Le collage : décollage du sujet ?

DOI : 10.35562/canalpsy.855

p. 7-10

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Le collage est d’abord une pratique artistique. Il consiste en un assemblage d’éléments disparates, voire hétérogènes (morceaux de papiers, d’images, d’objets, peinture, dessin). L’image ainsi constituée crée un nouvel ordre signifiant qui renvoie à la fois au fond de réalité d’où proviennent les extraits et à autre chose que cette réalité par la transformation de ces fragments en éléments figurants autre chose qu’eux-mêmes, dès lors qu’ils prennent place dans ce nouvel ensemble. Le collage emprunte ses matériaux à la réalité extérieure mais il lui rend bien autre chose : la création d’une image reflet d’une réalité intérieure.

La pratique artistique contemporaine du collage survient en 1912 avec les « papiers collés » de Braque et Picasso comme une « autocritique » (L. Aragon) de la vision éclatée de l’objet selon le cubisme analytique. Ils vont introduire dans le tableau un fragment de la réalité qui représente autre chose que ce qu’il est : du papier peint industriel en faux bois pour Braque et de la toile cirée figurant un cannage dans « Nature morte à la chaise cannée » de Picasso. Après la quête cubiste centrée sur la vision de l’image, les papiers collés questionnent autrement les rapports image-réalité. Ils inaugurent une ouverture dans le monde de la représentation picturale par l’irruption d’un morceau de « chose » issu de la réalité triviale qui devient une image. Ils rompent à la fois avec la noblesse et l’unicité du matériau peinture et avec l’unité de la représentation. Ce déchirement bouscule les frontières entre l’art et la vie, entre l’imaginaire et le réel. Schwitters fera du collage un art de vivre pour « construire un monde nouveau avec des déchets » dans le contexte de l’après-guerre de 14-18. Il nomme ses collages « Merz », coupure de « kom-merzbank », ne gardant que la racine qui renvoie à merc-, mark-, marché : l’échange.

Max Ernst, exposé en 1919, fera du « détournement d’images » en extrayant des illustrations de catalogues, de romans, en les combinant entre elles de manière à créer une combinaison improbable qui nous projette dans le fantastique, expérience d’étrangeté.

Les surréalistes vont s’en saisir comme pratique emblématique au même titre que les cadavres-exquis avec les mots. Le collage sera une modalité de quête de l’irrationnel dans la droite ligne de ce que Lautréamont avait proposé de « beau comme la rencontre fortuite d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table de dissection ». Le fantastique moderne vient battre en brèche les valeurs dominantes dans l’art, la morale ou la politique se présentant comme système clos.

À la suite de l’influence Dada, le collage prendra aussi la forme du « photomontage » comme détournement combinatoire de photos au service d’une protestation politique et d’une appropriation de la photographie pour en dénoncer les limites. Il s’agit, dans les années 30, de participer à l’avènement d’un autre regard sur la réalité sociale, politique et artistique. L’utilisation de fragments d’images photographiques issues des mass-média pour créer une nouvelle image critique, fait de l’art le lieu d’une « subjectivité plurielle » refusant les « absolus esthétiques » (Michaux). Le collage est au service d’un décalage, décollage, par rapport à la réalité environnante. C’est une pratique de brouillage des pistes, esthétique du déplacement, du dépaysement qui brise les frontières du convenu et du convenable, bricole dans les chemins de traverse, processus combinatoire reposant sur un principe d’altérité. La composition complexe oblige l’œil à voyager et à reconstruire un puzzle. La polysémie de chaque élément, lorsqu’il est placé parmi d’autres, oblige à une lecture ouverte, nouvelle activité créatrice. Le regardant est invité à parcourir à son tour le cheminement du processus de production du collage.

Dans l’Atelier Collages du service de soins psychiatriques, les matériaux divers proviennent de l’institution (instruments de base), des animateurs ou des participants : cartons, emballages, papiers divers, revues variées sont donc déjà le fruit d’un travail de glanage, de récupération, de rapine. Cette extraction leur confère un statut de matériau pour une symbolisation ultérieure. Chacun apporte sa part de butin qui constituera le fond commun, un déjà-là pour les participants. Certains objets sont des « trouvés-créés » par l’un des participants, porteurs donc d’une histoire qu’il est nécessaire aux autres d’oublier pour n’être qu’un « médium malléable » à disposition. Ils sont « des témoins par quoi se révèlent les accroissements des fissures dans les murailles » (L. Aragon). Le collage nous met d’emblée au cœur du paradoxe de la « représentation avec les choses » : chose représentante et représentation de chose. Par exemple le quotidien est représenté par le mot journal dans des papiers collés de Picasso et le quotidien est présent dans un extrait d’article de presse ; le quotidien est présent à plus d’un titre. Les matériaux sont là pour, et seulement pour symboliser (R. Roussillon).

