Notre discipline serait-elle particulièrement féminine, ou en voie de féminisation ? La question se pose effectivement, lorsqu’on se promène dans les couloirs de notre institut.
Division sexuelle du travail et couloirs de verre
Première remarque, c’est d’abord à Lyon 2, plus que simplement en psychologie, que la présence des femmes est massive : elles sont nombreuses surtout dans le public étudiant (71 %). Il faut d’abord y voir l’effet d’une division sexuelle du travail encore déterminante dans les orientations que choisissent les femmes. C’est la « fausse réussite scolaire des filles » : bien qu’elles réussissent mieux dans le secondaire, les filles, sauf exception, ne choisissent pas les filières les plus valorisées (Baudelot et Establet, 1992). Donc, si elles sont ici, c’est qu’elles sont moins nombreuses (une petite moitié) à Lyon 1, en sciences « dures ». Et même au sein de notre université, on peut encore constater l’existence de couloirs de verre qui s’analysent de la même façon : les femmes sont surreprésentées1 en sciences humaines et sociales (74 %), lettres (76 %) et langues (78 %), les hommes en droit, sciences politiques et AES (36 % des étudiants), et surtout en économie et gestion où ils atteignent le taux de 59 %…
Il n’en est pas moins vrai que les étudiantes sont encore plus nombreuses en psychologie2, et de façon très significative : 84 % en 1998, 86 % en 2005, c’est donc plutôt stable, malgré une tendance à l’augmentation. Si l’on poursuit le raisonnement concernant la « fausse réussite scolaire des filles », on doit en conclure que notre discipline serait encore moins valorisée que les autres sciences « souples »… d’un autre point de vue, moins pessimiste, la psychologie et les métiers auxquels elle conduit3 appartiennent clairement au domaine du care, l’activité consistant à prendre soin de l’autre et des liens interpersonnels, qui représente, selon la psychodynamique du travail, la caractéristique essentielle de la féminité au travail (Molinier, 2002). Et l’on sait aussi à quel point la socialisation des filles, dès le très jeune âge, les encourage à développer des aptitudes propices à cette orientation. Un seul exemple : pendant la première année de l’enfant, les deux parents, mais surtout la mère, vocalisent davantage avec leurs filles, et le contenu de leur discours est davantage centré sur la relation elle-même, alors qu’avec leurs fils, il porte plus sur l’environnement… (Le Maner-Idrissi, 1997).
Dans ce tableau, les étudiants en reprise d’études se distinguent : en FPP, on ne trouve « que » 72 % de femmes, alors que ces étudiants exercent des professions notoirement très féminines : un tiers (34,4 %) travaillent dans « le social » (éducateurs, assistants sociaux, etc.), plus d’un quart (27,9 %) dans le secteur de la santé (dont une bonne moitié d’infirmières), et 14 % sont enseignants.
Inégalité des sexes et plafonds de verre
On constate aussi, très classiquement, l’existence de plafonds de verre sexués à Lyon 2. On a vu que les femmes, à Lyon 2, sont particulièrement présentes parmi les étudiants. On les trouve nombreuses aussi dans le personnel IATOS (74 %), nettement moins dans le personnel enseignant où les hommes sont au contraire fortement surreprésentés (39 % de femmes), surtout au grade le plus élevé, celui de professeur (21,6 % de femmes), un peu moins au niveau des maîtres de conférence (45,9 % de femmes). Dans ce domaine, l’Institut de Psychologie ne se distingue nullement avec 35 hommes pour 22 femmes, sachant que la moitié des maîtres de conférences et moins d’un quart des professeurs sont des femmes… On retrouve d’ailleurs, dans une moindre mesure, le même phénomène chez les IATOS : les femmes sont surreprésentées en catégorie B (79 %) et C (76 %), les hommes en catégorie A (65 % de femmes). Pour résumer, nous avons une très classique statistique en ciseaux : des femmes étudiantes, des hommes professeurs.
Pour les étudiantes, lorsqu’on prend en compte toute la population de l’université, le plafond de verre se situe nettement en Master : elles sont encore un peu surreprésentées en M1 (73,5 %), mais elles sont nettement sous-représentées en M2 (en 2004, 63,2 % en M2Pro, 58,5 % en M2R). La situation est un peu différente en psychologie : en 2004, on trouve 87 % de femmes en licence et master, 70 % en doctorat, c’est donc à ce niveau seulement qu’une sur représentation masculine se met en place. Le détail du Master est parlant : 88,4 % de femmes en M1, 85,6 % en M2Pro et 71,3 % en M2R. l’essentiel est donc l’écart entre M2Pro et M2R, qui traduit soit la préférence des filles pour la professionnalisation et des pratiques concrètes, soit leur réticence à s’engager dans un parcours vraiment long et hautement concurrentiel. Elle annonce aussi la proportion d’hommes dans le corps enseignant.
Alors, où est le problème ?
Si l’on s’intéresse à l’égalité sociale entre hommes et femmes, la forte présence des femmes en psychologie est plutôt à analyser comme une conséquence, parmi bien d’autres, d’une inégalité persistante et des fonctionnements qu’elle détermine. En outre, on voit que même à l’intérieur de cette discipline si féminine, les parcours des hommes et des femmes ne sont pas identiques. Une étude plus détaillée des parcours biographiques et de l’interprétation que s’en font les sujets reste à faire, pour mieux comprendre les mécanismes et processus qui sous-tendent ces écarts, sachant que le traditionnel argument de la maternité ne saurait suffire à tout expliquer.
Plus largement, il faudrait sans doute se demander quels sont les effets en profondeur de la tendance sociétale qui confie aux femmes l’essentiel de la fonction du care… Mais c’est une autre question !