« la « Fraternité » peut être définie comme un engagement moral et émotionnel entre des individus qui ne sont pas rattachés par des liens de parenté. Les passions sociales qui se rapprochent le plus de la fraternité sont la solidarité, la loyauté mutuelle, la camaraderie, et un sentiment d’appartenance. Ce qui est distinctif en ce qui concerne la fraternité (…) [C’est qu’], un non-frère est traité en frère « comme si », (…) la fraternité chez les êtres humains est bonne ou mauvaise en fonction de ce que les frères imaginaires décident d’en faire. » (Holmes et Varigault, 2019)
Georges Gaillard a coutume de me présenter comme son « frère de lait », en raison des liens très forts que nous avons tous les deux avec Paul Fustier : en effet c’est lui qui, dans des contextes différents1, nous a ouvert la voie universitaire en nous montrant qu’il était possible de mener une solide carrière d’enseignant-chercheur sans se prendre au sérieux, qu’il était possible de créer des îlots d’indiscipline aux bords de l’institution comme autant d’étayages. Indissociablement, Paul nous a transmis le souci des collectifs instituant, sans jamais perdre de vue leur enracinement dans la vie quotidienne et tous ses petits riens (Gaillard, Ravon et coll., 2020).
Georges et moi serions donc « frères de lait », nourris au même sein, celui de Paul Fustier. Très sensible à la « dévotion maternelle » à l’œuvre dans les institutions socio-éducatives (ibid. pp. 192-194), Paul aurait sans aucun doute apprécié d’être ainsi requalifié comme nourrice, lui qui bien avant le succès des théories du care, avait déjà fort bien repéré le genre féminin (chez lui plutôt maternel) du « prendre soin » !
Ce n’est cependant pas sous cet imaginaire que je voudrais comprendre le travail de Georges, ainsi reconnu « comme un frère », mais sous celui des relations entre nos deux disciplines, la psychologie clinique et la sociologie. En effet, et alors que je cherchais sous quel angle rendre hommage à Georges, m’était revenue cette formule si souvent entendue de la bouche de Paul Fustier : « Psychologie et sociologie, pour faire un cuchon ». Si je n’en ai pas retrouvé la trace écrite, j’ai pu la rapprocher de la dédicace qu’il m’avait faite de son livre « Le lien d’accompagnement » (Fustier, 2000) : « Psychologie-Sociologie, une affaire de concubinage ». Dans la version orale de cette communication, ma définition de « cuchon », un mot de la langue régionale, s’est révélée être fausse : ce que je croyais être une cruche où se mélangeaient différents liquides n’était en fait qu’un petit tas désordonné (de farine, de paille…), où s’entassait une certaine quantité de matières, par incorporation ou accumulation. Incorporation d’une discipline dans l’autre ou union libre, la question de l’articulation entre psychologie et sociologie était centrale chez Paul Fustier, au point qu’il m’avait laissé entendre que son travail était parfois mieux compris par les sociologues que par les psychologues, surtout depuis la publication de ses analyses inspirées de l’Essai sur le don de Marcel Mauss (Mauss, 1925).
Du temps où psychologie et sociologie faisaient partie de la même UFR à Lyon2, les sociologues ne voyaient pas d’un très bon œil la psychologie, cette « grande sœur » qui prenait trop de place. Ils se sépareront d’ailleurs à la fin des années 1980, les sociologues se ralliant aux anthropologues et aux préhistoriens pour fonder une nouvelle composante. Les psychologues, qui ne devaient pas être mécontents, s’en allèrent fonder leur Institut.
Paul Fustier, qui avait des amis chez les sociologues, avait regretté cette « scission ». Et finalement, nous ne sommes pas nombreux à continuer à tisser des liens entre ces deux mondes. Par sa capacité à incorporer des éléments extradisciplinaires de type sociologique dans sa psychologie clinique, par l’attention particulière qu’il porte aux pathologies sociales ou, pour reprendre son vocabulaire, aux « dynamiques de déliaison » propres aux « institutions de la mésinscription » (Gaillard, 2022 ; Omay, 2009), je fais l’hypothèse qu’en bon héritier de Paul Fustier, Georges Gaillard pourrait reprendre à son compte cette union libre de la psychologie clinique et de la sociologie, une union pas vraiment reconnue officiellement, mais bien réelle. De mon côté, notamment à travers ce que je nomme « clinique sociologique » et « sociologie de la clinique » (Ravon, 2005, 2012a), j’entretiens de nombreux liens avec la psychologie clinique et ses praticiens. Voilà donc la question que je voulais finir par poser à Georges : à quelles conditions les relations d’interdépendance entre sociologie et psychologie clinique sont-elles des relations de – bonne – fraternité ?
