Des filles et des fables

Féminisation de l’enseignement des fables illustrées

DOI : 10.35562/fablijes.189

Abstracts

Les fables de La Fontaine constituent en France une référence commune à tous aujourd’hui. Ce phénomène trouve son ancrage au xixe siècle, période à laquelle l’école institutionnalise la fable à des fins nationalistes, tandis que les instances éditoriales profitent du fait que les foyers acquièrent des livres éducatifs pour produire des fabliers illustrés à l’intention de tout un chacun. On trouve ainsi des fabliers à destination des filles. Reste à déterminer si la fable s’impose d’ores et déjà au xixe siècle comme une référence commune à tous, ou si elle s’insère dans une logique différenciée à l’égard du public féminin. Si les fabliers féminins inscrivent l’apprentissage et la lecture dans un enseignement transmis essentiellement par les femmes, ils emploient en fait les mêmes codes et s’appuient sur les mêmes auteurs – majoritairement masculins – que lorsqu’ils s’adressent aux garçons.

Nowadays, almost every single French person knows the fables of La Fontaine, that were published in 1668. One reason for this is that, during the 19th century, French schools used fables as a way of turning children into proud future soldiers, while editors were producing more and more fables books for children, that parents were starting to acquire. Some fables books were therefore intended for girls. This paper aims at determining whether during the 19th century, girls were taught the same fables as boys, concluding that fables books for girls and female teenagers were mostly taught by women, and referring to the same – male - authors as fables books intended for boys.

Outline

Text

Maître corbeau sur son arbre perché

Qui, homme ou femme, ne serait capable de terminer ce vers, à partir de simples souvenirs d’école ? Les fables de La Fontaine forment aujourd’hui un répertoire universel, puisque la référence – éminemment scolaire – est partagée par tous les Français et Françaises, sans grande distinction d’âge ou de classe sociale. Pour comprendre ce phénomène, il convient de se pencher sur les mutations qui ont lieu au milieu du xixe siècle. Avant cette époque, les fables de La Fontaine sont principalement l’apanage des garçons issus de familles aisées qui les lisent, les imitent et les apprennent, et des hommes, qui les écrivent et les enseignent1. Il en va de même pour l’ensemble du répertoire de fables ésopiques2 dont La Fontaine s’inspire.

Cependant, à compter du milieu du xixe siècle, l’école républicaine érige d’une part la fable en référence essentielle lorsqu’elle s’en empare à des fins nationalistes3, tandis que les foyers acceptent d’autre part de prolonger le temps de l’apprentissage hors les murs de l’école, en veillant notamment à acquérir des livres – parmi lesquels des fabliers – pour leurs enfants. Profitant de cette double dynamique, les instances auctoriales et éditoriales imaginent de nouveaux supports à destination de tous les enfants : des jeux favorisant la lecture et la mémorisation, mais aussi des feuilles en imagerie populaire, des partitions musicales ou de petits livres à découper et animer… Ainsi, alors que les fables passent le seuil d’un nombre de plus en plus conséquent de foyers, l’accès des filles et des femmes aux fables s’en trouve élargi.

Alors que l’école républicaine joue un rôle essentiel dans la diffusion des fables illustrées, et que la scolarisation des enfants dans ce même cursus se généralise, on imagine que les filles sont de plus en plus concernées par la lecture des fables. Ainsi, lorsque la fable se destine aux filles, s’impose-t-elle à elles de la même manière que lorsqu’elle s’inscrit dans les lectures et l’apprentissage des garçons, ou entre-t-elle plutôt dans la logique d’une éducation différenciée ? Afin d’apporter des éléments de réponse à cette question, il s’agira d’abord de passer en revue quelques exemples mettant en lumière le processus d’universalisation que connaît la fable au xixe siècle, pour mieux explorer, dans un second temps, la manière dont la fable s’inscrit au cœur d’une éducation féminine, conférée par les mères à leurs filles, en s’appuyant majoritairement sur des fabulistes masculins. Une revue de la manière dont le public féminin est représenté au sein des fabliers non genrés, en tant que lectrices, auditrices, conteuses ou, plus rarement, en tant qu’autrices permettra finalement de nuancer cette idée.

Les fables : une référence universelle

Parce que les fables constituent un genre largement consacré par l’école française après la Révolution4, il semble que le processus de féminisation de leur lecture et de leur apprentissage entre en corrélation avec leur popularisation, qui a lieu à la même période. Ainsi, l’entrée des fables dans les foyers modestes par le biais notamment de l’imagerie populaire permet logiquement aux filles et aux femmes de les côtoyer plus souvent. Or, cette première diffusion, presque accidentelle, se voit confortée par l’intégration des fables à l’intérieur d’ouvrages explicitement genrés.

Ainsi, les imageries d’Épinal, par exemple, se saisissent du marché féminin : deux albums sont adressés à ce public : Images d’Épinal. Album composé spécialement pour fillettes et Album no 2 de cent images d’Épinal composé spécialement pour fillettes5. Le plus tardif des deux reprend en fait plusieurs fables publiées indépendamment et en amont de l’album, pour un public non genré. Parmi celles-ci, « Les Deux Mulets6 », mais aussi « La Cigale et la Fourmi7 ». Cette dernière semble d’ailleurs largement diffusée puisqu’elle fait l’objet de traductions à partir de 1902, notamment en néerlandais (ill. 1) et en espagnol8.

Ill. 1. Victor Odilon Maurin, De Krekel en de Mier (« La Cigale et la Fourmi »), Pellerin & Cie, ca. 1902.

