La relation de travail qui se noue entre un employeur et un salarié n’est pas une convention classique. En effet, le travailleur met sa force de travail (quelle qu’en soit la nature manuelle, intellectuelle ou autre), « corps et esprit », au service d’un donneur d’ordre qui dirige, organise et contrôle l’environnement et les modalités de la prestation fournie (Méda D., 2004, p. 44). De ce point de vue, le contrat de travail se distingue de nombreuses autres conventions puisque la personne du salarié est consubstantielle du contrat qu’il souscrit et fonde directement la volonté de l’employeur de l’engager.
C’est pourquoi le droit du travail est né d’un « objectif » (Spyropoulos G., 2002, p. 391) de protéger la partie considérée comme la plus faible au contrat de travail : le salarié. Il est exact d’affirmer que cette branche du droit a de bien « humbles origines » (Romagnoli U., 2005, p. 8). La loi du 22 mars 1841, considérée comme la première loi sociale même si elle se fondait plus sur des considérations militaires que philanthropiques, ambitionnait ainsi de réglementer le travail des enfants : âge minimal d’admission au travail fixé à 8 ans ; interdiction d’employer des enfants (de plus de 8 ans !) aux travaux de nuit ou dangereux ; durée maximale du travail fixée à 8 heures pour ceux de 8 à 12 ans et à 12 heures pour ceux de 12 à 16 ans. Ce texte ne fut pratiquement pas appliqué, mais a marqué un changement idéologique. Il est en effet apparu par la suite nécessaire de développer une réglementation spécifique pour les relations professionnelles. La loi du 19 mai 1874 fixa l’âge minimal d’admission au travail à 12 ans et la durée quotidienne maximale de travail à 12 heures. Outre le travail des enfants et des filles mineures, la loi du 2 novembre 1892 organisa également le corps des inspecteurs du travail. La loi du 9 avril 1898 créa un système autonome d’indemnisation des accidents du travail. Le repos hebdomadaire fut institué par la loi du 13 juillet 1906, la journée de 8 heures et la semaine de 48 heures par la loi du 23 avril 1919. Les retraites (1910), le développement des assurances sociales (surtout à partir de 1930) ou l’organisation du dialogue social, la représentation du personnel, la semaine de 40 heures et les congés payés (1936) suivirent.
La caractérisation du contrat de travail
Si le droit du travail est bien une branche autonome du droit, c’est aussi parce que les relations qu’il ambitionne de réguler s’exécutent dans le cadre d’un contrat sui generis (de son propre genre). Le Code civil de 1804 évoquait le contrat de louage de service. L’essor des activités professionnelles au xixe siècle a imposé le contrat de travail, que le Code du même nom ne définit toujours pas aujourd’hui. À cet égard, la qualification juridique de contrat de travail demeure toutefois indisponible, c’est-à-dire qu’elle ne dépend ni de la volonté des parties et/ou de la dénomination donnée par elles. C’est pourquoi le contrat entre un participant à une émission de télé-réalité et la société de production peut être requalifié en contrat de travail (Cass soc 3 juin 2009, n° 08-40981). À l’inverse, une telle qualification peut être exclue à l’endroit d’un dirigeant d’entreprise peu subordonné envers sa société (Cass soc 12 janvier 2010, n° 09-70156).
Le label « contrat de travail » est donc scrupuleusement contrôlé par les juges au regard des faits et conditions concrètes dans lesquelles la convention s’exécute. Il est ainsi de jurisprudence constante depuis 1954 que le contrat de travail est une convention par laquelle une personne s’engage à mettre son activité au service d’une autre personne sous la subordination de qui elle se place, en contrepartie d’une rémunération. Dès qu’un individu accomplit des tâches à titre professionnel, de manière effective et personnelle, pour le compte d’autrui, que l’intéressé est payé en retour et que son travail est placé sous l’autorité du commanditaire, il y a contrat de travail et le droit du travail s’applique impérativement.