Dans un premier temps je pointe notre attention partagée pour le soutien aux professionnels dans leurs métiers impossibles de l’aide et du soin. Dans un second temps, j’essaye de comprendre en quoi la sociologie peut-elle être une clinique. Enfin, j’interroge l’activité clinique dans le nouveau contexte dit d’inclusion, où la mésinscription est mesurée non plus à l’aune des déficits à combler, mais des potentialités à découvrir. Ce parcours montre que nous sommes bien frères, en ce que nous sommes reliés par une même charge commune, une nécessité partagée de faire connaissance avec les personnes concernées par le « malaise dans la civilisation ».
Le souci commun de la professionnalité
« La professionnalité désigne la manière dont un sujet habite sa position professionnelle, la manière dont il partage cette position avec une équipe, et dont il la met en œuvre auprès des sujets pris en charge par l’institution. (…) Elle désigne l’ensemble des dynamiques relationnelles propres à l’exercice professionnel : elle signifie une pratique et le travail de pensée qui sous-tend une telle pratique. Ceci suppose la mise en œuvre d’un travail d’auto-représentation, d’une pensée réflexive, à propos des différents liens qui caractérisent une position professionnelle donnée » (Gaillard, 2020)
Je pourrais presque reprendre à mon compte cette définition. Mais pour ajouter aussitôt la mienne. Forgée initialement par les syndicats italiens (professionnalità) pour rendre compte de l’absence de reconnaissance de la qualification (indépendante, autonome) des ouvriers (années 1960 à 1975), la professionnalité est d’abord définie comme la somme des connaissances, savoirs en actes, réels et réalisés, capacités à bien faire son métier. La professionnalité est donc cette capacité issue de l’expérience, qui permet à des professionnels, à la fois de respecter les règles du métier – ils ont été formés dans cette perspective – et de les transgresser afin de s’adapter aux situations. Lorsque les situations deviennent incertaines ou trop complexes, ils doivent s’appuyer sur l’environnement immédiat et les circonstances qui vont avec. « La professionnalité renvoie donc à un moment d’indétermination de l’action au cours duquel les intervenants hésitent : leurs savoirs prédéfinis sont pris en défaut, les normes et les règles sont instables, leurs diagnostics deviennent discutables. Ils ne sont jamais à l’abri du risque d’un jugement « subjectif », « partial », voire « arbitraire ». » (Ravon et Vidal-Naquet, 2018). On pourrait donc avancer l’idée selon laquelle la professionnalité renvoie à des situations à propos desquelles les professionnels sont débordés par l’action : ils ne font pas ce qu’ils veulent, ils sont dépassés par les évènements, ils hésitent entre différentes perspectives. Exposés à ces moments de débordement de l’action, qu’ils soient institutionnels, organisationnels, contextuels ou éthiques, les professionnels n’ont d’autre alternative que de redéfinir en situation leurs actes de métier. Non intégrée par une grille de classification et non indexée au salaire, toujours définie localement et donc avec des ajustements qui ne bénéficient d’aucune garantie, tributaire d’un engagement très personnel dans l’action, la professionnalité est une épreuve de reconnaissance, laquelle est très instable.
Ce qui nous relie dans ces deux définitions n’est pas l’objet de nos recherches respectives : Georges analyse la négativité des liens du point de vue du primat de la pulsion de mort (Gaillard 2020), alors que je mets l’accent sur l’indétermination des réponses que peuvent apporter les professionnels aux situations les plus problématiques. En revanche, et au-delà de la ressemblance de nos terrains de recherche (institutions de la « mésinscription »), nos postures allient toutes deux formation, recherche, intervention et pratique professionnelle et s’appuient sur des référentiels et des objectifs communs : penser à partir de la pratique pour étayer la professionnalité et en conséquence soutenir les équipes.
