Ionel Buse, Du Logos au Mythos

introduction par Bruno Pinchard, Paris, L’Harmattan, 2009, 204 p.

p. 191-193

Bibliographical reference

Ionel Buse, Du Logos au Mythos, introduction par Bruno Pinchard, Paris, L’Harmattan, 2009, 204 p.

Text

Du Logos au Mythos est une série de conférences données entre 2000 et 2007 par Ionel Buse qui se propose à la fois d’analyser quelques mythes européens et roumains, et de nous faire redécouvrir l’originalité de la pensée de Mircea Éliade, de Gaston Bachelard et de certains philosophes roumains dont Mircea Florian. Une première série d’interventions au caractère didactique développe de façon tout à fait appropriée le rôle de la pensée figurative, en somme de la manifestation ou épiphanie de l’image au sens le plus « corbinien » du terme, et son fonctionnement dans la construction identitaire et individuelle. Quelques thèmes rafraîchissants sont développés pour illustrer ce concept.

Le premier est centré sur le mythe bien connu, mais pourtant toujours fascinant, de l’Atlantide. Il fallait sans aucun doute y penser, mais il est l’un de ceux qui illustrent le mieux, outre le mundus imaginalis, le rôle de l’image dans sa fonction civilisatrice. Au‑delà du clivage entre les deux cités rivales et idéales, Athènes et Atlantide, l’une produit de la rationalité, l’autre de l’imagination, on peut prendre toute la mesure du rôle que joua cette dernière qui, par le préjudice de sa naissance, portait le signe même de sa nécessaire destruction terrestre afin d’être replacée dans son « espace » originel. D’ailleurs, pour ne reprendre qu’une seule figure chère à la théosophie orientale, celle d’Adam, on observera que ni le péché ni la chute n’empêchèrent l’Adam céleste, archétype de l’homme, d’y figurer. Lui aussi, tout comme la ville idéale, y demeure, symbole à la fois de perfection et d’échec, les deux natures obligées de la Création.

Le second exemple évoqué par les concepts d’animus et d’anima, tout en célébrant la rencontre entre Éliade et Bachelard, renvoient cette fois à une forme de nostalgie des origines fondée sur le double identitaire intrinsèque à la nature humaine, à la fois masculine et féminine, rationnelle et poétique, ainsi qu’à celle des contraires enfin réconciliés par la forme idéale, autrefois portée par l’androgyne divin et que Gaston Bachelard restitua à chacun d’entre nous en explicitant le rôle de la rêverie poétique. Cette pensée n’est pas éloignée de celle de Mircea Florian dans sa théorie de la récessivité, théorie selon laquelle la dialectique de la philosophie porte les doctrines contraires à s’unir par le dépassement ou synthèse.

L’auteur s’interroge ensuite sur la portée de la pensée de Mircea Éliade présenté souvent comme un historien des religions. C’est là un aspect important pour l’anthropologie de l’imaginaire et une question qui rappelle combien, décrié, souvent même banni des bibliographies contemporaines, Mircea Éliade aura suscité d’animosité et de passions dans les milieux universitaires européens et tout particulièrement français, grand nombre d’intellectuels affirmant aujourd’hui pouvoir s’affranchir de sa pensée, voire de sa démarche méthodologique en incitant l’historien des religions à développer une approche comparatiste et pluri-culturelle à l’instar de celle de Dumézil. Mircea Éliade indiqua une voie1 qu’il convient certes de dépasser et d’enrichir sans se limiter à des critiques stériles sur telle ou telle incomplétude de sa pensée. Sans doute comme l’exprime Ionel Buse, l’un de ses apports majeurs fut de mettre en évidence, et de démontrer, le fonctionnement des hiérophanies, ou étude des manifestations du sacré, et ce au sein du profane dans un espace régi par un centre. Si l’on admet le postulat selon lequel la perception du réel ne peut s’effectuer que par le biais du rapport au sacré, la condition humaine est de façon intrinsèque celle de « l’homo religiosus », y compris de façon contemporaine dans sa négation du sacré, en érigeant, pour reprendre Barthes, d’autres « mythologies ». Certes, à l’évidence nous sommes davantage ici en présence d’une conception du monde alliée à une dialectique du savoir. Mais pourrait-on réellement décrypter le monde et ses symboles sans une herméneutique pré-établie des symboles et des images ? Ce fut l’œuvre d’Éliade qui de surcroît encouragea ses contemporains à s’interroger sur le devenir du sacré et sur sa nécessaire existence pour la survie et le devenir de l’homme moderne. Dans cette optique, l’anthropologie de l’imaginaire peut utilement œuvrer, dans une dimension pédagogique, à l’éveil des esprits et leur ouverture à des valeurs qui construiront l’homme de demain.

La seconde partie du volume nous emmène vers les vastes espaces de l’imaginaire roumain, connus ou moins connus, et naguère révélée par Éliade qui fut aussi romancier, auteur de fictions et de romans fantastiques (Mademoiselle Christina) où il sut intégrer les mythologies roumaines pour leur donner une nouvelle vie en touchant directement le lecteur par les manifestations du sacré qu’elles véhiculaient. Parmi les mythes roumains, celui du dragon — lupin, l’un des symboles des anciens Daces — est fort intéressant, mais dans une perspective comparatiste il serait urgent désormais d’en renouveler l’approche en intégrant celle des peuplades turco-mongoles dont il fut aussi l’un des symboles totémiques. Le mythe de Dracula désormais bien connu est dans cette approche révélateur d’archétypes communs, générés par l’image des héros « nationaux » sanguinaires de type Gengis Khan ou Saladin, et leur constante évolution et réappropriation par les imaginaires nationalistes contemporains.

L’auteur conclut par un essai sur l’imaginaire féminin, depuis les cultes à mystères jusqu’aux projets utopistes du xixe siècle, en passant par la chasse aux sorcières et les anti-utopismes féminins, et là il rappelle que le concept d’anima nous propose une méthode d’approche sinon de connaissance de l’éternel féminin…

L’ouvrage de Ionel Buse, dans la cohérence d’une thématique centrée sur la relecture des mythes, est pour nous une invitation à la redécouverte des structures anthropologiques d’un imaginaire commun sur la voie ouverte par Bachelard, Éliade et ses compatriotes roumains.

Notes

1 Voir le numéro de la revue Symbolon, consacré à « Mircea Éliade et la pensée mythique », 4/2008, ISBN 978-2-916377-56-8. Return to text

References

Bibliographical reference

Anna Caiozzo, « Ionel Buse, Du Logos au Mythos », IRIS, 31 | 2010, 191-193.

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Anna Caiozzo, « Ionel Buse, Du Logos au Mythos », IRIS [Online], 31 | 2010, Online since 05 octobre 2021, connection on 03 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=2032

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Anna Caiozzo

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