Je dois bien l’avouer, mes premières réactions à l’égard du rendez-vous du lundi soir dans le cadre du M2 Professionnel Psychopathologie et psychologie clinique, parcours clinique de la formation avec Dominique Ginet, furent assez réservées. En organisant « seulement » un accueil et l’animation des rencontres avec les professionnels invités, je me disais que ce professeur devait fonctionner a minima. Pourtant, ce moment de rencontres et de partage d’expériences cliniques en formation fut précieux dans ma formation : animer, partager, transmettre, multiplier les identifications possibles avec les psychologues intervenants. Ces exposés, « stimulants », comme il aimait à le dire après chaque intervention, nous ouvraient un accès vers nos propres investigations de terrain, posant les jalons d’une pratique clinique de la formation.
Diplôme en poche, j’ai eu la possibilité d’exercer, à côté de mon activité dans le soin, en tant que psychologue formateur. Simple intervenant d’abord, j’ai, au fil du temps, créé et mis en place des espaces d’écoute clinique au sein d’un Institut de Formation en Soins Infirmiers. Aussi, je voulais à travers cette communication, témoigner de la manière dont la clinique de la formation a infiltré mon apprentissage, mon cheminement et donné lieu à la création de deux dispositifs d’écoute, l’un groupal, l’autre individuel. Je vous propose de me suivre dans les différentes étapes de ma démarche.
La formation d’infirmière est actuellement de trois ans au lieu de trois ans et demi auparavant. Au cours de leur formation, les étudiants alternent entre des périodes au centre de formation (théorie) et sur les lieux de stage (pratique). La formation est accessible par concours après le baccalauréat. La plupart des étudiants sont issus du baccalauréat ou d’une année de préparation au concours. Ils n’ont donc aucune expérience du soin et ont seulement une connaissance théorique du métier. Certains peuvent avoir une première expérience professionnelle en ayant occupé, pendant quelques années, des postes d’ASH, aides-soignants, ou faisant fonction.
Avant d’être diplômé, j’avais commencé à donner des cours de psychologie auprès des étudiants. J’ai donc poursuivi après mon diplôme et également proposé d’animer des groupes d’analyse de la pratique de stage. Ces groupes existaient avant mon arrivée, ils étaient animés par les formateurs de l’école. L’analyse de la pratique de stage était alors davantage travaillée de manière pédagogique que clinique, malgré un travail sur le vécu du stage à partir des ressentis et des émotions de chacun. Les formateurs m’exprimaient les limites de leur travail dans cet espace de rencontre. Ces limites tenaient compte de leur posture d’enseignant/formateur évoluant dans un cadre pédagogique précis et déterminé (comprenant la question de l’évaluation pédagogique).
Les groupes se sont ainsi mis en place. En fonction de leur âge, expérience, maturité entre chacune des trois promotions (premières, deuxièmes et troisièmes années), il m’a semblé important de différencier le travail proposé. Avec les 1res années, j’ai davantage proposé des groupes à médiation (groupe à thèmes, groupe photos, jeux de rôles), afin d’accompagner ce premier travail d’élaboration de sa pratique. Leurs questions concernent davantage l’accueil (ou ils sont eux-mêmes traversés par cette question). Leurs questions traitent de leur place en stage ; « quelle est ma place en stage ? Dans l’équipe ? Quelle est la limite de ma place ? Puis-je m’autoriser à… ? » Derrière ce discours manifeste, on peut entendre une angoisse beaucoup plus latente concernant l’histoire du sujet et son rapport au groupe. Chacun est interrogé sur son propre rapport au rejet, à l’oubli, à la rivalité, l’indifférence que peut faire vivre le lien aux autres dans un groupe. Il est donc important pour moi que les étudiants puissent approcher l’expérience de leur pratique en étant contenu dans le groupe. Pour cela, l’emploi de consignes simples s’est montré facilitateur.
La fin de la première, deuxième et troisième année est apparue comme une période marquée par des mouvements de deuil, de désillusion. Les étudiants semblent confrontés à l’écart entre ce qu’ils ont imaginé du métier (« la relation d’aide et le soin » étant les thèmes mis en avant comme motivant par rapport au métier) et la réalité du terrain. La pratique professionnelle leur semble plus technique, les contraintes de temps et de rentabilité égratignent l’idéal du métier. Ainsi, les questions sont formulées du côté du soin, du bon soin et du relationnel avec les patients. Ils évoquent également les situations de maltraitance, les questions liées à l’éthique.
