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La question du travail en institution convoque souvent les protagonistes engagés, soignants, travailleurs sociaux à évoquer son aspect mortifère et délétère. Ce dernier a pour effet de venir contrarier, voire entraver, le processus institutionnel attendu. Aussi, entendons-nous souvent de notre place de clinicien « dans mon institution ça va mal », « rien ne va plus depuis l’arrivée du nouveau directeur » ou « l’ambiance est devenue trop insupportable ». Ces parties négatives circulant au sein de l’institution se manifestent souvent en actes tout en s’amplifiant dans le temps. Le risque serait que le bruyant vienne alors recouvrir l’ensemble institutionnel. Ce serait alors le signe que ces parties mortifères se déplaçant dans l’institution soient traitées uniquement du côté des faits divers sans pour autant parvenir à se transformer en fait clinique (Grondin, 2015).

Cet article propose de visiter comment une institution après avoir reconnu son impossibilité à se mettre elle-même en récit va convoquer un autre comme tiers dans l’intention de coconstruire avec ce dernier un espace de l’entre-deux. Un « dedans-dehors » comme un espace de transitionnalité pour tenter de coorganiser ce qui met en acte dans le quotidien institutionnel en une mise en récit partageable et partagée. Bien évidemment, une telle aventure nécessite pour les intervenants d’être eux-mêmes suffisamment soutenus dans leur entreprise, tel un appui-dos au sens de Haag (2018). Ici, l’université comme un contenant de contenant pour permettre non seulement de recevoir les expériences clivées qui font retour avec grand fracas dans le quotidien institutionnel mais aussi de les transformer, de les mettre en sens pour et bien évidemment avec l’ensemble institutionnel.

Émergence d’un cadre-dispositif : du duo à la tierceïte

Un service de formation continue prend contact, cette collègue parle de la demande d’un service hospitalier composé de trois unités et d’une quarantaine de personnes souhaitant un accompagnement de type institutionnel. Pour ce faire, elle envisage de confier cette mission à un duo d’intervenants. Ces derniers se connaissent depuis de nombreuses années mais n’ont pas eu l’occasion jusque lors de travailler ensemble dans le cadre d’une institution.

La mission est présentée par la collègue du service de formation continue comme très délicate. Elle a pour objet de :

  • Repérer ensemble les difficultés rencontrées par mes équipes dans le contexte de mutations traversées par l’institution, et tenter d’élaborer les processus psychiques groupaux et institutionnels qui les sous-tendent.
  • Revisiter le projet institutionnel et les modalités de régulation actuellement mises en place ; repérer ce qui pourrait contribuer à soutenir la groupalité des professionnels ; construire une référence « suffisamment » unifiée du travail au sein de cette entité.

De manière plus directe, il s’agirait d’accompagner ce service hospitalier composé de trois unités dans un processus de réorganisation et ce, à partir du départ en retraite du médecin-chef fondateur et de la prise de fonction de sa remplaçante.

Au niveau topographique, ces trois espaces institutionnels partagent les mêmes locaux, la mitoyenneté est au cœur de la vie quotidienne. Cette mitoyenneté se trouve renforcée par un personnel qui partage son temps de travail sur deux de ces unités.

Mais revenons à la manière dont s’organise le duo des futurs intervenants selon le désir de la responsable de ce service de formation continue. Cette dernière semble particulièrement prudente voire obnubilée par notre éventuelle connaissance ou proximité avec ce service hospitalier. Afin que l’intervention se déroule dans de bonnes conditions il faudrait être totalement vierge de tout contact avec ce service au risque de le voir se détruire.

Nous décidons tous les trois de nous rencontrer afin de finaliser la mise en place de ce travail et cette question de la destructivité et de la mort semble toujours centrale pour la responsable de la formation continue. Mais avant tout ce qui semble affleurer du climat de cette rencontre c’est la menace de mort et la terreur qui en découle. Cette atmosphère pénible à supporter s’en trouve renforcée lorsque l’un des intervenants évoque son intervention prochaine avec un autre collègue au sein de ce même hôpital et que pour l’autre intervenant, il pourrait y avoir la présence d’une soignante de ce même centre hospitalier à un groupe d’étudiants en FPP (Formation à partir de la pratique).

