(Le) Phénix de Pierre Jean Jouve ou la représentation accomplie

DOI : 10.35562/iris.1823

p. 155-175

Résumés

En 1928, à la suite d’une « conversion » qui le tourne vers des « valeurs spirituelles de poésie », le poète Pierre Jean Jouve (1887-1976) renie tous ses ouvrages antérieurs à 1925 et proclame le début d’une « vita nuova ». Désormais, son œuvre ne cessera de représenter cette « scène originaire » de mort et de résurrection, mise sous le signe d’une « imitation du Christ ». Parmi ces représentations, le phénix occupe une place plutôt discrète mais significative. L’article examine les différentes occurrences du symbole du phénix dans l’œuvre de traduction, de roman et de poésie de l’auteur, et y reconnaît une figure de la représentation, en tant que celle-ci exige la mort de l’objet (réel) tout en lui donnant une nouvelle vie. Le phénix jouvien apparaît comme une figure de l’« accomplissement » de cette représentation, aux multiples sens du mot. Il la montre en train de s’accomplir, via le sacrifice du corps « visible » comme présidant à un amour éternellement « audible » dans les mots. Il la représente sous une forme « accomplie » dans la prostituée qui, objet d’un meurtre sacrificiel, prend la figure d’un gouffre, lieu où toute représentation s’abîme, mais où toute représentation trouve aussi son origine et sa condition de possibilité. Il permet enfin d’en entrevoir le terme : l’oiseau, qui représente l’essence amoureuse et sacrificielle de la poésie, est d’autant plus « près » d’incarner cette essence qu’il renonce à se montrer ; il s’effacera derrière la représentation du lieu (une « forêt sacrée ») où son mystère s’est manifesté.

In 1928, as a result of his “conversion” which turns him to “spiritual values of poetry”, the French poet Pierre Jean Jouve (1887–1976) repels all the works he wrote before 1925 and announces the beginning of a “vita nuova”. From now on, his œuvre will never stop representing this “primitive scene” of death and resurrection, interpreted as an “imitation of Christ”. Among these representations, the Phoenix is a discrete but significant image. The article examines the different places where the Phoenix symbol appears, in Jouve’s translations, novels and poetry. The bird appears as a symbol of representation, based upon the death of the object and giving it a new life. Jouve’s Phoenix is a figure of the “accomplishment” of this representation. It shows representation in statu nascendi, as a sacrifice of the “visual” corporal appearance in order to realize a life and a love “hearable” in words. It represents representation as “accomplished” in the image of the prostitute, who was killed in a sacrificial way, and takes the appearance of an abyss, where every representation stops, but where every representation also finds its origin and its possibility. It finally puts in perspective the end of representation: the bird which represents the “essence” of poetry—an essence of love and sacrifice—is imagined “near to essences and God”, and the nearer as it becomes invisible and stops showing itself; in one of the last poems, it disappears behind the representation of the place (a “sacred wood”) where its mystery has revealed itself.

Plan

Texte

Une œuvre sous le signe de la mort et de la résurrection

Le poète français Pierre Jean Jouve (1887-1976) était déjà engagé dans une première carrière d’écrivain, lorsque, entre 1922 et 1925, il traversa une crise existentielle profonde que, dans son ouvrage autobiographique En Miroir (1954, nouvelle édition revue 1957)1, il identifie à une « conversion » : elle le « tourna » en effet vers des « valeurs spirituelles de poésie, valeurs dont je reconnaissais l’essence chrétienne » (EM II, p. 1073). À l’issue de cette crise, Jouve « réalise » (au double sens d’une vision anticipée et d’un accomplissement subséquent) la nouvelle vie de son œuvre sous une forme qui évoque d’emblée la figure du phénix. Il lui assigne, de façon générale, le devoir d’accomplir un « mouvement vers le haut », par la combinaison de deux impératifs : opposer au « néant du temps » « une perspective religieuse », et s’inventer une « langue de poésie » exclusivement définie comme « chant » (EM II, p. 1068-1069). Face à ce nouveau programme, l’œuvre ancienne est jugée irrémédiablement « manqué[e] » (EM II p. 1072) ; et en 1928, dans la postface à son recueil Noces2, le poète déclare renier en bloc tout ce qu’il a publié avant 1925, en apposant sur son recueil l’épigraphe (empruntée à Dante) de « Vita nuova ». Née « comme après métamorphose » (EM II, p. 1073) de son propre autodafé, et réalisant sa « nouvelle vie » sur les décombres de la première, l’œuvre jouvienne se place ainsi sous le signe radical de la mort et de la résurrection, elles‑mêmes vécues, dans une « perspective religieuse », comme une imitation du Christ. L’œuvre jouvienne ne cessera plus, par la suite, de répéter et de commémorer la scène originelle qui lui donna naissance : c’est sa propre « exécution » qu’elle s’appliquera à mettre en scène, comme un mouvement conjoint de mise à mort et de réalisation ou d’avènement en vérité :

[…] l’artiste est celui qui […] pense la mort de façon active et sait l’utiliser […]. L’artiste est celui qui met sa mort en valeur. (EM II, p. 1124)

Une œuvre pareille pouvait-elle manquer de se représenter, tôt ou tard, sous la figure du phénix ? L’oiseau mythique fait effectivement son apparition dans l’œuvre jouvienne, mais la place qu’il y occupe est plutôt discrète, surtout en comparaison de celle, massive, occupée par le symbolisme chrétien, ou de celle tenue par la mythologie lunaire, le mythe d’Isis et d’Osiris ou la thématique orphique3, qui se rattachent également au mystère de la mort et de la résurrection. À part un emploi métaphorique dans le roman Hécate (1928), où l’amour retrouvé est comparé à un phénix renaissant de ses cendres (II, p. 545), le poète a intitulé « Phénix » un poème isolé de son recueil Matière céleste (1937 ; I, p. 311) et une suite de cinq poèmes qui ouvraient son recueil Lyrique de 1956 (I, p. 909-913). Une année plus tard, en 1957, il publia en outre le recueil Mélodrame, qui s’achevait sur une traduction de « Phénix et Colombe » (« The Phoenix and the Turtle ») de Shakespeare (II, p. 2169-2176)4. Or pour réduite que paraisse la place du phénix dans l’œuvre jouvienne, elle n’en est pas moins significative, comme en témoignent sa récurrence, à plusieurs années d’intervalle, dans le roman, puis dans la poésie, et sa position liminaire, tantôt inaugurale d’un recueil, tantôt constituant son point d’aboutissement. Dans cet article, nous essaierons de circonscrire cette place, en rattachant la figure du phénix à une problématique plus générale de la représentation poétique, c’est-à-dire au rapport du mot à la chose, de la parole au réel. Toute représentation est liée à la perte (à la mort) de l’objet et à sa substitution par un représentant qui, sans jamais « être » l’objet, sans jamais coïncider avec lui, permet pourtant de le « réaliser » ou de le faire advenir en lui. Le phénix jouvien apparaît comme une figure de l’« accomplissement » de cette représentation, aux multiples sens du mot : il la montre en acte, en train de s’accomplir ; il la représente dans sa forme la plus aboutie, dans sa plus grande perfection ; et il permet d’en envisager la fin, le point où elle touche à son terme. Nous espérons fournir ainsi une clé de lecture qui donnera accès, non seulement aux poèmes intitulés « Phénix », mais à l’œuvre jouvienne tout entière. Pour saisir à fond le rapport du phénix à la représentation, il faudrait le rattacher aux autres figures mythologiques qui lui sont apparentées, non seulement à celles qui préexistaient à l’œuvre jouvienne (Orphée, Isis-Osiris, Hécate), mais aussi, et surtout, à la figure d’Hélène, dans laquelle cette œuvre s’invente son propre mythe fondateur ; dans les limites de cet article, cela n’est malheureusement pas possible. On nous pardonnera également de lancer, sans vraiment les approfondir, certains concepts psychanalytiques qui entrent en dialogue avec notre propos, et le « représentent » à leur tour sous une autre figure.

Le phénix figure d’une hiérogamie : « Phénix et Colombe » de Shakespeare

La place réduite que le phénix occupe dans l’œuvre jouvienne est elle‑même significative. On remarquera, en effet, que la rareté même des poèmes qui lui sont consacrés, leur réapparition périodique, et leur position au point même où un cycle poétique prend naissance ou expire5 imitent les traits fondamentaux de l’oiseau dont ils parlent : comme la poésie qui le subsume, le phénix ne se montre qu’à de très longs intervalles6, et pour représenter ses propres mort et naissance. Tout se passe donc comme si, autour de cette figure énigmatique et pour ainsi dire sous son patronage, se produisait le « miracle » (« Phénix », V, Lyrique, I, p. 913) que toute œuvre littéraire7 aspire à réaliser : celui d’une union intime, fusionnelle, entre la parole et son objet, entre l’énonciation et son énoncé, entre la forme et le fond. Dans leur sillage, ces couples d’opposés en entraînent d’ailleurs d’autres encore, comme le mot et la chose, ou la chose proprement dite et sa représentation symbolique, le représentant et le représenté, mais aussi, de part en part, l’être et le paraître, le visible et l’audible, la chair et l’esprit, le matériel et le spirituel, la terre et le ciel, l’animé et l’inanimé, le mort et le vivant, l’objet et le sujet — pour preuve, les titres des recueils poétiques où le phénix fait son apparition, et qui sont Matière céleste ou Mélodrame8. Mis tout entier sous le signe du paradoxe, condensant la mort et la renaissance en un seul acte, le phénix semble être la représentation d’une union transgressive (elle-même à peine représentable), qui constitue l’accomplissement suprême de l’œuvre d’art — un Art que Jouve écrit avec majuscule et qui, dans ses moments de grâce, lorsqu’il est « inspir[é] », réussit précisément à « accorder parfois des éléments inconciliables » (EM II, p. 1080, italiques de Jouve). La représentation montre cette union foncièrement interdite comme possible, fût-elle rare et toujours provisoire. On trouve une illustration de ce moment magique d’illumination ou d’inspiration par la grâce dans la description de la « Chambre bleue » qui ouvre le roman Paulina 1880, et qui oppose, à la couleur bleue et spirituelle de la chambre, le « rouge grenat », charnel et explosif, de ses chaises et fauteuils :