Alors que Georges déploie pour ce faire une clinique très fine de la déliaison (et la manière dont les professionnels s’y prêtent), j’explore ethnographiquement les embarras des professionnels. Ce qui suppose dans les deux cas, me semble-t-il, de sortir de la forteresse académique et de ses savoirs disciplinés pour faire droit aux expériences de plein air des professionnels, là où les problèmes du terrain travaillent, là où se déploient les débordements de l’action. Sortir de la tour d’ivoire, mais rester en son jardin (Ravon et Lechaux, 2022), dans une aire intermédiaire entre le monde des « savants » et le monde des « praticiens », où un continuum puisse se construire entre supposés « savants » et supposés « profanes ». Dans le vocabulaire pragmatiste de l’exploration ethnographique des problèmes, une telle posture requiert :
- une approche relationnelle et transactionnaliste,
- pistant l’activité au plus près du terrain,
- en mobilisant toute notre attention sensorielle, aux « corridors du quotidien », aux présences proches, à la moindre des choses
- pour un apprentissage par l’expérience situation après situation,
- permettant d’ouvrir des espaces dialogiques et transversaux de délibération,
- invitant à rompre avec l’approche essentialiste et juridictionnelle de l’identité professionnelle,
- de manière à ouvrir des espaces de multiversité (Lechaux, Mezzena et Ravon, 2022).
Quelle clinique en partage ?
Georges verrait sans aucun doute dans ces manières de faire de la sociologie impliquée, l’autoréflexivité, la conflictualité et la créativité à l’œuvre dans le travail clinique groupal qu’il anime avec des professionnels de même type. Il n’en reste pas moins que nos vocabulaires respectifs se distinguent ou plutôt entrent en interférence. Selon Michel Serres (1972), le concept d’interférence recouvre deux ensembles de significations : à la croisée des savoirs (circulations, confluences, intersections, interceptions, entrecroisements, échangeurs) ; comme nœuds de relations, sans objets ou sujets de savoirs séparés, sans références.
J’aurais aimé avoir ce concept d’interférence à disposition lors de ma thèse, consacrée à la formation de l’échec scolaire comme problème public depuis la III° République (Ravon, 2000), avec un axe interrogeant les relations complexes entre psychologie scolaire et sociologie de l’éducation, entre sélection des meilleurs et promotion de tous, entre échec de l’enfant et échec de l’école. J’avais beau montrer que la psychopédagogie de Binet était le bras armé de la sociologie morale de Durkheim, sous le parrainage de Ferdinand Buisson, l’éminence grise de Jules Ferry, ma thèse n’était recevable ni pour les sociologues (de l’éducation) ni pour les psychologues (scolaires) tant elle les reliait dans une configuration d’interdépendance épistémique, inacceptable, car précisément saturée d’interférences. Cette épreuve de reconnaissance me mènera vers l’anthropologie symétrique de Bruno Latour : à savoir que toutes les connaissances, empiriques comme fondamentales, doivent être traitées de manière égale et soumises à l’enquête dans des termes équivalents (Latour, 1991).