Le danger de l’échec de cette mission pourrait être instillé par la question d’une proximité envisagée comme néfaste voire meurtrière pour l’ensemble institutionnel. Le clivage semble être ici pensé comme un organisateur et déguisé pour l’occasion du côté d’une neutralité bienveillante nécessaire au bon déroulement de cet accompagnement institutionnel.

À l’issue de cette première rencontre, nous percevons une sorte d’urgence pour la responsable de la formation continue d’éclairer d’une part et d’autre ces deux points de contact éventuels au risque de voir capoter le projet tout du moins avec les deux intervenants que nous sommes.

À un niveau transférentiel, cette responsable de la formation continue semble être l’objet d’un transfert de transfert, J. Laplanche évoque cette notion de transfert de transfert dans un ouvrage paru en 2008 et intitulé Nouveaux fondements pour la psychanalyse. Il écrit : « il peut signifier seulement le transfert de ce processus de transfert en un ou plusieurs autres lieux, dans une ou plusieurs autres relations » (Laplanche, 2008, p. 160). Elle serait comme un agent de liaison potentiel placée sous l’emprise de la menace d’éclatement voire de mort. La mission semble alors impossible à mener. Elle convoquerait plutôt du côté d’une temporalité figée.

L’intervenant engagé avec un autre collègue dans ce même hôpital pour travailler avec une autre équipe, semble porter à son insu une faute potentielle dont il faudrait se dégager le plus rapidement possible afin de répondre de manière positive à ce projet de travail. L’ambiance au sens de J. Oury (1976) semble particulièrement lourde.

Finalement les points de contact vécus comme potentiellement meurtriers ne sont pas d’actualité. La réponse peut alors prendre forme par l’écriture d’un projet de travail.

Plusieurs affects circulent au long cours de ces prises de contacts entre le service de formation continue et les deux intervenants potentiels. Nous vivons tous les trois de manière intense et chaotique des impressions qui vont de la terreur au plaisir manifeste de travailler ensemble tout en passant par le risque permanent de la transgression et le renforcement des clivages.

Nos rencontres à trois, nos échanges denses avec pour point pivot la responsable de la formation continue ont semble-t-il permis de s’accorder et de s’ajuster sur la place de chacun dans la constitution d’un trépied devenant alors suffisamment solide pour être en capacité de supporter les soubresauts attaquants et mortifères de l’institution en demande.

En somme, dans le temps de l’après-coup, nous nous rendons compte que tout ce travail d’allers-retours nous aura permis de co-construire un arrière-fond de l’arrière-fond à partir duquel nous étayer afin d’être en capacité d’écouter et de supporter les tentatives de mise en récit de l’institution entravées par des mécanismes de défense primaires tels que le clivage ou le déni.

Ces derniers, mortifères, font régner de manière permanente la menace d’effondrement de l’ensemble institutionnel en se présentant sous différentes figures telles que les arrêts maladie répétés, les départs intempestifs, les conflits larvés, les passages à l’acte de plus en plus bruyants et le silence assourdissant.

L’histoire singulière de cette institution marquée par le départ du père fondateur et l’arrivée d’un médecin responsable non spécialiste de la pédopsychiatrie, la confrontation avec les nouvelles directives a provoqué le retour massif des Erinyes à la recherche du criminel potentiel. La haine radicale semblait être au centre de la scène. Jean-Pierre Lebrun (2013) nous éclaire ici en soulignant dans un ouvrage intitulé Oreste, face cachée d’Œdipe :

« À les regarder avec les yeux de notre époque, il peut nous sembler que leurs racines plongent jusqu’à ce point de haine qui assure l’arrachement à l’ignorance primordiale, celle qui fonde l’humain en chacun. Il faut entendre “haine” ici dans sa dimension structurelle, sa résonnance radicalement séparatrice, débarrassée de tout écho imaginaire ou affectif, la distinguer ici de l’hostilité meurtrière. » (Gastambide et Lebrun, 2013, p. 108.)