Le rouge et le bleu échangent des provocations terribles. Le rayon du ciel arrive et entre ces deux ennemis se fait un raccommodement provisoire, de nature mélancolique. (II, p. 8)

On comprend d’emblée que le poète ait pu intégrer dans Mélodrame, comme un point d’orgue à son œuvre propre, sa traduction du poème « Phénix et Colombe » de Shakespeare. Composé d’un « anthème » et d’un « thrène », d’un hymne et d’un chant funèbre, ce poème célèbre rétrospectivement, au moment où la magie « provisoire » ou la grâce de cette « inspiration » ont déjà perdu leur effet, l’union inconcevable et miraculeuse (« En eux un miracle était né », II, p. 2174), véritable hiérogamie, qui a existé entre le phénix et sa compagne la colombe qui, par amour, s’est jetée dans le feu qui consumait son amant. Les personnages sont allégoriques : l’union entre le phénix et la colombe symbolise celle entre « l’amour » et la « constance », entre le « Beau » et le « Vrai », et enfin entre la « rareté » et la « grâce en toute simplicité » (II, p. 2175). Le dernier couple conceptuel a trait au paradoxe d’un miracle qui se donne et se refuse à la fois, qui relève de la générosité de la grâce et pourtant est aussi secrètement interdit — d’où son caractère « provisoire » et « mélancolique ». Dans l’union entre beauté et vérité, la forme épouse le fond ; l’apparence extérieure est l’expression véridique d’une essence ; la perception sensorielle, via les yeux de la chair, rejoint immédiatement l’appréhension du sens, via les yeux de l’esprit ; la vue au sens propre du terme n’est pas différente de la vision au sens figuré ; la « première vue » ne se distingue pas de la « seconde » ; le charnel ne se distingue pas du spirituel. Quant au couple amour – constance, il unit l’instant et la durée, et suspend le temps et son ordre de succession, en confondant l’avant et l’après, ce qui vient d’abord et ce qui vient ensuite ; il relie aussi la promesse et son accomplissement, le discours performatif et son prolongement constatif9, et unit dès lors, au bout du compte, le dire et le faire, la parole et le réel.

Ce n’est pourtant pas tant cet hymne à l’union entre le phénix et la colombe qui donne une première idée du véritable enjeu de la figure du phénix, mais bien plutôt le « thrène », dans lequel Shakespeare en chante justement la perte. Que l’hymne à leur amour soit inséparable d’un chant funèbre qui constitue son autre face, intègre en effet le miracle de l’union des contraires dans une thématique orphique « de nature mélancolique », selon laquelle le chant est par excellence conditionné par la perte de son objet, — ou encore : la beauté formelle se construit sur un fond absent. Prise dans le mouvement de sa propre logique (qui veut l’union de tout ce qui est séparé), l’union des contraires produit son propre contraire, qui est la séparation, afin de s’y unir à son tour. L’amour appelle, par un lien qui est lui-même d’amour, la séparation. Et il y a plus. L’union entre le phénix et la colombe était transgressive et contraire à la « raison » (II, p. 2174), car le phénix est un immortel et la colombe une créature terrestre10 : des deux oiseaux, seul le phénix se relèvera de ses cendres. Si le poème chante cette union, il ne peut donc la chanter qu’en tant que (toujours déjà) perdue : interdite d’emblée, elle a été perdue effectivement au moment d’être réalisée, et par le fait même de se réaliser. Inversement, cependant, cette union n’advient et ne se réalise entièrement que dans sa perte, qui est le moment de son accomplissement suprême. Le feu qui détruit cette union est le lieu où elle se réalise ; ce qui divise est aussi ce qui soude ensemble ; le feu de la mort et de la séparation la plus radicale est aussi celui de l’amour et de l’union suprême. Que l’amour puisse se réaliser dans la séparation, voilà une réalité difficilement concevable qui « confond » la raison logique : « Raison en son jeu confondue / Voyait s’unir division. » (II, p. 2174) Mais par le biais de cette « confusion », la raison se trouve entraînée elle‑même dans le jeu transgressif et fusionnel de l’amour (« Raison en son jeu confondue »), et se dissout — comme la colombe se consumant dans le même feu que le phénix — dans une raison supérieure, qui est celle de l’amour :

Amour a raison, raison non,
Si soude ainsi ce qui sépare.
(« Phénix et Colombe » de Shakespeare, II, p. 2175)

L’amour et la raison, ici, ne sont plus ennemis (ou plus seulement, car ils continuent à s’opposer comme le « oui » et le « non »), mais fusionnent dans un amour qui est raisonnable lui-même, qui comprend la raison dans son sein, mais en la dépassant. La raison logique, qui a reconnu ses limites et qui s’est rendue au mystère de l’amour, renaît sous une nouvelle forme, élargie, supérieure, celle d’une raison de l’amour qui est son accomplissement en vérité.

Or qui d’autre reconnaît la raison de cet amour, et trouve son logos emporté et dépassé par ce mouvement amoureux de mort et de résurrection, sinon l’auteur et le lecteur qui se représentent la scène ? Ce qui se produit au bout du mouvement, c’est donc un déplacement (ou une contagion) de l’amour des deux oiseaux vers leur spectateur, le lecteur/auteur du poème, en qui la raison obtuse, fermée à l’entendement d’une union aussi improbable, s’est ouverte à la raison supérieure de l’amour. La colombe n’est pas morte en vain : au moment où le feu s’est déjà éteint sur ses cendres, elle a transmis sa flamme, allumé un nouveau feu dans celui qui, regardant la scène, l’a intériorisée, c’est-à-dire « comprise » ou assimilée en vérité. L’amour s’est transporté de l’acteur du drame à son spectateur/lecteur, s’est transmis du niveau de l’énoncé à celui de l’énonciation, de l’intérieur à l’extérieur ; et c’est dans le monde au-dehors du poème que, ressuscité miraculeusement, il est advenu.

Le phénix figure de la poésie : victime de Thanatos, incarnation d’Éros

Si le phénix est une figure significative dans l’œuvre jouvienne, c’est en tant qu’il représente le plus haut accomplissement de l’art ou de la poésie, celui de l’union entre la forme et le fond, ou entre la parole et son objet. Il symbolise la possibilité d’une forme (d’une parole, d’un mot) à travers laquelle se réalise, au sens propre du mot (qui est d’advenir réellement), das Ding an sich (l’objet, la chose) ; d’une forme à travers laquelle un objet interdit, refusé, se donnerait quand même à saisir, serait mystérieusement présent, re-présenté ; d’une forme qui serait le lieu d’épiphanie de son objet (son avènement en vérité), ou encore qui serait « l’autre vie » de l’objet (qui, de réel, passerait au statut ontologique du vrai). Son mystère est celui de la représentation, de la symbolisation et de la sublimation. Le miracle qu’il présente comme possible est celui de la présence paradoxale de l’objet « réel » dans le représentant, ou le substitut symbolique (la forme) qui le met à distance, c’est-à-dire fait obstacle ou écran à son avènement ; c’est celui de la présence, ou de la « présentification », car il s’agit d’un processus radicalement dynamique, de ce qui est absent, dans et à travers ce qui produit justement cette absence. Dans ce qui le représente, l’objet advient en s’absentant, se donne en se refusant, est à la fois « Fort » et « Da », comme la mère dans le jeu de la bobine que Freud décrit dans Au-delà du principe de plaisir (1920, traduit par Samuel Jankélévitch en 1923). Si miracle il y a, c’est que, comme dans le mythe d’Osiris où le dieu châtré se substitue à l’original complet, sans rien perdre de sa puissance procréatrice, l’objet « advient » vraiment dans la forme, en tant qu’être vivant, actif, dynamique (il est force ou puissance), et non en tant que chose morte, inerte : sa présence n’est pas celle d’un objet inanimé, comme celle d’un cadavre dans un tombeau, mais le passage éphémère (à peine présent qu’il est déjà de nouveau absent) d’un être doté d’une âme, d’un esprit, comme celui d’un visiteur ou d’une « douce visiteuse11 » — d’où son rapport avec l’inspiration. La forme n’est pas le lieu où l’objet est fixé, (déjà) mort et enterré ; elle est le lieu où il est activement mis à mort (ce qui suppose qu’il est vivant) et le lieu où il est activement ressuscité, où il trouve une « nouvelle vie ». C’est ici que la symbolisation rencontre la sublimation : en tant que processus dynamique et dynamisant, la représentation/présentification constitue en définitive le déplacement de la force vitale elle-même, transportée d’un lieu à l’autre. D’abord appartenant à l’objet, elle se libère en quelque sorte de celui-ci pour — devenue plus autonome — investir et animer la forme qui le représente, de sorte que la forme devient à proprement parler la nouvelle modalité d’être de l’objet, — une modalité d’être plus libre, plus détachée de lui-même, plus dynamique que l’ancienne (car elle lui donne une marge de jeu plus grande), dans laquelle il se transforme et transcende sa propre figure bornée, mais sans se trahir et en restant foncièrement fidèle à lui-même. La re-présentation/présentification accomplie constitue ainsi, au-delà d’un déplacement, une véritable « mue » de l’objet12, qui change de peau, sans changer de substance. La forme est le « nouvel être » de l’objet : c’est encore lui, tout entier, inaliénablement lui-même, mais complètement réinventé.

