Texte

Un service de médecine se définit avant tout autour de la maladie qu’il doit traiter. C’est à partir et autour de celle-ci que le psychologue rencontre le sujet malade et collabore à la prise en charge thérapeutique. C’est encore à partir de la maladie que le psychologue va instaurer des relations avec les personnes qui composent l’équipe soignante.

Le cadre de l’intervention du psychologue clinicien ne s’élabore pas de manière isolée, mais bien en interaction constante avec le cadre d’intervention de l’équipe thérapeutique dans son ensemble. Évoluant dans un service de gynécologie oncologie, mon témoignage ne doit être entendu que dans le cadre de cette expérience.

Une des spécificités de la problématique induite par le cancer est d’introduire brutalement le sujet malade et l’équipe soignante dans un paradoxe. Aujourd’hui le traitement de maladies graves (cancer, sida) implique une démarche thérapeutique nouvelle : le dépistage. Ce processus thérapeutique, qui va à la recherche de la maladie avant même que le sujet ne « soit » malade, modifie profondément la relation que l’homme entretient avec sa maladie et par conséquent modifie aussi les relations qu’il entretient avec les thérapeutes et les thérapeutiques. Ainsi le sujet, pour tenter d’échapper à l’angoisse de la maladie, est invité à aller à sa recherche et parfois à sa rencontre. Il n’est pas alors dans la position passive de tomber malade, mais prend une part active au processus d’investigation, au même titre que l’équipe soignante.

La position du psychologue en oncologie est le plus souvent au cœur de ce paradoxe qui lie l’équipe soignante et le patient. Le patient apprend qu’il est malade par la parole du médecin et n’a souvent aucun moyen de ressentir cet état. Dans cette situation, la perception est comme court-circuitée. Cette position suscite des attitudes de déni par rapport au diagnostic, ce qui n’aide pas le patient à gérer le traumatisme du cancer et à appréhender les traitements.

Le rôle du psychologue clinicien est d’aider au départ le patient à comprendre une maladie dont il ne perçoit aucun signe. Il se situe alors entre le patient et l’équipe soignante afin que les informations, révélées progressivement, puissent être entendues puis comprises par le sujet.

Le malade privé de toute perception ne peut accéder à une représentation de la maladie. C’est dans la construction de cette représentation cohérente des nouvelles données de sa vie, que le psychologue intervient. C’est dire combien ce dernier est un élément important de la prise en charge, puisqu’il joue souvent le rôle « d’interprète » entre une équipe soignante qui révèle des informations sans pouvoir évaluer ce que le patient comprend et un patient qui éprouve les plus grandes difficultés à entendre et par conséquent à comprendre ce qui lui arrive. Ainsi le psychologue travaille auprès de l’équipe soignante à l’émergence du sens de la position du sujet malade, et auprès du patient à l’émergence du sens de l’intervention de l’équipe soignante.

Ce travail constant d’élaboration à partir de la maladie apparaît comme l’unique possibilité pour le patient et l’équipe soignante de s’extraire peu à peu du paradoxe. C’est aussi pour tous, le moyen de s’adapter aux traitements, que l’on n’hésite pas à qualifier d’agressifs et qui suscitent autant de défenses chez les soignants, que chez les patients. La peur des traitements et de leurs stigmates (mutilation, alopécie, tatouages, brûlure), la peur de la mort, renvoient aux soignants comme aux malades des représentations effrayantes, suscitant angoisse et culpabilité.

Le psychologue interpellé par les patients et les membres de l’équipe soignante est à l’écoute de la souffrance éprouvée de part et d’autre, au fur et à mesure des traitements. L’arrêt des traitements est loin d’être l’étape la moins traumatisante pour le patient et la plus simple pour l’équipe soignante. Celle-ci réintroduit le paradoxe avec l’angoisse constante d’une possible récidive. C’est alors que le patient part à la recherche du symptôme qu’il n’a jamais pu éprouver auparavant dans son corps. Cette quête du moindre symptôme fait écho à la surveillance médicale qui se poursuit. On repère les mêmes mouvements lors de la récidive : l’angoisse et la dépression partagées de part et d’autre.

Le psychologue clinicien, qu’il choisisse d’accompagner le patient dans sa lutte contre la maladie ou qu’il choisisse d’aider l’équipe soignante dans sa difficulté à prendre en charge le malade, se retrouve toujours à l’intersection de la maladie et du processus thérapeutique.

Derrière la maladie, il y a le sujet et son histoire que celui-ci doit nécessairement se réapproprier. Derrière le processus thérapeutique, il y a des sujets qui doivent, au-delà du corps à soigner, appréhender l’être en souffrance. C’est dans ces deux espaces, qui se superposent, que le psychologue évolue et œuvre à l’émergence de la pensée.

Citer cet article

Référence papier

Marie Charavel, « Psychologie et oncologie », Canal Psy, 25 | 1996, 8.

Référence électronique

Marie Charavel, « Psychologie et oncologie », Canal Psy [En ligne], 25 | 1996, mis en ligne le 03 février 2021, consulté le 17 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2636

Auteur

Marie Charavel

Docteur en psychologie et psychopathologie cliniques, psychologue clinicienne à l’hôpital É. Herriot

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

Droits d'auteur

CC BY 4.0