Ill. 1. Victor Odilon Maurin, De Krekel en de Mier (« La Cigale et la Fourmi »), Pellerin & Cie, ca. 1902.

Source : Rijksmuseum.nl.

Ces albums n’adoptent donc pas un discours différencié pour les filles, pour la simple et bonne raison que les fables qu’ils contiennent n’ont pas été conçues spécialement pour ce public ; elles semblent même avoir été choisies pour le succès qu’elles ont pu rencontrer par le passé, notamment dans le cadre de diffusions européennes. Leur première publication s’avère généralement antérieure à la date de publication de l’Album composé spécialement pour fillettes, dont le titre relève alors plutôt de l’argument économique que d’une composition originale en vue de ce public. En effet, dans ce contexte d’élargissement du marché du livre de jeunesse, la spécialisation des titres, des journaux, ou même de collections entières par le ciblage d’un public précis semble une stratégie adéquate pour encourager les foyers à acquérir un plus grand nombre d’ouvrages en fonction de l’âge, du sexe ou des besoins de leurs enfants.

Cependant, l’imagerie populaire ne constitue pas l’unique porte d’entrée de la fable dans les foyers : la plupart des grandes maisons d’édition de l’époque ont su leur faire une place, d’une part, parmi leurs bibliothèques à moindre coût, et d’autre part, dans les journaux illustrés, dont l’essor est remarquable à partir de la seconde moitié du xixe siècle9. Le Petit Français illustré, journal des écoliers et des écolières, est ainsi diffusé par Armand Colin du 2 mars 1889 au 25 novembre 1905. Il a pour vocation de prolonger le temps de l’instruction scolaire au foyer par des histoires et des articles variés, agrémentés de courtes bandes dessinées et de jeux10. Sa position en fin de siècle nous permet d’apprécier la manière dont la référence à la fable, instituée par l’école aux lendemains de la Révolution, s’est immiscée dans les lectures quotidiennes. En outre, le titre du journal, qui ne fait en cela pas figure d’exception, s’adresse explicitement tant aux filles qu’aux garçons, démontrant l’intérêt croissant pour une éducation féminine. Les fables ésopiques y sont fréquemment mentionnées et de maintes façons11 : il peut aussi bien s’agir de fables « modernisées12 » (ill. 2) , dont les illustrations sont alors également renouvelées, que de partitions musicales, de publicités pour des ouvrages scolaires du même éditeur, ou bien de références au sein des pages de jeux, consistant alors à expliquer un vers ou un proverbe issu des fables (ill. 3), ou invitant même au pastiche.

Ill. 2. Anonyme, « Conseil tenu par les rats », Le Petit Français illustré, 12e année, no 21, 21 avril 1900, n. p.

Ill. 2. Anonyme, « Conseil tenu par les rats », Le Petit Français illustré, 12e année, no 21, 21 avril 1900, n. p.

Dessin illustrant l’article « La Fontaine modernisé », p. 244.

Source : gallica.bnf.fr/BnF.

L’évocation la plus fréquente des fables reste la simple référence à l’auteur – généralement La Fontaine –, ou à une fable précise qui peut même être citée au sein d’une histoire, d’une anecdote ou d’un article documentaire. Or, tandis que le périodique n’hésite pas à s’adresser uniquement aux garçons ou aux filles lorsque le propos ne concerne pas l’ensemble du lectorat, la mention des fables s’adresse toujours aux deux sexes, allant souvent de pair avec une affirmation rappelant que tout un chacun les connaîtrait. Ainsi, à l’instar de l’exemple présenté ci-dessous où l’on retrouve La Fontaine mentionné dans l’anecdote « Un fin matois » (ill. 3)13, ces références aux fables, souvent lapidaires, créent une connivence avec le lecteur et la lectrice capable de les identifier14. À cela s’ajoute une contribution non négligeable à l’aspect érudit du journal, qui cherche à s’imposer dans les foyers comme un prolongement de l’école. Les références aux fables laissent donc voir d’une part que, dans le cadre d’un enseignement mixte, les fables sont considérées comme étant tout à fait adaptées aux filles, mais aussi, d’autre part, qu’il est attendu qu’elles les côtoient au cours de leur éducation, car elles impliquent une connaissance préalable par l’enfant.

Ill. 3. « Variétés», Le Petit Français illustré, 16e année, no 220, 13 février 1904, p. 131, « Un fin matois » (pastiche) et « Locution populaire » (proverbe).

Ill. 3. « Variétés», Le Petit Français illustré, 16e année, no 220, 13 février 1904, p. 131, « Un fin matois » (pastiche) et « Locution populaire » (proverbe).

La deuxième anecdote, « Un fin matois », fait directement référence à Jean de La Fontaine, tandis que la locution populaire « Ce n’est pas la mer à boire », dont il faut retrouver l’origine dans la rubrique « Réponses à chercher », se rapporte à la fable « Les Deux Chiens et l’Âne mort ».

Source : gallica.bnf.fr/BnF.

Les filles ont donc accès aux mêmes fables illustrées que les garçons dans leurs foyers, cependant cela ne donne aucun indice quant à la manière dont ces lectures s’inscrivent au sein de l’enseignement qui leur est prodigué. Puisque l’intégration de la fable dans les foyers populaires est largement soutenue par l’école publique, qui en fait une référence universelle à des fins nationalistes, il semble essentiel de questionner leur statut dans le cadre spécifique de l’enseignement féminin.

