Vous avez dit prévention ?

p. 2

Plan

Texte

Il y a du remue-ménage dans les milieux professionnels de la petite enfance et même bien au-delà ! La pétition « Pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans » a rassemblé plus de 185 000 signatures. Une initiative en banlieue parisienne de pédiatres de PMI, de psychologues, avec le relais de pédopsychiatres, de psychanalystes, d’universitaires, etc. La conjonction de deux phénomènes : 1) la parution du rapport de l’INSERM sur les Troubles des conduites chez l’enfant et l’adolescent et 2) le projet de loi sur la prévention de la délinquance. Un livre, un colloque ce 17 juin, des négociations ininterrompues avec les instances dirigeantes… Tout ceci pour des problèmes de prévention, je m’attarderais sur ce point, il concerne tout particulièrement les psychologues cliniciens et leur implication, légitimation et orientation sur plus d’un terrain, petite enfance ou autre.

Rapport « scientiste » et négation de la réalité psychique

Le problème n’est pas nouveau, le rapport sur l’évaluation des psychothérapies portait déjà cette marque. Dans ce rapport qui fait suite à celui sur la santé mentale, les experts persistent à ne privilégier que la littérature « dite internationale », le DSM IV bien sûr mais avec tout l’esprit méthodologique qu’il induit : des troubles de conduites définis (comme l’hyperactivité) par une série de critères très « factuels » (nombre de conduites agressives, transgressives, fraudes, vols…) ; des rapprochements linéaires – un même comportement à 3 ou 13 ans aurait-il le même sens ; une multiplicité de facteurs, génétiques, sociaux, psychologiques sans liens entre eux ; une confusion entre « facteur de vulnérabilité » et « causalité ».

La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, leurs « recommandations » : programme de prévention parachuté sur le système sanitaire français sans aucune étude de celui-ci, pharmacologie en dessous de 6 ans (cf. Ritaline) et un dépistage à 3 ans de ces conduites ! Stigmatisation des enfants, risque de dévoiement des attitudes préventives sans parler du caractère douteux du rapprochement. Prévenir n’est pas prédire !

Cette option médicale et biologisante est sévèrement critiquée, la santé publique est un « fait social » (Ehrenberg). Le « fait psychique », celui d’une réalité psychique qui ne se découpe pas à priori en éléments discrets comme les comportements, n’a pas droit de cité (lors d’une précédente étude des experts attachés à une approche psychodynamique ont démissionné).

Loi sécuritaire, amalgames et projet de société

Pour certains politiques quoi de plus « claire » qu’une telle réduction : en médicalisant le comportement, on en fait une maladie, que l’on pourrait prédire. Le projet de loi sur la prévention de la délinquance voulait demander aux médecins de PMI d’inscrire sur le carnet de santé à 36 mois les signes de ces troubles (à côté des vaccinations ?). Perspective assez ahurissante, qui s’inscrit dans une série de lois sécuritaires où la séparation des pouvoirs, base de la démocratie, est mise à mal. Pour la loi sur la protection de l’enfance le problème reste entier, le secret professionnel devrait être levé pour le maire, qui aurait aussi le droit de retirer les prestations familiales pour certaines familles… (Althusser parlait « d’appareil idéologique d’état », M. Foucault de « biopouvoir », pour E. Renault le néolibéralisme s’appuie sur un amalgame entre le politique et la morale).

Prévenir, prédiction, dépistage ou prévenance ?

Comment travailler avec des souffrances encore très diffuses ? Sur le fond, les problèmes de prévention sont récurrents. Dans les années 1970, le projet GAMIN visait à repérer les familles à risques à partir d’indicateurs (âge du parent, origine étrangère, etc.). On parle actuellement de noter des signes sur le carnet de santé pour une aide au dépistage de l’autisme (réseau Préault). Il y a une contraction entre le « dépistage » (adapté au somatique mais autrement discutable) et la « prévenance », permettre aux praticiens d’avoir des repères (et un cadre de travail) pour travailler là où leurs interventions sont nécessaires. Non à la prévention-prédiction, mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain ! La « neutralité » à priori du psy est une illusion, une indifférence, cette position se conquiert au contraire par un engagement transférentiel. Les psys ont d’ailleurs fait leurs preuves dans une prévention « ouverte et humaine » (cf. l’A.NA.Psy.pe).

Le problème est mal posé, en prévention, en périnatalité, dans la petite enfance, dans le secteur de l’enfance en danger, pour les parents en difficultés, l’enjeu, c’est le décodage de la souffrance ! Ce qui pose problème, c’est l’ajustement de nos cadres de pensée (et dispositifs) à un terrain qui ne fonctionne pas avec les repères plus connus de l’entretien, de la demande et de l’indication de soin. Comment travailler quand la souffrance ne passe pas par une adresse à l’autre ?

Pour dépasser ces ambiguïtés, les travaux sur les groupes, les institutions et les niveaux très primitifs de la symbolisation peuvent nous aider à envisager « la précarité psychique », les effets intersubjectifs de souffrances non encore figurées sous la forme d’un symptôme plus organisé. Les psys qui travaillent dans ce domaine apprennent à faire face, en équipe, à ce paradoxe de la demande.

Bibliographie

Le collectif « Pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans ! », 2006, Érès, 10.

Dugnat M. (ed.) (2004), Prévention précoce, parentalité et périnatalité, Toulouse, Érès.

Ehrenberg A., « Malaise dans l’évaluation de la santé mentale », Esprit, mai 2006.

Neuropsychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, 1, 2006.

Renault E. (2004), Mépris social. Éthique et politique de la reconnaissance, édition du Passant.

Citer cet article

Référence papier

Denis Mellier, « Vous avez dit prévention ? », Canal Psy, 73 | 2006, 2.

Référence électronique

Denis Mellier, « Vous avez dit prévention ? », Canal Psy [En ligne], 73 | 2006, mis en ligne le 16 septembre 2021, consulté le 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=774

Auteur

Denis Mellier

Psychologue clinicien, maître de conférences, HDR

Autres ressources du même auteur

  • IDREF
  • ORCID
  • HAL
  • ISNI
  • BNF

Articles du même auteur

Droits d'auteur

CC BY 4.0