À l’intérieur de l’atelier se reproduit ce travail de glanage parmi les matériaux proposés : « explorez, laissez-vous inspirer par ce qui vous touche ». Invitation à se laisser impressionner visuellement : investissement de la vision dans un regard qui distingue « ce qui me regarde » (J. Lacan), et du toucher dans la rencontre avec les objets qui met ainsi en jeu une expérience sensorimotrice par leur manipulation. L’enjeu est de taille : il s’agit de tailler dans la multitude, dans le trop-plein d’excitation, de fragmenter l’arrière-fond de la vision pour en détacher un morceau pour soi. Pour trouver une image, il faut trouer le monde des images déjà-là. Le passage obligé par le trou correspond à ce qu’a développé Guy Lavallée comme travail de l’hallucination négative, de négativation : la constitution de la psyché s’opère en se détachant du fond envahissant, totalité originelle. Jean Guillaumin repère la Verneinung comme première différenciation.

Pendant de nombreuses semaines M. K. vient à l’Atelier Collages collé à M. S., un autre patient. Il feuillette sans pouvoir s’arrêter, sans rien pouvoir distinguer, tourne les pages comme pour s’étourdir et se brouiller la vue. Je viens m’asseoir à côté de lui. Il s’arrête sur une image de monstre, une sorte de dragon vert, puis poursuit son errance ; je souligne l’arrêt sur image de M. K., questionne son amorce de choix et les choix de M. S., M. K. aurait bien aimé une image prise par M. S., il ne peut encore reconnaître sa propre sensibilité. Je lui rappelle la consigne « prenez les images qui vous touchent ». Le feuilletage continue. L’image du monstre repasse, son regard s’y attarde un peu, je lui demande si elle l’intéresse : « Bof ! », et il feuillette encore. Je vais moi-même rencontrer dans mon feuilletage un monstre, puis un bébé dormant sur un énorme nounours blanc. Je compose un collage : le bébé dort sur son nounours, au-dessus de lui passe le monstre, tentant ainsi de mettre en image ce que je perçois de ce qui est peut-être en jeu pour M. K. : ne rien voir, ne rien sentir en apparence. J’en parlerai en termes de rêve, peut-être de cauchemar, « on ne sait pas si ça l’empêche de dormir ». M. K. n’avait pas encore pu reconnaître son attrait pour cette image, se l’approprier. Peut-être en était-il resté sidéré, ne pouvant la détacher de la revue, comme ne pouvant se détacher d’elle, restant attaché à un monde originel clos où aucune trouée individuante n’était possible. Pour commencer un collage, il faut pouvoir supporter de briser le Tout de la revue. M. K. s’était montré en panne de subjectivation. Il commencera à regarder autrement les images, avec de longues pauses au cours des séances suivantes. Peu après, au moment où je quitte l’unité de soins, il m’appelle : « Monsieur, Monsieur, j’ai des angoisses », première expression verbale pour faire reconnaître un affect brut, première adresse à un autre d’un vécu en quête de contenance, premier « je » s’affirmant sujet d’un éprouvé au regard d’un autre.

Le choix de l’image opère comme première distinction dans une « tension narcissique » reconnue par Jean Broustra, « qui se détend dans un double mouvement qui est prédation, pulsion d’emprise, et ensuite partage du butin jusqu’à un hypothétique rééquilibrage hanté par les trous que ça peut laisser ». Jean Guillaumin situe le processus de subjectivation dans la Verneinung comme dégagement de l’objet primaire. Ce qui semblait encore inaccessible à M. K. c’est bien que toute prise subjective est déprise, amenant ainsi à revivre les angoisses de séparation, et leur lien avec les pulsions agressives. Le geste inaugural du collage est un vol d’image sur fond de magma originel.

La consigne dans l’Atelier Collages est de « choisir au moins deux images ». Le choix d’une image unique peut témoigner de l’envahissement du champ de conscience, de la sidération par une image qui s’impose. Le multiple témoignerait d’un travail de liaison au moins dans le glissement métonymique d’une image à l’autre, d’un minimum de déplacement entre les images comme figuration d’un travail psychique d’association d’images. C’est dans l’espace de la représentation, sur le terrain de jeu du visuel que se spatialise le monde interne : il s’imaginarise sur une « exotopique » selon Jean Guillaumin. Ce monde interne peut ainsi se présenter comme un monde figé, « catalogique », ou dynamique, figurant les mouvements affectifs régis par la logique de la satisfaction. Ce sont les rapports d’espace des images qui rendent compte de cette dynamique, accessible aussi avec le contenu des images.

