Interview de Catherine Bonnet auteur du livre L’enfant cassé, l’inceste et la pédophilie, Albin Michel, Paris, 1999

DOI : 10.35562/canalpsy.958

p. 4-6

Notes de la rédaction

Interview par Noëlle D’Adamo.

Texte

Canal Psy : Pourquoi avoir choisi de faire un rappel historique au début de votre ouvrage ? Que vient-il nous dire de la situation actuelle ?

Catherine Bonnet : Par goût, la plupart de mes livres ont une introduction historique. J’avais observé des mouvements pendulaires de la société au travers des pratiques de recueil des enfants abandonnés. Il m’a semblé difficile de rédiger un livre sur la clinique et la psychothérapie des victimes d’inceste et de pédophilie sans faire de lien avec le passé.

De plus l’apparition soudaine, durant l’année 1997, de quatre poursuites disciplinaires à mon encontre en l’espace de six mois a suscité ma curiosité. Bien que les diagnostics médicaux que j’avais élaborés, aient été confirmés par des collègues, j’ai été soupçonnée d’avoir adressé à des magistrats « des mensonges » en guise de certificats médicaux et de signalements. Ce mot « mensonge » m’a rappelé les querelles du siècle précédent. J’ai alors fait l’hypothèse que ces procédures indiquaient l’émergence d’un nouveau courant de rétractation de la société juste après la découverte des réseaux belges. Pour vérifier cette intuition, il fallait lire des médecins du milieu du XIXe siècle.

Comment des scientifiques français ont-ils pu, en effet, oublier pendant 100 ans qu’Ambroise Tardieu, professeur agrégé de médecine légale à Paris, fut le premier à attirer l’attention de la communauté médicale sur ces questions ? Dès 1856, il publie un premier article sur ce thème : « Des attentats à la pudeur et au viol » dans lequel il dévoile l’inceste dont étaient victimes certains enfants : « Les liens du sang, loin d’opposer une barrière à ces coupables entraînements, ne servent trop souvent qu’à les favoriser : les pères abusent de leur fille, des frères abusent de leurs sœurs. » (Tardieu, 1856)

La publication de ses travaux soulève un débat parmi les experts médico-légaux dont certains mettent en doute l’imputation des déformations des organes génitaux des enfants à des adultes et particulièrement à ceux de la famille. Peu à peu deux courants de pensée contraires s’ébauchent : les partisans des enfants victimes et ceux qui n’ont de cesse de produire une psychopathologie du faux témoignage, du mensonge et du vice dont seraient capables des enfants. Les articles se succèdent rédigés par des professeurs de médecine connus : Alfred Fournier, « Simulations d’attentats vénériens sur de jeunes enfants » en 1880, Claude Bourdin, « Les enfants menteurs » en 1883, Auguste Motet, « Du mensonge des enfants » en 1883, etc.

Les travaux des parlementaires en sont influencés. Dès 1881 certains élaborent un projet de loi. Après neuf ans de discussion, le parlement vote, le 24 juillet 1889, une première loi sur la « protection des enfants maltraités ou moralement abandonnés. » La déchéance de la puissance paternelle des parents auteurs de sévices ou incapables d’éduquer leurs enfants est adoptée. Puis une seconde loi relative à la « répression des violences, voies de fait, actes de cruauté et attentats commis sur les enfants » est également votée le 19 avril 1898.

Néanmoins le courant des partisans des « enfants menteurs » l’emporte au début du XXe siècle : Le 30 juin 1904, une loi « relative à l’éducation des pupilles de l’assistance publique difficiles ou vicieux » est adoptée par le parlement français.