La fable dans l’éducation des filles par les mères : un entre-soi féminin relatif

Parce que l’éducation des filles tient de la responsabilité des mères même une fois passée la prime enfance, les manuels les ciblant émergent dans un entre-soi féminin que la fable vient conforter en s’y insérant. C’est le cas bien avant la loi Camille Sée déjà15, avec par exemple l’Éducation maternelle, simples leçons d’une mère à ses enfants, d’Amable Tastu, ouvrage réédité plusieurs fois à partir de 1836 à l’intention des mères, responsables de l’éducation des jeunes enfants16. À l’instar de nombreux autres livres d’éducation maternelle qui font florès à l’époque, cet ouvrage très complet – il compte non moins de neuf livres, subdivisés en leçons et correspondant aux différentes connaissances à acquérir – fait usage des fables dans le cadre de la formation de la mémoire des jeunes enfants.

L’exercice intervient très tôt puisqu’il fait l’objet du troisième livre, juste après l’apprentissage de la lecture, puis de l’écriture. Les raisons en sont présentées dès la première leçon, au travers d’un dialogue entre une mère et son enfant : il s’agit avant tout de développer la mémoire, tant qu’elle est encore jeune, mais aussi – et c’est sur ce point en particulier que l’autrice s’attarde – de démontrer une sensibilité à la beauté, que vient prouver la capacité à citer exactement les extraits validés esthétiquement. L’enfant n’étant pas considéré comme capable encore de juger ce qui est beau, on lui donne à apprendre ce qu’il devra apprécier plus tard, sous couvert d’éduquer du même coup sa sensibilité esthétique.

Cependant, Amable Tastu semble avoir conscience de la difficulté inhérente à l’apprentissage des fables puisque la méthode est graduelle. De manière tout à fait étonnante par rapport aux ouvrages pédagogiques de l’époque qui proposent souvent d’apprendre les fables sans autre forme de préparation, l’apprentissage s’ouvre sur une explication du fonctionnement allégorique de la fable, illustrée par un exemple du quotidien lui-même accompagné d’une image. Cet exemple est alors directement mis en pratique à l’aide d’une fable de Florian (ill. 4).

Ill. 4. Amable Tastu, Éducation maternelle, 3e partie : « Le livre de mémoire », Didier, 1848, p. 4-5.

Ill. 4. Amable Tastu, Éducation maternelle, 3e partie : « Le livre de mémoire », Didier, 1848, p. 4-5.

Au bas de la page 4, une mère explique à son enfant, en prenant exemple sur leur chat de compagnie, comment le comportement des animaux des fables figurent des comportements humains. Cette explication sert d’introduction à l’apprentissage des fables inclues dans les pages suivantes.

Source : gallica.bnf.fr/BnF.

S’ensuivent d’autres poèmes plus ou moins allégoriques, de plus en plus longs. Les fables de La Fontaine interviennent cinq pages plus tard et sont inaugurées par le duo « La cigale et la fourmi » et « Le corbeau et le renard » (ill. 5), qui se trouve déjà en position liminaire dans la première édition des Fables17 et s’avère largement consacré dans la pédagogie française18. Elles s’accompagnent ici d’illustrations travaillées, et seront suivies de nombreuses autres fables du même auteur.

Ill. 5. Amable Tastu, « La Cigale et la Fourmi » et « Le Corbeau et le Renard », Éducation maternelle, 3e partie : « Le livre de mémoire », Didier, 1848, p. 10.

Ill. 5. Amable Tastu, « La Cigale et la Fourmi » et « Le Corbeau et le Renard », Éducation maternelle, 3e partie : « Le livre de mémoire », Didier, 1848, p. 10.

Source : gallica.bnf.fr/BnF.

À la même époque, l’exemple d’un traité d’Augustin Théry nous montre qu’il n’est visiblement pas nécessaire d’être soi-même mère – ni même femme – pour donner des conseils en termes d’éducation féminine. Ses Conseils aux mères sur les moyens de diriger et d’instruire leurs filles sont publiés pour la première fois en 1837 et réimprimés en 1859. L’ouvrage cite à plusieurs reprises des vers de La Fontaine pour égayer plus qu’étayer le propos, par pur plaisir référentiel19. Lorsque l’auteur cherche à expliquer ses méthodes en cas de désobéissance ou de manque d’attention par exemple, la fable – cependant dépourvue d’illustrations – est citée dans le cadre d’énumération d’exercices (de récitation ou de lecture) sans aucune autre forme de développement, prouvant à quel point son usage est communément admis. Elle est alors rattachée à La Fontaine, mais aussi à Fénelon ou à Florian20. Augustin Théry comme Amable Tastu adoptent le parti pris traditionnel d’une éducation maternelle : ce sont les mères qui ont la charge, en suivant des conseils venus d’hommes ou de femmes, de figer les fables dans les jeunes esprits féminins. Pour autant les fabulistes qui sont consacrés par l’école française et que l’on donne alors à lire dans les foyers restent, pour la quasi-totalité d’entre eux, des hommes.

Contrairement à Amable Tastu, Augustin Théry prolonge l’apprentissage des fables jusque dans l’adolescence, ce qui se confirme et vient même s’institutionnaliser après promulgation de la loi Camille Sée. En effet, alors que les filles accèdent enfin, à compter de 1880, à un enseignement secondaire public, il est à remarquer que les fables de La Fontaine s’intègrent sans difficulté au programme qui s’avère essentiellement basé sur l’enseignement de la littérature et des langues21.