Cet accomplissement est rare, voire secrètement interdit :

La Poésie est rare. Si elle paraît avoir passé, au cours de son histoire, par tous les rôles et travestissements, ici discours et là ornement, simple convention de cour ou de salon, c’est que, comme tout acte « inventeur », elle est très rare. (EM II, p. 1055)

Phénix insaisissable, qui ne se montre que pour disparaître, dans « un feu géant tout noir par aucun regard traversé » (« Phénix », III, Lyrique, I, p. 911)13, la « Poésie », que Jouve, comme on le voit, écrit avec majuscule, se retire au moment même où elle se livre, et se soustrait à l’emprise dans les formes mêmes par lesquelles elle se laisse saisir ; si elle se montre, ce n’est jamais que cachée, et ce qu’elle livre n’est qu’une représentation14 d’elle-même, qui trahit sa vérité : par rapport à la Poésie, tout poème concret est un faux.

Plus profondément, cet « acte inventeur » qu’est la Poésie use d’un pouvoir « occulte » qui ne supporte pas la pleine lumière : celui « du mot de créer la chose » (EM II, p. 1056). La Poésie, « art de faire », c’est-à-dire d’« enfanter, donner l’être, produire ce qui, antérieurement à l’acte, n’était pas » (EM II, p. 1055), est « soumise à une secrète interdiction », qui constitue sa face obscure, la « nuance opposée » que sa capacité d’enfanter appelle comme un nécessaire complément (ibid.). Portée à enfanter, la Poésie s’interdit aussi à le faire, en se suspendant dans un certain inaccomplissement. Aussi, les rares moments de grâce où elle s’accomplit effectivement portent-ils la trace de cet interdit : si elle arrache une forme d’être au néant, un « dire » véritable à l’interdit, ce n’est jamais qu’au prix d’une « sueur de sang15 » dans laquelle se superposent le travail expiatoire d’Adam et le sacrifice rédempteur du Christ. Expiant sa propre faute, et participant au rachat apporté par le Christ, la poésie jouvienne unit une face d’ombre et une face de lumière, condense péché, punition et salut ; elle est l’endroit paradoxal où s’unissent les deux régimes distingués par saint Paul : celui de la loi, et de son corollaire la faute, et celui de la grâce. En moi, dit Jouve, un « bourreau implacable » se heurte sans cesse au « croyant » (EM II, p. 1081-1082). Ce bourreau insuffle à l’auteur le doute ou le sens de l’erreur, mais il relaye aussi le croyant en lui intimant l’ordre de recommencer sans cesse :

Le doute de mes forces dans une invisible et éternelle lutte […] a provoqué le continuel effort et l’acharnement de mener cet effort au terme, […] il m’a donné aussi la capacité de renouveler sans cesse l’instrument […]. (EM II, p. 1058)

L’œuvre jouvienne tire donc son existence et sa force vitale, aussi bien de la présence en elle d’une négativité qui l’interdit, que des instants de grâce où le croyant l’emporte et où le poète exulte dans la foi — instants éphémères qui risquent toujours d’être démasqués comme illusoires, « hommage rendu devant la dame de l’erreur16 ». Tributaire de la négativité, c’est paradoxalement dans ce qui la détruit que cette poésie reconnaît la force motrice qui la relance et la renouvelle sans cesse ; elle s’identifie en profondeur à un phénix qui se régénère dans le feu même qui le met en cendres.

Averti via sa seconde épouse17 des acquis de la psychanalyse, Jouve identifie lui-même les deux forces fondamentales qui président à son œuvre, à l’Éros et à la pulsion de mort dont Freud découvrit l’imbrication fondamentale dans Au-delà du principe de plaisir (1920). Ces deux forces se tiennent en équilibre, dans ce que Jean Starobinski appelle un « perpetuum mobile des appels contraires18 », et sans qu’aucun des deux ne prenne définitivement le dessus. L’un des tout derniers poèmes de Jouve se termine sur ces deux vers éloquents :

Mais aucun n’a cédé de ses forces sacrées
À l’adversaire, ni le péché ni la folle espérance. (Moires, I, p. 1121)

N’empêche que c’est à la « folle espérance », mise à la fin du vers, et pourvue d’un nombre de pieds supérieur au « péché19 », que le poème entend accorder le dernier mot : si son énoncé demeure dans l’indécidable, son énonciation court au-devant de lui et préfigure par anticipation la victoire finale de l’amour sur la mort.

Il faut donc reconnaître, dans le phénix jouvien (et dans la Poésie qu’il représente), un double aspect, d’objet passif d’une machinerie impersonnelle et diabolique (figure, dans l’œuvre, de la loi et de la mort), et de sujet actif d’un mystère vivifiant (figure de l’Éros et de la grâce). Soumis à la mort, ce phénix (cette Poésie) est une figure tragique de Heautontimoroumenos. À la façon d’un héros de tragédie antique, il est la victime coupable-innocente d’un destin fatal et implacable, qui le punit d’une culpabilité qu’il lui a d’abord imposée ; passif, quasi inerte, il obéit dans une sorte d’aveuglement machinal ; il n’est, somme toute, qu’un pion dans un jeu supra-individuel dont la portée lui échappe, voire une « chose » prise dans un mécanisme impersonnel et anonyme qui, s’il n’était pas contrecarré par un mouvement contraire, finirait par tourner follement sur lui-même20. « Phénix tu fais ton devoir », dit le poème III de la suite de Lyrique (I, p. 911) ; et les prostituées dépersonnalisées du poème « Phénix » de Matière céleste ne sont que des « choses21 » vertigineusement « ouvertes » au mal et à la mort (I, p. 311). À quoi correspond une image de l’œuvre d’art comme « réalité autonome […] sans auteur ni acteur ni spectateur, pour une certaine gravitation des causes essentielles » (EM II, p. 1161). Mais ce phénix (ou cette Poésie) prend aussi l’aspect d’un être vivant et passionné, animé par une foi ardente et par un grand amour. Aimé/aimant, « inspiré », il apparaît comme une personne à part entière, libre et responsable de ses actes ; c’est un sujet unique, irréductible à un autre22, à qui on dit « tu » (voir les poèmes II et III de Lyrique) et qui porte un nom propre23. Il est significatif à cet égard que, pour désigner le phénix, Jouve omet systématiquement l’article défini, chose particulièrement frappante dans sa traduction de Shakespeare, où il traduit « Phénix et Colombe », alors que le texte original dit « The Phoenix and the Turtle24 ». D’un nom générique, Jouve fait donc ici un nom propre, qui individualise son phénix et en fait une personne unique et irremplaçable. Loin d’être en contradiction avec le mythe, cette intervention le fait advenir en vérité. Le phénix apparaît en effet comme l’aboutissement suprême de la représentation symbolique, où la chose représentée advient dans son représentant, et où le représentant et le représenté fusionnent. Dans cette figure accomplie, tout ce qui a trait au « générique », à la génération et au genre, touche à sa fin. Le phénix mythique est remplacé, mais par lui-même ; il est engendré, mais « autopâtor et automêtor », selon la formule d’André Green25 ; en plus, si on ne lui connaît pas de sexe26, c’est que, figure de la condensation et du dépassement de la séparation, il les réunit tous deux en lui. C’est ainsi que le poème de Shakespeare met en scène l’union de l’homme et de la femme27. Corrélativement, lorsque la « nouvelle vie » de l’œuvre se révèle à Jouve, après les années de crise 1922-1925, elle prend, à l’image du phénix bisexuel, un caractère étrangement guerrier de vierge phallique, s’offrant en même temps comme auto-engendrée, déjà toute faite : « Elle paraissait dans une poésie nouvelle armée de pied en cap. » (EM II, p. 1073, nous soulignons.) Sans doute est-ce dans le même contexte qu’il faut situer la double occurrence du phénix jouvien, tant dans l’œuvre romanesque que dans l’œuvre de poésie. Si le phénix ne se limite à aucun genre littéraire, c’est en effet que l’esprit d’amour et de poésie qu’il représente vole où il veut et se manifeste aussi librement dans le roman que dans la poésie.

