Les règles du mikado, Erri de Luca, Paris, Gallimard, 2024, 154 p., 18 €

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Les règles du mikado, Erri de Luca, Paris, Gallimard, 2024, 154 p., 18 €

Texte

Il y a un tel, écrivain qu’on lit avec plaisir, il y a une telle, écrivaine qu’on lit avec intérêt. Ils et elles sont en nombre, qui valent le risque de les lire.

Et puis, il y a Erri de Luca, un coup de cœur à vie. Une ligne dure de la littérature mondiale, un axe, comme il l’écrit dans Les règles du mikado, dans une vie de lecteur. Et, lui qui est aussi alpiniste, une pierre dure. Ses phrases sont dures, denses, pour une œuvre d’une immense humanité sans complaisance.

Quand on commence, quand on avance dans Les règles du mikado, on se dit que c’est bien du "de Luca". Les phrases polies, si précises qui demandent qu’on s’y arrête, qu’on les laisse se déployer en soi, tout en se disant qu’on y reviendra.

Deux êtres qui se rencontrent : lui, un homme déjà vieux (être vieux, c’est quand on dit plus souvent encore : je fais encore ceci, cela) campe dans la montagne, elle, une toute jeune femme, la quinzaine, fuit sa famille et un mariage arrangé, forcé.

On repense à un proverbe de Chrétien de Troyes cité par Éric Rohmer (un tout autre univers) : Qui trop parole, il se méfait. Nul ne parle trop chez "de Luca". On s’observe, on ne se livre pas, ou ce qu’il faut. Il la protège, l’aide à s’installer, à se faire une autre vie loin de sa tribu, loin de sa culture. Il lui fait découvrir la mer, elle y fera son métier, une famille, une vie.

Quand on a dit cela, et c’est déjà beaucoup, et c’est un bonheur de lecture, on n’en a pas dit la moitié. Et on taira le reste car ce livre de "de Luca" ne ressemble à aucun autre de ses livres. C’est un roman avec un rebondissement, une découverte, un dévoilement non dans la parole mais dans les lettres échangées entre ces deux-là, bien des années après la rencontre initiale.

Dans un entretien, E. de Luca dit qu’il n’était pas très bon au mikado, trop maladroit. On le croit, lui qui est plus qu’adroit pour écrire et qui dit que l’écrit lui permet d’« imaginer de meilleures variantes de moi-même ».

Mais, la meilleure variante de lui-même, où est-elle : dans l’écrivain ? Dans l’homme profondément engagé auprès de migrants en Méditerranée, contre un tunnel polluant (lire le puissant et bref : Le contraire de la parole) ? C’est sans doute tout un. Erri de Luca n’est pas celui qui joue au mikado les yeux fermés tant il sent le jeu ; il est celui qui garde les yeux grands ouverts sur le monde pour le dire, pour l’écrire. Nous lui en sommes infiniment reconnaissants.

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Jean-Marc Talpin, « Les règles du mikado, Erri de Luca, Paris, Gallimard, 2024, 154 p., 18 € », Canal Psy [En ligne], 134 | 2025, mis en ligne le 21 février 2025, consulté le 25 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3612

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Jean-Marc Talpin

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