Ainsi, on les retrouve mentionnées, aux côtés des fables de Florian, de Fénelon et même d’Ésope, dans la revue mensuelle de Camille Sée, L’Enseignement secondaire des jeunes filles, publiée à partir de 1881, et ce dans presque chacun des numéros22. Elles font l’objet de simples références ou de recommandations parfois, mais le plus souvent il s’agit de véritables exercices qui sont alors proposés, portant sur la lecture, l’analyse de texte, la grammaire, la morale, la composition ou même l’apprentissage des langues lorsqu’il s’agit par exemple de demander aux élèves de raconter une fable de La Fontaine en anglais.

Nous relevons trois spécificités propres à cet enseignement féminin : les fables antiques sont généralement enseignées en français – les filles étant largement privées d’enseignement des langues anciennes23 ; les citations de Mme de Sévigné au sujet des fables, qu’il s’agit d’expliquer alors, sont récurrentes, comme s’il s’agissait de donner des avis féminins à lire aux filles ; et les illustrations sont généralement absentes de cette étude. S’agit-il de priver les jeunes filles d’images afin de ne pas les distraire, ou plutôt de limiter les frais d’une éducation dont le succès reste à prouver ? Les raisons d’une telle absence d’images ne sont pas données, mais l’on retrouve tout de même, toujours dans la même revue et à l’occasion d’un exercice de rédaction en anglais à destination des jeunes filles, la mention d’un livre illustré :

Rédaction - You have an illustrated book of La Fontaine’s Fables. You are sitting in the garden with your little sister six years old. Looking at the picture, you tell her the story of the grasshopper and the aut [sic], and you explain her the moral opet [sic]24.

L’élève de secondaire à qui s’adresse l’exercice est uniquement invitée à faire usage des images dans le cadre de leur utilisation auprès d’une enfant plus jeune. Cela laisse envisager que les plus jeunes filles ne sont, à l’inverse de leurs aînées, pas privées de pédagogie par l’image. À partir de cette anecdote, on remarque encore que la lecture des fables par les filles est imaginée dans un entre-soi féminin que seule l’hégémonie de fabulistes masculins vient rompre, ce qui se confirme de manière quasi systématique. Qu’en est-il alors des autrices de fables ?

Quelle présence féminine dans les fabliers ?

Quand bien même l’histoire n’a retenu que peu de femmes fabulistes25, l’un des modes d’appropriation du genre par les autrices et institutrices du xixe siècle passe tout de même par la création de nouvelles fables, qui sont adaptées aux très jeunes enfants. Marie Pape-Carpantier et Pauline Kergomard, les deux pédagogues à l’origine de l’évolution des « salles d’asile » imaginées par Jean-Denis-Marie Cochin en 1833 vers ce que l’on nomme aujourd’hui encore « écoles maternelles », conçoivent également différents outils d’acquisition du langage et de préparation à la lecture26, parmi lesquels des images à décrire avec l’aide de l’institutrice27. Dans Cinquante images expliquées, Pauline Kergomard présente une scène de récitation d’une fable par un jeune garçon, à la maison (ill. 6). Alors que la fable, issue des Maternelles de Sophie Hüe28, est citée dans le texte et que Pauline Kergomard invite les élèves à l’apprendre, c’est bien la situation d’apprentissage par cœur de la fable qui est au cœur du passage présenté.

Ill. 6. Pauline Kergomard, Cinquante images expliquées, Librairie Hachette et Cie, 1900, p. 219 et 221.

Ill. 6. Pauline Kergomard, Cinquante images expliquées, Librairie Hachette et Cie, 1900, p. 219 et 221.

Source : gallica.bnf.fr/BnF.

C’est la scène de récitation qui est illustrée ici, et non la fable, alors même que la méthode de Pauline Kergomard repose sur la description d’images. Ainsi, le fait que l’institutrice exige ou non de l’enfant qu’il apprenne la fable citée ici n’est pas essentiel, puisqu’il s’agit surtout de préparer l’enfant à cet exercice. Le recueil de Sophie Hüe duquel est issue la fable citée propose quant à lui de courts poèmes qui s’annoncent comme des fables et présentent une visée morale, explicitée en quelques vers. S’il ne s’agit pas de s’inscrire dans une tradition ésopique ici, il est à noter que les autrices, en s’imposant dans le champ pédagogique, ne s’interdisent pas de s’essayer au genre, pour son succès d’une part, mais également dans le but d’engager l’enfant sur la voie d’un apprentissage progressif.

Cependant, plutôt qu’en autrices, c’est comme lectrices, auditrices ou médiatrices que les femmes ont le plus de chances de se trouver dépeintes dans les fabliers, à l’instar des conteuses. On les retrouve dès lors au cœur des frontispices. En effet, le programme éditorial et auctorial peut se trouver incarné au sein de cette image d’importance dans le livre, sur laquelle nous nous proposons à présent de nous pencher brièvement.

Porteurs de codes esthétiques et symboliques renforcés par une longue tradition, les frontispices endossent de nombreuses fonctions, tout en apportant des indications sur l’œuvre et le contexte dans lequel elle est produite et diffusée. En plus d’une fonction résolument marchande, il convient notamment d’évoquer la fonction de seuil de l’œuvre, propre à accueillir et préparer le lectorat29. Lorsqu’ils introduisent des œuvres à visée pédagogique, ils contribuent parfois à en expliciter le projet pédagogique, tout en s’inscrivant dans la tradition propre à ce médium. Tout comme la fable en général, ils parviennent à composer avec les éléments de tradition perçus comme incontournables, tout en cherchant un moyen de tirer leur épingle du jeu, le marché étant saturé d’œuvres plus ou moins similaires. Il s’agit donc à la fois de jurer fidélité à un texte qui s’avère essentiel au parcours scolaire, tout en proposant d’entrée un regard neuf sur celui-ci.