En troisième année, nous travaillons un autre mouvement, celui de la séparation. Après l’illusion, puis la désillusion, les étudiants quittent la formation pour entrer dans le métier. Un nouveau mouvement se met alors à l’œuvre. Ils sont amenés à vivre de nombreuses séparations : avec leur groupe de formation, avec le centre de formation (équipe pédagogique). Leurs questions traduisent alors les angoisses accompagnant cette période : « Serai-je capable d’assumer les responsabilités que l’on va me confier ? Vais-je réussir en tant que professionnel ? » On assiste également au réveil des premières angoisses. Celles qui les avaient traversés durant leurs premiers stages et qui refont surface ; « serai-je capable de m’intégrer dans une équipe, de trouver ma place ? » L’analyse de la pratique permet ainsi d’accompagner les différents mouvements traversés par les étudiants au cours de leur parcours de formation. Le retour du groupe aux différentes questions, interrogations de chacun joue le rôle de contenance et pareexcitateur au sein du groupe. Le travail d’élaboration vise donc à donner du sens à l’expérience, il s’articule au contenu théorique. Cela contribue à travailler la question de l’écart entre théorie et pratique.
La formation de l’étudiant infirmier se joue dans un processus de transformation identitaire qui touche à la fois un niveau externe, l’acquisition du métier, sa culture, ses valeurs, et un mouvement d’origine interne touchant sa propre subjectivité. Ainsi, le changement de posture entre formateur et psychologue clinicien se fait donc dans la capacité d’accueil, non seulement de ce qui se joue dans la scène de l’expérience pédagogique, mais aussi, dans l’Autre-scène. En éclairant et accompagnant le formé, le clinicien tente ainsi de l’aider à émerger.
Au bout d’un an de fonctionnement des groupes d’analyse de la pratique, j’ai repéré qu’un certain nombre d’étudiants s’expriment peu au sein des groupes. Ils peuvent être participatifs, dans l’écoute, mais restent silencieux. Parfois ce sont les mêmes qui, en fin de groupe, viennent me voir en me demandant si j’ai un cabinet ou un lieu pour me rencontrer. Un premier niveau de demande individuel se formule comme cela. Ces étudiants, en difficultés à suivre la formation ou sur leur lieu de stage, n’ont pas pu trouver un premier niveau de traitement dans les groupes d’analyse de la pratique. Ils ouvrent ainsi une demande sur un travail d’accompagnement individuel. L’expérience précédemment acquise au cours de l’accompagnement des étudiants m’a donc amené (conjointement avec l’équipe pédagogique) à créer un nouveau dispositif au sein du centre de formation : le Point Écoute. Sa mission consiste à aider l’étudiant à mieux comprendre et trouver des solutions par rapport à ses problèmes ; l’aider à prendre de la distance et élaborer autour de ce qui est source de souffrance psychique ; à l’orienter, si nécessaire, vers des services plus spécialisés ; aider les professionnels de l’école (formateurs…), en orientant vers un lieu tiers (à la fois en dehors de la scolarité, mais en même temps au côté de la formation et dans l’école) des étudiants ressentis comme ayant des difficultés personnelles ou scolaires pouvant rejaillir sur leur parcours de formation. Le Point Écoute n’est pas un lieu de soin, mais un dispositif intermédiaire de prévention. Les rencontres avec un psychologue visent avant tout à offrir un lieu neutre, gratuit où chaque étudiant peut venir s’exprimer et tenter de dénouer des éléments conflictuels.
Actuellement les motifs évoqués comme demande sont principalement liés à un problème survenu en stage (« reproches de l’équipe, remarques de soignants », « mauvais positionnement professionnel de l’étudiant »). Là encore, il faut nous interroger sur cette forme de demande d’aide « liée au problème de stage ». Il nous semble que cette formulation ouvre sur un travail concernant l’histoire du sujet et son propre fonctionnement interne en particulier, sa groupalité interne, c’est-à-dire ce qui, dans la situation de stage professionnel fait résonance dans son histoire et qui l’encombre, l’inhibe, dans la progression de son parcours, de son apprentissage.
Le premier bilan du Point Écoute fait apparaître que l’anonymat, la discrétion, le fait de rencontrer un intervenant hors de l’équipe pédagogique, la proximité du lieu d’écoute, sont des motifs évoqués comme facilitant l’accès pour les étudiants.
Cette écoute possible du processus de formation au sein des espaces créés dans un Institut de Formation en Soin Infirmier semble favoriser la réintégration psychique du vécu de sujet (stagiaire) de la formation. Il redonne du sens à l’expérience pédagogique, humaine et subjective du vécu de formation. Alors, ma posture a changé entre mon avant et mon après rencontre avec Dominique Ginet. J’ai moi-même vécu un changement d’identité professionnel, de formateur en psychologie à celle de psychologue clinicien exerçant au sein d’un institut de formation.
Aussi, la trace laissée par les rencontres du lundi fut pour moi celle-ci, s’autoriser la création d’espaces de pensées en lien avec la formation des étudiants infirmiers et le dispositif pédagogique en offrant à chaque sujet un lieu où il puisse se loger en dehors des contraintes pédagogiques : ouvrir quelques fenêtres possibles sur son propre cheminement en formation.
Nicolas Brachet