Cet ouvrage, somme d’un travail considérable, déroule en dix-neuf chapitres, répartis en quatre parties, une analyse novatrice de Merlin. Disons d’emblée que le travail de Jean-Charles Berthet (agrégé et docteur ès lettres) s’adresse à des spécialistes du domaine médiéval comme le prouvent les démonstrations, nombreuses et ardues, de phonétiques historiques qui apparaissent au cours de l’exposé (un tableau des métaphonies en brittonique est présenté en début d’ouvrage). Les cartes réalisées, concernant la civilisation celte vue par les archéologues et la civilisation plus restreinte liée à l’île de la Grande-Bretagne, permettent de resituer les textes dans leur contexte historique et linguistique. En fin d’ouvrage, les index par noms des personnages et par thématiques faciliteront les recherches futures.
L’intérêt de sa démarche réside dans le nombre important de textes que l’auteur met à notre disposition, fournissant un travail philologique remarquable. En effet, ces textes sont proposés en langue originale (latin, gallois, breton, irlandais, moyen anglais, ancien français), accompagnés de traductions en français, dont certaines sont inédites, et suivis d’explications. Cela permet à l’auteur de les saisir dans leurs dimensions linguistique et littéraire.
Les deux Merlin
Qui est donc Merlin ? D’emblée, Jean-Charles Berthet nous plonge dans la complexité de ce personnage en défendant la thèse que le Merlin homme sauvage et l’enfant Merlin appartiennent à un même mythe archaïque. Il agit en véritable archéologue littéraire en fouillant les textes, afin d’en dégager les strates pour retrouver l’image d’un Merlin préchrétien.
Comment procéder pour défendre cette thèse ? Jean-Charles Berthet recourt à deux méthodes : la méthode comparatiste de Georges Dumézil mise en avant dans son étude Mythe et Épopée1 et l’approche anthropologique de Claude Lévi-Strauss, particulièrement dans ses Mythologiques2. Aussi scrute-t-il les textes, véritables palimpsestes, qu’il compare afin de définir, au-delà de leur identité structurelle, au-delà du temps et de l’espace, quel mythe, à travers les variantes, se cache sous Merlin. Il fait appel également, en amont, aux autres mythologies indo-européennes. La comparaison des structures narratives, dont la congruence complète est reconnue, rend possible le repérage des contours de ce mythe celtique hérité.
Qui joue à quoi ?
Dans ce dédale de textes, de récits, l’analyse de la deuxième partie du livre est à lire avec attention dans la mesure où un épisode ludique, en apparence anodin, ainsi que ses variantes combinatoires, revêt une importance mythique qu’on ne lui soupçonnait pas et permet, dans la quatrième partie, d’asseoir définitivement la thèse soutenue. Le récit perse, relatant la vie de Yima et de son descendant Feridun, fournit le scénario complet du mythe du héros que retrace la juxtaposition des légendes des deux Merlin. Le mythe de Merlin n’est pas un emprunt, mais provient bien, selon l’auteur, d’un héritage indo-européen.
On ne peut que saluer cet ouvrage dont la richesse, la profondeur et la rigueur des analyses ouvrent des pistes innovantes au dossier Merlin, ouvrage en adéquation avec son titre.