Editor's notes

Propos recueillis par Frédérik Guinard.

Author's notes

À l’occasion de la parution de L’art de lire ou comment résister à l’adversité chez Belin dans la collection Nouveaux Mondes, Michèle Petit a aimablement accepté de répondre à nos nombreuses questions sur ses recherches sur la lecture, particulièrement dans des milieux éloignés de la culture écrite. Par l’évocation d’expériences littéraires développées en Colombie, en Argentine ou au Brésil, Michèle Petit s’est proposé d’explorer les enjeux de la démocratisation de la lecture et ses apports aux lecteurs dans des contextes politiques, économiques et sociaux très difficiles.

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Canal Psy : Michèle Petit, votre dernier ouvrage, L’art de lire ou comment résister à l’adversité, fait suite à une série de travaux sur la lecture, les livres et ce que vous nommez les « expériences littéraires partagées », comment situez-vous ce présent travail dans votre parcours de recherche ?

Michèle Petit : C’est en 1991 que je me suis embarquée dans ces travaux sur la lecture. J’avais alors un repère théorique : celui fourni par Michel de Certeau qui traçait librement des chemins de traverse entre histoire, anthropologie, psychanalyse, d’autres savoirs encore… À ses yeux, la lecture était un acte méconnu qu’il se refusait à assimiler à une passivité. « Il est toujours bon de se rappeler qu’il ne faut pas prendre les gens pour des idiots », disait-il. Pour lui, les lecteurs n’étaient pas des pages blanches sur lesquelles le texte s’imprimerait. Il insistait sur la dimension d’appropriation à l’œuvre dans cette pratique qu’il qualifiait d’« art du braconnage ». Certeau installait l’anthropologie de la lecture dans l’espace singulier des lecteurs réels, dans leur histoire singulière, alors que la critique littéraire glosait sur « le » lecteur, un lecteur abstrait ; et que le système scolaire, quant à lui, imposait la plupart du temps une lecture et ne voulait rien savoir des liens réellement établis par chacun dans sa lecture subjective.

Dans le sillage de Certeau, ce qui m’intéressait, c’est la façon dont chacun de nous « bricole » avec des livres, détournant quelquefois le sens prescrit ou les usages convenus. Je me suis donc située du côté des lecteurs, en tentant d’être attentive à leurs façons singulières de lire, de s’approprier, de se représenter un livre, un texte écrit, une bibliothèque. Une telle façon de se situer appelait une méthode : l’analyse des expériences singulières, approchées avant tout par l’écoute de ces lecteurs, lors d’entretiens aussi libres, aussi ouverts que possible, notamment aux digressions imprévues.

En France, j’ai alors mené des recherches dans des milieux où lire n’était pas « donné » : en milieu rural, puis dans des quartiers populaires en périphérie urbaine auprès de jeunes qui fréquentaient des bibliothèques. Parallèlement, j’ai lu beaucoup de souvenirs de lecture transcrits par des écrivains. Ce que j’ai pu apprendre, c’est dans une large mesure à tous ces lecteurs que je le dois. Ce sont eux, en particulier, qui m’ont rappelé ces évidences : on ne lit pas pour réussir à l’école ou pour briller dans des salons, on lit avant tout parce qu’on est en quête d’un secret, ou d’un écho de ce qui se passe en soi de façon indicible, ou parce qu’on cherche à donner sens à ce qu’il y a autour de soi. J’ai donc tenté d’approfondir un peu l’analyse de la contribution de la lecture à la mise en forme de l’expérience humaine, à la construction et la reconstruction de soi.

J’ai eu la chance que mon travail soit très bien accueilli en Amérique latine où j’avais vécu dans mon adolescence et où je pensais ne jamais retourner. Les ruses du désir m’y ont ramenée et j’y ai beaucoup voyagé depuis une douzaine d’années. En Colombie, en Argentine, au Brésil, au Mexique, j’ai découvert ces étonnantes expériences littéraires partagées auxquelles vous faisiez allusion, rassemblant des personnes qui ont grandi au plus loin des livres : des jeunes sortis des rangs de la guérilla ou de groupes paramilitaires, des toxicomanes vivant dans la rue, des populations déplacées, des femmes et des bébés dans des situations de grande pauvreté, des enfants maltraités, ou des victimes de catastrophes naturelles, etc.