Comment définir cette symétrie entre les deux disciplines ? Habituellement, les sociologues qui s’intéressent à la psychologie le font avec l’objectif critique de dénoncer la psychologisation du social. Pour le pire en se contentant de dénombrer les pratiques psy sans chercher à en comprendre la dynamique propre ; je n’insiste pas sur ces critiques qui tendent à réduire la psychologie à l’individu (Bresson, 2006). Pour le meilleur, en se réclamant de la tradition ouverte par Norbert Elias (1991) renvoyant les processus psychiques – comme l’autocontrôle psychique ou l’autorégulation des affects – à une dynamique de civilisation historiquement située, en l’occurrence au moment de la formation des États modernes. En ce sens, observer les pratiques de psychologie clinique à l’ère de notre modernité tardive permet d’analyser l’exigence sociale généralisée d’implication personnelle (non réductible à l’individu) et ses processus sociaux de responsabilisation, de participation, d’activation, de réflexivité ou d’autonomisation (Ravon, 2020). « L’individu contemporain n’est pas plus psychologique aujourd’hui qu’hier. En revanche, il est assailli, depuis l’avènement de la modernité, par une série d’épreuves pouvant trouver, dans la psychologie, un langage partiel, mais fécond d’analyse. » (Martuccelli, 2007, p. 50)
Une autre manière de mettre en relation les deux disciplines consiste à rejoindre la sociologie clinique, attentive aux enjeux inconscients des sujets (individus ou groupes) pour mieux explorer les « dimensions psychiques des phénomènes sociaux » (Gaulejac et coll. 2012). Je suis toujours resté réticent envers cette approche, du fait du risque de glissement du statut d’analyseur sociologique vers celui de symptôme (Genard, 2015), ce qui conduit généralement à traiter les rapports sociaux conflictuels sur la seule scène du récit de la souffrance psychique. Indissociablement, le risque de surinterprétation y est élevé : rechercher une explication sociopsychique à une trajectoire, c’est s’interdire en effet d’analyser la pluralité des manières de faire, en situation, avec l’environnement et les nombreuses indéterminations constitutives de la vie sociale. Par exemple, toutes les trajectoires de mobilité sociale ascendante ne sauraient être analysées comme des « névroses de classe » (Gaulejac, 1991) !
Ceci dit, la pratique qui consiste pour mieux comprendre notre monde à se pencher sur des situations de souffrance, lorsque précisément ce monde ne va pas de soi, me semble être une des configurations les plus pertinentes de l’alliance entre psychologie clinique et sociologie. J’ai ainsi cherché à développer, en sociologue d’intervention, et dans le sillage de la critique sociale reposant sur une analyse des souffrances sociales (Renault, 2004), une clinique sociologique2 documentée par les situations de souffrance professionnelle ou usagère dans le champ du travail social (Ravon, 2012b et 2016). Délaissant une sociologie explicative pour une sociologie très compréhensive, attentive à l’activité en prise avec des « situations problématiques », ses troubles et ses dilemmes, l’enjeu est de suivre de près toutes celles et ceux qui s’associent pour faire face aux injustices, inégalités, traumatismes sociaux (Ravon, 2008). Cette pratique sociologique d’intervention est plus proche des cliniques institutionnelles et de leur souci groupaliste ouvert sur une compréhension – éminemment sociale – des liens interpsychiques (Pinel et Gaillard, 2020 ; Bompard, Gaillard et Benarab, 2020) que de la sociologie clinique.
Ce ne sont donc pas du côté des interférences entre psychique et social que la fraternité se déploie entre sociologie et psychologie, mais de la clinique, une clinique du monde social éprouvé.
« Mais la cure psychanalytique n'est pas juste une occasion particulière d'autocompréhension des individus des sociétés modernes (où, plus exactement, un moment où ils accèdent réflexivement aux limites ultimes de leur compréhension d'eux-mêmes, laquelle est, cependant, un idéal voire une attente normative pour l'individu moderne). On peut soutenir une thèse plus forte : l'émergence historique de la psychanalyse en même temps que les sciences sociales à la fin du 19e siècle relève de la même configuration, en termes de sociologie de la connaissance. Ce n'est nullement une théorie ni un dispositif de soins psychologiques, qui aurait pu naître ailleurs que dans nos sociétés ni en d'autres temps. (…) C'est moins grâce à sa logique interne ou à ses vertus d'épistémologie générales que parce qu'elle est avant tout chez nous une forme sociale de la connaissance émergeant d'un savoir-faire spécifique face à des difficultés personnelles, qui sont bien sûr vécues comme psychologiques, mais dont la raison d'être est sociale. Elle répond en cela à un besoin de réflexivité sur « notre malaise dans la civilisation »3. Ses vicissitudes théoriques, ces déviations doctrinales, ses crises institutionnelles, ses variantes culturelles et nationales. Tout cela peut alors devenir à la fois objet et moyen d'analyse sociologique. Mais alors, la véritable épistémologie de la psychanalyse s'articulera au sein d'une riche sociologie de la connaissance et non d'une théorie formalisée de la scientificité propre aux sciences naturelles – appliquée avec bien de la peine, à l'invention de Freud » (P.-H. Castel, 2018).
