4e journée d’étude sur la petite enfance

Bébé porté, bébé pensé, plaisir et répétition dans le maternage

p. 8-9

Texte

Après « Séparations et retrouvailles chez l’enfant », « Les bébés entre eux », et « Penser, le bébé : le temps de l’observation »1, les organisateurs de cette quatrième journée d’étude2, Joëlle Rochette et Denis Mellier (psychologues : École Rockefeller, Université Lumière Lyon 2) interrogent conférenciers et participants sur la problématique du maternage. À partir des travaux bien connus de Stern, Lebovici, Brazelton, etc., ils évoquent le plaisir qui peut être partagé par l’adulte et le bébé dans ces situations « d’accordage », de « synchronies interactionnelles », d’« enveloppement » que sont les multiples et quotidiennes séances de soins, de change, de repas. Mais le plaisir est-il toujours au rendez-vous lorsque la lassitude, la routine automatisent les gestes ? Quel rôle joue cette répétition nécessaire et inévitable des soins de la part de la mère ou du soignant ?

Ces questions ont été posées aux différents intervenants, d’origines très diverses.

Philippe Gutton (Professeur à l’université Paris VII, psychanalyste) nous propose trois modèles scientifiques pour comprendre le bébé : le modèle qui permet de prendre en compte la dyade, le système triangulaire qui introduit le père et le système des échanges mutuels qui élargit cette modélisation à l’environnement de l’enfant, en particulier aux objets avec lesquels l’enfant a une activité libidinale. Dans chacun de ces modèles qui coexistent depuis la naissance, P. Gutton pose le problème du maternage, de l’adéquation de la mère à son bébé, de la légère inadéquation nécessaire induite par sa relation au père, puis de ces jeux à trois avec des objets qui préludent à l’organisation œdipienne de l’enfant.

Nadia Philonenko (psychologue, psychanalyste, collaboratrice d'Hélène Stork3), se situe dans une perspective ethno-psychologique. À partir d’un film illustrant les façons de bercer l’enfant dans différents pays (Afrique, Asie, Japon, France…), elle souligne les similitudes dans les rythmies, les bruits de bouche, les tapotements mais aussi les différences inter-culturelles. Elle décrit ensuite les trois étapes de transmission du maternage : la première par la kinesthésie primaire à partir de ce que le sujet ressent lors de sa petite enfance, la deuxième par les expériences et les imitations vécues par les grands enfants vis-à-vis des bébés de leur entourage, la troisième par un apprentissage à l’âge adulte : ainsi, dans certains pays, il y a une véritable éducation de la mère. N. Philonenko montre que dans nos sociétés occidentales les deux dernières étapes sont supprimées, ce qui favorise la seule répétition de ce que le sujet a vécu, sans réélaboration.

Natacha Kukucka (psychologue, psychothérapeute, intervenant à l’association Pikler-Loczy) centre son intervention sur l’importance de l’attention dans le maternage ; en effet la présence physique à elle seule n’est pas suffisante, encore faut-il que l’adulte soit disponible psychiquement à l’enfant. Ainsi, celui-ci se sent aidé par l’entourage qui organise ce qui se passe en lui. Il intégrera la confiance mutuelle qui se crée et supportera d’autant mieux les temps de séparation et d’attente. Dans le cadre d’une collectivité, chaque enfant doit pouvoir construire son individualité en étant sujet et non objet dans la relation qui le lie aux professionnels. La relation de soin peut être un moment d’échanges individualisés. « Le temps que l’on donne à l’enfant de moins de 3 ans lui permettra de mieux supporter le temps insuffisant plus tard ». Deux séquences de soins filmées illustrent son propos.

Mais la relation de maternage peut, dans certains cas, devenir pathologique, mortifère. La deuxième partie de la journée a été consacrée à ces situations particulières.

Le douloureux et trop actuel problème de la maltraitance est abordé par Marthe Baracco (psychologue clinicienne, unité de soins à domicile, Paris XIII) à partir du film : Liens d’amour, liens de haine qui évoque les mécanismes de mise en place des comportements de dysparentalité. Au-delà de l’origine de ces conduites du côté des parents, M. Baracco pose quelques principes adressés aux professionnels confrontés à ce type de problèmes : par exemple, il ne faudrait pas qu’un soignant reste seul. Elle pointe aussi les répercussions intra et interinstitutionnelles de ces situations.