Tandis que la tradition des frontispices de fables tend plutôt à représenter des fabulistes masculins, elle semble se rapprocher des frontispices de contes de fées lorsque sont représentées des femmes contant et des filles écoutant, conférant en cela une forme de justification de la lecture féminine des fables30. Les frontispices, en se faisant porte d’entrée dans l’œuvre, permettent en effet d’expliciter ou d’affirmer parfois des projets auctoriaux et éditoriaux, notamment lorsqu’ils visent un public en particulier, comme les filles ou les très jeunes enfants. Ainsi, représenter une femme en position de conteuse de fables là où l’on s’attendrait à trouver des fabulistes masculins s’avère un moyen efficace de se différencier d’autres frontispices puisque c’est aux femmes qu’est traditionnellement confiée la mission de prise en charge des filles et jeunes enfants uniquement.

Dans Le Fablier des enfans31, paru à l’aube du xixe siècle et republié plusieurs fois par la suite, le frontispice présente une scène de lecture exclusivement féminine32 (ill. 7).

Ill. 7. Anonyme, Frontispice du Fablier des enfans, Gueffier jeune, 1816.

Ill. 7. Anonyme, Frontispice du Fablier des enfans, Gueffier jeune, 1816.

Source : gallica.bnf.fr/BnF.

Située dans le coin supérieur de la scène comme pour mieux l’observer, la femme est représentée le doigt levé33, soulignant ainsi le fait qu’elle porte la charge de l’éducation des jeunes filles ici rassemblées. La taille du groupe (on compte sept enfants), son homogénéité en termes d’âge et le mobilier qui les entoure permet de deviner que la scène est transposée dans le cadre scolaire, et non dans la quotidienneté du foyer. L’enfant représentée aux côtés de l’institutrice rappelle la scène de lecture représentée dans le tableau Le Grand Maître d’école de Jean-Jacques de Boissieu (ill. 8) quelques années auparavant.

Ill. 8. Jean-Jacques de Boissieu, Le Grand Maître d’école, eau-forte, 1780.

Ill. 8. Jean-Jacques de Boissieu, Le Grand Maître d’école, eau-forte, 1780.

Source : Wikimedia Commons. Collection du Metropolitan Museum of Art.

Tandis qu’un enfant, appelé auprès du maître, lit un passage à voix haute, les autres préparent leur texte ou vaquent à leurs occupations. Cependant, il est à noter que, contrairement aux conteuses ou aux fabulistes masculins, l’institutrice représentée dans Le Fablier des enfans tient entre les mains le même livre de fables que les enfants qui l’entourent. Il ne s’agit donc pas pour elle de partager oralement un savoir qui lui est propre, mais de se constituer comme la médiatrice d’un savoir écrit par les hommes. C’est ce que semble d’ailleurs nous rappeler le buste de La Fontaine qui surplombe la scène et vient maintenir en place une liste de fabulistes masculins, comme pour imposer un peu plus, parmi les lectures féminines, une hégémonie pourtant déjà bien acquise.

Dans le frontispice du Florian des familles34, c’est à l’inverse le caractère universel de la fable qu’on laisse entrevoir par une scène intergénérationnelle (ill. 9), entrant en résonance avec le projet de constituer un fablier « des familles ».

Ill. 9. René d’Isle, Le Florian des familles, M. Ardant frères, 1860.

Ill. 9. René d’Isle, Le Florian des familles, M. Ardant frères, 1860.

Source : Collection privée.

À l’inverse de l’institutrice représentée dans le frontispice du Fablier des enfans, le père, représenté au centre de l’image, est en position de conteur et ne semble pas avoir besoin de livres. Tandis que chacun l’entoure et lui prête plus ou moins d’attention – notons l’intérêt plus palpable chez les garçons que chez filles –, le dialogue ouvert par la morale des fables est mis à l’honneur : le père est tourné vers une femme représentée dans son dos, avec laquelle il semble en plein échange.

Par un effet de contamination, l’imagerie publicitaire se fait également porteuse de cette idée que la fable est aussi bien adaptée aux garçons qu’aux filles en tant qu’activité familiale. Un exemple particulièrement frappant se retrouve dans l’illustration de Jean-Henri Marlet, produite en vue de promouvoir la lanterne magique (un petit appareil permettant de projeter des diapositives) dans le Journal des enfants, en 1824 (ill. 10).

Ill. 10. Jean-Henri Marlet, « La lanterne magique », Le Bon Génie. Journal des enfants, 1824.

Ill. 10. Jean-Henri Marlet, « La lanterne magique », Le Bon Génie. Journal des enfants, 1824.

Source : Cotsen Children’s Library [11897], Princeton University.

Une famille au grand complet, parmi laquelle des filles et des garçons, est en pleine séance de visionnage organisée et gérée par le père de famille. Les diapositives portent sur les fables (on reconnaît aisément « Le Corbeau et le Renard »), montrant qu’en 1824 déjà, l’imaginaire collectif les veut universelles, mais aussi plaisantes et propices à l’éducation. Ainsi, elles seules permettent de représenter tout un foyer, qui s’avère mixte donc, multipliant alors les promesses : une séance de révision des fables à l’aide d’une lanterne magique assure un moment en famille, lors duquel chacun et chacune trouvera plaisir. La présence discrète d’une domestique dans l’entrebâillement de la porte vient confirmer cette idée.

