Création du DESS psychologie et psychopathologie médicales

Argument… et réticences syndicales

DOI : 10.35562/canalpsy.2638

p. 9-10

Text

Un nouveau cadre conceptuel et de nouvelles structures pour la santé interpellent le psychologue.

À observer l’évolution des politiques de la santé au cours des dix voire des vingt dernières années, on se rend compte d’une profonde mutation des structures, des mentalités et des concepts. Les structures tout d’abord :

  • L’activité hospitalière s’est largement diversifiée : formes variées de prises en charge – hospitalisation de courte durée, hospitalisation à domicile, traitement ambulatoire, sectorisation et structures alternatives : hôpitaux de jours, hôpitaux de nuit, dispensaires, centres de consultations, établissements de postcure, appartements thérapeutiques…
  • Le dispositif de santé lui-même a éclaté sous les coups des tenants de la prévention. Désormais, plus soucieux de prévention primaire, secondaire et tertiaire (bien que la partie ne soit pas encore gagnée !), d’insertion des handicapés multiples, il a tendance à porter les actions de santé en amont des structures sanitaires traditionnelles, car l’état de santé est enfin pris en compte dans toutes les circonstances de la vie (cf. la mise en place récente des comités d’hygiène et de sécurité). De plus ces actions de santé deviennent la préoccupation de plusieurs ministères, et non le seul apanage de celui de la santé stricto sensu : ministère de l’Éducation, ministère de la Ville, ministère de la Jeunesse et des Sports…

Comme toujours, cette mutation va de pair (c’est là l’éternelle question de la cause et des effets !) avec un profond changement des mentalités qui met en évidence une évolution conceptuelle intéressante :

  • Glissement du concept d’organisme morcelé, à celui de corps d’une personne prise dans son intégrité. La définition de l’OMS « la santé est un état de bien-être physique, psychique et social » exprime bien ce changement d’état d’esprit. Il ne s’agit plus d’éliminer le pathos physique, mais de maintenir et de développer le bien-être physique, psychique et social. La personne n’est plus seulement considérée dans son unique pathologie, elle est considérée dans son intégrité. Le dispositif de santé traditionnellement organisé autour de la thérapie des pathologies, de la guérison de maladies, de la réparation d’organes traumatisés ou de fonctions perturbées semble parcellaire et insuffisant.
  • Glissement du concept d’organisme dans l’instant, à celui d’un être corporel d’histoire et de sens. Depuis longtemps déjà l’évolution psychosomatique a appris que le symptôme organique déborde largement l’instant de sa présentation en tant que « maladie », et qu’il doit être intégré dans une compréhension de la vie du « patient » rétabli dans son histoire.
  • Glissement du concept de prophylaxie médicale, à celui de prévention multidisciplinaire. La célèbre formule du docteur Knock « tout homme bien portant est un malade qui s’ignore », illustre très bien le concept de prévention articulée autour d’une prophylaxie médicalisante. La politique de prévention actuelle renverse cette position et part du principe que toute personne doit connaître, préserver et développer son « potentiel santé » : l’exemple québécois est à ce titre exemplaire1, où l’on voit les actions de santé (cf. les opérations de « villes et villages en santé ») déborder très largement les seules structures sanitaires et impliquer des professionnels loin de toute inféodation et de toute tutelle médicales, et concerner travailleurs sociaux, enseignants, enseignants d’éducation physique… (Idée très proche d’une conception helléniste du soin médical et du soin corporel !)
  • Glissement du concept de malade ignorant et obéissant, à celui de sujet social et responsable. Le rapport soignant-soigné a, lui aussi, été bouleversé (bouleversement bien matérialisé d’ailleurs par les procès que des personnes se jugeant mal soignées, intentent à des médecins), le « malade » n’est plus un « patient » assujetti au savoir médical tout puissant auquel il a remis son organisme. L’homme moderne est un citoyen à part entière dont la responsabilité est à la fois individuelle et collective (cf. la campagne de prévention du SIDA : « Le SIDA ne passera pas par moi ») : il devient responsable de sa propre santé, mais aussi responsable de la santé des autres en tant que vecteur potentiel, et récemment encore, responsable de ses propres dépenses de santé ainsi que de leur poids sur la collectivité.

À noter qu’à travers ces campagnes, le monopole de savoir médical s’effiloche (la médecine n’a toujours été enseignée qu’en faculté de médecine et qu’au futur médecin !) : toute personne acquiert de facto le droit au savoir en matière de santé. Il convient donc de nous laisser interpeller par ces changements, car d’évidence ils appellent de nouveaux modèles d’intervention notamment en psychologie.

Ces nouvelles structures de santé, et pas seulement l’hôpital, ont des attentes qui excèdent de beaucoup « la psychologie clinique » trop rapidement assimilée peut-être à la seule santé mentale et à la psychothérapie. Ces nouvelles structures ont besoin et réclament des psychologues susceptibles de mobiliser des concepts relevant de la psychologie des institutions, de la psychologie sociale, de la psychologie expérimentale, génétique, pathologique… de la défectologie, voir de l’anthropologie… même si toute formation de psychologue ne peut avoir pour base qu’une solide formation en psychologie clinique, méthode d’écoute spécifique et individualisée qui privilégie la recherche du sens.

Mais ces nouvelles tendances dépassent également une simple « psychologie appliquée » : le psychologue se doit d’être un agent de conception capable de repérer et d’analyser des problématiques humaines et institutionnelles du terrain, capable d’intervenir en politique de santé, d’élaborer des plans de formation du personnel ou d’information du public, capable de conceptualiser des modèles d’actions et d’aider à la décision administrative, sociale et politique. Il devra donc être capable de susciter et de vitaliser des recherches-actions auxquelles bien sûr il participera. Il se doit d’être un praticien-chercheur bien éloigné d’une simple position de « psycho-technicien » : il doit être formé en conséquence.