Des images multiples peuvent être disposées à la manière d’un catalogue sur le fond blanc de la feuille, mais on peut voir dans une disposition « froide » que le blanc les sépare, manifestant un « blanchiment » des liens possibles d’image à image. Comme les vécus de vide peuvent être du vidage actif, le blanc est une séparation active qui tient les images à distance les unes des autres : dispersion, éclatement, morcellement, diffraction, juxtaposition, isolation, autant de mécanismes de défense sur le mode de la non-liaison, pour maintenir des représentations clivées les unes des autres, ou pour maintenir la représentation clivée de l’affect qui pourrait y être lié.

M. A. a été hospitalisé d’office dans un état de déserrance psychique, au point qu’il ne pouvait se nommer, d’errance sociale, seul perdu au fond d’un squatte, et de délabrement physique qui le faisaient être éprouvé par l’équipe comme presque mort. Après un travail progressif de nursing, d’apprivoisement, puis de soutien, il accède à l’Atelier Collages où, silencieux et solitaire, il colle quelques images sur une feuille blanche, puis quitte l’atelier. Il consentira peu à peu à rester au temps de parole et de présentation des collages, mais part dès qu’il a montré le sien, disant seulement qu’il a choisi ces images « parce que c’est beau », sans pouvoir en nommer ni décrire le contenu. Ce n’est que plus tard que nous lui nommerons des paysages, des lieux, des monuments, jusqu’à ce que, me souvenant des informations sur son histoire partagées en équipe, je lui demande s’il reconnaît quelque lieu dans les images collées. Il répondra d’abord négativement, puis choisira des images représentant des lieux où il avait vécu, des objets liés à son métier, quittés plusieurs années auparavant à la suite d’une grave décompensation. C’est seulement après cela qu’il pourra dire « je connais, j’y ai vécu, j’ai été artisan… ». Plus tard il choisira des images dont il me demandera « vous les aimez celles-là ? ». Ses compositions ont presque toujours été organisées sur le mode de la juxtaposition d’images qu’il nomme, puis décrit séparément. Ces petits bouts de vie apparaissent, émergeant progressivement du blanc de la feuille comme les résurgences d’un naufrage remontant à la surface, difficilement identifiables pour qui ne sait de quel bateau peut se retracer ainsi l’histoire. Histoire de naufrages dans sa vie, de ruptures familiales traversées de conflits historico-géographico-politico-religieux qui l’ont laissé hors temps, hors là, hors de lui-même. Il tentera de nous les faire imaginer en en livrant quelques bribes complétées et remises en histoire par sa famille, retrouvée mais toujours dispersée à travers le monde. On peut donc dire que ce qui est mis en espace dans le collage, donné à voir et à entendre par M. A., c’est sa mise à distance de morceaux d’espace comme autant de clivages de morceaux d’expériences de séparation, d’isolement insupportable. Cela nous amène à penser que ce qu’il met spécifiquement en travail, dans le collage, ce serait la représentation de ses modalités de vécu de séparation.

M. C. est à nouveau hospitalisé à quelque temps du décès de sa mère, avec qui il vivait. Pendant de nombreuses semaines il ne peut retourner chez lui-chez elle. Il vient régulièrement à l’atelier où il ne va chercher des images que dans une boîte contenant une « réserve » d’images qui ont déjà été extraites des revues, mais non encore utilisées. « Qu’avez-vous encore dans votre poubelle ? ». Il apporte aussi des feuilles mortes, des papiers d’emballage de cigarettes, de chocolat, des pots de yaourt… qu’il tente d’assembler dans des collages où la place de l’image parmi les objets est problématique. Comme s’il représentait un va-et-vient difficile entre lui et le monde du déjà-là, entre prendre et jeter, comme il peine à réinvestir pour lui ou désinvestir la maison de sa mère. Lors d’une permission il rapportera des magazines de mode dont se servait sa mère et dont il collera quelques images, en précisant leur caractère désuet « c’est trop vieux pour vous » mais attachant. Il reviendra aussi un jour avec un sac rempli de coquilles d’escargots : « vous au moins ici, vous saurez quoi en faire ». Il demande à l’atelier de fonctionner comme appareil (psychique) de traitement des déchets, indices de la présence envahissante de sa mère morte dans cette maison : deuil, mise à mort impossible (alors que pendant des années il avait fait imaginer aux soignants qu’il pourrait tuer sa mère). Donner aux coquilles d’escargots un nouveau statut signifiant, pour pouvoir les décontaminer de leur signifié concret (dépendance orale à la mère), tel semblait être son projet. Les coquilles d’escargots prendront place aux quatre coins de son collage où se mêlent images de la réserve de l’atelier et papiers de ses paquets de cigarettes. Dans le temps de parole, il pourra ensuite formuler son attachement à sa mère, son deuil impossible, son désir d’habiter un ailleurs… qu’il situera en face de l’hôpital, coquille inséparable.

