Pour le premier numéro de Droit Public Comparé – Comparative Public Law (DPC-CPL), le comité de rédaction a voulu constituer une somme scientifique substantielle sur l’objet même de la revue. Le présent dossier thématique intitulé « L’état du droit public comparé » entend ainsi peindre un panorama du droit public comparé à l’échelle mondiale. Il s’agit plus précisément de s’interroger tout d’abord sur l’existence de cette discipline dans les différents pays, d’identifier ensuite les éléments qui la caractérisent, pour apprécier enfin ses spécificités en fonction des différents contextes culturels. Puisque nous ne pouvions pas nous livrer à une analyse systématique des États du monde entier, nous avons sélectionné des ordres juridiques que nous avons considérés comme représentatifs des principales aires culturelles.
Pour ce faire, nous avons croisé des critères tenant à l’appartenance prévalente des systèmes juridiques à une culture juridique de common law ou bien de civil law, au rôle joué par le droit public comparé dans le développement de ces systèmes, ou encore à l’influence juridique mais aussi culturelle de chaque État ou groupe d’États sur le plan régional ou mondial. Cela nous a conduits à retenir les deux principaux représentants des systèmes de common law (États-Unis et Royaume-Uni). Parmi les systèmes de tradition romano-germanique, nous avons retenu quatre États représentatifs de l’Europe continentale (Allemagne, Italie l’Espagne et France), qui sont étudiés dans un même article, afin de mieux faire émerger les tendances européennes communes et divergentes dans le développement de la discipline du droit public comparé. L’Amérique latine, tout en étant un continent très vaste, fait l’objet d’une étude comparative, permettant de déceler les grandes tendances en cours dans les différents pays. Nous avons choisi également un système juridique mixte, l’Afrique du Sud, qui présente la spécificité de prévoir dans sa Constitution la possibilité pour les juges de prendre en considération le droit étranger pour interpréter le Bill of Rights (art. 39 C). Enfin, nous avons retenu la Chine, pays dont les études en droit public comparé sont encore quelque peu méconnues.
Nous avons ensuite formulé un certain nombre de questions à l’intention des auteurs, afin de guider leur réflexion sur l’état de la comparaison en droit public dans leur propre pays. Celles-ci portaient sur le fait de savoir s’il existe des différences entre la comparaison en droit public et en droit privé (notamment du point de vue des méthodes et du volume de publications) ; sur l’apport éventuel de la comparaison pour l’édification du droit public ; et enfin sur le fait de savoir si toutes les matières relevant du droit public (en particulier le droit constitutionnel et le droit administratif) faisaient l’objet d’un même effort de recherche comparatiste, ou le cas échéant, de tenter d’identifier les motifs expliquant une différence de traitement. Ces questions ne constituaient néanmoins pas un « questionnaire » à proprement parler (méthode scientifique bien connue des comparatistes), mais plutôt une grille d’analyse à laquelle les auteurs pouvaient se référer. En effet, le recours au questionnaire n’a de sens que si la démarche est de comparer les réponses, notamment pour mieux comprendre l’appréhension d’un problème juridique. Tel n’est pas l’objet de ce dossier thématique.
Nonobstant le caractère nécessairement limité de la recherche sur le plan géographique et culturel, la réflexion demeure originale, puisqu’à notre connaissance, il n’existe pas de monographie ou de dossier d’un format équivalent traitant de ce sujet.
Le lecteur pourra ainsi découvrir la richesse insoupçonnée des études de droit public comparé en Chine, le développement grandissant de la recherche dans ce domaine en Amérique latine, la diversité des expériences de pays pourtant voisins, tels que la France, l’Italie et l’Allemagne, les raisons historico-politiques qui ont fait de l’Afrique du Sud un pays désormais incontournable pour les études de droit public comparé, et enfin les spécificités des pays de tradition de common law.
Au-delà des différences propres à chaque contexte juridique, un fil rouge lie l’ensemble des contributions : enquêter sur la discipline du droit public comparé, sa naissance, son développement, ses spécificités conduit à s’interroger sur les raisons tout d’abord historiques, politiques et culturelles qui ont poussé et poussent les juristes à s’ouvrir à d’autres systèmes juridiques. En effet, les objectifs poursuivis par la recherche comparative, qui peuvent être euristiques, tout comme purement scientifiques ou encore des objectifs de consolidation voire de justification de décisions nationales varient essentiellement en fonction des contextes historiques et politiques. Par ce biais, les différentes contributions révèlent, en arrière-plan, le rôle que les juristes comparatistes jouent dans la cité, leurs relations avec le pouvoir et leur indépendance académique.