Françoise Guérin
Suzie a 14 ans, un T-shirt minimaliste et une jupette qui ne dissimule rien. L’affolement maternel est à son comble face à cette adolescente qui ramène le sexuel sur le devant de la scène. Soupçonnée d’allumer les garçons, Suzie est scrutée de toutes parts, sa chambre visitée régulièrement, ses messageries inspectées, ses copines interrogées. Même le collège, agité d’inquiétudes sécuritaires, se fait complice en rapportant ses faits et gestes comme ceux d’un délinquant potentiel.
L’objet regard est partout. Bien sûr, Suzie n’y est pas étrangère, qui manie l’impudeur comme l’art suprême de mettre l’autre en émoi. À la pulsion scopique maternelle répond la monstration. Et réciproquement ! Piège infernal d’une jouissance partagée…
Pourtant, ce n’est pas de cela dont vient se plaindre sa mère. L’insupportable est ailleurs, dans les mensonges énoncés avec aplomb, les dissimulations répétées, les petits arrangements avec la vérité. Car depuis quelques mois, Suzie ment. Trouvaille fabuleuse dont elle aurait bien tort de se priver. Puisqu’il n’y a pas de limite possible au regard de l’autre, que tout est à ciel ouvert, elle a trouvé la parade. Poursuivie par les regards, apatride de l’intime, elle demande l’asile politique aux mots, trouve refuge dans sa parole.
Et se construit un abri dans la langue…