Si Braque et Picasso ont eu besoin d’intégrer un morceau de matière banale autour duquel se réorganise la représentation figurative, c’est au moment où le cubisme analytique fait éclater la référence à un objet par diffraction de la vision, et où menace l’abstraction. « C’est autour de l’objet directement emprunté au monde extérieur qui lui donnait une certitude que le peintre établissait les rapports entre les diverses parties de son tableau. » (L. Aragon.) Cela nous éclaire sur ce qui se joue spécifiquement dans la pratique du collage. M. C. encadre son collage des coquilles d’escargots devenues « autre chose », selon ses vœux, et comme produit de la magie transformatrice de l’atelier. Au moment où l’image de sa mère vacille en lui, va-t-il pouvoir la faire exister en lui comme image de l’aimée perdue, ou devoir rester un adorateur/meurtrier de cette icône ? Il rapporte des fragments de sa réalité à elle pour qu’ils éclairent la signification à l’œuvre dans son travail de collage. Il utilise le collage comme figuration de ses mouvements de destruction/construction, détachement/adhésion. Ses éléments doivent d’abord avoir été détachés, extraits du quotidien maternel qu’ils sont chargés de rendre présents, tout en les qualifiant à la fois de désuets et d’attachants, comme il doit nommer « poubelle » la réserve d’images de l’atelier. Opération mentale de dévalorisation accompagnant le geste de séparation-préhension. Ce prélèvement d’un morceau, partie pour le tout, va être traité par lui comme tentative de mise en représentation du travail de séparation, animé des mouvements pulsionnels archaïques qu’il tente d’inscrire dans une forme symbolisante. Destructivité à l’œuvre dans le travail de construction de l’image, il avait, antérieurement à la mort de sa mère, confectionné avec une excitation jubilatoire un collage iconoclaste sur la reine d’Angleterre. Il nous montre que pour pouvoir faire le deuil de sa mère omniprésente, il a besoin d’en fragmenter l’image en passant par des objets intermédiaires, ces « objets présentés par la mère » (D. W. Winnicott).

Ce travail de fragmentation de l’image (de la mère- Toute) est une modalité de travail psychique de séparation qui suppose la destructivité comme force de détachement. C’est ce que peut mettre en œuvre le travail de collage comme jeu de prise d’images plurielles pour se déprendre de l’emprise maternelle présente dans l’image unique, image-Toute ou dans l’arrière-fond qui ne peut être troué (M. K). M. C. ne pouvait – à ce moment-là – prendre que des objets abandonnés. Son attachement aux objets récupérés et sauvés de la mort en leur donnant une nouvelle vie dans ses collages, signe sa difficulté à accéder à un travail de symbolisation secondaire. Il nous montre un travail de « symbolisation en acte » (R. Roussillon) de la séparation impossible et de la destructivité à l’œuvre.

La particularité du travail de collage comme modalité de représentation, c’est l’utilisation de fragments d’objets, de papiers ou d’images. On peut dire qu’il s’agit d’un étayage sur la réalité extérieure pour pouvoir représenter une réalité intérieure marquée par l’absence de l’image intériorisée de l’objet perdu. C’est bien d’absence de l’image interne de l’absence de l’objet dont il s’agit : le désert ou l’omniprésence réelle ne produisent d’images ni de la présence ni de l’absence de l’objet. L’arrière-fond des matériaux proposés est constitué comme arrière-fond maternel sur lequel se re-jouent prise et déprise, séparation du Tout originel. La multiplicité des images différenciées et leur jeu de positionnement dans la composition témoignent d’une activité de liaison en tant qu’activité associative, embrayant une activité de symbolisation secondaire. Ce travail de décollage de l’arrière-fond et de création de nouvelles liaisons imagées constitue un travail de subjectivation. Le collage comme œuvre matérielle et signifiante manifeste à l’extérieur un travail intérieur de liaison qui cherche sa mise en forme selon les possibilités économiques du sujet. Nous nous intéressons d’abord au processus créatif comme expression des processus psychique avant d’entendre aussi le contenu symbolisé par l’image. C’est ce qui peut distinguer le point de vue et d’écoute du psychothérapeute de ceux de l’artiste ou du spectateur, plus sensibles à la valeur ou à l’émotion esthétique, ou au contenu de la figuration.

