Une page de l’histoire de la Maîtrise des Sciences et Techniques sanitaires et sociales est tournée…

p. 11-12

Texte

À l’Institut International Supérieur de Formation des Cadres de Santé, le mercredi 4 octobre 1995, à 18 heures, a eu lieu le dernier jury de la Maîtrise des Sciences et Techniques Sanitaires et Sociales (MSTSS) du Département d’Enseignement Infirmier Supérieur.

Ce jury est le 28e. Le premier jury s’était réuni le 22 juin 1967, sous la présidence de Monsieur le professeur Nerson, doyen de la faculté de droit et de sciences économiques de Lyon, et de Monsieur Husson, Directeur de l’école pratique de psychologie et de pédagogie de l’Université de Lyon. Ce jury validait la première promotion d’infirmières ayant pu accéder à un diplôme d’université spécialement conçu pour elles.

L’objectif de cette MSTSS était de permettre aux cadres soignants (le diplôme de cadre et une expérience professionnelle de cinq années étaient demandés comme conditions d’inscription), de réaliser des études universitaires. Cette formation durait deux années entières, qui étaient indissociables selon les règles de toute MST Seule particularité par rapport aux autres maîtrises de Sciences et Techniques, à la fin de la première année le Ministère de la Santé délivrait un certificat de fin d’études de première année du Département d’Enseignement Infirmier Supérieur.

La deuxième année de cette formation était sanctionnée par le Diplôme d’Enseignement Infirmier Supérieur, qui est devenu le Diplôme Universitaire d’Enseignement Infirmier Supérieur, puis en 1978, conformément aux textes fondant les MST, ce cursus de formation en prit la forme et la fin de ces études fut sanctionnée par une maîtrise qui est un diplôme national, ainsi naquit la Maîtrise des Sciences et Techniques Sanitaires et Sociales. Cette formation comprenait 1 500 heures de cours dont un tiers était constitué d’un enseignement professionnel (réflexion sur les soins, la pédagogie, la gestion et la fonction cadre), et deux tiers un enseignement universitaire choisi parmi les cours à l’Université.

Parmi cet enseignement, toutes les sciences universitaires étaient représentées et permettaient aux cadres infirmiers de venir capitaliser leur expérience dans un cursus de deux années leur offrant l’opportunité de travailler sur des méthodes issues de la psychologie, de la psychologie sociale, des sciences de l’éducation, de l’économie, de l’anthropologie… Cette formation était complétée par deux stages de trois semaines, l’un était la découverte par les étudiants de leur future fonction (Cadre A) et l’autre était un voyage d’études à l’étranger afin de confronter les expériences sanitaires ou sociales ou pédagogiques d’autres pays que le leur. Ce diplôme sanctionnait un très lourd et riche cursus d’enseignement, ce haut niveau de compétence destinait les stagiaires à des postes de responsabilité.

Depuis 1965, date de la première rentrée, 355 étudiants ont été formés, dont 91 étudiants africains, 43 Européens et 221 Français. À ce jour 30 personnes sur 35 formés occupent encore à ce jour des postes aux Hospices Civils de Lyon (enseignants, surveillants-chefs, directeurs d’écoles, infirmiers généraux).

Cette formation a été l’occasion de développer une réflexion structurée, organisée, référencée, qui fonde le soin dans une logique scientifique. Le rayonnement international de l’École Internationale d’Enseignement Infirmier Supérieur (EIEIS) fut immense puisque tous les pays francophones d’Europe et d’Afrique ont envoyé des stagiaires se former.

Une partie des filières universitaires de formation pour les infirmières en Belgique, au Canada, ont été fondées par des anciens élèves de l’École. Leurs enseignements s’inspirent de cette formation. Ce rayonnement international, se poursuivit jusqu’en 1994. Il attira des étudiants venant des pays d’Afrique dont la plupart sont devenus des directeurs d’institut de formation et des responsables de programmation sanitaire.