L’âge réel des enfants qui lisent ou écoutent les fables n’a en somme pas réellement d’importance, car la représentation de la femme en tant que conteuse ou de la fillette en tant qu’auditrice suffit déjà à indiquer que l’ouvrage est pensé en vue d’une lecture par les jeunes filles ou par de jeunes enfants, ou encore qu’il requiert une médiation de la part du père de famille.

Pour autant, à l’exception du frontispice, l’ouvrage en lui-même ne se différencie généralement pas des fabliers à destination des garçons. La fable a en effet si parfaitement achevé de s’imposer parmi les références prônées par l’école républicaine, qu’elle est intégrée aux lectures et aux apprentissages des filles comme des garçons, en dépit des différences qui subsistent dans d’autres lectures. La référence constante aux fables finit donc par s’autonourrir en France à partir du xixe siècle : parce que la fable est connue de tous et toutes, elle fait partie de la culture française, or c’est parce qu’elle fait partie de la culture française qu’elle doit être transmise à tous et toutes. La fable se popularise et se féminise donc, mais est surtout mise-en-scène comme telle au cours de ce processus d’universalisation, par le biais de l’image publicitaire notamment, dont la publicité pour la lanterne magique constitue un exemple.

L’imagerie populaire, les journaux scolaires et, plus largement, les fabliers viennent confirmer cette dynamique : lorsqu’ils affirment s’adresser spécifiquement aux filles, les fables qu’ils leur donnent à lire restent en fait les mêmes que celles qui sont proposées aux garçons. Elles sont également enseignées de la même manière comme en témoignent les traités pédagogiques, si ce n’est que cet enseignement propose de s’inscrire dans un entre-soi féminin cependant tout relatif, puisque les femmes restent très peu nombreuses à s’imposer en tant que fabulistes.

La fable, mise en scène comme un matériau destiné à tout un chacun et promettant de rendre aisé, voire plaisant, le prolongement du temps de l’instruction au foyer, est un véritable rite de passage de l’enfance française : elle lie entre elles les générations et fait partie du bagage culturel obligatoire pour tous et toutes. Cela nourrit sans conteste des considérations économiques à son égard : les éditeurs s’assurent un succès stable en les publiant, et font bénéficier leur collection d’une influence certaine. La fable prend donc part à une logique marchande, permise et encouragée par l’école, mais aussi par une société qui donne de plus en plus à lire aux filles, tout en leur imposant des lectures – à première vue seulement ! – différentes de celles des garçons.

Bibliography

Sources primaires

Anonyme, Le Fablier des enfans : choix de fables analogues aux goûts du premier âge, avec des notes grammaticales, mythologiques et historiques, 6e éd., Paris, Gueffier jeune, 1816 [Vve Devaux, an VIII (1799-1800)]. [En ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6463733j/f5.item]

Anonyme, Images d’Épinal. Album composé spécialement pour fillettes, Épinal, Pellerin & Cie, 1889-1925.

Anonyme, Album no 2 de cent images d’Épinal composé spécialement pour fillettes, Épinal, Pellerin & Cie, 1889-1925.

Le Petit Français illustré : journal des écoliers et des écolières, Paris, A. Colin et Cie, 1889-1905. [En ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb328364246/date]

Bouisset Firmin et Gillot Charles Firmin, Imagerie artistique. 20 Fables de La Fontaine, Paris, Quantin, 1888.

Chauffour Alfred, Les Deux Mulets. Fable de La Fontaine. No 3056, Épinal, Pellerin & Cie, vers 1820 ; [no d’inventaire dans le catalogue du musée de l’Image à Épinal : D 996.1.7529 B].

Hüe Sophie, Les Maternelles, Paris, P. Brunet, 1867. [En ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5706275z?rk=21459;2]

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Sources secondaires

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Zaepffel Céline, Vers une hégémonie lafontainienne : itinéraire de la fable ésopique illustrée dans la pédagogie française (1500-2020), thèse de doctorat en littérature française, Paul J. Smith et Anna E. Schulte Nordholt (dir.), université de Leyde (Universiteit Leiden), soutenue le 16 décembre 2021. [Accès restreint jusqu'au 26/01/2025 sur Universiteit Leiden : https://hdl.handle.net/1887/3247199]

Notes

1 À ce sujet, voir notre thèse de doctorat : Céline Zaepffel, Vers une hégémonie lafontainienne : itinéraire de la fable ésopique illustrée dans la pédagogie française (1500-2020), université de Leyde, 2021. Return to text

2 La notion de « fable ésopique » recouvre une réalité floue puisque l’existence d’Ésope telle que présentée dans les « Vies d’Ésope » introduisant souvent les fables semble largement relever du mythe, ainsi que le démontre Antoine Biscéré dans Jean de La Fontaine et la fable ésopique. Genèse et généalogie d’une filiation ambiguë, thèse de doctorat en littérature et civilisation française, Patrick Dandrey (dir.), Paris, Sorbonne université, soutenue le 29 novembre 2018. Nous entendons donc par « fables ésopiques » l’ensemble des fables qui s’inscrivent traditionnellement, par un processus d’imitation et de différenciation, dans la filiation de ce « créateur légendaire », pour paraphraser A. Biscéré (p. 320). Return to text