De très haute date, on avait observé que la lecture aide à résister aux adversités, même dans les contextes les plus terribles, mais la plupart de ceux qui en avaient témoigné avaient baigné dès leur plus jeune âge dans la culture écrite. Analyser ces expériences était une opportunité de voir à quelles conditions la dimension réparatrice de la lecture pouvait fonctionner aussi avec des personnes initialement éloignées de cette culture écrite et qui ont souvent une attitude très ambivalente envers elle ; c’était une opportunité, aussi, d’analyser quelques-uns des processus à l’œuvre, qui sont rarement explicités.

Évidemment, tout travail « scientifique » est une autobiographie déguisée : si je me suis intéressée à ces thématiques, c’est que j’ai moi-même beaucoup puisé dans des livres, depuis l’enfance, pour me construire ou me reconstruire…

C.P. : Au fil des pages, des chapitres, de nombreuses régions du monde sont évoquées, de sorte que L’art de lire bien davantage qu’une invitation au voyage, nous amène à désintellectualiser notre regard sur les pratiques de lecture, à nous décentrer de nos référentiels culturels pour découvrir tantôt du même, tantôt du différent. Sur le terrain, comment vous-même avez-vous travaillé auprès de ces dispositifs pour en transposer aussi bien leur singularité, participiez-vous à tous les groupes de lecture, comment échangiez-vous avec les médiateurs ? Les lecteurs ?

M.P. : À l’origine de ce travail, il y a eu des rencontres avec de très nombreux passeurs culturels – enseignants, bibliothécaires, travailleurs sociaux, écrivains, psychologues… qui m’ont spontanément fait part de leur travail. Comme ils voyaient que je m’y intéressais, ils ont commencé à m’envoyer des comptes rendus d’observations. En effet, nombre d’entre eux mènent en fait des « recherches-actions » et ils consignent dans des registres ou des journaux de bord leurs remarques, leurs étonnements lors du déroulement des séances, ou encore des anecdotes, des petites phrases par lesquelles des participants livrent des indices sur ce qui a été déclenché en eux.

J’ai alors mis à profit chaque voyage que j’effectuais pour réaliser des entretiens approfondis avec des médiateurs qui étaient considérés par leurs pairs comme particulièrement talentueux, pour rassembler d’autres matériaux et visiter quelques groupes de lecture, m’entretenant aussi avec des participants. Mais c’est surtout à ceux qui mettent en œuvre ces expériences que je dois d’avoir pu analyser quelques-uns des processus à l’œuvre, ou expliciter leur art de la médiation. Bien entendu, il est difficile d’être juge et partie. Mais si des gens qui n’entretiennent aucune relation entre eux, qui exercent des métiers différents et ne se réfèrent pas aux mêmes courants de pensée font des observations proches à Bogotá, Téhéran et São Paulo, pourquoi douterais-je de leur rigueur ?

C.P. : Autour de la démarche anthropologique, la diversité de vos références : sociologique, philosophique, psychanalytique, littéraire, journalistique, témoignages, rencontres, expériences personnelles, est impressionnante. Elle donne à entendre une pluralité de langues et d’approches qui enrichissent progressivement votre propos. En quoi cette diversité, cette polyphonie était-elle nécessaire et comment êtes-vous parvenus à la tresser en un ensemble cohérent ?

M.P. : Il me semble que j’ai toujours été rétive à la « discipline », au compartimentage. Avant même de travailler sur la lecture, j’ai toujours eu beaucoup de mal à dissocier la réalité sociale des « êtres particuliers et intelligents » qui la composent, pour parler comme Montesquieu. Bien entendu, ce n’est pas un dogme ou un désintérêt pour les approches « macro » ou les méthodes quantitatives. Les approches à différentes focales se complètent et s’enrichissent. Les unes sont plus appropriées que les autres selon les questions posées ou les temps de la recherche. Selon le tempérament du chercheur, aussi : ma façon de faire, celle dans laquelle je me sens un peu plus de métier, c’est l’approche fine, où l’on est attentif aux singularités, en toute connaissance du contexte, où l’on est curieux de la façon dont chacun est l’artisan de sa vie, même s’il est l’objet de lourds déterminismes familiaux et sociaux. Et c’est évidemment lié au fait que ma formation, personnelle et intellectuelle, a été profondément marquée par la rencontre avec la psychanalyse.

