Sciences psychiques, métapsychique et psychologie

Histoire de leur partage

DOI : 10.35562/canalpsy.2442

p. 6-7

Plan

Texte

Au sein des sciences du psychisme un partage s’est opéré au début du xxe siècle entre l’acceptable et l’inacceptable en psychologie. Ce partage reste tout à fait d’actualité et permet finalement à la psychologie légitime de délimiter son objet par le dehors. Toute incursion dans le domaine de la parapsychologie paraît ainsi une transgression, sauf si le chercheur ou le clinicien adopte un point de vue critique, historique ou structural. Or cette délimitation ne relève pas seulement d’une opposition entre rationalité et irrationalité mais découle des fondements mêmes de la parapsychologie, la métapsychique.

Sciences psychiques et métapsychique en France

Avec l’avènement du mesmérisme et du courant spiritualiste, on assista à la fin du xviiie siècle et au début du xixe à une recrudescence de phénomènes inhabituels. Ils furent étudiés par des personnalités religieuses et de la société civile, et en premier lieu par les magnétiseurs. Ces derniers s’aperçurent en effet que ceux que l’on nommait les somnambules possédaient certains dons : vision à distance et à travers les corps opaques, double vue, détection de maladies et prescription de traitements, etc. Cependant il fallut attendre l’initiative anglo-saxonne pour que réellement une étude circonstanciée commence. Ainsi en 1869 la Société Dialectique de Londres entama des recherches sur les phénomènes physiques du spiritisme, cependant qu’un physicien, William Barret, faisait des expériences sur la clairvoyance et la transmission de pensée. Mais c’est autour de Frédéric Myers qu’à partir de 1873, à Cambridge, se forma un groupe de chercheurs qui fondèrent en 1882 la Société de Recherches Psychiques (SPR). Elle s’attacha en premier à l’étude de la télépathie, par des méthodes d’enquête. Le résultat de ce travail exemplaire fut publié en 1891 et traduit en français aussitôt. Son traducteur, Léon Marillier, avait été chargé quelques années plus tôt par la SPR de mener en France une enquête similaire dont il présenta les premières conclusions au congrès de psychologie physiologique de Paris en 1889.

Dès 1891 une société identique à la SPR fut créée en France autour de Charles Richet qui eut pour organe les Annales des sciences psychiques. Un côtoiement était alors possible entre la recherche psychique et la psychologie expérimentale et dynamique, ce dont témoigne la présence de l’exposé des recherches psychiques aux premiers congrès de psychologie ainsi que leur publication dans les revues scientifiques et par les éditeurs de renom du forum scientifique. Mais il faut préciser que cette coexistence encore pacifique devait beaucoup à la personnalité et à l’envergure de Richet. Celui-ci incarnait à souhait la connexion possible et recherchée entre psychologie et sciences psychiques. Médecin puis physiologiste, Richet fut celui qui réhabilita le somnambulisme provoqué et l’hypnose en précisant que ces états intéressent le physiologiste et le psychologue. C’est donc en psycho-physiologiste qu’il aborda les phénomènes psychiques et qu’en 1905 il proposa le terme de métapsychique pour désigner la science devant les étudier. Or l’objet de cette science se plaçait bien au-delà de celui de la psychologie officielle, puisqu’il consistait en une intelligence inconnue (sic), non nécessairement humaine précisait Richet.

En créant ce terme Richet instaura donc une frontière avec la psychologie et mit fin à une position ambiguë aux confins de plusieurs sciences reconnues. La métapsychique devenait autonome car frontalière.

À partir de 1919 la recherche métapsychique prit un tour nouveau avec la création de l’Institut du même nom. Là, sous l’impulsion du Dr Geley se déroulèrent des expériences sur les phénomènes physiques avec des médiums qui eurent un énorme retentissement sur l’opinion. De plus les métapsychistes proclamèrent avoir établi les preuves de la clairvoyance. Mais ces faits pour les uns relevaient encore des Esprits – le fondateur de l’Institut, Jean Meyer, était spirite – alors que pour d’autres c’était l’inconscient ou des forces inconnues. Aussi, lors du deuxième congrès des recherches psychiques en 1923, la décision fut prise de séparer nettement la métapsychique du spiritisme. Ce fut d’ailleurs l’occasion d’un engagement des plus marqués pour Richet, sans qu’il puisse véritablement éradiquer le mal.