Sous son aspect « victime » d’un mécanisme démoniaque, le phénix se laissait précipiter, aveugle, aliéné de lui-même, possédé par l’autre, dans la Rücksichtslosigkeit proprement pulsionnelle de la faute et de la mort. L’autre phénix, cependant, et l’autre face de la poésie qu’il représente, est une « créature de Dieu » (II, p. 1102) : « Toute poésie est à Dieu », dit un poème de Mélodrame (I, p. 973) — en quoi il faut lire aussi : « adieu ». Ce phénix-là, en effet, se sacrifie amoureusement, à la façon du Christ, en embrassant une cause en laquelle il croit passionnément et qui, avant d’être la sienne propre, est celle de l’autre : dans ce phénix-là, la poésie se montre comme une grande amoureuse, ou comme une religieuse mystique et sacrificielle28, qui meurt au monde pour sauver le monde et, dans le même mouvement, se sauver elle-même : il ne s’inscrit pas dans un destin implacable, mais dans une destinée qui est histoire du salut ; il ne précipite pas l’univers dans « l’ouragan de la perdition » (II, p. 194) mais apporte, comme la colombe de Shakespeare, la paix et la promesse du salut :

Je n’aurais jamais écrit une ligne si je n’avais pas cru au rôle sanctificateur de l’Art. (EM II, p. 1161)

Hécate (1928)

Dès sa première occurrence dans l’œuvre de Jouve, le phénix apparaît comme une figure de l’amour et de la poésie. Dans le roman Hécate (1928), il symbolise un amour perdu qui renaît miraculeusement de ses cendres, retrouvant intacte son ancienne splendeur :

Ainsi des cendres, d’un incroyable amoncellement de cendres qu’ils avaient formé ensemble, ressort le phénix. L’oiseau merveilleux de l’amour se reforme. L’amour revient. L’amour blesse et affaiblit toutes les résistances. L’amour fait oublier des douleurs excessives. Mais quel merveilleusement bel amour encore une fois. (Hécate, II, p. 545)

Il fallait citer tout le passage pour faire sentir le lyrisme de ce chant de Magnificat : cessant de fabuler, le roman prend ici son envol plus haut que lui-même et se convertit en poésie ; en même temps, son discours prend un accent gnomique, comme si l’histoire particulière débouchait sur une vérité plus universelle. L’énonciation épouse l’énoncé, car le discours des deux amoureux se transforme également en chant : « Je ne parle pas, » dit Catherine à Pierre, « je suis effusion » (II, p. 546), et plus loin : « Pierre entonnait le chant. / Catherine répondait. / Catherine chantait la première. » (II, p. 569) L’amour réparé/réparateur est pourtant en même temps célébré comme blessant/blessé, et s’offre amoureusement à des blessures plus grandes. Le paradoxe préside à toute la scène. En effet, en pleine force d’amour, et au nom de cet amour, par amour et pour que cet amour soit, Catherine et Pierre décident/acceptent (il y a combinaison de l’actif et du passif) de se quitter, dans un esprit sacrificiel de « renoncement », parce que leur amour, « pour être », demande à ne plus se « faire » (II, p. 547). Soustrait à la chair, où son « être » est trahi par sa représentation (par le « faire » qui se substitue à lui), l’amour de Pierre et de Catherine sera transporté désormais dans un échange passionné de lettres, où il s’épanouira sans entraves et sera exposé plus « à nu » (II, p. 569) et avec davantage de vérité. L’opération vise donc à éliminer autant que possible la médiation du représentant corporel, et à réaliser une sorte d’épiphanie directe et immédiate de l’essence. De la représentation de la chose, ou de la chose médiatisée par un substitut symbolique qui ne l’incarnera toujours qu’imparfaitement — qui laissera toujours perdre certains éléments essentiels de sa substance —, les amants entendent passer à la chose elle-même, ou du moins à sa présence plus directe, dans un représentant plus adéquat :

Le symbole devrait être réduit, afin que reste seulement le moi en face de l’essence — remarquons que c’est le but de l’ascèse, qui réprime le corps. (EM II, p. 1144)

« Je cherche les notes qui s’aiment » disait, paraît-il, Mozart enfant. Ce qui se produit ici, c’est un déplacement de l’amour (de la libido, de l’énergie sexuelle, de la force érotique inscrite dans le corps), qui, tout en gardant la même intensité, change de lieu, et qui, sans changer de nature (sans rien perdre de sa substance originelle), change pourtant d’aspect (de face, de figure), se métamorphose et devient méconnaissable : d’un amour entre deux corps, il devient amour entre les lettres de l’alphabet, jeu érotique des lettres qui s’aiment. Ce déplacement vient inscrire dans le roman le mouvement de la sublimation qui, comme le souligne Jacques André, relève de l’extraordinaire plasticité de la nature de la libido, capable de se transformer et de prendre maintes figures :

Il n’y a pas moins de sexualité dans l’or que dans le plomb, pas moins de passion dans la « cassette » de l’Avare que dans la chose anale dont elle dérive. Simplement la vie sexuelle s’est déplacée, elle est devenue méconnaissable29.

La sublimation, ce transport de l’amour, est un mouvement proprement poétique qui s’empare ici du roman et lui permet de prendre son envol : il correspond à son désir « alchimique » d’épuration et d’élévation vers l’essence (le mouvement vers le haut, via le chant), aussi bien qu’à son désir de transcender sa « petite histoire » bornée en s’ouvrant vers l’Autre (l’humanité, la société), et en accédant à l’universel. La sublimation freudienne implique en effet le dépassement du narcissisme, voire de l’auto-érotisme stérile et pervers de l’enfance, vers une activité dont la société reconnaît la valeur culturelle (qui n’est pas son utilité)30. Transfiguré en lettres qui s’aiment, l’amour de Pierre et de Catherine a l’ambition de transcender les intérêts limités et personnels/égoïstes des deux personnages, et porte en lui la puissance de produire un objet socialement valorisé, une œuvre d’art.

« Phénix » de Matière céleste (1937) : les prostituées et la Vierge ou les saintes de l’abîme

Inséré dans la section « Nada » (dont le nom renvoie à la dialectique de l’absence et de la présence, du Rien et du Tout, de saint Jean de la Croix), le poème « Phénix » de Matière céleste (I, p. 311) est déroutant car, à première vue, il ne semble pas du tout parler du phénix (à seconde vue, on croit comprendre : le poème parle de ce dont il ne parle pas ; ou il parle de son objet là où il n’en parle pas ; l’objet émerge du creux que son absence laisse dans le texte, comme le « Todo » émerge du « Nada » ; et l’objet est essentiellement ce creux, ce « gouffre », où toute représentation s’abîme, et d’où émerge toute représentation). L’objet proclamé du poème étant absent de son texte, le poème se présente comme une forme vidée de son contenu, ou dont le contenu est une absence. Il prend l’aspect d’un gouffre dans lequel l’objet a disparu, comparable en cela, dans une énonciation qui épouse à nouveau l’énoncé, aux prostituées qu’il met en scène, et qu’il identifie justement à des « gouffres » que rien ne pourra jamais refermer.

À la place du phénix annoncé dans le titre, ou en substitution à l’objet manquant, le poème met en scène une multitude de prostituées, objets substitutifs par excellence, figures d’un « faire-l’amour » en l’absence de son « être ». Leur grand nombre leur donne un caractère à la fois grandiose, plus grand qu’elles-mêmes, sublime (« immenses » est répété) et démoniaque : « Légion est mon nom, car nous sommes beaucoup. » (Mc 5 : 9)31 Le poète s’adresse à elles en s’étonnant de les voir accourir si nombreuses : les a-t-il donc appelées ? Est-il un client qui les a hélées pour jouir de leur chair ? Et son appel est-il éveil à la vie ou bien condamnation à mort, exorcisme ou plutôt magie noire par laquelle il fait cause commune avec le « démon » qui possède ces filles ? Le poème accomplit en tout cas sur ces êtres un travail acharné de mise à mort : il les décompose activement en « yeux » et « mains », jusqu’à les réduire à des amas informes de membra disjecta, à des « indispositions sanglantes » et à d’« immenses sacrifices de chair blonde », sur l’autel d’un amour qui, destructeur, meurtrier, n’est que le simulacre de l’amour « vrai » ; — il finit par les laisser inanimées, aux multiples sens de ce terme : cadavérisées, dépersonnalisées, privées d’âme humaine, réduites à d’anonymes « choses ouvertes ». En même temps cependant, il les appelle, et explicitement cette fois-ci, à « revenir de la salive et du massacre », à se ranimer donc de l’humiliation et de la mort qu’il leur a lui-même infligées, et à reprendre vie dans une chair artificielle, ou dans des « vêtements éveilleurs32 collants » : « Repoudrez les maillots de vos chairs. » Ces maillots qui se substituent à la vraie chair, et que l’on « repoudre » à leur place, ces « vêtements collants » destinés à recoller leurs morceaux décomposés, seraient bien des figures du poème lui‑même, qui leur offre, en réparation au meurtre qu’il a perpétré sur elles, une survie artificielle dans l’œuvre d’art.

Or contrairement à celle de la « sainte vierge33 », que le poème n’évoque ici que pour aussitôt affirmer la distance infranchissable — le gouffre — qui la sépare des prostituées, la recomposition de leur chair ne sera jamais complète, de même que le corps substitutif que le poème leur confère ne sera jamais qu’un simulacre et une représentation, non un « Vrai corps » comme celui que le chrétien vénère dans l’hostie — cette hostie qui, selon le dogme de la praesentia realis, non seulement représente le Christ, mais est le Christ en personne34. L’artiste a beau se vouer à une imitatio Christi, et œuvrer pour la « sanctification » du monde, il ne réalisera jamais « qu’»une imitation35, et le gouffre restera infranchissable, entre le vrai salut apporté par le Christ, et la sanctification empreinte de faux qu’apporte l’œuvre d’art. Ainsi, si la Vierge est « sainte », les prostituées sont les monstres « sacré[s] » d’une religion plus primitive et plus violente, dans laquelle le salut des âmes reste suspendu. N’empêche que, pour emprunter un terme au recueil Diadème (1949), on a envie de les appeler des « saintes de l’abîme36 », car dans la « perspective religieuse » que le poème ouvre contre « le néant du temps » (EM II, p. 1068), il projette sur ces femmes maudites la figure des martyres, instruments, comme le Christ, du salut de l’humanité.

