Depuis 20 ans le monde de la formation est confronté au problème de l’insertion du public en difficulté : jeunes des banlieues, femmes isolées, migrants, handicapés, etc. Le traitement de ces publics dits « prioritaires » était dans les années 80, fait de manière distincte selon les sources de financements, bien que toujours à l’initiative de l’État. La problématique de l’insertion se formulait alors d’une manière relativement simple : pour insérer, il faut renforcer les capacités des individus, moderniser leurs savoirs et leurs compétences afin de les amener à un niveau d’employabilité reconnue. L’insertion se définissait alors comme un accès au monde du travail résultant d’une action de formation adaptée. Dans le même temps, les pédagogues approfondissaient les aspects de la relation formateur-formé, et exploraient de manière approfondie les lois de l’apprentissage. Le formateur avait en charge la transmission de savoirs et de savoirs-faire et vivait selon la règle des trois unités : de temps, de lieu et d’action. C’était l’époque des stages.
On assiste maintenant à un bouleversement de ce système remis en cause par de nouvelles données :
- l’évolution du public,
- l’évolution de la commande publique,
- l’évolution de la réponse formation.
Le public
Le public qui relève d’actions d’insertion a évolué en nombre : ce ne sont plus seulement les catégories citées plus haut, les BNQ (bas niveaux de qualification) mais tous les jeunes qui arrivent sur le marché du travail, les demandeurs d’emploi et des catégories longtemps « préservées » comme les cadres et les techniciens. Du Rmiste au cadre supérieur, l’insertion est un référent commun pour des personnes exclues plus ou moins durablement. Qualitativement, la précarité s’est accrue mettant en évidence des problèmes sociaux et psychologiques importants liés à l’exclusion. Dans ce contexte, la « formation » au sens classique devient un élément d’un parcours d’insertion (Cf. l’insistance actuelle des formateurs sur les phases de socialisation redynamisation, mobilisation, etc.) et s’inscrit comme une étape dans une stratégie d’insertion. Les savoirs et les savoir-faire laissent la place à la catégorie des savoir-être comme domaine de formation à part entière et ce d’autant plus que les savoirs et les savoir-faire ne sont pas forcément en cause…
La commande publique
En réponse à cette évolution du public la commande publique s’est modifiée. À cet égard, l’examen de dispositifs d’État comme le CFI – Crédit Formation Individualisé – lancé en 1989 et le dispositif PAQUE – Préparation Active à la Qualification et à l’Emploi – lancé en 1992, est instructif. Ces dispositifs en direction des jeunes, ont modifié profondément la définition de l’acte de formation et du champ d’action du formateur. En instituant des actions « amont » dynamisation, travail sur le projet et des actions « aval » : suivi, accompagnement du stagiaire jusqu’à l’insertion dans l’emploi ou la formation, la notion de « stage » disparaît au profit de la notion de « prise en charge » individuelle, ponctuée techniquement par la généralisation de l’individualisation des actions.
Les institutions de formation
Pour accueillir un public plus fragile, élargir son offre et s’inscrire dans les dispositifs, les institutions de formation ont investi des champs pédagogiques nouveaux, notamment le domaine de l’ingénierie de formation et des nouvelles formes d’organisations pédagogiques.
Ainsi la modularisation, l’individualisation, le tutorat, le partenariat, la définition et la gestion de parcours de formation sont devenus des thèmes d’actualité.
Ce que les institutions de formation offrent, ce ne sont pas seulement des prestations mais un système de formation qui « accompagne » un individu « à insérer » jusqu’au temps de l’insertion. À l’individu de faire confiance à ce système qui doit le mener à la terre de Chanaan. Si les organismes ont gagné en souplesse en diversification et en cohérence à travers cette évolution, n’oublions pas que cette cohérence ne vaut que par les résultats qu’elle obtient… comment interpréter dès lors les « évasions » du dispositif PAQUE, puisque 60 % des stagiaires sont sortis sans peur et sans solution.
On reste étonné qu’au-delà des dispositifs et des organisations, la problématique de l’insertion se pose encore dans les mêmes termes. Insérer ? Oui. Mais à quoi ? Le monde économique ne pourra pas offrir une place à tous ceux qui sont à ses portes. Alors insérer pour quelles alternatives ? La question n’est pas vraiment posée. Et le formateur qui vit au cœur de ce paradoxe n’a pas vraiment de réponse. La question de l’insertion des autres le renvoie à celle de son identité, dans un aller-retour angoissant comme dit l’un d’eux :
« Les stagiaires m’identifient comme un “professionnel”, me comparant en cela à toutes celles et à tous ceux qui, auparavant, dans d’autres instances, se sont occupés avec compétence de leur situation. Mais quel genre de professionnel suis-je devenu ? Professionnel de quoi ? Car jusqu’à présent, pour me reconnaître à moi-même cette qualité, j’avais la certitude de maîtriser des savoirs et des savoir-faire qui, ici, passent au second plan. J’ai donc dû transmettre autre chose, mais cette autre chose est mal définie et ne me protège plus des questions que je me pose sur moi-même, comme le faisaient les savoirs techniques et académiques. L’implication de ma personne – au sens où l’on paye de sa personne – est très forte dans une telle action, et les choix pédagogiques y sont déterminants. » (Alain Coquereau, in Éducation permanente, n° 118 – le supplément AFPA.)