Ce rappel à l’ordre dans les rangs des métapsychistes était contemporain d’une déconvenue importante pour leur recherche. Le journaliste du quotidien L’Opinion, Paul Heuzé, demanda en effet à une commission de scientifiques d’examiner, à la Sorbonne, le médium Eva Carrière. Dans cette commission se trouvaient Louis Lapique, Georges Dumas, Henri Piéron et le docteur Laugier. Les résultats qu’elle fournit furent totalement négatifs et la médium accusée de fraude. Un an plus tard le même Paul Heuzé réitéra le procédé et cette fois ce fut le médium à effets physiques Guzik qu’examinèrent Langevin, Rabaud, Laugier, Marcellin et Meyerson. Le verdict fut sans appel : le médium a fraudé et l’expérimentation en ce domaine se révèle des plus hasardeuses. Ces échecs renouvelés contribuèrent à forger dans l’opinion publique mais surtout dans le monde scientifique un rejet de la métapsychique objective. Il y eut en particulier divorce entre psychologie et métapsychique qui relégua cette dernière au rang d’une croyance et exclut du champ de la psychologie les recherches métapsychiques. Le destin de la métapsychique en France s’est donc joué dans les années 1920-25. La publication du Traité de métapsychique de Richet en 1922 ne permit pas qu’il en fût autrement. Au contraire, beaucoup de ceux – tel Pierre Janet – qui attendaient du maître qu’il donne des arguments irréfutables susceptibles d’inscrire la métapsychique dans la science furent déçus par l’entreprise.

Dès lors la métapsychique resta aux marges des sciences reconnues et à la frontière de la psychologie scientifique.

Raisons du divorce et archéologie d’une frontière

Au-delà de l’aspect somme toute assez anecdotique qui vient d’être rappelé, les raisons de la séparation entre métapsychique et science sont à analyser à plusieurs niveaux. Je ne ferai que les évoquer compte tenu de la brièveté exigée pour cet article.

En premier lieu on peut avancer que c’est la nature même du projet métapsychique qui rendait la cohabitation impossible. Les métapsychistes n’ont pas cessé en effet de critiquer la science officielle, incapable selon eux de reconnaître et d’admettre les objets d’étude de la métapsychique. Or ces objets relevaient tous du registre de l’inhabituel, c’est-à-dire ce qui par nature échappe à l’expérimentation. Par conséquent la métapsychique ne pouvait apparaître que contradictoire.

En second lieu elle prônait trop fortement une psychologie dérivée de la physiologie et donnait par ailleurs une place plus qu’énigmatique à un inconscient que l’on peut qualifier de métapsychique. De sorte qu’elle rassemblait sur elle toutes les erreurs et déviations dénoncées par la psychologie officielle.

En dernier lieu il faut préciser que la métapsychique fut prise dans une critique rationaliste généralisée du mysticisme de l’entre-deux-guerres. Dans ce contexte ses hypothèses et son discours ont paru à certains similaires à des éléments délirants.

La métapsychique a donc subi une crise, qui se perpétue aujourd’hui dans la parapsychologie. Une crise et un échec, celui de l’illusion qu’il n’existerait qu’une Science se déclinant de la même manière pour tous les objets. Or la métapsychique est restée sourde à la question du sujet car son sujet s’évanouit dans la physiologie. De sorte qu’elle a résisté à toute incursion dans la psychologie clinique et qu’elle est idéologiquement restée une science de l’extra-humain sans être une science humaine.

Citer cet article

Référence papier

Pascal Le Malefan, « Sciences psychiques, métapsychique et psychologie », Canal Psy, 16 | 1994, 6-7.

Référence électronique

Pascal Le Malefan, « Sciences psychiques, métapsychique et psychologie », Canal Psy [En ligne], 16 | 1994, mis en ligne le 07 septembre 2021, consulté le 17 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2442

Auteur

Pascal Le Malefan

Psychologue, CHS du Rouvray (76), docteur en anthropologie et écologie humaine, chargé de cours à l’Université de Rouen

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