La lecture a d’évidents enjeux très « sociaux » : en particulier, la familiarité avec l’écrit est un facteur décisif du devenir social et, avant cela, du destin scolaire qui conditionne pour une bonne part ce devenir. Du reste, au cours des trente dernières années, en France, la rentabilité scolaire a été au cœur de la plupart des interrogations sur la lecture. La lecture a aussi un autre versant, dont ceux que j’ai écoutés m’ont toujours parlé, de façon spontanée et détaillée : plus encore en temps de crise des repères, elle permet d’élaborer du sens, de construire un autre espace, un autre temps, une autre langue, et, ce faisant, d’ouvrir une marge de manœuvre ; de symboliser une vérité intérieure, secrète, de mettre en forme son expérience, de se découvrir ; et parfois de réparer quelque chose qui a été rompu, dans le rapport à sa propre histoire ou dans la relation à autrui. C’est un objet très complexe et je fais flèche de tout bois pour tenter de le penser un peu. Je ne sais pas si j’arrive à tresser tout cela en un « ensemble cohérent », comme vous le dites généreusement ! Vous savez, la lecture va dans le sens des processus de liaison, elle est propice aux passages, entre corps et psychisme, jour et nuit, passé et présent, dedans et dehors, proche et lointain, présence et absence, inconscient et conscient, raison et émotion, soi et les autres. Elle est peut-être propice à ce tressage.

 

 

C.P. : Plusieurs fois, vous soulignez l’importance et la « force » de la métaphore dans la construction de soi et dans la communication entre les individualités et en même temps, certaines de vos pages, comme par exemple lorsque vous comparez la lecture à la rencontre d’un visage, sont traversées de beauté et de fraîcheur. En quoi la recherche peut-elle être aussi une poétique du quotidien ?

M.P. : Merci ! Oui, comme le dit Jean Malaurie, « Il faut croiser les regards, des plus froidement précis aux plus passionnément poétiques. » Chercher, penser, ne se réduit pas à des techniques de prise ou de captation. Je suis attachée à une façon de faire de la recherche qui, sans jamais se départir d’une rigueur, laisse sa part à la sensibilité, à l’attention aux visages de celles et ceux que l’on rencontre, à leurs paroles, à leurs gestes, à leurs voix. C’est à ces visages, à ces voix, mais aussi aux paysages, au dessin des rues, à la forme des maisons, que j’ai été attentive lors de mes voyages. J’essaye ensuite de restituer cela quand j’écris, je pense beaucoup à celles et ceux que j’ai rencontrés.

C.P. : Dans ce livre, vous dessinez les contours d’un art qui est aussi résistance… et pourtant, il n’est ni question d’« artistes » ou de « combattants » mais de « voyageurs » et de « passeurs ». De quelle frontière parlez-vous lorsque vous évoquez le passage de l’autre côté ? Quelle est la place de l’engagement et du « projet politique » dans votre travail ?

M.P. : Les artistes, ce sont ces passeurs qui font effectivement œuvre de résistance, de créativité quotidienne, dans des contextes très difficiles. J’ai écrit L’art de lire ou comment résister à l’adversité parce que leurs savoir-faire sont méconnus, invisibles. Ils sont pourtant très précieux et ceux qui écrivent l’histoire culturelle des peuples devraient les prendre en compte. Ce qu’ils mettent en œuvre a des effets réparateurs, mais ils entendent travailler à quelque chose de bien plus vaste que le soin, qui est d’ordre culturel, éducatif, social, politique. Ce sont des enseignants, des bibliothécaires, des promoteurs de lecture ou des psychanalystes engagés dans des luttes sociales, pour qui l’accès à la culture écrite, au savoir, à l’information et à la littérature, constitue un droit trop souvent bafoué. Ils ne sont pas naïfs, ils savent qu’ils ne vont pas réparer le monde de ses inégalités ou de ses désordres par la lecture, mais ils espèrent ouvrir une marge de manœuvre, permettre un redéploiement des possibles, tant à un niveau individuel que collectif. Le passage de l’autre côté dont vous parliez, c’est avant tout une sortie des ornières toutes tracées qui mènent droit dans le mur.