3 Ralph Albanese, La Fontaine à l’école républicaine  : du poète universel au classique scolaire, Charlottesville, Rookwood Press, 2003. Return to text

4 Ibid. Return to text

5 Ces deux albums anonymes contenant des fables sont publiés entre 1889 et 1925 à Épinal chez Pellerin & Cie. Le nombre élevé de publications de l’imagerie d’Épinal laisse envisager que d’autres fables ont été adressées aux filles vers 1850 déjà, puisque c’est à cette période que remontent les premières feuilles imprimées par Pellerin & Cie à l’intention des filles. Return to text

6 Alfred Chauffour, Les Deux Mulets. Fable de La Fontaine. No 3056, Épinal, Pellerin & Cie, vers 1820 ; [numéro d’inventaire dans le catalogue du musée de l’image à Épinal : D 996.1.7529 B]. Return to text

7 Victor Odilon Maurin, La Cigale et la Fourmi. No 902, Épinal, Pellerin & Cie, 1889-1900 ; [D 996.1.7760 B]. Return to text

8 Voir Céline Zaepffel, « Les Fables de La Fontaine en imagerie populaire néerlandophone », Le Fablier. Revue des amis de Jean de La Fontaine, no 30, 2019, p. 53‑68. Return to text

9 Pour une revue historique sur le sujet, voir Carine Picaud et Olivier Piffault, « Des journaux et des bulles », dans Olivier Piffault (dir.), Babar, Harry Potter & Cie : livres d’enfants d’hier et d’aujourd’hui, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2008, p. 308‑355. Return to text

10 Ce périodique illustré s’inscrit dans une mouvance suivie par des éditeurs souvent présents déjà dans le milieu de l’édition scolaire, visant un public assez aisé. À ce sujet, voir Raymond Perrin, Un Siècle de fictions pour les 8 à 15 ans (1901-2000), Paris, L’Harmattan, 2005, p. 44-47. Return to text

11 Ce constat est effectué à partir du relevé et de l’analyse de 50 références dans 439 numéros du périodique. Les références aux fables ésopiques et en particulier à La Fontaine sont donc présentes dans près de un numéro sur huit de ce périodique publié à la toute fin du xixe siècle. Return to text

12 Elles sont parfois transposées dans un contexte contemporain, et d’autres fois simplement réécrites en prose et accompagnées d’explications. Return to text

13 L’anecdote en question porte sur une expérience qui cherche à prouver la supériorité du renard sur le chien, en matière d’intelligence. Elle se conclut ainsi : « La Fontaine ne nous a pas trompés en nous présentant maître Renard comme un vrai compère. » (Le Petit Français illustré, 13 février 1904, p. 131.). Return to text

14 Cet effet s’en trouve selon nous renforcé lorsqu’il s’agit de mettre en scène un ou une enfant récitant une fable, du fait d’un jeu de miroir, permettant au lectorat de se projeter dans la scène alors décrite. Return to text

15 Déposée par le juriste Camille Sée en 1878, cette loi ouvrant l’enseignement secondaire public aux jeunes filles et l’érigeant parmi les responsabilités de l’État est finalement adoptée, après deux années de débat agité, le 21 décembre 1880. Return to text

16 Corinne Gibello-Bernette, « Histoire sainte, piano, dessin… », dans Babar, Harry Potter & Cie, op. cit., p. 308‑355. Return to text

17 Jean de La Fontaine, Fables, Paris, Barbin & Thierry, 1668. L’édition est ornée de gravures de François Chauveau. Return to text

18 Michel-P. Schmitt, « Les Fables à l’école primaire  : l’animal prescrit », dans Claire Lesage (dir.), Jean de La Fontaine, Paris, Bibliothèque nationale de France/Seuil, 1995, p. 204‑207. Return to text

19 Augustin Théry, Conseils aux mères sur les moyens de diriger et d’instruire leurs filles, Paris, Louis Hachette et Cie, 1859, vol. 2, p. 122. Return to text

20 Ibid., vol. 1, p. 17, 26, 39, 162 ; vol. 2, p. 358. Notons également la surprenante mention de La Fontaine aux côtés de Fénelon et de « Voltaire historien » parmi les lectures recommandées pour leur style, afin de lutter contre la timidité. Cette idée s’inscrit dans l’usage qui est traditionnellement fait de la fable comme un outil d’enseignement de la rhétorique. Celle-ci doit permettre aux élèves d’apprendre notamment à s’exprimer clairement, face à un public, à partir d’un registre de références considérées comme canoniques. En somme, il s’agit pour l’élève de s’approprier le style des auteurs étudiés dans le but de développer ses propres compétences orales. Return to text

21 Voir Antoine Prost, « Inférieur ou novateur  ? L’enseignement secondaire des jeunes filles (1880-1887) », Histoire de l’éducation, nos 115-116, 2007, p. 149‑169 ; Amélie Puche, « Le lycée de jeunes filles de Tours  : un des premiers établissements secondaires féminins de la Troisième République (1880-1924) », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, no 127/1, 2020, p. 181‑206 ; ainsi que Françoise Mayeur, « La nouvelle jeune fille », L’Éducation des filles, Paris, Perrin, 2008, p. 226-276. Les programmes d’enseignement à destination des filles deviennent similaires à ceux des garçons suite au décret Bérard en 1924. Return to text

22 Nous tirons cette conclusion de leur présence dans 76 des 83 numéros mis en ligne par la BnF sur Gallica. Le nombre de numéros publiés au total est bien plus élevé, mais il nous semble très probable que la tendance se confirme sur l’ensemble de la période de publication. Return to text