Cette éclipse d’une question capitale pour la société, celle de la maltraitance de ses enfants, a duré quelques décennies puisqu’il faut attendre que des Américains exhument les travaux d’Ambroise Tardieu : Deux radio pédiatres, J. Caffey, en 1946, F. N. Silverman en 1953 constatent que certaines fractures observées sur des radios ont pour origine des sévices physiques provoqués et ne sont pas des chutes spontanées. En 1962, C. H. Kempé, F. N. Silverman et B. F. Steel rompent le silence sur la souffrance des enfants battus, en précisant que les parents sont à l’origine des coups observés. À cette occasion ils rendent hommage au « syndrome of Ambroise Tardieu ». Leurs travaux exportés prennent néanmoins, à leur arrivée en France, dans les années 1960, le nom de « Syndrome de Silverman »…

Des pédiatres français dont le Professeur Pierre Strauss, après avoir créé en 1979, l’Association française d’information et de recherche sur l’enfance maltraitée (AFIREM) invitent à Paris, en 1982, C. H. Kempé et ses collègues pour y tenir le congrès mondial de la Société internationale pour la prévention des mauvais traitements (IPSCAN) que ces Américains ont fondé, en 1976, aux USA. L’intérêt envers l’enfance maltraitée se répand à nouveau en France.

Progressivement la redécouverte en France de l’enfance maltraitée prend un nouvel essor pour être couronnée par le parlement, le 10 juillet 1989, lors du vote d’une loi qui organise le recueil des signalements des enfants maltraités. Cent ans se sont écoulés depuis la première loi du 24 juillet 1889 à l’initiative d’Ambroise Tardieu. Combien d’années perdues sur le plan scientifique au détriment des enfants victimes tant le tabou sur l’inceste et la pédosexualité est difficile à lever !

Canal Psy : Pourquoi dites-vous que Freud fait d’Œdipe un monstre ?

Catherine Bonnet : L’origine du renversement des enfants victimes souffrant de violences sexuelles en coupables a été complexe à Vienne comme en France. Sigmund Freud, venu à Paris d’octobre 1885 à février 1886, est présent lors de ces querelles scientifiques. Il rend publique sa première théorie, le 21 avril 1896, à la Société de Psychiatrie et de Neurologie dans une communication dont l’intitulé est : « Étiologie de l’hystérie » (Freud, 1997), mais il se rétracte dès 1897. Il renonce alors à sa théorie dite « traumatique » pour élaborer les années suivantes une seconde théorie qu’il rend publique, en 1905, à Vienne : « Trois essais sur la théorie de la sexualité infantile » (Freud, 1964).

Comment comprendre que Freud ait rédigé le complexe d’Œdipe en tronquant le début de ce mythe pour asseoir sa théorie des fantasmes ? Pourquoi a-t-il opposé la théorie de la réalité traumatique à celle des fantasmes alors que les fantasmes découlent de la réalité même si elle est traumatique ?

En s’inspirant du mythe d’Œdipe, Freud semble avoir oublié que le roi Laïos avait commis un acte pédophile sur le fils d’un ami qui l’avait accueilli. Comme l’oracle lui avait prédit qu’il serait tué par l’enfant qu’il mettrait au monde, il confia Œdipe à un berger pour le faire mourir par exposition sur une montagne. Le berger lui désobéit et confia ce bébé à un couple stérile, Polybe et Mérope. Ces derniers l’élevèrent comme leur fils, ne l’informant pas de ses origines.

Lorsqu’un oracle annonça à Œdipe qu’il tuerait son père et aurait une liaison avec sa mère, il ne retourna pas voir ses parents d’adoption car il avait tissé des liens d’amour avec eux. Les ayant quittés pour les protéger, il rencontra en chemin un homme provocant qu’il tua pour se défendre, ignorant que cet homme Laïos, était son père génétique. Il vit en Laïos un inconnu violent contre lequel il devait se protéger. Était-ce là un véritable parricide puisque Laïos n’était pas celui avec lequel il avait établi des liens paternels ? Après avoir résolu l’énigme du Sphinx, c’est une veuve inconnue qu’il crut épouser. Était-ce là un inceste ? Freud a néanmoins utilisé dans l’interprétation du mythe d’Œdipe, des mécanismes d’inversion propres aux agresseurs.