Sortir des rets de l’emprise meurtrière

En parallèle à la co-constitution de l’arrière-fond de l’arrière-fond institutionnel, un attelage se co-construisait entre les deux protagonistes du duo c’est-à-dire une liaison originale, un ensemble singulier fondé sur la garantie mutuelle de l’existence de la place de chacun. Non seulement cet attelage est basé sur une malléabilité mais aussi sur une élasticité au sens de Ferenczi (1918). En effet, dans un article intitulé « L’élasticité de la technique analytique » Ferenczi souligne que la notion de « tact » fondamental dans le travail avec le patient, signifie avant tout « sentir avec ». Ici, les affects de l’analyste sont primordiaux et dans le même temps il s’agit d’une oscillation perpétuelle entre « sentir avec », auto observation et activité de jugement. Ce qui, à partir de là, convoque chacun des partenaires à ses propres capacités autoréflexives, complétées par un regard croisé de chacun des deux partenaires de cet attelage.

Cet appareillage s’organisait à notre insu, il allait nous permettre de supporter les assauts de différentes figures de la menace, tel le bouclier de Persée. F. Pasche (1988), ici nous éclaire. Cet auteur va s’intéresser à la question de la séparation mère/enfant avec le bouclier tendu par la mère à l’enfant comme instance séparatrice. L’analyse de cet auteur se situe en deçà de la castration.

Le bouclier se révèle enveloppe protectrice contre la puissance extérieure et le miroir permet le discernement ainsi que l’investissement de l’extérieur, sans pour autant être emporté par l’angoisse provoquée par le choc de la rencontre. C’est ce dont le psychotique ne dispose pas : le bouclier réfléchissant de Persée, il est donc dépourvu de pare-excitation.

Ce bricolage issu de la rencontre de trois sujets sur fond de contenance institutionnelle qu’est l’université va permettre l’organisation d’un appareillage à penser la rencontre avec la pulsion de mort qui traverse non seulement la clinique de l’autisme mais aussi l’ensemble institutionnel qui tente de le prendre en charge. Cette notion de pulsion de mort ne peut pas être envisagée uniquement sur le versant de la destructivité et de la déliaison. Et même si le lien avec la haine est ici prépondérant, il doit aussi être entendu en liaison avec le processus de différenciation et de séparation d’avec l’objet.

Et maintenant qu’allons-nous faire ou de la méthode choisie ?

C’est non sans appréhension que nous tentons de trouver une sorte de méthodologie pour que ce travail institutionnel puisse se faire.

À « comment attrape-t-on un grand groupe institutionnel ? », la réponse fut : « par un petit groupe ».

C’est à partir d’un travail institutionnel précédent et encore actuel avec deux autres collègues pour l’ensemble d’une équipe soignante d’une clinique psychiatrique que cette modalité s’impose à nous. D’autres expériences similaires auprès d’équipes dans le secteur médico-social, travail en petits groupes et en grand groupe avaient déjà montré l’intérêt de la méthode : la taille de cette équipe de ce service pédopsychiatrique et probablement aussi les enjeux en lien avec la tâche primaire offraient une sorte de résonnance entre ces deux entités institutionnelles.

Nous proposons notre méthode à savoir 4 séances dans un premier temps de janvier à juillet réparties avec un temps découpé ainsi : 1h30 de travail en petit groupe et 1h30 en grand groupe ou séance plénière, les deux intervenants étant présents ensembles avec chaque sous-groupe et en grand groupe. À cela s’ajoute une journée complète fin août avec comme forme, grand groupe, petit groupe, grand groupe, journée de travail banalisée, fin de l’été juste avant la rentrée et la reprise des soins pour les enfants. Le travail s’est poursuivi après cette grande journée à raison de deux séances jusqu’à fin 2019 avec le même appui petit groupe/grand groupe.

Cette pratique de travail institutionnel nous la situons dans une visée de contribuer à fabriquer du groupe (Gaillard 2005), à faire vivre de la pensée sur les liens (enfants, parents, familles, à l’institution), de permettre le repérage des empêchements qui détruisent les liens de confiance face aux mouvements de persécution qui infiltrent les relations et de faire advenir le groupe comme instance et/ou de faire advenir l’institution comme instance suffisamment unifiante.