Soulignons également une dimension capitale de cette formation, rarement évoquée. En effet, les promoteurs de cet enseignement ont très fortement innové, imposé, une notion devenue banale, celle de la relation soignant-soigné. Les relations humaines ainsi identifiées dans le soin, où se trouvent mis en perspective dans un échange singulier les deux protagonistes du soin, font partie du postulat de base de toute analyse du soin. Cette notion fut construite laborieusement grâce à l’opiniâtreté de certaines femmes, telles qu’Huguette Bachelot et Catherine Mordacq, enseignantes à l’EIEIS, avec le soutien du professeur Geneviève Latreille. Elles ont défendu cette dimension du soin, face aux tenants « des sciences dites dures » (médicale ou chirurgicale), elles ont imposé la pertinence de la relation, introduisant la parole, la relation d’aide, avec le sujet, vu alors comme « objet » des soins.

Aujourd’hui, les textes définissant le rôle propre y font référence. Ce sont les décrets de mai 1981, de juillet 1984, de mars 1993, qui définissent ce domaine de compétence des infirmières. Elles permirent ainsi une évolution radicale dans la conception du soin. Cette construction intellectuelle, cette manière de concevoir et de comprendre ce qui se passe dans l’acte de soigner ouvre cette pratique à la recherche. Sa richesse en fait un creuset pour une multiplicité de travaux qui sont encore à approfondir, à engager. Dans la mouvance des grandes théories des soins, issues en particulier des pays anglo-saxons, les recherches de Catherine Mordacq, Huguette Bachelot et de leurs élèves, placèrent l’enseignement de l’école, parmi les premiers à cette époque au niveau mondial.

Des noms de professeurs de l’Université Lyon 2, accompagneront l’École Internationale et jalonneront l’histoire de ces jurys de diplôme. J’en retiendrai deux en particulier : ceux de Geneviève Latreille et de Guy Avanzini.

Geneviève Latreille a été maître-assistante, puis professeur de Psychologie en 1975. Elle est auteur d’une thèse en psychologie du travail. Elle a assuré de nombreux enseignements en psychologie sociale tout particulièrement. Passionnée de formation des adultes, elle a toute sa vie d’universitaire, défendue l’accès le plus large à l’université, notamment pour tous ceux qui, insérés jeunes dans le monde du travail n’avaient pu trouver des occasions de développer leur goût de savoir, leurs capacités d’analyse. Cette formation pour des infirmiers en cours d’emploi, déjà responsables de gestion d’équipes soignantes, lui avait paru un défi formidable.

Défi pour l’avenir des institutions de soins dont elle percevait très fortement qu’elles ne pourraient évoluer qu’en accroissant la capacité professionnelle des personnels de soins et notamment des cadres, défi que d’envoyer des gens d’âge mûr sur les bancs de l’école contre les tenants de la formation universitaire uniquement initiale à destination de jeunes.

Geneviève Latreille fut le maillon universitaire essentiel des années 1975. Grâce à elle le diplôme d’université devient un diplôme national par obtention d’une Maîtrise des Sciences Techniques Sanitaires et Sociales, formule mise au point par le Ministère de l’Éducation nationale en 1971, dont la vocation était de créer une filière universitaire à finalité professionnelle.

Geneviève Latreille fait partie de ceux qui ont défendu au sein de l’université, l’originalité de cette formation à destination des cadres soignants.

Malheureusement une maladie grave emporta, en 1982, Geneviève Latreille. Les grandes figures fondatrices de l’école partant à cette même époque en retraite Huguette Bachelot, puis Catherine Mordacq, l’avenir ne fut plus véritablement pensé dans une dynamique forte entre l’université et le milieu professionnel. Le flambeau ne fut pas repris.

Guy Avanzini, est l’un des fondateurs en France des Sciences de l’Éducation et il est professeur depuis 1974 à Lyon. Il assista, jeune enseignant à l’Université, à la naissance de l’École Internationale d’Enseignement Infirmier Supérieur, envoyé par son Directeur, le professeur Husson, le représenter dans les conseils. Il accueillera par la suite, lorsqu’il devient directeur du département des sciences de l’éducation, de très nombreux étudiants issus de l’École Internationale. En particulier, il assura l’encadrement de la quasi-totalité des thèses dont les noms qui suivent sont connus dans le milieu professionnel :

1976 : André Montesinos, 1977 : Geneviève Charles, 1978 : Françoise Hortala, 1980 : Catherine Mordacq, 1984 : Béatrice Walter.

