Laurent Mauvignier, Ce que j’appelle oubli

p. 2

Référence(s) :

Laurent Mauvignier, Ce que j’appelle oubli, Éditions de Minuit, 2011

Texte

Il est des procédés littéraires à n’utiliser qu’en cas d’impérieuse nécessité. Cette nécessité, Laurent Mauvignier l’a rencontrée à partir du fait divers qui est le sous-bassement de son livre : un homme, un marginal, tabassé à mort par les vigiles d’une grande surface pour une bière bue et non payée. Le procédé littéraire, ici, c’est le livre en une seule phrase. Inventé semble-t-il par James Joyce pour le dernier chapitre de son Ulysse, convoqué par J. Andrzejewski pour La croisade des enfants chez Gallimard, par M. N’Daye pour Comédie classique chez P.O.L son premier roman… par d’autres probablement que je ne connais pas.

L. Mauvignier, qu’on se souvienne de son précédent roman, Des hommes, est une voix dans la littérature française contemporaine. Il n’en est pas tant que cela : P. Michon, bien entendu, C. Gallet, P. Bergougnoux… Surtout quand ces voix qui s’inventent au fur et à mesure trouvent leur objet car, au fond, chaque auteur n’a qu’un objet qu’il fait varier, qu’il contourne ou affronte, duquel il s’approche ou s’éloigne… Pour L. Mauvignier, l’objet, c’est l’homme d’aujourd’hui, avec des blessures d’aujourd’hui (de toujours, tout aussi bien), l’homme blessé (pour reprendre le terme de P. Chéreau).

Le texte commence sur une lettre minuscule, nous savons d’emblée que nous prenons le train (de la parole, de l’écrit) en route, il se déroule d’une seule phrase, il faut prévoir le temps nécessaire pour le lire d’un trait, se laisser aspirer, voire par moments emprisonner dans la phrase, comme le personnage principal fut pris sans échappatoire possible jusqu’à la mort pour une canette de bière. Avec lui nous sommes aussi pris dans la misère humaine qui ne trouve pas d’autres voix/voies que la violence, celle de ces vigiles qui se vengeront de tout sur lui, misère contre misère.

En 66 pages ramassées, Laurent Mauvignier nous offre (si j’ose dire) un condensé, un maelstrom d’humanité dans ce qu’elle a de plus terriblement humain. Il nous offre une voix qui parle au frère du mort, une voix qui elle-même se débat.

Nous quittons le train en route, sur un tiret qui ne se fait pas trait d’union. Encore que…

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Référence papier

Jean-Marc Talpin, « Laurent Mauvignier, Ce que j’appelle oubli », Canal Psy, 96 | 2011, 2.

Référence électronique

Jean-Marc Talpin, « Laurent Mauvignier, Ce que j’appelle oubli », Canal Psy [En ligne], 96 | 2011, mis en ligne le 11 octobre 2021, consulté le 27 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2974

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Jean-Marc Talpin

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