Je me sens très proche de ces médiateurs. La curiosité, le besoin de récit, le besoin de mettre en mots ce que l’on vit, l’exigence poétique sont partagés par tous, quelle que soit l’origine sociale. Ce n’est pas une coquetterie de nantis. Il est vital de pouvoir mettre en forme le monde qui nous entoure tout comme nos paysages intérieurs, qui sont souvent ressentis comme inquiétants, chaotiques. Les mots que l’on trouve dans des livres aident à transformer l’étrange en habitable. Plus largement, la culture permet une mise à distance de la souffrance psychique et elle protège un peu de l’angoisse de mort, de séparation.

Ce qui est intéressant, c’est que l’on rencontre cela aussi chez des personnes qui lisent peu : des bribes de récits, des phrases trouvées çà-et-là peuvent permettre cette élaboration de sens qui est si précieuse. Ce n’est pas seulement pour les grands lecteurs que la lecture permet de transformer les chagrins en idées, pour parler comme Proust.

C.P. : Votre introduction sur le monde actuel perçu comme « espace de crise » et « temps de désarroi » est troublant compte tenu de la crise financière avérée qui s’est déclenchée dernièrement… les Américains n’auraient jamais autant lu qu’après la crise de 1929, quelles possibilités ont actuellement les livres et les mots face aux devises et aux lois du marché ?

M.P. : Oui, j’ai écrit cela au cours de l’année 2007-2008, sans savoir qu’allait se déclencher une crise d’une telle ampleur. Apparemment, il se passe actuellement un peu la même chose qu’après la crise de 1929. Si j’en crois un article récent du New York Times, aux États-Unis, la fréquentation des bibliothèques aurait augmenté très rapidement ces derniers mois. En Espagne, comme titrait Le Monde du 27 mars dernier, « C’est la crise : les restaurants ferment, les librairies ouvrent ». En France, la tendance serait la même. Du reste, c’est vrai aussi d’autres pratiques culturelles : Le Monde du 11 janvier titrait en première page : « Films, expos… La culture ne connaît pas la crise » et plus loin : « En période de crise, la culture est un refuge pour les Français ». Cinémas, théâtres, festivals, opéras, expositions auraient connu une croissance des entrées ces derniers mois, et à la fin de l’année, on aurait vendu plus de livres que l’année précédente à la même période.

Ce n’est pas seulement un « refuge ». Beaucoup de gens n’ont pas envie d’être réduits à être adaptés ou inadaptés à un univers productiviste qui, de surcroît, se révèle chaque jour plus absurde.

C.P. : Vous parlez du désir de lire et de la possibilité de le découvrir au travers d’une personne, un « passeur » auquel on s’identifierait ; vous ajoutez aussi que les enfants à qui l’on n’a pas lu de livres ou de contes auraient plus de difficultés à accéder aux pratiques de lecture… en considérant les enjeux actuels de l’apprentissage de la lecture en école primaire en France, ne sommes-nous pas davantage du côté d’une contrainte accablante pour l’enseignant comme pour l’élève, que de celui d’un accès à un « droit » à la littérature et à ses ressources ?

M.P. : Je n’ai jamais travaillé sur l’apprentissage de la lecture, pas plus que je n’ai mené de recherches au sein de l’école. En revanche, ceux que j’ai écoutés m’en ont parlé. Très souvent, ils ont la dent très dure envers l’école dont ils disent qu’elle les aurait dégoûtés de lire. Et il y a probablement une contradiction irrémédiable, ou une très difficile conjonction, entre la dimension clandestine, rebelle, éminemment intime de la lecture pour soi, avec sa forte composante d’appropriation, et les exercices faits en classe. Entre la rêverie d’un enfant construisant un sens et la soumission à la lettre. Entre le plaisir immédiat et la confrontation à des textes difficiles. Et pour le professeur, parfois, entre cœur et raison.

Pourtant, au cours des entretiens, quelque chose m’a frappée : ces jeunes si critiques envers l’école, évoquaient au détour d’une phrase un enseignant qui avait su transmettre sa passion, sa curiosité, son désir de lire, de découvrir. Il avait même quelquefois fait aimer des œuvres difficiles, exigeantes. Aujourd’hui comme en d’autres époques, si l’école a tous les défauts, tel enseignant est doté de l’habileté d’introduire à un autre rapport avec les livres que celui du devoir culturel, de l’obligation austère ; de susciter l’enchantement, mais aussi le besoin de penser, quand il ou elle élabore devant les enfants une pensée vivante, en mouvement, plutôt que d’appliquer une grille.