Le contenu du contrat de travail
Synallagmatique et bilatéral, tout contrat de travail met à la charge des deux parties des obligations réciproques : cette convention organise un échange (Aynès L., 2006). S’agissant de l’employeur, l’obligation principale est le versement du salaire et la fourniture du travail à effectuer. La Cour de cassation a récemment considéré que si l’employeur ne fournit pas le travail convenu, le salarié peut prendre acte de la rupture de son contrat, aux torts de celui-ci (Cass soc 3 novembre 2010, n° 09-65254). L’employeur est également tenu d’une obligation de loyauté, d’exécution du contrat de travail en toute bonne foi. L’idée est de moraliser la relation professionnelle, en évitant les abus ou mesures critiquables. Cette obligation de bonne foi (inscrite pour les deux parties à l’article L 1222-1 du Code du travail) est violée dès lors que l’employeur impose une mutation immédiate, en dépit d’une situation familiale qu’il sait critique (Cass soc 18 mai 1999, n° 96-44315), active une clause de mobilité sans vérifier la compatibilité avec les « obligations familiales impérieuses de la salariée » (Cass soc 13 janvier 1999, n° 06-45562), supprime la navette de l’entreprise au bénéfice d’un salarié ne pouvant utiliser les transports en commun tôt le matin (Cass soc 10 mai 2006, n° 05-42210) ou n’assure pas l’adaptation du salarié à l’évolution de son emploi (Cass soc 25 mai 1992, n° 89-41634).
Outre l’obligation de fournir une prestation de travail, le salarié est aussi tenu à une exigence générale de loyauté qu’il ne respecte pas s’il travaille pendant un arrêt maladie (Cass soc 21 octobre 2003, n° 43-943), si, en tant que DRH, il élabore un plan de départs volontaires dans lequel il s’inclut, pour ensuite contester devant le juge la rupture de son contrat de travail (Cass soc 29 mars 2005, n° 03-43407), s’il fraude la caisse de sécurité sociale qui l’emploie (Cass soc 25 février 2003, n° 00-42031) ou s’il dénigre la direction de l’entreprise auprès d’une nouvelle collègue (Cass soc 3 avril 2007, n° 05-45123).
En plus de ces obligations générales, les parties sont également tenues de respecter l’ensemble des dispositions expressément inscrites au contrat de travail. À cet égard, même si l’écrit n’est pas obligatoire sauf pour les contrats spéciaux (CDD, intérim, apprentissage ou alternance) ou prévoyant des modalités particulières (travail à temps partiel, à domicile ou auprès d’un groupement d’employeurs), la rédaction d’un document attestant du contenu du contrat de travail doit être privilégiée. S’agissant du contrat à durée indéterminée (qui est la « forme normale et générale de la relation de travail » selon l’article L. 1221-2 du Code du travail), le formalisme est grandement allégé et l’article L. 1221-1 du même Code dispose que leur contrat « peut être établi selon les formes que les parties contractantes décident d’adopter », mais en français (article L. 1221-3 Code du travail).
Les clauses dites générales s’imposent alors. Il s’agit pour l’essentiel de l’identité des parties, de la nature du contrat de travail, du lieu de travail, de la date d’engagement, de la qualification et classification professionnelle, de la rémunération (salaire de base et primes éventuelles), de la durée et des horaires de travail, des conventions et accords collectifs applicables ou de la prévoyance et de la retraite complémentaire. Souvent soumises à des conditions particulières, toutes les autres clauses sont facultatives et leur existence est subordonnée à la volonté des parties (généralement l’employeur ; le contrat de travail reste souvent un contrat d’adhésion, à l’instar du contrat d’assurance) et à leur inscription dans la lettre du contrat de travail : période d’essai, clause de reprise d’ancienneté, clause de domiciliation, rémunération au forfait, clause d’objectif, clause de mobilité géographique, télétravail, clause d’exclusivité ou de fidélité, clause de non-concurrence, délégation de pouvoir, clause de dédit-formation, etc.