Albert Ciccone quant à lui essaie de comprendre pourquoi souvent un parent maltraitant a été un enfant maltraité. Il reprend différentes raisons qui s’appuient sur la complexité des relations qui existent entre trois générations : parents, enfant et grands-parents. La plus archaïque vient de l’absence de symbolisation de ce que le sujet a vécu : il reproduit alors les mêmes actes en s’identifiant à ses parents. Une autre raison peut consister en une attente démesurée du parent vis-à-vis de son enfant : il en attend ce qu’il n’a pas reçu de ses propres parents. D’autres encore voudront « tout apporter » à leur enfant. Face à cet idéal écrasant, tout manque sera vécu comme une disqualification de la fonction parentale. Dans ce déplacement de l’image de l’enfant idéal au mauvais enfant persécuteur, la situation de l’enfant porteur de handicap est particulièrement lourde de risques : ce bébé radicalement différent, peut réactualiser une déception originaire, des traumatismes anciens. L’enfant ne peut s’inscrire dans sa filiation : il y aurait comme une « dégénération ». Comment échapper à cet échec ? A. Ciccone propose de travailler sur la transmission intergénérationnelle fantasmatique.

Yolaine Quiniou (psychanalyste, Institut de Puériculture de Paris) parle de la grande prématurité comme se situant en deçà du maternage, lorsque le bébé ne peut être ni porté ni nourri, et risque de ne pas être pensé. En effet, pour échapper aux émotions fortes générées par ce service, au conflit vie/mort toujours présent, les professionnels peuvent occulter le bébé et sa douleur en se réfugiant derrière l’aspect technique de la prise en charge, derrière les machines qui le font vivre. Le rôle du psychanalyste sera de reprendre les angoisses archaïques qui sont suscitées par ces enfants, de faire prendre conscience de ce qui est vivant. La méthode d’observation psychanalytique d’Esther Bick aide à approcher la vie psychique naissante de ces bébés, à partir des signes ténus qu’ils nous donnent à voir.

Jocelyne Roux-Levrat (psychologue clinicienne en crèche) évoque la fonction de maintien de l’observation qui peut être une aide pour l’enfant en liant les différents aspects de lui-même, qui peut être un soutien pour les professionnels dans leur approche individuelle de chaque enfant. Le psychologue, en position d’observateur, joue un rôle de contenant par rapport au monde archaïque de la petite enfance et de médiation entre les professionnels et le bébé.

Denis Mellier tire les conclusions de cette journée en évoquant les émotions qui ont traversé la salle au fil des différentes interventions : lien d’amour dans la relation triadyque, bébé-mère-père, lien de tendresse avec le bercement, lien de haine à deux lorsque le tiers ne peut pas être présent, et en deçà du lien dans l’expérience particulière de la grande prématurité. Trois niveaux d’élaboration se dessinent ainsi : un niveau fantasmatique, un niveau à deux, et un niveau où l’on peut se demander si le lien existe vraiment. D. Mellier renvoie les professionnels aux dispositifs essentiels à mettre en place pour pouvoir travailler et à l’importance de l’existence du groupe.

Notes

1 Publiées dans la revue Dialogue, n° 112-120-128.

2 Lyon, le 16 juin 1995 – École Rockefeller – Université Lumière Lyon 2.

3 Les rituels du coucher de l’enfant, H. Stork, Éd. ESF et in Bulletin de psychologie, mai-juin 1995.

Citer cet article

Référence papier

Marie-Paule Thollon-Behar, « 4e journée d’étude sur la petite enfance », Canal Psy, 20 | 1995, 8-9.

Référence électronique

Marie-Paule Thollon-Behar, « 4e journée d’étude sur la petite enfance », Canal Psy [En ligne], 20 | 1995, mis en ligne le 27 août 2021, consulté le 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2505

Auteur

Marie-Paule Thollon-Behar

Docteur en psychologie

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