La perspective étant de travailler à préserver et/ou à restaurer le registre de l’intermédiaire : par intermédiaire nous entendons ce qui permet d’accomplir les fonctions spécifiques de liaison, de médiations, de transformations. Les intervenants portent cette fonction médiatrice qui réduit l’écart entre le moi et les idéaux du moi : elle est aussi ternaire, caractéristique de l’illusion et de l’expérience culturelle au service d’une constitution suffisante des arrière-fonds garantissant ainsi la continuité des investissements aux usagers et la constitution et/ou le renforcement des équilibres institutionnels. En cela les intervenants se doivent de penser à l’articulation des dispositifs qu’ils proposent et doivent être soucieux de ne pas rendre le travail institutionnel trop exigeant voire coûteux au regard des contraintes des pratiques de soins et au regard des dispositifs de soins existants.

Aussi nous souhaitions que le travail en petit groupe soit plus fréquent, que chaque sous-groupe puisse se retrouver plusieurs fois mais la fermeture complète des services de soins n’est pas possible et ne l’est toujours pas sauf sur cette journée de fin août. Cette dimension nous tenait à cœur au regard de la méfiance des professionnels entre eux, de l’insécurité liée aux demandes par la direction de l’hôpital de rentabilisation, du départ des infirmiers, du questionnement sur l’engagement des nouveaux soignants et de l’instauration en termes de légitimité de la fonction de médecin responsable.

Dans l’après-coup, nous pensons que la fréquence n’était pas la seule garantie pour créer des conditions favorables à une mise en parole, par contre garantir les articulations petit groupe/grand groupe qui donne forme à un corps institutionnel permet ainsi de trouver les points qui font étayage pour l'ensemble des professionnels et révèlent les points de tension, de conflits.

Dans son livre À la recherche du temps perdu Marcel Proust dit comment une micro société agit pour faire partie du « petit noyau », du petit groupe, du petit clan « en suggérant une adhésion tacite à un credo (Proust,1913).

Cette petite diversion du côté de chez Proust qui mêle groupe et temporalité, groupe et exclusion, groupe et légitimité, groupe et différence des sexes, parle de cette organisation topographique groupale sur les enjeux de place et de la nécessité pour ce travail institutionnel qui démarre d’y croire un peu ! En ce qui nous concerne l’organisation et la structure sont les appuis du groupe de travail. Elles sont le fruit de la coopération entre les membres du groupe et elles ont pour effet, lorsqu'elles sont bien établies, d'exiger une coopération plus grande encore entre les individus, aussi la fonction des intervenants consiste à permettre au groupe de réfléchir son propre fonctionnement et donc ses dysfonctionnements et de mettre à l’épreuve ses capacités d’autoréflexivité.

Il s'agit donc de constituer des groupes structurés de telle sorte qu'ils évitent la répétition et l'autonomisation, seule condition pour les voir s'affranchir d’une possible régression et donc de préserver ou même de reconstituer la personnalité des individus en jeu. Ceux-ci retrouveraient ainsi leur capacité d'innovation à l'occasion des relations transférentielles que le dynamisme du groupe permet. En tant qu’intervenants nous sommes un groupe du dehors et la création de relation entre les groupes du dedans et les groupes du dehors font de l’appareil psychique groupal un espace transitionnel. C’est le tout qui forme un espace transitionnel.

Du déroulé des séances

La décision du médecin coordinateur qui n’a pas le titre par l’administration hospitalière de médecin responsable ou chef de service, est de suspendre la supervision de deux équipes de soins existantes. Plusieurs raisons à cela :

  • La clôture d’enveloppe budgétaire et des financements non pérennes.
  • Des conflits repérés comme non élaborés dans le cadre de la supervision.
  • Augmentation de la file active.
  • Restructuration de services.
  • Départ du médecin fondateur.
  • Départs de professionnels en poste depuis longtemps et accueil de nouveaux collègues.
  • Crise sévère après la dénonciation de maltraitance d’un(e) professionnel(le) auprès d’enfants.

