L’introduction de la psychologie à l’hôpital général s’est faite par des neuro-psychiatres attachés dans les services de pédiatrie des Hospices Civils de Lyon, dès 1942. Chargés des aspects « sociaux » du soin, ils présentaient la garantie d’être organicistes et plaidaient pour que des psychologues soient mis au service d’une connaissance technique et quantifiée du malade, par la pratique systématisée de tests, afin d’améliorer la visée médicale.
À Lyon, le service de Psychologie Médicale de l’Hôpital Neurologique actuellement dirigé par le Pr. Daléry, a été créé vers 1950. « Laboratoire de Psychologie », puis de « Psychologie Médicale », son chef de service le Pr. J. Guyotat lui assura son essor jusqu’à sa forme actuelle. Les soignants y reçoivent des malades en consultation et interviennent auprès des hospitalisés dans d’autres services des Centres Hospitalo-Universitaires à la demande de ceux-ci et à domicile. L’un des effets de ce travail est l’implantation dans le service d’une consultation de la douleur assurée par deux médecins attachés, psychiatres de formation psychanalytique.
L’appellation « Laboratoire » souligne qu’il s’agit de recherche et d’essai ; des publications et colloques à propos de la Psychologie et de la Médecine le confirment.
C’est dans ce lieu qu’après d’illustres collègues tels que J. Guillaumin, F. Brette, M. Audras de la Bastie que je me trouve exercer comme psychologue depuis déjà une vingtaine d’années.
L’utilisation des tests de personnalité surtout projectifs, pour approfondir les effets de la maladie sur le fonctionnement psychique des patients, faisant référence à la psychanalyse, a incité les psychologues à une connaissance accrue de la psychodynamique inconsciente de la personne ainsi qu’à l’usage des concepts psychanalytiques.
C’est ainsi que j’ai moi-même participé à l’évaluation en double aveugle des différents aspects psychologiques (angoisse, dépression, régression) des personnes opérées à cœur ouvert avant et après chirurgie afin de savoir laquelle des deux techniques de circulation extracorporelle avait le plus d’incidences, en particulier dans le domaine psychique. Cette collaboration avec l’équipe chirurgicale cardiaque se poursuit depuis, mais de façon très différente.
En effet, l’approche des malades hospitalisés dans un service de chirurgie cardiaque a permis la mise en évidence des effets thérapeutiques de la relation avec un psychologue. Ce constat a amené les soignants, en particulier les infirmières, à demander une présence plus systématique du psychologue auprès des patients hospitalisés afin de les préparer aux difficultés inhérentes à la situation chirurgicale, puis à les accueillir à leur retour de la chirurgie, afin que cette épreuve trouve une élaboration possible dans la parole adressée à quelqu’un du service, mais non impliqué dans le soin du corps et dans les décisions médicales.
Cette caractéristique de la présence du psychologue à la fois dedans-dehors du service chirurgical, mais aussi représentant d’un dedans-dehors de l’hôpital me paraît être une condition indispensable pour que se déploie librement la parole du malade, en dehors d’un effet de cette parole sur la réalité. C’est une condition aussi pour que l’écoute du psychologue ne soit pas tirée du côté de la réalité matérielle, mais garde toute latitude quant à la traduction fantasmatique et psychologique de ce qui est dit et qui emprunte, et pour cause, les mots du corps en souffrance.
Cette position « transitionnelle » est rendue possible par l’appartenance instituée à un service de Psychologie Médicale car il dégage d’un collage identificatoire à la scène médicale.
Les soignants sont l’autre pôle de l’élaboration nécessitée par la présence des opérés dans leur service, eux aussi en font les frais « psychiques ». Je suis alors celle qui peut entendre à quel point leur métier est difficile et combien l’illusion d’une vie sans faille et d’un corps sans mort et sans sexe est battue en brèche dans la réalité de ce corps à corps quotidien. Si ce dernier se justifie par le soin médical, il entraîne son lot d’inattendu, signe d’une vie libidinale que la médecine ne peut immobiliser.
Et c’est cet inattendu indésirable, car gêne pour une maîtrise médicale d’un corps biologique, que le psychologue va incarner. Représentation vivante de la vie affective des malades, il va être la cible de ce qui doit être évacué pour que la médecine fasse son travail. Dans ce contexte, le psychologue ne peut dépendre matériellement de ceux qui auraient une nécessité psychique à l’éloigner ; la structure médiatrice de Psychologie Médicale va assurer la permanence du cadre professionnel et être le lieu d’un ressourcement et d’une élaboration des situations rencontrées.
Parallèlement à l’introduction des psychologues à l’hôpital général, il y a celle de la psychiatrie. Cette spécialité médicale des troubles « mentaux », désireuse de ne pas être minimisée par rapport à la médecine moderne scientifique va mettre la psychométrie au service d’un tableau psycho-dynamique précis. Mais c’est en 1968 qu’avec le bouleversement général des universités et de la sectorisation psychiatrique, le service va devenir un lieu de consultations thérapeutiques. Une équipe de psychiatres à laquelle sont associés les psychologues cliniciens, va recevoir les demandes des personnes désireuses d’entreprendre un travail thérapeutique. La symptomatologie rencontrée couvre le vaste champ de la psychopathologie s’accordant avec le soin ambulatoire. Depuis une quinzaine d’années, cohabitent dans ce service des points de vue différents sur l’homme malade psychiquement et sur son rapport avec la demande, le soin et les thérapeutes.
Je reste la seule psychologue de ce service à soutenir que l’approche psychanalytique est le cadre d’une connaissance approfondie des échanges inter-relationnels et modèle inévitable de la thérapie par la parole. Cette référence aux mécanismes inconscients à l’œuvre tant dans l’histoire singulière de chacun, que dans les groupes institués que constituent les lieux de nos interventions, est la marque de ma formation et de ma pratique. Je reçois donc comme psychothérapeute d’inspiration psychanalytique, les personnes qui en font la demande. L’expérience de tant d’années m’a permis de repérer que s’adresser à un psychothérapeute à l’hôpital renvoie la plupart du temps à un transfert dont l’hôpital participe.
Cette pratique source d’une élaboration constante est aussi le lieu d’une expérience qui me place comme formatrice à la compréhension de la dynamique inconsciente de la relation tant des apprentis psychiatres que des infirmières ou des futurs psychologues. Enfin, le service de Psychologie Médicale est le creuset d’une recherche constante à propos du corps, de la maladie et de la médecine. Les liens qu’entretiennent ces différents termes entre eux mais surtout avec la dimension psychique de l’être humain, sont reconsidérés constamment à la lumière des découvertes scientifiques qui ne manquent pas d’ébranler l’édifice de nos certitudes.
Comme psychologue dans ce service, je m’efforce de contribuer à penser ce qui arrive à l’hôpital et de garantir que les humains qui l’animent, y gardent leur humanité parlante et désirante.