Le jeu d’images ouvre sur une autre dimension lorsqu’il est repris dans la parole. Le jeu de mise en mots des images, de leur composition, de leurs représentations, est le plus souvent spontané pendant les différentes phases du travail dans l’atelier, mais il est explicitement sollicité lors du temps de présentation et d’échanges en fin de séance. Chacun est invité à dire : « comment c’est venu, comment vous l’avez construit ? » Puis le groupe associe à partir des visions croisées des uns et des autres. Ce nouveau réseau d’associations est tissé non seulement à partir des regards sollicités par les images, mais aussi à partir des associations verbales formulées par l’auteur lui-même d’abord. Le groupe permet aussi d’expliciter des liens plus historiques, mettant ainsi en récit les liens d’un collage à l’autre, d’un collage avec la vie du groupe. Les associations d’un collage avec la vie de son auteur sont recueillies de lui seul, avec beaucoup de respect, mais ne sont pas autorisées venant des autres. Elles risqueraient trop d’être des interprétations intrusives ne préservant pas le caractère indécidable du trouvé-créé, la fragilité de la liaison signifiant-signifié, l’émotion particulière accompagnant chaque prise de conscience.

L’accueil de ces associations concourt à construire la place de chacun dans le groupe, l’assurant d’un non jugement esthétique ou moral, d’une écoute respectueuse, de la valeur de lien social de sa production imageante et parlante (fonction d’enveloppe, selon Serge Tisseron). Ce travail de groupe contribue aussi à réguler indirectement les liens que les participants entretiennent entre eux dans l’espace-temps partagé de l’unité de soins. Cet effet de régulation est d’ailleurs recherché lorsque le service est traversé de mouvements pulsionnels de déliaison qui pourraient faire crise (passages à l’acte divers). L’espace de l’atelier, séparé de l’espace de l’unité de soins, est aussi un espace psychique ouvrant à un travail de symbolisation de ce qui est latent dans les manifestations comportementales ou symptomatiques. Cette possibilité de transformation permet à chacun de se faire reconnaître sujet de sa vie psychique dans son travail de collage.

C’est un des buts d’un « atelier d’expression personnelle » au sein du dispositif de soins d’une unité hospitalière que de proposer un espace d’émergence d’expressions singulières, individuantes, comme possibilité de rencontre avec soi-même en présence des autres, dans le respect des limites de l’intime. La constitution du cadre de l’atelier comme contenant est donc particulièrement importante pour assurer chacun qu’il sera accueilli, son travail regardé avec attention et respect, comme le spécifiant et le reliant aux autres par la culture en tant que monde imaginaire partageable. C’est dans ce travail de production d’images créant de nouveaux liens de significations et de relations que se construit le sujet et qu’il prend place singulière parmi d’autres dans les échanges en groupe.

L’association création & soin a été fondée en 2000 par des professionnels (psychologues, infirmiers, art-thérapeutes, ergothérapeutes, artistes…) pour promouvoir des rencontres, des débats autour des questions que posent les pratiques d’expression, de création dans les champs du soin psychique ou physique, du développement ou de l’insertion. Elle organise des soirées ouvertes régulières (2e mardi du mois) à propos de pratiques, des débats sur des thèmes ou des visites d’expositions… Des groupes de travail, de recherche ou de supervision peuvent être mis en place pour ses adhérents.

Association Création & Soin
59 rue Victor Hugo 69002 Lyon
Tél : 04 78 37 94 63
e-mail : creationetsoin@voila.fr.

Bibliography

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References

Bibliographical reference

Jean-Paul Bernard Petit, « Le collage : décollage du sujet ? », Canal Psy, 63 | 2004, 7-10.

Electronic reference

Jean-Paul Bernard Petit, « Le collage : décollage du sujet ? », Canal Psy [Online], 63 | 2004, Online since 27 avril 2021, connection on 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=855

Author

Jean-Paul Bernard Petit

Psychologue clinicien, président de l’association Création & soin

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