Chercher sous les décombres de la vie psychique

DOI : 10.35562/canalpsy.2993

p. 5

Texte

Les catastrophes naturelles (séismes, inondations, etc.) sont un défi pour la clinique psychanalytique aux échelles nationales et internationales ! Qu’il s’agisse du Japon, du Chili, de la France, des États-Unis ou d’Haïti, elles confrontent aux frontières de l’humain. Car elles ne font pas qu’agresser et traumatiser la Terre. Elles engendrent et/ou réactivent d’autres catastrophes, dans la psyché cette fois, individuelle et collective. Elles ne font pas que déplacer les maisons, elles délogent la population, la contraignent à habiter malgré tout – voire à cohabiter, y compris avec les morts. Elles ne font pas que mobiliser les humanitaires, c’est l’Humanité même qu’elles interrogent. Si la Terre se souvient, la psyché humaine oublie très souvent. Si après un séisme la Terre se referme tout de suite, qu’en est-il des psychés fissurées par l’événement sismique ? Des séismes du monde interne ? Dans le monde interne ? Comment recoller les morceaux, (se) reconstruire ensemble et de manière durable ?

Les sciences de la vie et de la Terre ont leur mot à dire, la psychologie clinique aussi, mais à condition que cela se fasse dans un dialogue serré avec les autres perspectives disciplinaires sur l’Homme et la Nature. Un défi donc pour la pratique comme pour la recherche clinique, classiquement basée sur le sujet singulier, le groupe familial ou institutionnel. Quand un séisme fait près de 300 000 morts et environ deux millions de déplacés, détruit les symboles d’un pays (Palais national, cathédrale, etc.), comment penser la résilience/résistance de tout un peuple, par-delà les individualités ? Comment la penser dans l’immédiat et sur la longue durée ? Quels outils méthodologiques utiliser pour accéder à ce qui tient et fait encore tenir debout ? Quelles approches privilégier pour une saisie globale des enjeux de la reconstruction ?

Les enjeux ne sont pas qu’humanitaires, ils sont aussi géopolitiques, écologiques. Ils sont également épistémologiques, méthodologiques, cliniques, éthiques. La catastrophe du 12 janvier 2010 en Haïti ne pousse pas uniquement les sinistrés à donner du sens, elle contraint les praticiens et les chercheurs de toutes disciplines, et en particulier en psychologie clinique, à innover.

Il convient alors d’éprouver, de chercher et de créer.

Éprouver. Prendre le temps d’éprouver l’innommable dans son corps, dans sa chair, dans sa psyché et dans son âme. Éprouver seul, en famille, avec les amis, les collègues, avec le peuple, avec l’État tout entier, avec le monde. Partager les émotions, les exprimer par le corps, la parole, le silence. Et puis, chercher…

Chercher. Dans l’immédiat et sur le long terme. Chercher sous les décombres les morts et les survivants, les blessés et les amputés. Les amputés de la Terre et du béton. Chercher dans la Terre, sous les décombres, des objets intacts, des objets défigurés ou détruits… Chercher en soi-même ce qui reste encore en vie. Mobiliser des ressources disponibles dans la psyché collective. Revisiter l’histoire de la subjectivité en appui sur l’histoire groupale, nationale. L’Histoire Globale. Trouver et en même temps… créer.

Créer. Les catastrophes naturelles poussent à philosopher, créer, à symboliser à des degrés divers. Créer pour résister. Résister et créer. Pour reconstruire. Mais reconstruire quoi ? Les logements ? Comment reconstruire et investir les logements si la psyché, dans sa dislocation, n’est pas disponible, étayée ? Comment reconstruire l’habitat interne (Eiguer A., 2004) sans un modèle parasismique de la psyché ?

Que peut l’approche clinique face aux traumatismes de la Terre ? Le dossier qui va suivre présente une recherche en cours et invite à réfléchir sur les postures cliniques professionnelles, épistémologiques face à l’impact des traumatismes de la Terre sur la vie psychique de toute une population.

Que reste-t-il donc sous les décombres de la vie psychique individuelle et collective ? Que faire des restes enfouis dans les replis de la mémoire ? Nous avons désormais besoin d’une approche clinique décomplexée, ouverte sur l’altérité disciplinaire, qui n’hésite pas à puiser en anthropologie, en histoire globale, en géographie, en philosophie, en sciences de l’éducation, etc., matière à penser la capacité de l’homme à faire face à l’adversité.

Citer cet article

Référence papier

Daniel Derivois, « Chercher sous les décombres de la vie psychique », Canal Psy, 97 | 2011, 5.

Référence électronique

Daniel Derivois, « Chercher sous les décombres de la vie psychique », Canal Psy [En ligne], 97 | 2011, mis en ligne le 15 octobre 2021, consulté le 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2993

Auteur

Daniel Derivois

Maître de conférences en psychologie, responsable scientifique et coordinateur du projet ANR RECREAHVI, Université Lyon 2

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