Introduction
L’objet de cet article consiste à expliciter la méthode élaborée pour analyser dans une perspective mythique, induite par la thématique de la métamorphose, « La Blanche Biche », complainte de tradition orale qui se décline en plusieurs versions1. Les nombreux travaux de Philippe Walter2 ont mis en évidence que sous la variance se cache le mythe. Pour débusquer les substrats mythiques — tant d’origine païenne que chrétienne — que la complainte était susceptible de voiler, il me fallait donc observer les variantes mais aussi les ressemblances. La complainte relevant du champ de l’oralité, il m’est vite apparu nécessaire de m’interroger sur l’élaboration d’un corpus fiable en déterminant les lois, les règles poétiques spécifiques à la tradition orale. Comment articuler ensuite poétique et imaginaire ? Rares sont les thèses traitant de ce sujet dans cette double perspective. En effet, si Thierry Charnay a pris comme objet d’étude cette même complainte en 1986, son analyse sémiotique occulte l’oralité et effleure la dimension mythique. Face à l’absence de méthode idoine de quels outils disposais‑je pour inventer la mienne ?
L’analyse historique de la chanson, point de départ de la création d’outils
À la suite de mon DEA, il m’est apparu incontournable de débuter ma thèse en faisant le point sur la notion de chanson traditionnelle afin de mieux l’appréhender. Comment la définir, quelles sont ses origines, comment est-elle reçue par le public — et quel public — à travers les âges ?
Deux ouvrages fondamentaux m’ont permis de découvrir comment, à partir de la notion de poésie populaire, celle de chanson populaire s’est affinée pour recouvrir, à l’heure actuelle, l’appellation « chanson traditionnelle » ou « chanson de tradition orale » (Belmont, 1986 ; Guilcher, 1989). Ils m’ont aussi guidée vers d’autres auteurs (Paris, 1878 ; Saintyves, 1919 ; Coirault, 1941 et 1953 ; Laforte, 1981 et 1993). Mais, surtout, cette analyse historique a fait émerger les liens, implicites ou explicites, qui unissaient ou opposaient différentes catégories d’érudits se consacrant à la chanson : les médiévistes, les folkloristes, les mythologues, chacun s’intéressant à son domaine, excluant l’autre. Ainsi G. Paris a accompagné un instant les folkloristes (Gaidoz et Rolland) dont certains récuseront plus tard toute référence au Moyen Âge (Coirault ou Guilcher, 1989), alors que les mythologues convoquent la religion mais non la forme poétique. Il faudra attendre J. Rychner (médiéviste) et C. Laforte (folkloriste) pour que s’amorce une réconciliation entre ces disciplines et que l’on s’intéresse à l’art oral en admettant des similitudes entre la poésie médiévale et la chanson de tradition orale, tant dans l’art formulaire (Rychner, 1955) que dans les « motifs » (Laforte, 1993).
De fait, c’est bien cette recherche sur l’historique de la chanson qui a fait jaillir les éléments qui ont permis de donner de la cohérence à mon travail car, à travers les aléas de la chanson, tous ces érudits m’ont indiqué quelques pistes à suivre, telles l’importance du Moyen Âge et de la versification, notamment pour l’élaboration du corpus, préalable incontournable de toute analyse sur des textes affichant leur appartenance orale.
Une versification étrangère aux conventions poétiques savantes
Pour déterminer des critères fiables relatifs à l’oralité des versions, j’ai tenu compte des remarques des folkloristes ou des érudits des xixe et xxe siècles, qui s’accordent à reconnaître, dans la versification des chansons de tradition orale, une technique différente de la poésie lettrée, qui n’est pas sans rappeler la poésie épique : présence importante de l’assonance en fin de vers, loi des césures inverses typique de la tradition orale, persistance de clichés, stéréotypes, formules, etc.
Cette phase d’analyse n’a été possible que par un travail comparatiste tant interne qu’externe : afin de valider mes observations, il était impératif que je confronte les versions entre elles ou à un corpus de chansons (Millien et Smith). Ainsi, pour déterminer si certaines versions ont été remaniées en fonction de critères littéraires, il a fallu d’abord observer l’assonance majeure qui termine chaque « vers » de la complainte. Si l’assonance différait de l’assonance principale, ou si un système de rimes structurait un ou plusieurs couplets, il fallait se poser la question de l’intervention d’un « remanieur ». Ainsi la version véhiculée par É. Souvestre (1851) et A. Guéraud (Le Floc’h, 1995) qui, pour autant qu’elle ne modifie en rien le schéma narratif de la complainte, a néanmoins été subtilement « littérarisée » au point que nombre d’experts l’ont considérée comme une authentique chanson de tradition orale (Charnier, 2008, p. 104‑168).
