Pratiques « hors les murs » du psychologue

Les samedis du CRPPC, samedi 14 mars 2009

p. 14-15

Texte

Depuis plusieurs années maintenant, le Centre de Recherche en Psychologie et Psychopathologie clinique (CRPPC) organise des samedis après-midi destinés à penser à partir des pratiques des psychologues et, en particulier, à partir des pratiques émergentes et innovantes de ceux-ci. Il y a là un pari sur l’avenir, une manière de valoriser ces pratiques, en les reconnaissant là où elles pourraient être pensées « impures », mais aussi un projet d’approfondissement.

Pour cette année, A. Ciccone et J-M. Talpin, avec le soutien actif de C. Roos, ont organisé la réflexion autour des pratiques des psychologues « hors les murs » de leur institution d’appartenance. Il a été frappant de constater que ces pratiques concernent de nombreux champs d’exercice des psychologues, de la petite enfance à la fin de vie, en passant par le travail auprès de sujets SDF ou « douloureux ».

Plusieurs dimensions ont caractérisé ce temps d’échanges : au-delà de la diversité des terrains, la convergence des questionnements, en particulier quant au cadre et au dispositif mais aussi quant à la présence insistance d’une sensorialité qu’il convient de rendre « messagère », dans l’observation et l’écoute, ainsi que R. Roussillon y insista lors des discussions.

Globalement ces pratiques « hors les murs », qui commencèrent à apparaître dans les années 1970-1980, n’ont guère fait l’objet de théorisation. À cela, plusieurs explications furent proposées : ces pratiques furent peu mises en avant par ceux qui les pratiquèrent car elles leur paraissaient honteuses, comme « faute de mieux », voire déviantes par rapport au modèle analytique et à la pratique en cabinet. Or ce « faute de mieux » est à comprendre dans la perspective des sujets à rencontrer, de leurs souffrances psychiques, de leurs organisations défensives… De plus, comme elles sont généralement éprouvantes, ceux qui les installèrent les quittèrent lorsqu’ils trouvèrent des postes plus « classiques », ne transmettant alors pas leurs inventions. Enfin, il manqua longtemps des repères théoriques adéquats pour les penser : en effet le modèle névrotique de la castration est inefficace pour penser ces souffrances narcissiques profondes.

En introduction, A. Ciccone ouvrit la problématique en évoquant non seulement le hors les murs de l’institution mais aussi le hors les murs de la théorie (« les théories privées doivent sortir de leurs propres murs »). Puis, le travail s’organisa en suivant les âges de la vie. Alors que les deux premières interventions s’appuyaient sur des pratiques mises en place dans le cadre de recherches, soulignant une dimension importante de la psychologie clinique comme lieu de recherches sur et à partir des pratiques, les deux suivantes présentaient des pratiques issues de dispositifs de soin.

C. Castellani et K. Ninoreille opérèrent pour leur présentation un décentrement. La recherche qu’elles menèrent (dans la cadre d’une équipe plus large) sur les défaillances éducatives graves en appui sur une évaluation (Brunet-Lézine) fut reprise de manière féconde à partir du fait que ces évaluations, doublées d’observations selon la méthode d’E. Bick, étaient faites à domicile. Leur approche, très structurée, fit ressortir différentes dimensions, en dehors de celles concernant strictement la recherche qui n’est pas notre objet ici. Elles soulignèrent d’abord – ce qui revint sous diverses formes dans les présentations suivantes – l’importance, dès lors que l’on est chez l’autre, de se présenter comme un invité, avec ce que cela peut comporter d’aléatoire, voire d’inconfortable : ainsi des lieux où l’on ne sait où se poser, de ceux où l’on est assailli par les odeurs ou les sons, par exemple lorsque la télévision reste en marche, ou encore de l’intervention de personnes extérieures à ce que l’on vient observer, à commencer par la fratrie… C’est dire que là où, en cabinet ou en institution, le psychologue bénéficie d’un cadre épuré, ici il est plongé dans de multiples sollicitations qui sont autant d’informations sur l’enfant, la famille, le cadre et le mode de vie…