Alors que la Vierge, en effet, a « recomposé » son hymen « pour arrêter l’entrée / Du démon », les prostituées, quant à elles, demeurent « grandes ouvertes » au Mal, qui creuse à jamais son abîme en elles : « Rien ne fermera jamais la chaleur du gouffre. » Or tout se passe comme si elles consentaient à cette ouverture, dans un esprit sacrificiel, et pour ainsi dire parce qu’« il faut que le scandale arrive » (Lc 17 : 1) :

Vous n’avez pas comme la sainte vierge
Recomposé l’hymen pour arrêter l’entrée
Du démon et demeurez grandes ouvertes
Et profondes et sacrées comme les choses ouvertes. (I, p. 310)

La soumission de ces victimes à l’assaut du Mal, leur sacrifice et la « chaleur » qu’elles offrent, font penser à la « “scène capitale” chaleureuse et magique » qui, selon Jouve, constitue le noyau de « tous les drames et romans du monde » (EM II, p. 1127), et qu’il raconte lui‑même, en particulier dans son dernier récit romanesque, Dans les Années profondes (1935)37, qui forme le terreau même du recueil Matière céleste d’où est tiré le poème « Phénix ». Dans ce récit, la maternelle Hélène s’offre en mère consentante au désir œdipien incestueux de son jeune amant Léonide, pour ensuite se laisser tuer par lui, dans un sacrifice amoureux, afin de lui donner la vie. Sur le jeune homme ne pèse aucune culpabilité oppressante ; il se relève au contraire de son acte comme un homme ayant accompli sa seconde et véritable naissance, et accède au statut d’écrivain. Or, remarque-t-il, « c’est que, dans Hélène, le don et le sacrifice étaient tellement plus riches que ne l’était mon agression ! » (Dans les Années profondes, II, p. 1034). Si le gouffre ouvert dans les prostituées du poème « Phénix » est chaleureux (« la chaleur du gouffre »), il faut comprendre de même que l’acte sexuel avec elles n’est pas qu’un simulacre de l’amour : la représentation de l’amour implique ici aussi, sur un plan symbolique profond, sa présence effective. Livrées à la blessure toujours rouverte du démon érotique, ces prostituées seraient bien les symboles de l’érotisme coupable de l’homme, ou de son péché originel :

L’érotisme, centre même de l’âme, est assailli de l’intérieur, cerné de l’extérieur, par le sentiment d’être une faute, de porter la culpabilité. Une part nouvelle de son plaisir lui vient de là. (Baudelaire : « La volupté unique et suprême de l’amour gît dans la certitude de faire le mal. ») Le fruit serait-il aussi beau s’il n’était pas défendu ? Là est le péché originel, que l’éros de l’homme soit blessé, et toujours blessé, blessé en tout temps avec n’importe quel objet. (EM II, p. 1127, italiques de Jouve)

Mais livrées à cette blessure dans un esprit sacrificiel, elles représenteraient également le salut qu’il y a à attendre de l’amour, et en particulier du don sacrificiel de soi : c’est dans ces victimes consentantes, sortes de martyres de l’érotisme humain coupable, qu’il faut par excellence reconnaître l’« imitation du Christ » à laquelle aspire le poète lui-même38. Symboles du péché originel, les prostituées sont aussi symboles de la felix culpa, ou de la grâce qui a « surabondé là où le péché a abondé » (Rm 5 : 20). Dans la prostituée émerge ainsi l’image christique « de la pauvre, de la belle puissance érotique humaine39 », blessée et mise à mort par une culpabilité originelle, mais ressuscitée, en poésie, comme la source d’où elle procède ou comme l’esprit même qui l’anime : « […] en un sens, la poésie c’est la vie même du grand Éros morte et par là survivante. » (Avant-propos à Sueur de Sang, I, p. 199) Et dans la « chaleur » du gouffre de son sexe, toujours prêt à accueillir le démon, émerge l’image d’une maternité sacrificielle, celle de l’Hélène de Dans les Années profondes, qui, morte dans le roman, devient la « source d’inspiration » toujours rouverte (EM II, p. 1102) de la poésie jouvienne à partir de 1935. Cette féminité sacrificielle et christique confère aux prostituées une paradoxale sainteté, au moins aussi belle, et plus déchirante, que celle de la Vierge pure et froide, dont l’hymen recomposé a fermé tout accès au Mal, mais empêche en même temps la plongée salutaire et (re)vivifiante dans la faute originelle fondatrice de l’humanité.

Dans le « Revenez » manifeste que le poète adresse aux prostituées, « in-siste » en même temps le « Venez » premier et refoulé du client qui les a hélées afin de jouir de leur chair et de la détruire avec une joie morbide. Si phénix il y a, dans ce poème, il prend donc également la forme du désir éternel et insatiable de la chair, c’est-à-dire d’une image négative et coupable de l’amour — mais d’une image qui appelle cet amour comme le creux appelle le plein. Au-delà des prostituées, c’est à l’amour lui-même que le poème adressait son « Venez » pathétique, afin qu’il comble justement le gouffre de son absence ; et c’est cet amour dont elles sont, malgré elles, le représentant, qui donne aux prostituées leur caractère tragiquement sublime.

La suite « Phénix » de Lyrique (I) : épiphanie furtive d’un « Vrai Corps »

Le poème de Matière céleste que nous venons d’étudier était composé de quatre quatrains. Le chiffre quatre étant, dans l’univers symbolique jouvien, le signifiant de la mort (« 4 signifie la mort », II, p. 926), le poème de Matière céleste représente donc une exaspération de la mort, une mort poussée jusqu’aux limites du possible, accomplie jusqu’à être presque « vraie », arrêtée à l’extrême bord de l’anéantissement pur et simple. Mort de l’objet « phénix », absent du poème ; mort de son objet manifeste, les prostituées ; mort du poème lui-même qui, dans les prostituées, se reconnaît en miroir et se voit frappé de la même impuissance et de la même blessure béante qu’elles : le gouffre creusé par le Néant pouvait difficilement être plus grand, et il n’est donc pas étonnant que ce poème s’insère dans la section « Nada » du recueil qui, par référence à saint Jean de la Croix, célèbre le Rien créateur et la nuit mystique de l’égarement des sens.

Ne fût-ce que par le fait d’être composée de cinq poèmes, la suite « Phénix » de Lyrique (I, p. 909-913) représente, c’est-à-dire appelle performativement sur elle40, un dépassement de la mort, qu’elle figure également dans sa ligne évolutive, où les deux premiers poèmes sont encore basés sur des quatrains, mais où les trois derniers présentent des strophes plus longues, se mettant sous le signe de l’unification, de l’Eros ou de la vie. Composé de deux huitains, le poème V se présente comme la réalisation conjointe de la force unificatrice de l’amour (qui, deux fois, colle ensemble deux quatrains) et de la force séparatrice de la mort (qui creuse une volte au milieu du poème, séparant les deux huitains) ; en lui, les deux forces se tiennent mutuellement en équilibre. La forme, on le voit, est ici hautement significative, elle réalise de façon symbolique la victoire de l’amour sur la mort.

Au niveau de l’énoncé, la suite évolue parallèlement d’une mort envisagée avec confiance (le « départ » du poète quasi septuagénaire « poussera plus follement la harpe énorme des vents » ; son chant sera relayé par un vaste « Chant de la Terre41 », révélant le monde à lui‑même, comme un « miroir concave du firmament », I, p. 909) à la profession de foi exaltée, proclamant une résurrection qui restaurera la vie dans toute son intensité, « cœur rouge après cœur brun » (I, p. 913). Absent de la lettre du texte dans les deux premiers poèmes, le phénix se manifeste dans l’énoncé du troisième, non comme une troisième personne constative, mais comme un « tu » invoqué performativement par une parole qui use du « pouvoir occulte du mot de créer la chose » (EM II, p. 1056). Le poème III interpelle le phénix, le présentifie par son nom, et désigne avec assurance le lieu où il advient ou « a lieu » :

Phénix tu fais ton devoir près des essences et de Dieu. (« Phénix », III, Lyrique, I, p. 911)

Tout près des êtres qui « sont », dans une coïncidence parfaite avec eux-mêmes, le phénix est encore caractérisé par un « faire » : il réalise son « être » dans le devenir42 et la représentation. Mais faisant ce qu’il doit faire, il répond à l’appel adressé à son être, accomplit sa vocation ou réalise son nom, dans une coïncidence (quasi) parfaite entre le nom et l’être, le mot et la chose, la parole et le réel, le « dire » et le « faire » : il est l’incarnation du discours performatif ou « poïétique », du miracle de la poésie où, dans la parole, advient la chose proprement dite. Tout en étant maintenue, la distance entre la représentation et « l’essence », entre poésie et réel, est franchie : ils se touchent de si « près » qu’ils sont « près » de s’unir, — qu’ils s’unissent déjà en puissance —, dans des Noces effectives. Le phénix, dit un autre vers du même poème, a atteint ses « perfections de vêture et d’être », le point extrême où le rôle pour lequel il a été créé (et qui est de représenter l’accomplissement de la vie dans la mort, de l’amour dans sa représentation, de la chose dans le mot) est si entièrement accompli qu’il rejoint la vérité de son être43. La contiguïté entre ce phénix et les « essences » est telle, qu’il devient possible d’imaginer un dernier saut métonymique44, qui conduira de la représentation à la chose proprement dite : leur union imminente est déjà réalisée anticipativement par le poème, qui les juxtapose dans le même vers. Est projetée hors du poème, comme un à-venir au bord duquel il s’arrête, la fusion totale des deux termes, quand « les essences et Dieu » deviendront les représentations de la représentation. Ce qui se prépare et qui, à l’extrême fin du poème, se donne pour imminent, c’est en effet le « paraître » d’un « être », c’est l’épiphanie d’une essence : la révélation de la vérité de la représentation, qui est vision, imagination anticipative et créatrice, « Œil » :