Une seule remarque ne suffisant pas à déterminer la part d’intervention d’un lettré, il a fallu tenir compte aussi de la loi des césures inversées. Cette règle, mise en évidence par G. Doncieux à la suite des recherches de Arbaud sur les chansons provençales (1862), montre que si, pour une chanson dont les vers dépassent dix syllabes, l’assonance à la « rime » est féminine, la césure doit être masculine et vice versa. L’observation du non-respect de cette loi a constitué un des critères pour retirer du corpus certaines versions.
La thèse de A. de Felice (1957) a révélé que s’intéresser aux formules, aux couples sémantiques, aux clichés, à leur amplification, était également nécessaire. En effet, déterminer s’ils revenaient de façon récurrente ou non, dans les versions ou dans d’autres chansons, a établi un critère supplémentaire. Par ailleurs, dans les chansons de tradition orale, contraintes par un rythme musical, « il arrive que le chanteur soit obligé de suppléer à l’oubli d’un mot ou d’une expression par des accommodements improvisés » (Laforte, 1993). Rechercher ce processus permet de montrer soit l’adaptation de la structure strophique ou métrique de la complainte à partir de schèmes fondamentaux (ajout/retrait d’une syllabe muette, substitution d’un mot par un autre, reprise d’un hémistiche, etc.), soit l’intervention d’un érudit dont le langage « savant » ne se rencontre pas dans la chanson de tradition orale. Si, procéder ainsi a permis de dégager des critères attestant de l’oralité des versions, fait plus significatif, cela a permis aussi de dévoiler la présence d’un système « mythopoïétique » (Wunenburger, 1995) par les ajouts de motifs qui entrent en résonance avec les traditions populaires et la religion chrétienne, telle, dans une version, l’évocation du sang qui renvoie à un complexe mythique relevant à la fois d’une dimension païenne et chrétienne (Charnier, 2008, p. 148‑150), ou encore la mention de l’épine, terme à forte connotation tant païenne que chrétienne (Charnier, 2008, p. 207‑212) également.
Ainsi, en m’appuyant à la fois sur la linguistique et la sémantique dans une perspective historique et sur l’observation d’une poétique s’écartant de la norme savante, il m’a été possible de bâtir un corpus selon des critères plus fiables que la simple intuition qui a guidé nombre de collecteurs et de savants aux xixe et xxe siècles. Et, dès la deuxième partie de ma thèse, l’étude formelle de la poétique est apparue indissociable de l’imaginaire. Ce constat a été conforté lorsque, pour affiner les critères d’élaboration des versions, j’ai intégré une étude grammaticale et lexicale dont les racines sont à rechercher dans la langue médiévale.
De l’importance du Moyen Âge
Même si les textes médiévaux présentent la même ambiguïté que les chansons collectées par écrit au xixe siècle et au début du xxe siècle — quelle est la part d’oralité ou de littérature (Zumthor, 1983) ? —, il n’en demeure pas moins vrai que ce sont les documents les plus anciens sur lesquels nous pouvons nous appuyer, facilitant des analyses grammaticales et/ou lexicales.
Déterminer l’oralité d’une chanson à partir de la linguistique médiévale — l’omission du sujet, l’ellipse du déterminant, l’usage répétitif de tournures pléonastiques considérées comme incorrectes dès le xvie siècle, détecter les archaïsmes des faux archaïsmes — s’est révélé pertinent. En outre, comparer le schéma narratif à des lais ou des textes de la lyrique médiévale a confirmé la permanence d’un substrat mythique.
