Jirô Taniguchi, Quartier lointain

p. 15

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Jirô Taniguchi, Quartier lointain

Texte

Hiroshi1, 48 ans, marié, père de famille aigri et usé, est en voyage d’affaires. Il prend par erreur le train en direction de sa province natale au lieu de celui qui le ramène chez lui, à Tokyo. Le village où il a grandi s’est métamorphosé… il ne reconnaît rien, mais ses pas le mènent vers le cimetière où il va rendre hommage à la mémoire de sa mère. Il s’assoupit.

Quand il se réveille, tout a changé, son corps est redevenu celui d’un adolescent, le village a repris les contours de ses souvenirs, sa famille est là, au grand complet, sa sœur, sa grand-mère, son père et… sa mère.

Revivre son enfance ? Après un premier temps d’incompréhension, Hiroshi retrouve et redécouvre avec nostalgie son quotidien d’alors : les cours de mathématiques, l’athlétisme, les repas de famille, les copains…

Chaque scène où cet homme d’âge mûr revit en la modifiant une situation de son enfance est un régal, mais la jubilation, pour Hiroshi et pour le lecteur, fait place aussitôt à l’émergence de sentiments ambigus qui entremêlent les émotions d’un adolescent de 14 ans et le regard porté sur elles, d’un adulte désenchanté.

Hiroshi, face à cette existence qu’il croyait perdue, se retrouve contraint à des questionnements qui le rendent plus mature, à la fois dans sa peau de jeune homme aux yeux de sa famille : ses parents le trouvent plus sérieux, moins insouciant, et à la fois au regard de son âme d’homme adulte : en coulisse de cette vie familiale si familière, Hiroshi, plus attentif et clairvoyant que l’adolescent qu’il a été, découvre peu à peu les fragilités, les rêves et les secrets insoupçonnés de ses parents et prend conscience de ses propres contradictions et souffrances jusqu’à faire une trêve avec lui-même. Se pardonner de ne pas être lui-même un père proche et attentif à sa propre famille.

Quartier lointain, paru il y a déjà 5 ans, sous le pinceau de Jirô Taniguchi, nous propose l’histoire improbable d’une introspection in vivo et in situ. Avec simplicité et avec sincérité, l’auteur nous entraîne au plus près de la complexité d’un personnage très crédible, très humain, auquel on s’identifie singulièrement…

Le trait de Taniguchi, « le plus européen des mangakas », sait s’effacer au profit d’une narration soignée. La précision des paysages, qui rappelle celle de la ligne claire hergéenne, nous permet l’immersion dans le Japon des années 1970, tout en nous faisant partager la soif de savoir d’Hiroshi pour qui le monde de son enfance est une sorte d’énigme à décrypter dont chaque détail est important. En 2003, Quartier lointain a obtenu l’Alph’art du meilleur scénario étranger à Angoulême et le prix de la meilleure BD adaptable au cinéma au Forum international Cinéma & Littérature de Monaco.

Notes

1 Le mot japonais Manga est composé de ga (画), « dessin », « estampe » et man (漫), « involontaire », « exagéré », ainsi qu’« au fil de l’idée ». « Image malhabile », « esquisse libre », « dessin outrancier », le manga s’offre comme support de fixation de l’émotion. Longtemps associé aux dessins animés jeunesse de la moitié des années 80 et 90, il est à présent reconnu comme une forme respectable et très prolifique de l’art dessiné.

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Référence papier

Frédérik Guinard, « Jirô Taniguchi, Quartier lointain », Canal Psy, 86 | 2008, 15.

Référence électronique

Frédérik Guinard, « Jirô Taniguchi, Quartier lointain », Canal Psy [En ligne], 86 | 2008, mis en ligne le 21 avril 2021, consulté le 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=569

Auteur

Frédérik Guinard

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