Feu de résurrection amie où ton seul Œil va paraître. (« Phénix », III, Lyrique, I, p. 911)

Dans cet « Œil » s’unissent l’amour et la mort, le bas et le haut, le péché, la loi et la grâce : il est organe du désir érotique (l’amour « à première vue ») et œil du cyclone, centre de « l’ouragan de la perdition » ; Œil du sexe45, « gouffre » du mal aussi bien que lieu de l’extase amoureuse, et Œil surmoïque de Dieu, « dans le triangle avec les rayons, sur l’autel » (II, p. 643) ; il est insolemment sexuel et sublimement spirituel. La révélation finale de l’essence de la représentation, on le voit, est encore une image, une représentation ; mais c’est une représentation totalitaire, qui embrasse (Eros) et engouffre dans son sein (mort) l’ensemble des représentations, n’en laissant aucune au-dehors d’elle ; c’est donc une représentation qui, dans l’addition de toutes les représentations de la chose qu’elle contient, arrive à recréer, en fin de compte, la chose elle-même dans sa totalité. Le point d’achèvement de la représentation, sa plus haute réussite, n’est pas la chose telle qu’elle était avant d’être représentée, ou mieux, n’est plus simplement cette chose, mais quelque chose qui la dépasse : c’est la chose révélée et pour ainsi dire « développée » dans toute sa vérité, c’est l’essence même de la chose ou la chose réalisée dans son essence. Dans cette « essence » se réalisent une abstraction dans le maintien du concret, et une sublimation de la matière dans le maintien de sa matérialité, qui constituent la véritable « alchimie du Verbe46 ».

La suite « Phénix » de Lyrique (II) : ascension

Le point extrême, où « être » et « vêture » s’accomplissent « jusqu’au bout », est la mort du phénix en tant que représentation, et son ascension, comparable à celle du Christ, « près des essences et de Dieu ». C’est son départ définitif hors de ce monde, mais c’est aussi le moment où le monde lui-même, qui l’a contenu et contemplé — et à condition qu’il l’ait réellement « compris » —, prend sa relève, s’unit au « faire » du phénix au point de devenir (une représentation du) phénix lui-même, comme la colombe dans le poème de Shakespeare, et comme le spectateur de la colombe, qu’elle a enflammé du même amour47. Aussi l’oiseau disparaît-il à nouveau de l’énoncé dans les deux derniers poèmes de la suite de Lyrique, pour ne plus jamais ressurgir dans la poésie jouvienne tout entière. Il est vrai que le poète a encore inséré dans Mélodrame sa traduction de Shakespeare ; mais il la rayera de l’édition définitive de sa Poésie pour accomplir, semble-t-il, la mort définitive du phénix, son retrait hors du monde des Représentations et sa résorption finale dans celui des Essences.

Le phénix restera présent dans la poésie jouvienne de façon diffuse, présent-absent à la façon d’un « esprit » qui anime sa « lettre » — toutes ses lettres. C’est la parole « littéraire », l’énonciation même, qui à présent s’enflammera et exécutera le rituel de la mort et de la résurrection. Aux « notes qui s’aiment » de Mozart enfant correspond dès lors, dans la poésie jouvienne, le jeu de l’amour et de la mort entre les mots : « Le poète est un diseur de mots » (EM II, p. 1080), c’est-à-dire, est celui qui, sur une page blanche, crée la scène (le lieu mallarméen, voir infra) où ces mots joueront, s’affranchissant de celui qui les y a posés, leur propre destinée. Là où cette parole se taira, elle sera relayée par un monde qui parlera comme un vaste univers signifiant, dans lequel elle aura éveillé « le langage des fleurs et des choses muettes » (Baudelaire, Élévation). Ou encore, elle ne se taira qu’après avoir transmis son feu au lecteur, qu’elle aura libéré de la peur de la mort et aiguillonné vers la résurrection — l’esthétique débouchant, par un saut qualitatif kierkegaardien, sur l’éthique, l’existentiel et le religieux. En fin de compte, il faudra s’imaginer la présence du phénix, dans la poésie de Jouve et dans le monde, comme celle de son Œil, c’est-à-dire sous la forme d’un certain regard, d’une certaine façon de voir les choses — et d’une façon qui « me regarde » en profondeur. Si l’Œil du phénix s’ouvre dans la poésie jouvienne, c’est comme un gouffre qui fonctionne comme une « mise en abyme » universelle : l’acte qu’il exécute est à la fois le « miroir concave » (I, p. 909) de l’œuvre jouvienne, et au-delà de celle‑ci, de l’œuvre d’art en général — et la représentation de la destinée du monde, de tout individu dans ce monde, et de l’humanité tout entière, s’acheminant vers son salut.

Le poème IV est l’évocation lyrique d’une « forêt pieuse » dans laquelle on peut imaginer l’endroit où le phénix a effectué son office sacré — encore que cet endroit est, selon le mythe, un palmier unique48 ; mais la multiplication, démoniaque dans le poème de Matière céleste, suggère ici la prolifération féconde de formes toujours nouvelles de vie. La forêt semble être en effet l’image d’un monde abandonné par le phénix mort, mais animé désormais par son esprit ; or ce monde, c’est, par un mouvement expansif qui fait que le contenu est toujours relayé par le contenant, à la fois le poème (qui a contenu le phénix) et le monde (qui a « compris » le poème). Dans cette évocation d’un lieu, on songe à Mallarmé : « Rien n’aura eu lieu que le lieu. » Le poème, en effet, n’aura fait en définitive que constituer le lieu où le phénix (ou la poésie, ou l’amour logé jusque dans la mort) a pu advenir dans le monde — en quoi se réalise la définition jouvienne de la poésie comme « véhicule […] de l’amour » (Avant-propos à Sueur de Sang, I, p. 200), comme médium par lequel l’amour est transporté dans le cœur de toutes choses.

La phrase mallarméenne peut être comprise aussi dans un autre sens : dans le poème, la poésie (puissance virtuelle) n’aura fait que créer la forme (la représentation) qui, tel un moule, appelle son fond (l’essence, l’existence réelle et véritable de la poésie) comme son nécessaire complément. Dans cette formule, la poésie apparaît, non seulement comme cause du poème, mais aussi comme l’effet magico-imaginaire de sa parole performative. Comme celle du phénix, son existence n’est pas certaine ; elle relève de la foi de celui qui croit en cette parole (cette foi dérivant elle-même de la force de conviction de celle-ci). C’est cette parole performative qui se trouve célébrée dans le poème V, dans une profession de foi qui elle-même est performative, car elle accomplit ce qui, dans son objet, demeurait en suspens :

O lève-toi Lazare ! il se dresse debout dans les bandes tombées sous la parole vraie parole exécutable ! (« Phénix », V, Lyrique, I, p. 913)

Ce qui se révèle dans cette profession de foi, qu’est-ce d’autre sinon un amour passionné du Verbe ? À travers les poèmes successifs de la suite « Phénix », et sans qu’il soit possible de désigner l’endroit précis où s’est produit le passage, un déplacement d’accent s’est manifestement opéré, qui rappelle celui de l’amour charnel aux « lettres qui s’aiment » dans le roman d’Hécate, roman par lequel tout le cycle du phénix a commencé. Il conduit ici du représenté-phénix à son représentant-la parole poétique, révélant le vrai sens du symbole du phénix dans l’œuvre jouvienne, et présidant dès lors à son élimination (« Le symbole devrait être réduit, afin que reste seulement le moi en face de l’essence », EM II, p. 1144). Révélateur, ce déplacement d’accent qui se produit à la fin du cycle du phénix donne bien la vraie proportion des choses, et souligne à quel point la forme, chez Jouve, épouse le fond : si le phénix n’occupe dans l’œuvre jouvienne qu’une place limitée, c’est que l’objet dont on parle, somme toute, est moins important que la parole qui le dit. Cette importance capitale de la parole, cet amour passionné du Mot, aucune phrase ne les dit mieux, sans doute, que celle de Proses, qui transporte, dans un mouvement sublimatoire, l’énergie amoureuse de l’auteur, d’un objet limité à un autre beaucoup plus vaste, plus diffus, et représentant une valeur sociale : l’œuvre poétique :

L’objet n’est rien et le désir est tout ; pas même le désir, mais la phrase du désir. (« Objets », Proses, II, p. 124)

Notes

1 Toutes les références se rapportent à Pierre Jean Jouve, Œuvre, Paris, Mercure de France, 1987 (texte établi et présenté par Jean Starobinski, avec une note d’Yves Bonnefoy et pour les textes inédits la collaboration de Catherine Jouve et de René Micha). Cette édition se répartit en deux tomes, le premier consacré à la poésie, le second grosso modo à l’œuvre narrative et aux traductions, auxquels nous renvoyons par les chiffres romains I et II. Pour nos références à En Miroir. Journal sans date, nous utiliserons l’abréviation EM II. Retour au texte