Cette formation est certes ambitieuse mais c’est celle que nous tentons à l’Institut à travers cette nouvelle habilitation du DESS de psychologie et psychopathologie médicales délivré, notons-le, dans une université de Lettres et Sciences humaines !

Extrait de la lettre de l’UFMICT-CGT

[...] nous ne comprenons pas la création d’un diplôme professionnel qui rivaliserait avec les DESS actuels et les dévaloriserait en excluant le champ hospitalier des débouchés qu’ils offrent [...]. Si un DESS supplémentaire est censé augmenter la notoriété d’une université et de ses enseignants, il ne doit pas être créé au détriment des étudiants et des praticiens en exercice ! [...]

Marie-France Gravejat

 

Plus qu’un article, il s’agira ici d’une annonce, où nous ne développerons pas le détail de nos réflexions. En effet, la création de ce DESS de psychologie et psychopathologie médicales pose de très graves problèmes, sur lesquels s’est engagée au sein de la CIPPREL une réflexion approfondie qui débouchera en septembre sur un courrier aux responsables de ce DESS (courrier qui sera disponible auprès de la CIPPREL, 66 Cours Vitton, 69006 Lyon).

La CIPREL a fait en son temps deux courriers aux initiateurs de ce projet, sans obtenir la moindre réponse. La mise en place de ce DESS s’est opérée sans aucune concertation avec les praticiens, ce qui n’est pas sans poser de questions, car ceux-ci sont sollicités dans le décours de la formation des psychologues en tant que maîtres de stage. Aussi ferons-nous savoir aux universitaires, dans notre courrier, par quels moyens concrets nous entendons nous opposer à ce DESS.

Francis Dumont, Président de la CIPPREL

 

Donner notre avis sur le nouveau DESS, soit ! Mais en sachant que c’est un après-coup dans un jeu qui s’est fait sans nous…

L’histoire du métier de psychologue se confond avec le combat incessant des professionnels depuis 50 ans pour faire exister cette profession, avec ses règles, ses statuts spécifiques, une autonomie sans cesse à ré-affirmer et trop souvent à conquérir. Par exemple, en 1951, le Pr Heuyer ne propose-t-il pas au ministre de la santé, à propos des psychologues hospitaliers « d’assurer aux psychiatres des collaborateurs techniques l’aidant dans tous les domaines de sa profession et travaillant exclusivement sous son contrôle ». Ce n’est que l’extrême vigilance des organisations professionnelles qui a permis ensuite d’éviter l’écueil de la paramédicalisation de la psychologie. Ainsi, le statut des psychologues de la Fonction Publique Hospitalière (janvier 1991) stipule-t-il à juste titre le classement des psychologues en catégorie A et dans son article 2, l’autonomie du psychologue dans tous les aspects de son intervention.

Les diplômes dérogatoires à la loi sur le titre de 1985 (DEPS et DECOP), en permettant à l’Éducation Nationale de former des psychologues « maison » taillent une brêche déplorable dans l’unité de la profession en diminuant le niveau de qualification, en spécialisant la formation et en créant une situation d’inféodation du psychologue à l’institution employeur. Il nous semble précisément qu’une multiplication avec spécialisation des DESS comporte des risques similaires :

• perte de la mobilité transversale (passage d’un secteur à l’autre) ;
• risque de technicisation voire d’instrumentalisation de la compétence et de l’intervention du psychologue ;
• aliénation de la parole du psychologue dans le désir de l’autre : si le psychologue « colle » à l’institution, s’il est formé de manière à parler son langage, comment peut-il avoir une position d’altérité, un regard et une parole qui puissent faire rupture et permettre à l’usager d’être entendu dans sa singularité.

Le SNP, lors de son congrès de mars 1996, s’est prononcé pour un cursus en 6 ans, dont une année de stage, mais aussi pour un diplôme à option plutôt qu’une formation spécialisée. Pour parler plus précisément de ce nouveau DESS, son intitulé nous semble ambigu du fait de l’absence de référence à l’approche clinique et de la polysémie du terme « médical ». Si « médical » est synonyme de troubles somatiques, on voit bien le danger de finaliser la formation des psychologues en fonction d’un type de pathologie, d’une classe d’âge, voire d’un référentiel théorique étroit…

Mais, « médical » évoque aussi le corps médical. De là à favoriser, comme par un retour du refoulé, la mise en dépendance de notre profession dans sa formation puis dans son exercice… Voilà qui nous inquiète. En conclusion, nous ne doutons pas que cette création réponde à une logique interne de l’Université mais nous déplorons qu’elle contienne en germes des retours en arrière concernant l’unité de la profession de psychologue, l’identité professionnelle et l’autonomie de son exercice.

Anne-Marie Champanay
Jean-Paul Rieu
Syndicat National des Psychologues

Notes

1 L’Institut de Psychologie négocie également des échanges dans le domaine de la santé avec des universités canadiennes.

References

Bibliographical reference

Gérard Broyer, « Création du DESS psychologie et psychopathologie médicales », Canal Psy, 25 | 1996, 9-10.

Electronic reference

Gérard Broyer, « Création du DESS psychologie et psychopathologie médicales », Canal Psy [Online], 25 | 1996, Online since 31 août 2021, connection on 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2638

Author

Gérard Broyer

Professeur de psychologie clinique, Responsable du DESS Psychologie clinique et psychopathologie médicales

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