Pourquoi Freud a-t-il renversé la situation d’Œdipe en faisant de Laïos, pédosexuel et presque infanticide, une victime de parricide et Œdipe un monstre à condamner, un fils dont il faut se méfier ou un être aux prédispositions instinctuelles dont il faut s’empresser de cadrer les fantasmes ? Freud comme d’autres semblent avoir dénié les faits d’érotisation précoce des enfants, en tronquant la réalité traumatique des agressions sexuelles induites dans la confusion du passage de la tendresse à l’érotisme, des fantasmes qui peuvent en résulter.

Sa seconde théorie a aussi trouvé parmi ses élèves de nombreux adeptes dont les jalousies féroces ont tout fait pour retarder la connaissance des travaux pionniers de Ferenczi sur la souffrance des enfants élevés dans cette confusion qu’il a décrite avec tant de clarté dans sa communication exposée magistralement en septembre 1932 au 12e congrès international de psychanalyse à Wiesbaden. Il sera traduit par Balint en 1949 sous un titre évocateur : « Confusion de langue entre un adulte et un enfant : le langage de la tendresse et de la passion » (Ferenczi, 1962). La prépondérance de cette seconde théorie a été également favorisée pour d’autres raisons, en particulier l’inexistence de la pédopsychiatrie et l’absence de travaux scientifiques sur les traumatismes de la guerre.

Quelle que soit la réponse à cette interprétation partielle du mythe d’Œdipe, Freud, par son influence, a largement entretenu des générations de psychiatres dans l’idée qu’il était banal que des enfants aient des jeux sexuels post traumatiques, des masturbations compulsives impudiques, repoussant dans l’inconscient la véritable analyse d’une pathologie liée au traumatisme et aux mécanismes de défense utilisés par l’enfant victime pour se protéger de la violence d’un agresseur sexuel : le clivage, l’identification à l’agresseur et le déni de sa propre souffrance.

Canal Psy : Comment expliquez-vous cette difficulté de reconnaissance par la société des enfants victimes ?

Catherine Bonnet : Si l’envolée médiatique de l’été 1996, depuis l’affaire belge, a eu le mérite d’attirer l’attention de nombreux parents de tous milieux qui sont venus demander un avis pour protéger leurs enfants, elle a eu aussi pour effet de voir renaître des stratégies de méfiance envers les enfants. Ces doutes ont surgi dans un climat de bouleversement des mutations de la famille et tout particulièrement de la fonction paternelle. Mais comment croire qu’un père ou une mère soient capables d’utiliser pour leur propre plaisir sexuel, le corps d’un enfant qu’ils ont conçu ?

Cette importante médiatisation des effets de la violence sexuelle faite aux enfants face au peu de compréhension des passages à l’acte des auteurs, en accentue la monstruosité. Le caractère caché, double, de ces personnalités qui semblaient jusqu’au dévoilement pour leur entourage en dehors de tout soupçon, inquiète les parents surtout en situation de divorce. Tout le monde aimerait savoir comment reconnaître un enfant victime et comment démasquer un auteur.

C’est dans ce nouveau climat où la société a eu à la fois peur et a été fascinée par la chasse au pédophile que l’enfant victime est redevenu un bouc émissaire. La communauté scientifique s’est à nouveau scindée en deux courants grâce à l'importation d’une nouvelle théorie des enfants menteurs qui a transformé le terme révélations en allégations dont le sens est affirmation. Puis un glissement subtil s’est opéré pour remplacer le mot mensonge du siècle précédent par celui de fausses allégations.

Que cherche-t-on à dénier cette fois-ci ? Il semble que ce soit le dévoilement d’un aspect caché de l’inceste révélé par des enfants qui a pris un essor avec le développement d’Internet : l’utilisation par des parents incestueux de leur enfant à des fins de production de pornographie enfantine ou d’exploitation sexuelle organisée par des réseaux.