2 La postface à Noces de 1928, retranchée des éditions ultérieures, est reproduite dans I, p. 1220. Retour au texte

3 La mythologie lunaire apparaît dès les premiers romans de Jouve, mais se trouve surtout développée dans Hécate (1928), premier tome d’Aventure de Catherine Crachat, qui raconte les amours entre une héroïne « lunatique et cruelle » et son amant Pierre Indemini, dans le nom duquel on peut reconnaître une allusion au mythe d’Endymion. Quant à l’« essentielle Isis », elle est prédominante dans le recueil Inventions (1958), plus ou moins contemporain de ceux où Jouve renvoie au phénix ; mais le deuxième tome d’Aventure de Catherine Crachat, Vagadu (1931), comporte aussi un passage crucial qui raconte comment elle rassemble et recolle le corps d’Osiris coupé en morceaux (II, p. 698-699). Orphée enfin apparaît en particulier dans la dernière section de Matière céleste (1937, I, p. 342, 344, 346 et 351), et ressurgit passim dans d’autres recueils (ainsi : « Autre Eurydice », dans Diadème, I, p. 717 et « Langue d’Orphée », dans Génie, I, p. 1143). Sur les figures d’Isis et d’Orphée dans l’œuvre jouvienne, voir B. Conort, Pierre Jean Jouve : mourir en poésie, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Perspectives », 2002, respectivement p. 111-129 et 131-147. Retour au texte

4 Lors de la réédition de l’œuvre poétique dans les années 1960, les deux recueils ont été réunis, avec Inventions de 1958, sous le titre englobant de Mélodrame (Poésie, X-XI, 1967) ; le poème de Shakespeare fut retranché de ce nouvel ensemble qui ne comportait plus de traductions. Retour au texte

5 Lorsque Jouve, préparant l’édition définitive de sa Poésie qui paraîtra posthumément dans le tome I de l’Œuvre, prévoit son réagencement en quatre « livres », il classera Matière céleste dans le premier, et Mélodrame dans le dernier. À cet égard aussi, le phénix apparaît au début et à la fin de son œuvre de poésie. Retour au texte

6 Selon Hérodote, « on le voit rarement ; et, si l’on en croit les Héliopolitains, il ne se montre dans leur pays que tous les cinq cents ans » (Hérodote, Histoires, II, 72, traduction de Philippe Larcher [1850], voir <http://fr.wikipedia.org/wiki/Ph%C3%A9nix>, consulté le 25 novembre 2010). Retour au texte

7 Dans le texte « Formes » de Proses (1961), Jouve médite sur l’idée que « l’art est forme » et ajoute en complément l’affirmation baudelairienne selon laquelle « l’idée et la forme sont deux êtres en un » (II, p. 1240). Dans le domaine du roman, Flaubert « ressasse la même idée presque à chaque page de sa Correspondance » : « Vous dites que je fais trop attention à la forme. Hélas ! c’est comme le corps et l’âme, la forme et l’idée ; — pour moi c’est tout un, et je ne sais pas ce qu’est l’un sans l’autre. » (Cité dans A. Cassagne, La théorie de l’art pour l’art en France chez les derniers romantiques et les premiers réalistes, Seyssel, Champ Vallon, 1997 [rééd. 1906], p. 438.) Retour au texte

8 Union de la scène dramatique visible et de la musique audible, telle qu’elle se réalise particulièrement dans l’œuvre qu’est l’opéra. Jouve publia deux études sur les opéras qui, pour lui, réalisent par excellence l’hiérogamie de la forme et du fond : ce sont Le Don Juan de Mozart (1942) et Wozzeck d’Alban Berg (1953). À propos de cette union intime et quasi fusionnelle, on peut relever que le premier recueil de Jouve s’intitule Noces (1925). Retour au texte

9 Nous utilisons ces termes, empruntés à la théorie austinienne des actes de langage, dans le sens de S. Felman, dans son ouvrage Le scandale du corps parlant. Don Juan avec Austin ou La séduction en deux langues, Paris, Seuil, 1984. Retour au texte

10 On retrouve cette même opposition dans le couple d’amants d’Aventure de Catherine Crachat, où la femme se donne pour une incarnation de la déesse lunaire (Hécate surtout, mais aussi Flora et Séléné), et où l’homme apparaît comme une figure d’Endymion. Retour au texte

11 Le thème de la visite est fortement exploité dans les romans, qui lui donnent entre autres un sens mystique (le Visiteur est l’Époux divin). « La douce visiteuse », qui figure parmi les projets pour Le Spleen de Paris de Baudelaire (aux numéros 29 et 105), évoque probablement la mort (P. Labarthe, Baudelaire et la tradition de l’allégorie, Genève, Droz, 1999, p. 57, note 97). Retour au texte

12 Cette « mue » est thématisée dans le dernier récit de Jouve, Dans les Années profondes (1935), à propos du personnage principal. Retour au texte

13 Un autre vers du même poème dit que le phénix officie « n’étant vu par nulle forêt plaine ou miroir de la nature » (« Phénix », III, Lyrique, I, p. 911). Il n’est jamais objet « réel » d’une vue selon la chair, mais toujours objet représenté d’une vision spirituelle. Retour au texte

14 Lorsque l’historien Hérodote rapporte l’existence de l’oiseau, il avoue ne l’avoir vu lui‑même « qu’en peinture » (<http://fr.wikipedia.org/wiki/Ph%C3%A9nix>, consulté le 25 novembre 2010). Retour au texte

15 Sueur de Sang est le titre du recueil poétique qui précède Matière céleste, et dont la rédaction date des années 1933-1935. Retour au texte

16 J. Starobinski, « Le feu de la chair et la blancheur du ciel », préface à l’édition de l’Œuvre, tome I, p. lxxxii. Retour au texte

17 Blanche Reverchon, que Jouve épousa en secondes noces, était psychanalyste et traductrice, en 1923, des Drei Abhandlungen zur Sexualtheorie (1905). Jouve affirme avoir été associé à cette traduction : « Il y eut d’abord la traduction des “Trois Essais sur la Théorie de la Sexualité”, dont je m’occupai. » (EM II, p. 1075) Retour au texte

18 J. Starobinski, art. cité, p. lxxx. Retour au texte

19 Ce nombre de pieds est en lui-même significatif. « Ni le péché » en compte quatre : or ce chiffre est, dans l’univers symbolique de Jouve, celui de la mort. « Ni la folle espérance », par contre, en compte sept, représentant par là une figure féminine qui condense en elle la mort et la vie : Retour au texte

  • 3 signifie l’homme, l’amour et la vie ;

  • 4 signifie la mort ;

  • 7 signifie la femme (c’est l’homme plus la mort).

La femme est la réunion de tout, de l’amour, de la mort, donc de la faute, en un Nombre. (« La Victime », II, p. 926)

20 Dans les romans, ce mécanisme compulsif et obsessionnel prendra la figure de la névrose (Aventure de Catherine Crachat) ou de la possession démoniaque (« La Victime ») ; il est en effet proprement aliénant. Le bourreau sous lequel gémissent les personnages est l’instance impersonnelle de la loi, intériorisée comme Surmoi. La version rachetée de ce mécanisme est la « formidable machine » de la musique d’Alban Berg ou de Bach. Retour au texte

21 Entièrement passives dans leur soumission au mécanisme de Thanatos, ces prostituées sont inanimées, au double sens de « mortes » et « privées de leur âme », donc chosifiées. Par le même mouvement, elles se trouvent rachetées, déresponsabilisées, lavées de leur culpabilité : ce sont des victimes innocentes dans un jeu qui n’est pas le leur, les martyres d’une cause qui les dépasse infiniment, des agneaux sacrifiés sur l’autel d’un dieu implacable dont on ne sait plus s’il s’appelle Amour ou bien Mort — au point qu’elles finissent par ressembler à cette figurine de saint François d’Assise qui, dans le roman de Vagadu, est dit « mort sans avoir rien fait » (II, p. 613, souligné par nous). Retour au texte

22 Autrement dit, et par opposition à l’aliénation que nous évoquions dans une note précédente, inaliénablement lui-même : son apparente déraison n’empêche pas (et n’est que l’accomplissement suprême de) l’entière possession de soi ou l’entière disposition de ses moyens conscients. On retrouve ici le poème de Shakespeare, où ce qui semblait contraire à la raison s’avère être plutôt son dépassement et sa nouvelle forme, ressuscitée, glorieuse et méconnaissable. Comme Jouve l’affirme à propos d’un de ses personnages romanesques, le véritable accomplissement de soi implique « une once de […] folie nécessaire » (II, p. 88) ; folie que l’on lit également dans la « folle espérance » qui permet de dépasser le doute et le péché. Retour au texte

23 C’est dans ce sens-là que l’on peut dire que la Poésie jouvienne se représente dans les personnages romanesques de l’auteur, et par excellence dans le dernier, Hélène, figure de la sublimation. Retour au texte

24 À remarquer que François-Victor Hugo traduit « Le Phénix et la Colombe » (Œuvres complètes de W. Shakespeare, tome XV : Poëmes. Testament, trad. Fr.-V. Hugo, Paris, Pagnerre, 1873) ; et de même André du Bouchet, dont André Green utilisa la traduction pour son étude « L’effroi de la propriété et la raison amoureuse » (A. Green, Sortilèges de la séduction. Lectures critiques de Shakespeare, Paris, Odile Jacob, 2005, p. 134-136). Yves Bonnefoy, en revanche, suit le modèle jouvien et intitule « Phénix et Colombe » (Y. Bonnefoy, Phénix et Colombe, Paris, Mercure de France, 1993 et Gallimard, 2007). Retour au texte

25 A. Green, ouvr. cité, p. 141. André Green fait remarquer que, tout en étant auto-engendré, le phénix maintient pourtant une ouverture vers le père. « Dans certaines versions, dit-il, sa renaissance est due au recueil de ses cendres qui contiennent la semence paternelle, ce qui indique que le Phénix est né du père : il est une image auto-engendrée à partir du père » (ibid., p. 140), « père et fils à la fois » (ibid., p. 164). Le phénix est un dépassement de la dépendance de l’engendrement, qui inclut pourtant encore celle‑ci dans son sein. Retour au texte

