C’est à partir de mon expérience professionnelle que j’en parlerai, de ma fonction de responsable d’une structure (Conseil Diagnostic Développement), ayant une formation de psychologue clinicienne.
C2D a été créé il y a maintenant 6 ans. L’objectif : « permettre à des femmes au chômage de retrouver un emploi par le biais de l’alternance stage en centre/stage en entreprise ».
Au début, la formation proposée était surtout technique, même si celle-ci était déjà traversée par la question de la souffrance de ces femmes dans la perte d’une place. L’entreprise était là pour assurer le rôle de tiers.
Les femmes pouvaient déposer leurs souffrances à C2D, l’entreprise était là pour leur redonner une place. Le contexte socio-économique évoluant, l’entreprise n’a plus joué ce rôle de tiers. Les licenciements au sein de l’entreprise, la baisse d’activité ou la surcharge d’activité ont créé un climat de souffrance venant en résonance directe avec celle des stagiaires et n’ont plus pu jouer son rôle de contenant.
Il a fallu alors s’appuyer plus sur le dedans tout en maintenant le mouvement entre le dedans et le dehors : le dedans, l’évolution du public reçu, le dehors, l’évolution du contexte socio-économique ce qui m’a amenée à travailler dans deux directions :
- la création d’un lieu d’écoute et de parole « Voix plurielles » pour les personnes les plus éloignées de la question de l’emploi,
- la réflexion à la question du sens du retour à l’emploi quand on sait que le plein emploi n’existera plus et que le positionnement des femmes par rapport à la valeur travail est différent (choix de qualité de vie en particulier par rapport aux enfants, contexte relationnel au sein de l’entreprise prioritaire au salaire ou à la « réussite » professionnelle).
La question de ces femmes accueillies est celle de pouvoir retrouver une place avec les « déplacements » que cela exige afin de redonner sens à ce qu’elles vivent, se remettre en « lien » (dans la mesure où pour l’instant c’est encore la valeur travail qui pour elles permet cette remise en lien).
Pour penser cette question, cela implique d’élaborer un cadre de travail où la question du sens et de la place de chaque salarié va être interrogée en permanence.
Il s’agira pour chaque formateur de trouver du sens dans son action en la repérant comme venant d’un passé et produisant un avenir.
Il s’agit pour moi de remettre en sens le vécu des formateurs ordonné autour d’une parole théorique, anticipant l’évolution de la stagiaire et permettant de donner sens et place au discours et agir du stagiaire.
Il s’agit également pour les salariés à la fois d’avoir une place bien définie mais de pouvoir jouer avec plusieurs places, de pouvoir être interrogé sur leur place soit de l’intérieur, soit de l’extérieur (exemple : analyse de la pratique avec un psychologue extérieur) ; jouer de la technicité la plus pointue et du décalage.
« La place n’est pas donnée a priori… et elle n’est jamais acquise définitivement. » (V. de Gaulejac, La lutte des places.)
Expérimenter au sein de la structure de sa place de salariée ce à quoi les stagiaires accueillies vont avoir à se confronter.
Traiter la question de l’exclusion devient de plus en plus complexe. Les expérimentations à concevoir pour répondre au plus près à l’évolution du public accueilli passent par une technicité de plus en plus forte par le biais d’une réflexion transdisciplinaire dont la psychologie est l’un des outils mais pas le seul.
S’il est question du cadre intérieur, il est aussi question de l’évolution socio-économique et du rapport micro/macroéconomique. Enfin, il est question de la vigilance à avoir par rapport aux stratégies développées en terme politique, quant à la prise en compte de l’exclusion et de dénoncer sans relâche une politique au sens large qui n’entend plus que « toute société inventive et dynamique reçoit son impulsion des expulsés » (M. Serres).
En conclusion, j’interrogerai la place de l’université dans la prise en compte de ces phénomènes d’exclusion et dans sa capacité à se mettre à la disposition des acteurs de terrain dans un espace de recherche et d’interrogation sans cesse à inventer.
D’autre part, les étudiants doivent se préoccuper de ce champ d’intervention dans lequel ils ont une place à occuper.
Il est paradoxal pour un employeur, alors que de nombreux psychologues cliniciens sont sans emploi, de se trouver en difficulté quand il s’agit d’embaucher.
Il ne peut plus s’agir uniquement d’une écoute clinique, mais surtout de mettre en sens et d’articuler la dynamique individuelle de la personne au chômage à celle sociale, économique et politique.
D’être en lien avec les différentes structures (sociales, économiques…) qui vont de nouveau pouvoir produire du lien pour la personne exclue.
Une place à penser pour le psychologue clinicien sans cesse à réinventer en fonction de l’évolution du public reçu, du contexte socio-économique, sans cesse à décaler dans sa pratique, toujours à réinterroger.