La méconnaissance des effets de la manipulation psychique qui accompagnent l’une des formes cliniques décrites de manière si lumineuse par Sandor Ferenczi, en a fait le lit. Ces passages à l’acte progressifs de gestes apparents de tendresse envers l’enfant vers des zones érogènes de son corps peuvent parfois lui faire découvrir des sensations de plaisir. Ils produisent la plus grande confusion dans son développement et les symptômes qui en dérivent, passent longtemps inaperçus.

La psychothérapie de ces enfants érotisés insidieusement permet d’observer la levée du mécanisme d’identification à l’agresseur à l’origine de ces symptômes et leur amélioration. Certains enfants ont la capacité d’exprimer les sentiments contradictoires qu’ils éprouvent : « C’est une torture, Docteur, que quelqu’un vous touche de force et que cela fasse guili, guili ».

Mais ces comportements hyper sexualisés que manifestent ces enfants, dérangent les adultes et parfois paralysent leur capacité à comprendre. Et pourtant ce vécu de plaisir associé aux agressions sexuelles risque d’imprégner les fantasmes sexuels de l’enfant victime à sa puberté s’il n’a pas bénéficié d’une élaboration de sa souffrance psychique et s’il n’a pas été protégé.

Ce retour des querelles autour de la crédibilité de l’enfant victime a de graves conséquences, celles : De maintenir le lien avec le parent présumé auteur des agressions sexuelles, au nom de la famille mais à quel prix, celui de souvent casser l’enfant victime ; d’entraver les actions de sensibilisation et de formations des professionnels en contact avec les enfants pour leur apprendre à dépister les maltraitances sexuelles ; de retarder les travaux de recherche nécessaires pour mieux comprendre les mécanismes et les stratégies de défense des présumés agresseurs.

Canal Psy : Comment la problématique de la paternité s’articule-t-elle avec la question de la maltraitance sexuelle ?

Catherine Bonnet : Lorsqu’un conjoint apprend que l’auteur présumé est l’autre conjoint, c’est un cataclysme. Même si la situation de divorce l’avait éloigné sur le plan affectif de son conjoint, le parent non agresseur est bouleversé : Comment a-t-il pu partager sa vie et concevoir un enfant avec un agresseur sexuel présumé sans le découvrir ? Face à ce choc, il présente des réactions de dépression, de colère, d’anxiété, etc. Ce sont des réactions normales face à une situation anormale. Au lieu d’en analyser le sens, le courant en faveur des fausses allégations a tenté, ces dernières années, de convaincre la société que ces parents « protecteurs » surtout lorsqu’il s’agit de mères, sont en fait des « hystériques », des « menteuses » ou « des manipulatrices » au prétexte qu’elles utiliseraient l’arme de l’inceste au décours de divorce. Mais aucune étude connue, en France, n’a démontré que cette théorie était exacte sur le plan scientifique, alors que les Américains l’ont invalidée. Leurs publications semblent ignorées.

Les données statistiques montrent que la majorité des auteurs d’agressions sexuelles en famille sont majoritairement des hommes. Elles sont probablement sous évaluées car la maltraitance sexuelle est également exercée par des femmes, mais la pédophilie féminine reste encore taboue. Les premières à porter plainte, ont dévoilé l’inceste de leurs pères, puis de leurs grands-pères, leurs oncles, leurs frères. Maintenant le voile se lève progressivement sur les mères, les grands-mères, etc. Il faudra sans doute attendre quelques années pour obtenir des études épidémiologiques plus exactes des auteurs d’agressions sexuelles au sein des familles.

Néanmoins pour avoir suivi en psychothérapie des femmes enceintes en détresse, j’ai observé des comportements de violence faites au fœtus par leur conjoint après l’annonce de cette grossesse qui n’avait pas été décidée d’un commun accord par le couple. Des mères d’enfants de moins de 6 ans victimes d’inceste confient souvent avoir subi des violences physiques, émotionnelles et sexuelles dès la grossesse. Il semblerait qu’il y ait donc un lien entre la violence d’un conjoint déclenchée par la grossesse et certains incestes précoces.