26 « Seul Dieu pourrait dire son sexe », dit André Green, qui cite Marie Delcourt dans son livre Hermaphrodite pour lui accorder la bisexualité (ibid., p. 141). Retour au texte

27 Dans le poème de Shakespeare, la traduction joue avantageusement sur l’ambiguïté entre le sexe et le genre : le phénix shakespearien étant féminin, le français lui donne grammaticalement le genre masculin ; et si « the Turtle » est un homme, « la colombe » est du genre féminin. À l’hiérogamie des sexes se mêle ici celle de la chose (qui est sexuée) et du mot (qui a un genre grammatical). Dans sa propre poésie, Jouve se représente alternativement dans une position masculine et féminine. À des poèmes qu’il proclame basés sur sa virilité (« J’aime et sur cette queue plantée en terre / Je bâtirai mon église », I, p. 316) en succèdent d’autres où le poète s’identifie à une femme (« O bouche ! ô cri de ma fente appliquée / Pour que Tu la dilates et l’emplisses », I, p. 319). Retour au texte

28 Ce n’est donc pas pour rien que le premier roman de Jouve, Paulina 1880, est mis sous le signe de sainte Thérèse d’Avila, ni que l’héroïne du troisième, Aventure de Catherine Crachat, porte le prénom de sainte Catherine de Sienne. La version masculine de cette figure mystique et sacrificielle est saint Jean de la Croix. Retour au texte

29 J. André, Les 100 mots de la psychanalyse, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2009, p. 115 (italiques de l’auteur). Retour au texte

30 « La sublimation fait le pont entre l’art et la sexualité infantile : tous les deux ont en commun de poursuivre une finalité sans fin, une façon de rompre avec toutes les formes d’utilitarisme. L’enfant découvre qu’avec la forme de ses lèvres et la matière de sa salive, il peut inventer des bulles. Cela ne sert à rien, ça n’apporte pas la pleine satisfaction, c’est pourquoi il ne s’en lasse pas. Encore, encore… L’art procède-t-il autrement, qui, à l’aide de quelques tubes, d’une toile et d’un pinceau, arrive à “passionner la nature et les objets” ? » (Ibid., p. 115-116) Retour au texte

31 Toutes les références bibliques renvoient à La sainte Bible traduite en français sous la direction de l’école biblique de Jérusalem, Paris, Les Éditions du Cerf, 1956. Retour au texte

32 Éveilleurs de qui ? Tant de celles qui les portent, que de leurs clients, relancés sans cesse dans une quête de l’impossible chose vraie, de l’éternel objet perdu. Retour au texte

33 Le dogme de l’Assomption, qui affirme que la Vierge a été « élevée » corps et âme au ciel, date de 1950 et est donc postérieur à ce poème ; mais Jouve assigne à la Vierge un « hymen recomposé ». Retour au texte

34 « Vrai corps » est le nom d’un poème qui clôture le recueil des Noces (I, p. 189-190) et qui s’inspire de l’hymne eucharistique célébrant la praesentia realis du Christ dans l’hostie. Voir J. Starobinski, « Vrai Corps, Jouve et le texte liturgique », Jouve poète, romancier, critique, colloque de la fondation Hugot du Collège de France, réuni par Y. Bonnefoy, actes rassemblés par O. Bombarde, Paris, Lachenal et Ritter, 1995, p. 9-19 ; J. Starobinski, « Vrai corps de Pierre Jean Jouve », La NRF, no 462, juillet-août 1991, p. 10-21. Retour au texte

35 Dans le roman Vagadu, l’héroïne évoque le souvenir de son père décédé en termes christiques : « Il ressemblait à Notre-Seigneur. » Dans un deuxième moment, elle précise : « Le père n’est pas Notre-Seigneur, c’est plutôt un artiste. […] Alors s’il ressemble au Christ, on peut dire que c’est une imitation. » (Vagadu, II, p. 726) Retour au texte

36 « La sainte de l’abîme » est le titre de la deuxième section de Diadème (1949, I, p. 721). Retour au texte

37 Ce récit au titre baudelairien est le dernier d’un « livre de roman » qui en compte plusieurs, agencés en une structure tripartite. L’ensemble doit être considéré comme « un seul roman » (EM II, p. 1095). Le roman s’intitule La Scène capitale, et est composé de trois parties, dont la première est un ensemble de contes (« Histoires sanglantes »), et dont les deux autres sont constituées par deux récits plus longs, intitulés « La Victime » et « Dans les Années profondes ». Après ce dernier ouvrage, la veine romanesque de Jouve s’épuisa, et l’auteur ne produisit plus que de la poésie. Cette dernière trouva cependant une source d’inspiration durable dans la figure d’Hélène, l’héroïne du dernier récit, dont l’histoire fut élevée au niveau d’un mythe originaire de l’œuvre jouvienne : dans le récit, la mort de cette femme maternelle, dans un coït sacrificiel, préside à la naissance d’un écrivain. Le personnage d’Hélène, figure de la morte sacrificielle, inspira directement la première section de Matière céleste, intitulée « Hélène ». Le poème « Phénix » se trouve au début de la deuxième section du recueil, intitulée « Nada ». Retour au texte

38 Dans le poème « Vrai corps » déjà mentionné, la blessure ouverte dans le flanc du Christ est identifiée à celle de la prostituée : « Sur le flanc la lèvre s’ouvre en méditant / Lèvre de la plaie mâle, et c’est la lèvre aussi / De la fille commune. » (I, p. 190) Retour au texte

39 P. Jean Jouve, « Inconscient, spiritualité et catastrophe », Avant-propos au recueil Sueur de Sang (1933-1935), I, p. 200. Retour au texte

40 « Représente » ne veut pas dire qu’elle l’accomplit effectivement : la représentation anticipe sur l’accomplissement, comme la forme sur le fond, ou comme la parole performative sur le discours constatif. La représentation est le signe avant-coureur de l’accomplissement, ou constitue un accomplissement en puissance, virtuel : en elle, l’accomplissement est présenté comme possible. Retour au texte

41 Jouve donna ce titre à un des poèmes de Moires (I, 1062), qui commence par une portée reprenant les dernières notes du Chant de la Terre de Mahler ; ces notes correspondent à « Ewig, ewig ». Pour une analyse de ce poème, voir M. Finck, « Analyse du “Chant de la Terre” de Pierre Jean Jouve : pour une filiation Baudelaire-Mahler-Jouve », dans Travaux de littérature, vol. VII, Publications de l’ADIREL (avec le concours du Centre national du livre), Paris, Klincksieck, 1994, p. 345-354. Retour au texte

42 On pourrait dire aussi : dans l’à-venir ; car si Dieu « est », le phénix est celui qui va être, qui, un jour, sera. Retour au texte

43 Ou bien, le vêtement qu’il porte (la forme qu’il revêt) est comme une seconde peau ; il ne voile plus son essence, mais l’exprime. Retour au texte

44 La représentation implique un mouvement métonymique, de déplacement, de l’objet originel à son substitut symbolique. La poésie, dit Jouve, est « un véhicule intérieur de l’amour » (Avant-propos à Sueur de Sang, I, p. 200). Elle est véhicule, parce qu’elle est le médium par lequel l’amour se déplace d’un objet à l’autre, dans un mouvement de substitution qui l’éloigne toujours davantage de son objet originel — tel est en effet le mouvement dit « métonymique » (ou associatif) du désir, qui, selon la fable freudienne, naît de la rupture d’une unité primordiale d’avec un objet originel, et se trouve propulsé par cet objet perdu dans une recherche obstinée, afin de le retrouver — ; c’est la rupture de cette unité primordiale que chante précisément le poème de Shakespeare. Si la poésie est un véhicule « intérieur » de cet amour, c’est qu’elle participe elle-même, en tant qu’aimante et aimée, à la dynamique de l’amour, se sauvant elle-même dans la mesure où elle sauve son objet. Retour au texte

45 Les romans sont explicites, et interprètent l’œil aussi bien comme masculin que comme féminin, aussi bien comme diabolique que comme divin. « La Victime » raconte l’apparition effrayante du « Seigneur des Ténèbres » sous la figure d’un « géant […] qui regarde, avec un œil unique et semblable au gland enflammé du membre de l’homme » (II, p. 946). Dans Vagadu, Catherine Crachat névrosée voit partout apparaître des yeux. Son double imaginaire, la Petite X, lui explique ce qu’ils représentent, et après avoir évoqué l’œil divin qui « te regarde quand tu as fait quelque chose de travers » (II, p. 643), lui « montre l’œil » dans une excitation extrême… en soulevant sa jupe (II, p. 644). Retour au texte

46 Ce n’est donc pas un hasard si l’un des romans met en scène un personnage appelé Aurifaber, nom d’alchimiste s’il en est. Retour au texte

47 Le poème I de la suite « Phénix » a montré par ailleurs que le chant du poète sera relayé par le chant du monde (voir ci-dessus, le « Chant de la Terre »). Retour au texte

48 A. Green, ouvr. cité, p. 140. Retour au texte

Citer cet article

Référence papier

Machteld Castelein, « (Le) Phénix de Pierre Jean Jouve ou la représentation accomplie », IRIS, 35 | 2014, 155-175.

Référence électronique

Machteld Castelein, « (Le) Phénix de Pierre Jean Jouve ou la représentation accomplie », IRIS [En ligne], 35 | 2014, mis en ligne le 31 janvier 2021, consulté le 20 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=1823

Auteur

Machteld Castelein

Chef de travaux à la KU Leuven HUBrussel

Doctorante en co-tutelle à l’UCL et à la KU Leuven (Belgique)

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

Droits d'auteur

All rights reserved