L’exécution du contrat de travail
Une fois conclu, le contrat de travail devient la loi des parties jusqu’à sa rupture et c’est lui qui fixe « la force obligatoire du rapport de travail » (Supiot A., 1994, p. 44). Pendant toute cette période, il doit alors être exécuté conformément aux modalités conclues. Pour autant, les adaptations de ce contrat sont possibles et le contenu de la convention peut évoluer. La jurisprudence distingue en la matière la modification du contrat de travail et le changement des conditions de travail.
La première touche à l’armature, au socle et aux piliers de la relation professionnelle. À ce titre, la rémunération, la qualification professionnelle, le lieu de travail ou la durée ne peuvent être modifiés, directement ou indirectement et même de façon minime, sans l’accord du salarié. Juridiquement, cela signifie que celui-ci peut parfaitement refuser ces modifications, sans être considéré comme fautif : par conséquent, le licenciement motivé par le refus du salarié d’une modification du contrat de travail est nécessairement injustifié et sanctionné comme tel. Une adaptation sur tout autre élément de la relation de travail relève en revanche du pouvoir de direction de l’employeur et s’impose au travailleur : horaires, répartition de la durée du travail sur la journée ou la semaine (sauf horaires de nuit), attributions (dès lors que le travailleur reste employé à des fonctions de même niveau de qualification professionnelle), organisation concrète du travail, répartition des bureaux par exemple. Tout refus d’un tel changement des conditions de travail est automatiquement fautif.
La question du lieu de travail reste particulière et problématique. Plus précisément, ce n’est pas tant le lieu de travail en lui-même qui constitue un pilier du contrat de travail, que le secteur géographique. Ainsi, l’employeur conserve le pouvoir de muter le salarié (donc, de changer le lieu de travail), à l’intérieur d’un même secteur géographique. Au-delà, de ce secteur dit géographique, la mutation (hors clause de mobilité) constituera une modification du contrat de travail que le salarié pourra donc décliner. La notion de secteur géographique dépend largement des circonstances, varie donc au cas par cas et demeure largement imprécise ; il n’existe pas de définition générale du secteur géographique, ce qui en pratique peut se révéler grandement problématique. La Cour de cassation a ainsi considéré que la mutation s’opérait dans le secteur géographique et s’imposait donc au salarié, pour un transfert du lieu de travail dans la même agglomération (Cass soc 17 juin 1998, n° 96-42976), dans la couronne urbaine d’un chef-lieu de département (Cass soc 3 mai 2006, n° 04-41880), de Versailles à Chartres (Cass soc 1er juillet 1998, n° 96-42989) ou de Malakoff à Courbevoie (Cass soc 20 octobre 1998, n° 96-40757). Différemment, il y a modification du contrat de travail (en l’absence de clause de mobilité) et le salarié peut donc refuser une mutation de Lyon à Paris (Cass soc 27 mai 1998, n° 96-40929) ou un déplacement du lieu de travail de 58 kilomètres (Cass soc 4 janvier 2000, n° 97-45647). En dépit de cette grande variété, il semblerait que les juges apprécient l’ampleur du secteur géographique au regard de la nature et du degré de responsabilité du salarié (Cass soc 22 janvier 2003, n° 00-43826).
Enfin, il convient de noter que l’indication d’un lieu de travail sur le contrat de travail n’exclut pas nécessairement la possibilité pour l’employeur de muter le salarié. Cette mention n’a valeur que d’une information, à moins qu’il ne soit stipulé, par une clause claire et précise, que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu (Cass soc 3 juin 2003, n° 01-43573)… ce qui est rarement le cas.
Soumis à la bonne foi des parties, à la liberté contractuelle des protagonistes, mais également à l’appréciation des juges, le contrat de travail est donc un instrument important et constant de régulation des relations professionnelles entre l’employeur et le salarié : le « contractualisme » demeure essentiel en droit (Supiot A., 2005, p. 142).