À cela s’ajoute l’originalité de cette structure multiforme consistant précisément à mutualiser les moyens et les équipes dédiés à l’évaluation et au soin, ce qui s’avère assez difficile pour les professionnels(elles) des équipes de soins.

Il semble que cette structure soit à un moment de tournant de son histoire et nous faisons l’hypothèse que les processus de liaison qui ont soutenu la constitution de ce projet original, fondé sur le postulat de penser la question du diagnostic et du soin comme un continuum dans l’intérêt de l’enfant autiste et de sa famille sont mis à mal dans cette période précise.

Éléments et Verbatim de séance

1re séance

Censure, risque de boomerang, conflit entre hiérarchie médicale et équipes qui se traduisent par des passages à l’acte, parler de l’histoire de la pédopsychiatrie de cet hôpital avec ces fondateurs, quels risques à prendre ? L’histoire traumatique et ses cryptes, les mythes fondateurs, les deuils qui n’arrivent pas à se faire, la haine comme formant du lien, la déception à l’égard des pères fondateurs qui ont quitté le navire, pas d’héritier pour cette entité de la pédopsychiatrie…

2e séance

Qui sommes-nous, nous les intervenants, quels liens avec le médecin coordinateur ?

Tout est dangereux, nous les intervenants, le changement, la direction des soins qui n’offrent rien, les enfants.

Fin de séance : Un désir exprimé, sortir de rendre des comptes et mettre en histoire.

3e séance

Les petits groupes nous font avancer.

Au fond c’est quoi la pensée, la clinique ?

Jusque-là seuls psychologues, médecins, psychomotriciens prenaient la parole, là les ASH rentrent dans le jeu avec un plaisir réjouissant : « la vie groupale a repris depuis 2 ans, le fond devient stable… » dira l’ASH historique !

Après ce moment de plaisir, la reprise en grand groupe est difficile, vécus d’abime, de vide, d’angoisse, la clinique des enfants arrive.

4e séance

La moitié de l’équipe médicale en arrêt : il est question de la continuité des espaces de soins pour le patient, du contre transfert à propos des enfants, du devenir des éléments mortifères, des enveloppes institutionnelles trouées, de la tâche primaire menacée, des fonctions enrayées, le désir de traiter le clivage. C’est l’été, il est temps de se séparer.

Nous nous retrouvons à la fin de l’été pour cette grande journée avec partage de pique-nique

Se séparer, se retrouver, beaucoup d’angoisse, crainte de la peur, de la violence, de la destructivité Comment faire pour que les traumas ne deviennent pas tabous.

Après le repas, un conflit émerge entre deux soignants à propos d’une petite-fille... Nous travaillons à partir de cette situation, une vignette clinique qui engage les attaques/défenses, les éléments paranoïaques, les vécus bruts.

Quelqu’un dira « de cette situation, il faut oser en faire l’affaire de tous »

Nous assistons à l’émergence d’une responsabilité collective (Barbieri, Gaillard, 2018), à propos de cette vignette clinique qui se poursuivra lors de la séance de la rentrée par ce traumatisme de l’éviction d’un professionnel pour maltraitance sur enfants.

Ce groupe se sent menacé par le désir porté par le médecin responsable de travailler sur les parts négatives du service au moment où il se transforme avec la création de l’unité d’évaluation de l’autisme. Il est traversé par des alternatives de peur ou d'agression comme la réactivation des réactions ambivalentes du nourrisson devant l'image clivée de la mère primordiale. Sous les tâches communes conscientes et rationnelles (Bion, 1961) sont spontanément à l'œuvre des émotions et réactions collectives qui stimulent ou entravent le fonctionnement adapté du groupe. Ces deux niveaux, le conscient et l'inconscient mobilisés par le groupe, correspondent approximativement aux processus secondaire et primaire de la théorie analytique. La pente naturelle de chaque groupe le conduit à se constituer selon l'hypothèse de base régressive (Bion, 1961) qui lui est la plus économique affectivement. Mais lorsque les tensions deviennent trop fortes, la recherche d'un équilibre énergétique minimal pousse le groupe à faire émerger un sous-groupe ayant déjà les caractéristiques de ce nouvel équilibre. C’est déjà ce qui se passe avec un noyau groupal de ce service et qui permet de s’aventurer dans un travail institutionnel d’une telle ampleur. Cependant la finalité des groupes est de maintenir leur existence ou leur identité indépendamment du contexte temporel et spatial. Ils éprouvent ainsi tout ce qui menace cette autoconservation comme persécuteur. La peur devant le changement, la répétition, la ségrégation miment au niveau du groupe un comportement psychotique.

