Parmi les traits qu’il faudrait retenir pour décrire l’école, s’imposerait sans doute avec insistance le fait qu’elle semble se complaire dans la réforme. Depuis de nombreuses années, le système d’enseignement, et tout particulièrement l’Université, est devenu un vaste chantier, pris toujours entre deux projets de réforme, qui n’aboutissent jamais vraiment, voire sont retirés ou transformés avant même la publication de leurs décrets d’application.
L’Université vient de connaître un des épisodes de ce véritable « feuilleton » de la réforme (feuilleton, parce qu’on peut se demander si, dans l’affaire l’essentiel est le changement ou le discours du changement), à travers ce qu’il est convenu d’appeler la rénovation pédagogique. Après avoir longtemps hésité, le précédent Ministère a proposé un ensemble de textes, édulcoré au regard du projet initial, visant à réformer les 1er et 2e cycles. L’actuel Ministre a décidé de maintenir ces textes, mais du bout des lèvres, faisant ainsi entendre (craindre ou espérer) que le projet s’enliserait rapidement, pour laisser place à une nouvelle version du projet ou à un autre projet. Et il faut dire encore que cette rénovation succède à celle entreprise, pour les DEUG, en 1984, qui elle-même s’était assignée comme objectif d’améliorer le cadre pédagogique fixé en 1968 par la loi Faure, qui elle-même…
Faut-il voir, comme tout invite à le faire, dans cette succession de réformes et surtout dans l’accélération de la vitesse de leur obsolescence, le symptôme d’une crise majeure de l’institution ? Faut-il en conclure que décidément celle-ci n’est pas réformable, tant son inertie intrinsèque se montre apte à anéantir toute velléité de changement ? Après tout, les discours ne manquent pas pour stigmatiser l’Université et plus largement le système d’enseignement et leur imputer la responsabilité du chômage, celle de la baisse du niveau ou de la crise des valeurs morales…
Or, il faut rappeler (le démontrer serait ici trop long) que le chômage est fondamentalement un problème de partage du travail et non pas le résultat d’une formation inadaptée, que, malgré l’insistance des dénonciations, le niveau n’a pas baissé, bien au contraire…
Et de la même façon, il faut dire que, si l’école traverse une crise, c’est d’une crise de croissance dont il s’agit. Aujourd’hui, la moitié d’une classe d’âge obtient le baccalauréat. Quant à l’Université, chacun a pu mesurer quel bouleversement démographique elle vient de connaître, véritable explosion universitaire, qui n’est sans doute pas achevée et dont on peut penser qu’elle représente une des transformations majeures de nos sociétés.
Cette explosion, qui s’est traduite par un très fort accroissement des effectifs (ils ont été multipliés par cinq en trente ans) et par la diversification des publics accédant à l’Université, s’est accompagnée de la succession de réformes que l’on connaît, d’une façon comparable à l’explosion scolaire qui, dans les années cinquante, a touché le 1er cycle de l’enseignement secondaire. Et si, embrassant l’ensemble du système d’enseignement, on prolonge le regard vers la longue durée, on pourra noter que régulièrement celui-ci est secoué par des crises, dont les manifestations ne sont pas sans rappeler ce que l’on observe aujourd’hui. Face à l’accroissement des effectifs, se développe un ensemble de discours qui viennent d’une part déplorer les méfaits de cet afflux, en ce qu’il perturbe le fonctionnement de l’institution, mais également conduit à la dévalorisation des diplômes et donc à la frustration des diplômés, et d’autre part dénoncer la baisse de niveau qui en découle. Dans le même temps, l’institution entreprend, parfois de façon frénétique et désordonnée, de se transformer.
La répétition de tels phénomènes, à chaque fois qu’un degré du système d’enseignement s’ouvre à un plus large public, invite à penser qu’il y a là un des facteurs essentiels de son histoire. Et on peut même faire l’hypothèse que les projets de réforme et de rénovation ne sont finalement que tentatives des pouvoirs politiques et institutionnels pour contrôler, tout en leur donnant un habillage réglementaire, les transformations rendues nécessaires.
C’est en tout cas la meilleure façon d’interpréter la présente rénovation pédagogique, dès lors que l’on observe qu’elle ne fait que généraliser et rendre obligatoire des dispositions que les Universités avaient prises, en ordre dispersé, pour faire face à l’actuelle et impressionnante demande d’enseignement supérieur. Et à cet égard, l’expérience de notre Université est sans doute exemplaire.