De la négativité au temps de l’approche capacitaire
Faire de la clinique du monde en son malaise social notre opérateur de connexion me permet de poser une dernière question à notre compagnonnage fraternel. J’ai appris de Georges et de ses amis (Jean-Pierre Pinel notamment) que l’une des caractéristiques de la clinique est d’être un « attracteur de négativité ».
Or, les nouvelles configurations de l’aide et de soin auprès des personnes en situation de vulnérabilité sont traversées par des injonctions - censées être inclusives - à la « désinstitutionnalisation » et indissociablement à la « capacitation ». Dans le champ du travail social comme dans celui de la santé mentale, qu’on parle d’activation, de réhabilitation, de rétablissement, d’empowerment, chez des personnes en situation de grande vulnérabilité (sociale, sanitaire, psychiques, économique, résidentielle…), la souffrance psychique « est désormais une raison d’agir sur des problèmes sociaux, et plus seulement une raison de soigner de la psychopathologie. Ce changement de statut de la souffrance psychique fait de celle-ci un signal de détresse fournissant un levier de l’action. » (Ehrenberg, 2010, p. 110). Dit autrement, on assisterait à une « dépsychopathologisation » des données cliniques (Ravon, 2020) : le sujet de la clinique ne serait donc pas tant à chercher du côté des antécédents psychologiques de la personne que du côté des conséquences des différents processus de détérioration du social et de ses « potentialités cachées » (Ehrenberg, 2022). Les approches cliniques classiques centrées sur l’identification des « déficits »/dysfonctionnements/états limites…, approches chères à « l’enfance inadaptée » feraient place à des approches psychosociales orientées vers la recherche de prises, de ressources, de capacités ignorées ou inexploitées, l’enjeu étant de soutenir des personnes actrices de leur changement et dont les vies précaires, brisées ou diminuées, seraient envisagées, malgré tout, comme étant porteuses de nouvelles capacités d’agir.
Habitué à regarder le versant négatif de la situation, le clinicien doit dorénavant « croire » et « espérer » dans les « forces de la personne ». Comment repenser le statut des pratiques cliniques dans un monde « orienté par les pratiques de rétablissement » ? Au sein de ces nouveaux dispositifs, la relation d’aide a changé radicalement de configuration : elle n’est plus structurée par une intervention spécialisée établie et généralement dyadique (ou intersubjective), mais se déploie en réseau, de manière multiréférentielle et pluridisciplinaire.
« Cette relation s’inscrit dans un ensemble d’interventions successives ou cumulatives, ce qui lui fait perdre sa consistance propre au profit d’une nécessaire articulation globale plaçant chaque intervenant dans la dépendance des autres. Enfin, la situation même s’élargit et se complexifie, car, loin de s’attacher à articuler une situation subjective avec une réponse précédée par les structures d’accueil et de prise en charge, il convient de mettre en place une pluralité d’interventions, calées sur la situation subjective de l’usager et suffisamment souples pour en accompagner les évolutions. Bref, quittant la place très cadrée d’un médiateur intervenant dans un système institutionnel lui-même très stable et univoque, il convient d’opérer au sein d’un ensemble organisationnel complexe et mouvant dont, en principe, l’ordonnateur premier est l’usager lui-même. » (Lafore, 2020)
Dans une telle reconfiguration, la clinique ne saurait être réduite à une psychologie positive au service de l’évaluation de la mobilisation des seules capacités. Parce que les tensions dilemmatiques se démultiplient dès lors que les « personnes concernées » ont leur mot à dire sur l’aide ou le soin qui leur sont proposés, parce que les « potentialités cachées » restent bien souvent introuvables ou inactivables, l’agir demeure particulièrement incertain. Le besoin de réflexivité sur le malaise de notre civilisation n’a peut-être jamais été aussi grand. La clinique est une réponse qu’il faut réinventer. Sa pratique, si elle est partagée et discutée, est plus à même d’épouser les demandes plurielles. En ce sens, la fraternité n’est pas seulement une expérience, mais aussi une ressource.