Pour conclure

Le bruit de plus en plus envahissant des passages à l’acte ne trouvait pas un autre à l’intérieur même de l’institution pour le transformer en mots. Ainsi, faire appel à un autre, extérieur, a permis l’émergence d’une mise en récit davantage partageable, grâce à l’aménagement d’un cadre-dispositif original alternant petit et grand groupe. Cette alternance comme un retissage groupal offre la possibilité de reprendre le voyage institutionnel. Ainsi, sortir du « taire » et envisager d’autres terres.

Toute vie institutionnelle engendre la constitution de groupes, formels ou informels, ceci par le fait même de la collectivité et des occupations quotidiennes. S'il n'existe pas un minimum de stratégie institutionnelle, l'inertie collective associée à celle de l’autisme, de la psychose, conduisent à la constitution de relations interpersonnelles assez proches de ce que décrit Goffman dans Asiles, c’est-à-dire dans des interactions réciproques qui se passeraient entre deux, trois personnes avec des réponses allant de l’un à l’autre sans être reliées à des formes institutionnelles plus structurantes. Le concept de « groupe de travail institutionnel » est intéressant dans la mesure où il permet de nommer les différents regroupements fonctionnels et d'introduire une différenciation. Le groupe institutionnel est en train de se former en acceptant que quelqu’un puisse répondre à ces mouve­ments mortifères à partir de son humanité de vivant, en acceptant de se laisser travailler par le négatif qui menace de les submerger et de les détruire. Le travail se poursuit…

Ainsi, nous avons bricolé, au sens de Lévi-Strauss, au long cours de ce processus, en nous étayant sur le temps de l’après-coup, un dispositif favorisant le travail à plusieurs et en grand groupe. Ce temps de l’après-coup est ici fondamental, il permet non seulement la convocation des éléments cliniques s’organisant à partir de la chaîne des séances passées mais aussi pour chacun des intervenants de faire appel à des éléments collectés au fil de son expérience singulière, devenus depuis des outils. Ces derniers font des bricoleurs que nous sommes non pas des « sachants » mais plutôt des « agents de liaison ».

Bibliography

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Ferenczi, S. 1918. À propos de la technique psychanalytique. Paris : Payot.

Gaillard, « Appelés à investir, conviés à l’abstinence. » L’intervention en analyse de pratique et “l’arrière-fond” institutionnel – Connexions 82/2004-2 Groupes de parole et crise institutionnelle, Toulouse, Érès, p. 57-69

Gastambide, M, Lebrun, JP 2013. Oreste, face cachée d’Œdipe ? Toulouse : Erès

Grondin. Ph. « Destins de la sensorimotricité dans le transfert du transfert : vers une symbolisation institutionnelle », thèse de doctorat, Institut de Psychologie, Lyon2-Lumière. 2015

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Laplanche, J. 2008. Nouveaux fondements pour la psychanalyse, Paris : PUF

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Oury, J. 1976. Psychiatrie et psychothérapie institutionnelle, Paris : Payot.

Pasche, F. 1988. Le sens de la psychanalyse. Paris : PUF.

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References

Bibliographical reference

Khedidja Benarab and Philippe Grondin, « Taire… terres en vue », Canal Psy, 127 | 2021, 23-28.

Electronic reference

Khedidja Benarab and Philippe Grondin, « Taire… terres en vue », Canal Psy [Online], 127 | 2021, Online since 01 janvier 2022, connection on 02 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3385

Authors

Khedidja Benarab

Psychologue clinicienne, psychanalyste

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Philippe Grondin

Docteur en psychologie, laboratoire CRPPC, Université Lumière Lyon 2, psychanalyste

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