23 Antoine Prost, « Inférieur ou novateur  ? », art. cité. et Françoise Mayeur, L’Éducation des filles, op. cit. Return to text

24 Soit, en français : « Vous détenez une édition illustrée des Fables de La Fontaine. Vous êtes assise dans le jardin, auprès de votre petite sœur âgée de six ans. En regardant les images, vous lui racontez l’histoire de “La Cigale et la Fourmi” et lui en expliquez la morale. ». La citation est issue du numéro suivant, qui s’avère par ailleurs plus tardif que l’ensemble des exemples cités, ce qui pourrait contribuer à expliquer la mention d’images (L’Enseignement secondaire des jeunes filles, janvier 1921, p. 11.) Return to text

25 Outre l’incontournable Marie de France, on peut citer, parmi les plus connues, Mme de Villedieu (Marie-Catherine Desjardins, de son vrai nom, 1640-1683), Isabelle de Charrière (1740-1805) et Félicité de Genlis (1746-1830). Cette dernière écrit en 1801 ses propres fables afin qu’elles correspondent au mieux à ses préceptes éducatifs. D’autres exemples existent mais restent plus rares et moins exposés que leurs homologues masculins. Cette différence ne signifie pas que les Françaises ne se sont pas essayées au genre de la fable avant le xixe siècle, mais plutôt qu’elles ont subi, comme pour les autres genres, un phénomène d’effacement de l’histoire. À ce sujet, voir Christine Planté, « La place des femmes dans l’histoire littéraire  : annexe, ou point de départ d’une relecture critique  ? », Revue d’histoire littéraire de la France, vol. 103, 2003, p. 655‑668, ainsi que Pierre-Carl Langlais, « Les femmes ont-elles disparu de la littérature en 1830  ? », carnet Hypotheses Sciences communes, 2017. Return to text

26 À ce sujet, voir Annie Renonciat, « De l’éducation des élites à l’instruction populaire  : la pédagogie par l’image au xixe siècle », dans ead. (dir.), Voir/savoir. La pédagogie par l’image aux temps de l’imprimé, du xvie au xxe siècle, Poitiers, SCÉREN-CNDP, 2011, p. 64‑137. Return to text

27 Pauline Kergomard, Cinquante images expliquées, 2e éd., Paris, Librairie Hachette et Cie, 1900, [ca. 1888]. Return to text

28 Sophie Hüe, Les Maternelles, Paris, P. Brunet, 1867. Return to text

29 Sur le rôle du frontispice comme passage vers la lecture littéraire : Marc Fumaroli, « Sur le seuil des livres  : les frontispices gravés des traités d’éloquence (1594-1641) », dans L’École du silence  : le sentiment des images au xviie siècle, Paris, Flammarion, 1994, p. 325‑342. Pour une approche générale et théorique du frontispice, voir Margaret M. Smith, The Title-Page: Its Early Development 1460-1510, Londres/New Castle, The British Library/Oak Knoll Press, 2000. Sur le frontispice dans le cadre de l’étude des contes de Perrault et D’Aulnoy, voir Daphne Manon Hoogenboezem, Le Conte de fées en images  : le rôle de l’illustration chez Perrault et Madame d’Aulnoy (1695-1800), thèse de doctorat, Philiep Bossier, A. C. Montoya et Else Jongeneel (dir.), Rijksuniversiteit Groningen, soutenue le 6 décembre 2012, p. 51-58. Return to text

30 Paul J. Smith, « Fables ésopiques et contes de fées  : L’imitation différentielle dans les frontispices », Revue électronique de littérature française, vol. 4/2, 2010, p. 27-51. Return to text

31 Anonyme, Le Fablier des enfans  : choix de fables analogues aux goûts du premier âge, avec des notes grammaticales, mythologiques et historiques, 6e éd., Paris, , Gueffier jeune, 1816 [Vve Devaux, an VIII (1799-1800)] Return to text

32 En guise d’exemple supplémentaire, nous pouvons également citer la couverture de l’album réalisée par Firmin Bouisset et Charles Firmin Gillot, Imagerie artistique. 20 Fables de La Fontaine, Paris, Quantin, 1888. Il ne s’agit pas d’un frontispice à proprement parler mais d’une couverture de livre qui semble cependant endosser un rôle comparable ici. Return to text

33 Cette posture n’est pas sans rappeler la conteuse de fables du frontispice de Charles Perrault, Traduction des fables de Faërne, Paris, J.-B. Coignard, 1699. Servant principalement à indiquer que l’œuvre est à la portée des plus jeunes, elle se situe à la frontière des représentations des conteuses et des fabulistes. Sur ce frontispice et dans une optique comparative en lien avec le genre du conte, souvent mis en concurrence avec la fable, voir Paul J. Smith, « Fables ésopiques… », art. cité. Return to text

34 René d’Isle, Le Florian des familles  : fables choisies, Limoges, M. Ardant frères, 1860. Return to text

Illustrations

References

Electronic reference

Céline Zaepffel, « Des filles et des fables », Cahiers Fablijes [Online], 1 | 2023, Online since 14 avril 2023, connection on 06 septembre 2025. URL : https://publications-prairial.fr/fablijes/index.php?id=189

Author

Céline Zaepffel

Chercheuse invitée au Rijksmuseum (Amsterdam, Pays-Bas) / Johan Huizinga Fellow, Rijksmuseum (Amsterdam)

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