G. Charreton et F. Matthieu, tous les deux doctorants au CRPPC, partirent des « psychologues à la rue », ce qui ne manqua pas de résonner en cette période de manifestation, et de la « clinique de l’aller vers ». Par rapport à l’exposé précédant, un pas supplémentaire est franchi dans la mesure où ce n’est plus seulement le psychologue qui est hors les murs (hors de ses murs institutionnels) pour aller entre les murs de l’autre, mais aussi celui qu’il va rencontrer et qui se tient (car ce peut être un choix paradoxal ainsi qu’une illustration clinique le rappela) sans domicile fixe. Dans cette clinique, il s’agit bien d’aller vers un sujet qui a priori ne demande rien, vers un sujet qui se défend de souffrir, d’un sujet que tout réchauffement relationnel met en danger de souffrance de type mélancolique, ce qui entraîne souvent des fuites, des déplacements, mais aussi des décompensations somatiques graves. Cette clinique, qui est une clinique de l’urgence, prend beaucoup en compte le corps somatique comme moteur, ainsi que les objets, ultimes intermédiaires parlant du sujet dès lors qu’il n’a plus d’autre lieu que la rue. Cet exposé fit ressortir avec acuité une autre dimension essentielle des pratiques hors les murs : la tension particulièrement forte entre la dimension professionnelle et la dimension personnelle dans la rencontre, et ceci dès lors que la dimension professionnelle est moins étayée sur le dispositif que sur le cadre interne, un cadre qui, de surcroît, se doit d’être suffisamment souple, suffisamment flottant. Il mit aussi en évidence, et cela fut sensible dans l’exposé suivant, non seulement l’angoisse mais aussi la peur qui peut venir envahir le professionnel : peur à penser, entre réalité externe et réalité psychique, comme élément contre-transférentiel majeur qui informe de ce qui se joue dans certaines situations.

Dans un exposé au plus près de sa pratique de psychologue dans une association participant au dispositif des HAD (hospitalisation à domicile), V. Alloux donna beaucoup à penser en faisant suivre une de ses journées de travail. Après avoir insisté sur le retour du « mourir à la maison », mais dans un autre cadre social et culturel, ce qui rend nécessaire dans bien des cas un accompagnement, elle montra que dans l’HAD c’est véritablement l’hôpital qui s’installe à la maison : ainsi du lit médicalisé, du fax, de tout le matériel médical. Le cadre de vie non seulement du malade mais encore de la famille s’en trouve profondément modifié. Le psychologue, lorsqu’il arrive, est accueilli comme un élément d’un dispositif plus large dont il devra suffisamment se différentier.

Le travail hors les murs suppose une autre dimension, jusqu’alors peu abordée, celle du déplacement. La voiture se révèle alors lieu de contenance, de réassurance, de rêverie, parfois d’élaboration, mais aussi d’angoisses. Qu’elle soit de « service » sert cependant à bien l’inscrire comme « lieu professionnel ».

De plus, l’HAD n’est en principe possible que si un tiers peut être présent auprès du malade, ce qui fait un autre interlocuteur pour le psychologue. Ce tiers, lorsque le malade n’a plus accès à la parole, peut solliciter pour l’autre mais aussi pour lui, au risque parfois de la rivalité de souffrance. Dans cette clinique, plus encore que dans toute autre « on n’a pas plusieurs chances » : si l’on rate la rencontre, le patient ou sa famille ne vous ouvriront plus la porte, et ceci d’autant plus que, quand les enjeux sont de « fin de vie », l’essentiel se joue.

C’est aussi ce qu’a souligné C. Marin à propos de sa pratique de psychologue en unité mobile de soins palliatifs. Ce qui frappa le plus dans sa présentation fut son extrême sensibilité dans cette clinique de la fin de vie. Les maîtres mots de sa présentation furent l’absurde auquel le sujet est confronté, l’humilité du soignant et l’authenticité de la présence, manière de reprendre cette tension entre le professionnel et le personnel présente tout au long de cette après-midi qui déborda largement son cadre horaire. Mais elle souligna aussi que, dans les unités mobiles, le premier interlocuteur est le service dans lequel le psychologue intervient. Dès lors il intervient « sous condition », « sous autorisation » et du service et, bien entendu, du patient.

Cette présentation permit d’aborder, mais cela resterait à approfondir, peut-être au cours d’une prochaine journée en 2010, cette pratique dans les murs de l’hôpital mais sans service localisé, pratique qui se développe de plus en plus avec les unités mobiles, qu’elles soient de soin palliatif, de prise en charge de la douleur, d’alcoologie, de toxicomanie (addiction), de psychiatrie de liaison…

Pour conclure, J-M. Talpin souligna les convergences de questions soulevées par ces pratiques, le besoin de les théoriser plus avant afin d’en faciliter la transmission. Il souligna aussi que cette demi-journée ne faisait qu’ouvrir un chantier autrement vaste, celui de la prise en compte de pratiques innovantes et encore peu étayées sur des élaborations partageables… Une affaire à suivre donc, et ce d’autant plus que les étudiants de M2 Pro et les professionnels furent plus d’une centaine au rendez-vous d’un après-midi ensoleillé.

Citer cet article

Référence papier

  Canal Psy, « Pratiques « hors les murs » du psychologue », Canal Psy, 86 | 2008, 14-15.

Référence électronique

  Canal Psy, « Pratiques « hors les murs » du psychologue », Canal Psy [En ligne], 86 | 2008, mis en ligne le 06 juillet 2021, consulté le 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=565

Auteur

  Canal Psy

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