Il a conservé à l’égard des infirmières une très grande estime. Il a proposé et soutenu la candidature de Geneviève Charles, docteur en Sciences de l’Éducation, ancienne élève de l’École Internationale, où elle enseigna par la suite, d’assurer la présidence du conseil d’administration de l’Institut des Sciences et Pratiques de l’Éducation et de Formation, charge qu’elle assure encore actuellement. Membre du premier jury en 1967, Guy Avanzini assura de nombreux enseignements et suivi de multiples étudiants pour leur mémoire. Tout au long de ces années, il les a initiés aux sciences de l’éducation, discipline praxéologique, qui par analogie intéresse les sciences du soin.

En effet les Sciences de l’Éducation analysent, étudient les pratiques pédagogiques. Elles empruntent à bien des disciplines leurs méthodes et leur développement intéresse les infirmières car, par analogie, la réflexion sur les soins suit un peu le même chemin. Plusieurs sciences sont utiles pour décrire et analyser tout ce que les soins mobilisent comme ressources tant pour le malade que pour les soignants et les institutions qui concourent aux soins : la psychologie, la pédagogie, la sociologie, l’économie, l’ergonomie, la gestion, la biologie… sont utilisées.

Depuis 1992, son équipe s’est mobilisée autour des enseignements et des étudiants de la MSTSS lorsque fut prise la décision d’arrêter cette filière. Elle permit d’assurer pour quelques anciens étudiants l’achèvement de leur mémoire par la mise en place d’un séminaire de recherche au cours de l’année 94-95.

Pour ce petit groupe et pour tous ceux qui ont bénéficié de son attention et de celle de ses collaborateurs qu’ils soient remerciés. Leur attention et leur humanité nous ont touché.

Que soit remerciée également Marie-Thérèse Carteron, qui a assuré la relation administrative entre l’Université et le Département d’Enseignement Infirmier Supérieur. Elle a, avec beaucoup d’attention, orienté, inscrit, accueilli chaleureusement les étudiants, européens et étrangers, et suivi leurs dossiers, dans le dédale des procédures administratives complexes.

Depuis plus de 10 ans, l’évolution de cette école rencontra des difficultés de fonctionnement. Celles-ci furent immenses, permanentes et à la mesure des conceptions préétablies, des a priori que l’École bouleversait. Par exemple, la reconnaissance professionnelle du diplôme universitaire dans les institutions n’a pas été acquise. Admettre que les cadres soignants puissent avoir un même niveau de compétence universitaire, que les médecins et les équipes de direction fut vécu, par les infirmières elles-mêmes, comme difficilement concevable. Ce paradoxe ne faisait qu’amplifier les réserves que d’autres catégories professionnelles pouvaient émettre à l’encontre des infirmières « universitaires ».

Je terminerai ce bref rappel par une note optimiste, car l’École Internationale ouvrit une voie qui est plus que jamais d’actualité. En effet, il est définitivement acquis que l’accès à l’université fait partie des cursus possibles pour les infirmières. Des textes récents parus en 1993, facilitent l’accès des IDE en licence et maîtrise des Sciences de l’éducation à l’Université Lyon 2, ou en licence et maîtrise Sanitaires et Sociales à l’université Lyon I. Ce sont les premières formations qui donnent un accès direct à un niveau licence à l’université pour les infirmières après leur diplôme.

D’autre part, deux autres diplômes peuvent être accessibles également pour les soignants après étude de leur dossier : orientée sur le développement des capacités managériales, à l’Institut Universitaire Professionnelle (IUP) Santé, à l’université Lyon III, et sur la réflexion et l’approfondissement du concept « projet », par un diplôme de 3e cycle de Management par le projet des Organisations Sanitaires et Sociales à Lyon 2. Gageons enfin, que ce qui suit cette épopée et se développe, permettra à l’hôpital du XXIe siècle de trouver les cadres soignants dont il aura besoin.

Citer cet article

Référence papier

Madeleine Hillairet-Hoffbeck, « Une page de l’histoire de la Maîtrise des Sciences et Techniques sanitaires et sociales est tournée… », Canal Psy, 22 | 1996, 11-12.

Référence électronique

Madeleine Hillairet-Hoffbeck, « Une page de l’histoire de la Maîtrise des Sciences et Techniques sanitaires et sociales est tournée… », Canal Psy [En ligne], 22 | 1996, mis en ligne le 27 août 2021, consulté le 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2567

Auteur

Madeleine Hillairet-Hoffbeck

Surveillante-chef, docteur en psychologie DEIS, IISFCS

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

Droits d'auteur

CC BY 4.0