désirs assouvis. C’est une bonne thérapie. Ça vous rend, le temps d’un récit, innocent, joyeux et cruel…

A priori, en écrivant, je n’ai pas de projet, d’intention. Je ne désire transmettre ni connaissances, ni message. Je ne les refuse pas, je ne les recherche pas non plus. Les histoires m’échappent. Un sentiment éprouvé, une sensation, un lieu, un mot dans un livre, et hop, c’est l’aiguillon, me voilà partie à l’aventure sans trop savoir où je vais. Je sais seulement qu’une fois de plus, je vais écrire pour des lecteurs de moins de 12 ans, parce que j’ai détesté mon adolescence. Et c’est tout.

Pourtant, en écrivant, je ne suis pas libre. Il y a toujours en moi la petite fille que j’ai été, qui me contrôle, qui retient ma pensée : elle est mon gendarme. Comment la définir ? D’abord, pendant longtemps, elle a refusé de lire. Les livres, pour elle, étaient dangereux. Tous ces mots sans visage, quand on les déchiffrait, ils risquaient de faire mal, de faire peur, de réveiller les angoisses. (Beaucoup de mauvais lecteurs sont en réalité des enfants qui ont peur. Voilà pourquoi l’adulte peut jouer un rôle fondamental en accompagnant les enfants dans l’obscure forêt des mots.) En tout cas, la petite fille que j’ai été me force à écrire très simplement, elle me crie sans cesse à l’oreille ses difficultés de lecture. Elle me supplie de tenir ses angoisses à distance, ce qui m’amène souvent à privilégier l’humour. Elle m’interdit d’aborder les sujets douloureux de front, et quand j’en ai envie, elle me paralyse de son regard brûlant.

Cette petite fille-là était une sacrée trouillarde, je m’en souviens, elle était paralysée de timidité et de panique. Alors elle tient à prendre sa revanche. Elle adore les histoires de transgression, elle jubile quand sont bafoués des êtres tout-puissants comme le diable, les parents, le maître d’école, les sorcières, etc. Lesquels se vengent quand ils sont éditeurs, en lui refusant certains textes.

Pour qu’une histoire existe, il faut qu’elle ait un sens. Un sens ? Que dis-je ! Plusieurs sens ! Il y a le sens évident, bien clair, que les enfants peuvent pointer, et puis les sens cachés qu’on peut s’amuser à multiplier. Les secrets de l’auteur, quoi… Toute histoire repose sur la synecdoque (montrer peu pour dire plus…).

Quand l’histoire est bouclée, je m’interroge sur l’image que j’y ai donnée des enfants, des adultes, de la société. Là se situe parfois mon malaise. Que faut-il transmettre aux enfants ? Jusqu’où aller dans l’insolence ? Suis-je une éducatrice ou puis-je déborder de ce rôle ? Je n’ai pas de réponse bien claire. L’auto-censure est permanente, et si je franchis certaines limites – que ce soit dans le vocabulaire ou dans les situations mises en scène – les éditeurs seront là pour me taper sur les doigts.

Écrire pour les enfants n’est pas toujours confortable. Je m’accuse régulièrement d’imposture : qu’est-ce qui m’autorise à me mettre dans la peau d’un lecteur de huit ans, moi qui en ai cinquante de plus ! Un abîme nous sépare ! Les années sont comme des continents entre nous !!!

Et puis… en glissant un « je » fictif entre les enfants et eux-mêmes, je m’autorise à penser pour eux ! À les guider sournoisement ! (Il y aurait toute une étude à faire sur l’idéologie qui règne actuellement dans les livres pour la jeunesse.)

En tout cas, que de travail pour ordonner son délire, être simple, accessible, sans mièvrerie, ni platitude ! Difficile, quand on écrit pour des enfants, de jouer sur le non-dit, les silences, le clair-obscur, bref, tout ce qui fait l’attrait de la vraie littérature. On ne se rend pas compte à quel point la simplicité, ça se conquiert. Je suis supposée avoir opté pour la facilité. Je donne l’image d’un adulte qui n’a pas su grandir. Je me rassure en constatant que beaucoup d’entre nous sont infantiles sans le savoir : moi, au moins, même si je suis atteinte par l’amnésie de moi-même, comme tout un chacun, je pointe l’enfant qui est toujours en moi. Cela me rend peut-être un peu lucide… Allez savoir !

Je cours après une histoire qui s’inscrirait fort, loin, dans le désir des enfants : un de ces récits qu’on dirait avoir déjà été écrit quelque part et qu’il ne faudrait que réveiller.

References

Bibliographical reference

Évelyne Reberg, « Pourquoi, comment, et patati et patata… On devient auteur pour enfants… », Canal Psy, 32 | 1998, 9.

Electronic reference

Évelyne Reberg, « Pourquoi, comment, et patati et patata… On devient auteur pour enfants… », Canal Psy [Online], 32 | 1998, Online since 16 juillet 2021, connection on 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2231

Author

Évelyne Reberg

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