Cette forme d’inceste pédophile qui débuterait sous forme de violence faite au fœtus dès la grossesse, est-elle différente de l’inceste qui commence après l’âge de 10 ans ? Ces passages à l’acte pédosexuels peuvent s’interpréter comme une sorte de vengeance et de jalousie envers l’enfant puisque ces hommes vivent la présence du fœtus, puis du bébé, comme la perte d’une relation de domination fusionnelle sur leur femme. N’est-ce aussi pas une manière de refuser un enfant dont la conception semble leur avoir été imposée ? Une forme de paternité impossible ?

Ainsi maternité et paternité génétiques posent des questions fondamentales à la société : Les liens génétiques ne semblent pas protéger l’enfant d’un passage à l’acte incestueux pas plus que de l’infanticide.

L’augmentation des divorces inquiète tant les pères qui craignent de ne plus voir leurs enfants que la société en a oublié son bon sens. Le divorce favorise le dévoilement de l’inceste que ce soit une mère ou un père car l’enfant parle plus facilement de ses souffrances subies lorsqu’il n’est plus en contact avec le parent présumé agresseur.

Canal Psy : Quels liens faites-vous avec les traumatismes de guerre ?

Catherine Bonnet : Ces questions de famille sont si difficiles à admettre qu’il m’a semblé utile de comparer les traumatismes de guerre à ceux des agressions sexuelles. Un certain nombre de symptômes sont semblables, tout particulièrement lorsque l’enfant est agressé dans un contexte de terreur avec des menaces sur sa vie. L’effraction traumatique dans le psychisme a les mêmes effets sur la vie quotidienne : une ou plusieurs images émergent de la réalité traumatique et reviennent avec un cortège de symptômes accompagnateurs, répéter le souvenir de l’effraction : la nuit, sous la forme de cauchemars à répétition ; le jour, sous la forme de remémoration en flash-back.

L’enfant en a peur et développe des comportements d’évitement par crainte de revivre les émotions qui accompagnent le retour des images. Alors que les adultes en parlent spontanément, l’enfant ne le dit pas de lui-même. Mais il se sent coupable car il se croit « fou » ou « obsédé » surtout si les images sont sexuelles.

Les médecins et la société accèdent plus facilement à la souffrance psychique des enfants traumatisés par la guerre parce qu’elle ne les confronte pas à la représentation de la sexualité et à la peur que suscite l’inceste.

Canal Psy : Quelles difficultés rencontre-t-on dans la psychothérapie de ces enfants victimes d’agressions sexuelles ? Quel cadre nécessaire est à mettre en place ? Quelles précautions ?

Catherine Bonnet : Les enfants vont-ils oublier les agressions sexuelles subies sans psychothérapie ? Telle est la question que posent la plupart des parents d’enfant victimes lorsqu’ils amènent leurs enfants consulter : « S’il vous plaît, Docteur, c’est urgent, mon enfant dit… et a tels symptômes… pourriez-vous me dire s’il a ou non été agressé sexuellement ? » Mais la plupart des parents souhaitent repartir de la consultation avec un autre diagnostic. Il est éprouvant d’avoir à leur annoncer ce diagnostic car ils en souffrent et craignent que leur enfant ne s’en remette jamais.

Si le dépistage est une étape complexe, le temps de la psychothérapie est également délicat. Pour qu’un enfant puisse bénéficier réellement des bienfaits d’un travail d’élaboration psychique des conséquences des agressions, il est absolument impératif qu’elles cessent complètement. Un enfant peut-il arrêter d’avoir peur et sortir de la confusion s’il continue à subir des menaces, des attouchements voire des pénétrations ? Une psychothérapie a toutes les raisons d’échouer lorsque le contact avec l’agresseur persiste, car l’enfant ne peut pas cicatriser une effraction psychique qui reste béante. Il va bloquer son développement psychique et physique.