Il reste que beaucoup d’enfants ou d’adolescents ont une attitude très ambivalente envers la culture écrite, particulièrement dans les milieux les plus exposés aux crises actuelles. Et la lecture les rebute, notamment les garçons qui y voient un « truc de filles » ou de « pédés », associé à l’obligation, l’humiliation, l’échec, l’ennui. Tout comme l’école, les livres sont pour une partie d’entre eux les figures d’une autorité ennemie, voire colonisatrice, qui les exclut : le savoir formalisé et la culture écrite glissent sur eux sans les atteindre. Toutefois, s’ils rejettent les livres et l’écrit, ces garçons pensent qu’il y a là un secret dont ils sont privés. Je me souviens d’un jeune chauffeur de taxi qui m’avait dit : « À l’école, on cognait sur ceux qui aimaient lire. Je crois qu’au fond, c’était de l’envie : on se demandait ce qu’il pouvait bien y avoir dans les livres. »

À cet égard, les expériences littéraires que j’ai analysées m’ont intéressée aussi parce que leurs dispositifs, apparemment très simples, facilitent l’appropriation de la culture écrite dans des milieux qui en étaient initialement éloignés. La plupart de celles que j’ai étudiées se déroulent, à intervalle régulier, dans des espaces de liberté, sans notation ni contrôle, ou du moins sans souci d’une rentabilité scolaire immédiate ou de résultats quantifiables. Leur ambition est culturelle, et non strictement pédagogique ou thérapeutique.

On en revient à cet « art » des médiateurs dont on parlait tout à l’heure. Un art qui est d’abord celui de l’accueil, de l’hospitalité : la disponibilité profonde du médiateur, sa confiance dans les capacités et la créativité de chacun, semblent là décisives. Dans ces lieux collectifs, les rythmes, ou les cultures, ou les appartenances propres aux uns et aux autres sont respectés, et chacun est considéré comme un sujet à qui est témoignée une écoute singulière. Les énoncés des enfants ou des adolescents sont reçus, valorisés, alors que dans un cadre scolaire classique, l’enseignant a plutôt tendance à repérer ce qui ne va pas dans la production orale ou écrite d’un élève. Ces jeunes sont même fréquemment sollicités, et formés, pour devenir à leur tour des passeurs de livres pour d’autres. L’art des médiateurs, c’est aussi une qualité de présence, une capacité à être là avec son corps, son énergie. Ils recourent beaucoup à l’oralité, à la voix qui fait vivre les textes, au regard qui va de l’un à l’autre des participants.

L’art des médiateurs, c’est encore une aptitude à s’interroger sur soi-même : ceux qui sont engagés dans ces programmes ont pensé leur propre parcours, leur propre relation aux livres ; ils observent de façon fine de ce qui se passe pendant les séances, élaborant leur réflexion par l’écriture ou la confrontation avec d’autres qui pratiquent le même art ou travaillent avec une approche différente.

Pour ceux qui grandissent dans des milieux initialement éloignés de la culture écrite, peut-être y a-t-il là un préalable indispensable à tout véritable apprentissage. Et un moyen de réconcilier avec l’écrit ceux pour qui les livres sont les figures d’une autorité ennemie. Ils ne deviendront pas forcément de grands lecteurs, mais les livres ne les rebutent plus, ne les effrayent plus. Ce n’est évidemment pas magique, mais par ce biais l’appropriation de la culture écrite devient quelquefois désirable et elle est facilitée.

Illustrations

References

Bibliographical reference

Michèle Petit and Frédérik Guinard, « Interview de Michèle Petit », Canal Psy, 86 | 2008, 4-6.

Electronic reference

Michèle Petit and Frédérik Guinard, « Interview de Michèle Petit », Canal Psy [Online], 86 | 2008, Online since 02 septembre 2021, connection on 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=555

Authors

Michèle Petit

Anthropologue au Ladyss (CNRS, Université Paris I)

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Frédérik Guinard

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