C’est à un voyage très imagé au centre du corps que nous invite l’auteur1, qui ne peut qu’interpeller chacun de nous, du moins pour ceux d’entre nous qui se souviennent encore d’avoir un corps. En ce domaine, les hommes et les femmes ne semblent pas logés à la même enseigne : les femmes ont été tenues, de tout temps, au plus proche de leur « nature », c’est-à-dire de leur corps dans ses aléas de la maternité. Dans les chapitres qui portent plus particulièrement sur ces aspects, on voit bien comment l’imaginaire féminin reste empreint de représentations très anciennes qui ont traversé les siècles, notamment en ce qui concerne la circulation des fluides. Mais ce qui frappe le plus dans les propos des interviewés, hommes ou femmes, est leur très grande difficulté à évoquer, à se faire une représentation de l’intérieur de leur corps qui ne soit pas envahie par des vécus très archaïques. Ainsi à propos de l’alimentation, on voit combien le premier lien de l’enfant à la mère a marqué, de façon inconsciente, ces représentations. Pour le psychologue, il est d’ailleurs intéressant de lire ces diverses élaborations, sur les nerfs par exemple, comme des défenses particulièrement bien construites contre l’idée même d’inconscient.
Les médecins aussi devraient être intéressés par cet ouvrage, qui peut leur en apprendre beaucoup sur la façon dont les gens appréhendent leur corps et du même coup les propos médicaux tenus sur ce même corps. On voit bien comment, à ne pas en tenir compte, le malentendu ne peut que persister. Savoir profane et savoir médical pourraient-ils enfin se compléter plutôt que s’affronter ?
Un des buts de ce livre est aussi de montrer comment le renforcement des « surveillances médicales » de tout type (diététique, obstétricienne, etc.) risque de renforcer le fossé qui existe parfois entre le médecin et son patient.
Cette étude s’appuie sur une grande expérience professionnelle du milieu médical et surtout de très nombreuses interviews, savamment mais agréablement utilisées, l’auteur restant au plus proche de la parole, savoureuse, et irremplaçable, de ses « informateurs ».