Au nom des liens du sang, peu d’adultes semblent réaliser, en France, qu’il n’est pas possible de guérir de la violence de l’inceste quand on oblige l’enfant à garder des contacts avec son parent agresseur. Comment peut-on comprendre qu’un enfant qui continue à vivre sous des bombardements persiste à manifester des symptômes sans prendre conscience qu’il ne pourrait en être différemment pour une enfant victime d’agressions sexuelles ?

Une psychothérapie d’enfant victime ne peut en effet commencer qu’après l’évaluation la plus précise du danger que l’enfant encourt afin de tout mettre en œuvre pour assurer sa protection. C’est aussi en évaluant les capacités de ses parents à y participer que le « psy » décidera comment mettre en place le cadre judiciaire : soit que le ou les parents acceptent de porter plainte pour leur enfant, soit que le médecin établisse un signalement.

Le malaise est actuellement grand puisque de plus en plus de médecins ont fait ou font l’objet de poursuites et/ou de condamnations disciplinaires. Ces stratégies d’attaques de parents présumés agresseurs ont eu le mérite de mettre à jour une défaillance dans la protection juridique des médecins qui signalent. Il n’est pas normal de signaler et ensuite se voir poursuivre et puis condamner.

Les médecins espèrent que des parlementaires français s’inspireront des textes des USA, du Canada et du Québec qui, bien en avance sur nous, ont introduit une réelle protection juridique de tous ceux qui signalent comme l’évoque Ronda Bessner1 dans une communication qui fait un état des lieux sur la question.

Le cadre idéal de la psychothérapie est réalisé avec la fin des agressions tant physiques, sexuelles qu’émotionnelles et l’assurance de la protection judiciaire de l’enfant. Au fil du temps, les enfants reprennent goût à la vie. « On les retrouve comme avant » disent alors les parents qui eux aussi ont besoin d’un accompagnement parallèle.

Certains « psys » pensent qu’il est préférable que ce ne soit pas la même personne qui accompagne le dévoilement et celle qui entreprend la psychothérapie. Cette passation est possible pour des enfants de plus de 7 ans, car l’enfant est capable d’accéder au raisonnement. En revanche, les enfants plus petits dévoilent souvent par petits « morceaux », il est difficile de mettre en place un tel changement. Mieux vaut s’adapter aux besoins de chaque enfant.

Mais les effets de la psychothérapie chez l’enfant doivent être évalués après la transformation pubertaire pour apprécier si des fantasmes sexuels n’ont pas remis en scène le scénario traumatique et si l’association du plaisir et de l’agressivité est demeurée.

Bibliographie

Bourdin C., 1883, « Les enfants menteurs », Annales médico-psychologiques, 41(9), 280-305 et 374-386.

Caffey J., 1946, « Multiple fractures in the long bone bones infants suffering from chronic subdural hematoma », Am. J. Roentgen, 56, 163-173.

Ferenczi S., 1962, Psychanalyse IV, Paris, Payot.

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Silverman F. N., 1953, « The Roentgen manifestations of unrecognised skeletal trauma in infants », Am. J. Roentgen, 69, 163-173.

Tardieu A., 1856, « Des attentats à la pudeur et au viol », Annales d’hygiène publique et de médecine légale, 6, 100-145.

Notes

1 Bessner R., The duty to report child abuse, septembre 1999, sur Internet à son nom sur le moteur google.

Citer cet article

Référence papier

Catherine Bonnet et Noëlle D’Adamo, « Interview de Catherine Bonnet auteur du livre L’enfant cassé, l’inceste et la pédophilie, Albin Michel, Paris, 1999 », Canal Psy, 59 | 2003, 4-6.

Référence électronique

Catherine Bonnet et Noëlle D’Adamo, « Interview de Catherine Bonnet auteur du livre L’enfant cassé, l’inceste et la pédophilie, Albin Michel, Paris, 1999 », Canal Psy [En ligne], 59 | 2003, mis en ligne le 02 septembre 2021, consulté le 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=958

Auteurs

Catherine Bonnet

Pédopsychiatre et psychanalyste

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