Si cette observation a entériné l’impossibilité de dater une complainte de tradition orale — malgré des faits significatifs tels l’assonance — l’analyse comparative de certains de ses constituants est fructueuse en regard d’une interprétation herméneutique. Ainsi l’exorde, rappelant celui des pastourelles — la jeune fille dans un pré — permet de déceler une thématique « devant son argument essentiel », pour reprendre l’expression de P. Bec (1978), et une croyance profondément mythique ancrée dans la mentalité du monde rural, celui de la femme sauvage (Charnier, 2008, p. 419‑422). L’observation des chansons de toile (Zink, 1976) permet de s’interroger sur l’emploi des prénoms. Cependant, au‑delà de similitudes — importance du rôle de la mère révélant peut‑être une société de type matriarcal, protagonistes désignés par leurs prénoms (Charnier, 2008, p. 425‑429) —, l’absence du prénom Marguerite dans ces chansons est tout aussi révélatrice. Pourquoi Wace (1932) a‑t‑il pris soin de tracer la vie de sainte Marguerite, alors que rien ne permet de déceler les motivations qui l’ont poussé à s’intéresser à cette sainte ? Peut‑être a‑t‑il fallu concurrencer les « Margot la fée » et imposer le culte marial en superposant aux « bonnes dames » des saintes christiques. Ainsi, derrière le prénom Marguerite se cacherait un complexe mythique (Charnier, 2008, p. 426‑427).
De même, la chasse au blanc cerf est un topos bien connu de la littérature arthurienne (Harf-Lancner, 1984). Cependant, si dans le lai de Guigemar (Marie de France, 2000) ou dans un des lais anonymes, le lai de Graelent (1992), la poursuite de la biche engendre une union entre un chevalier et une fée, on est loin de la chasse répétitive ou de la dimension incestueuse que comporte la complainte. Et c’est justement ce type d’inceste, apparemment absent de ce topos, qui a également conforté mon hypothèse de l’appartenance de la thématique de la complainte à un fonds mythique ancien (Charnier, 2008, p. 423‑424) (Zeus et Héra, ou Isis et Osiris). Les textes médiévaux ont donc été porteurs de renseignements, tant par la linguistique que par la sémantique, la forme ou encore le sens.
Il est à retenir de tout ce qui précède que travailler sur l’oralité d’un texte implique la non-dissociation du poétique et de l’imaginaire et que découvrir les passerelles qui les unissent passent par un croisement de disciplines et un comparatisme.
Moyen Âge, croisement de disciplines et comparatisme
Confortée ainsi dans mon intuition que la complainte se présentait comme un réservoir de mythes, j’ai procédé de même dans la poursuite de mes investigations et, par là, confirmé mon intuition. Je ne retiendrai que deux exemples qui forment les points forts de ma thèse car, s’ils illustrent bien ce propos, ils le complètent d’autant que j’ai dû faire appel à d’autres champs de recherche.
La complainte se structure autour de la métamorphose fille/biche — prénommée de façon récurrente Marguerite. Dans cette chanson, ce qui surprend et de fait appelle une analyse, c’est l’invariant de la métamorphose. Pour cela j’ai été amenée à observer les lieux de collecte de la complainte — elle est circonscrite par le Nord, le Nord-Ouest, l’Est de la France et quelques départements du Centre — et les textes médiévaux.
J’ai constaté que dans toutes les régions où une version de « La Blanche Biche » avait été collectée, l’implantation de la « galipote3 » était fortement ancrée précisément sous forme de mammifère, y compris la biche — mouton, loup, bique (Charnier, 2008, p. 450‑452). Cependant, seule la complainte présente cette constante dans la métamorphose : la transformation en biche. Pour quelles raisons contient‑elle cet invariant ? J’ai alors questionné les textes médiévaux où la biche est mise en scène. La réponse se trouvait en fait dans le terme biche lui‑même qui, rappelons‑le, appartient à la catégorie des mots à l’étymologie obscure (Guiraud, 1982). Ainsi, dans le lai de Guigemar, la biche est décrite pourvue de « bois de cerf sur la tête » et, dans la chanson de geste Fierabras rédigée en normand-picard dans un manuscrit datant de la fin du xiiie siècle (Le Person, 2003), le terme de blanche beste est utilisé pour désigner le cerf, alors que, selon l’édition de A. Kroeber et G. Servois (1860) rédigée en dialecte picard et datée de la première moitié du xive siècle, le copiste utilise l’expression le blance bisse. Ce terme de biche/bisse se caractérise dès le Moyen Âge par son ambiguïté comme l’héraldique le montre4, de même que dans diverses régions de France où la langue romane est parlée (Atlas linguistique de langue romane, fascicule 6), ou encore dans les autres langues romanes : cette acception sert à nommer différentes bêtes (Charnier, 2008, p. 453‑471). Benveniste (1969) conforte mes recherches en signalant que le sens dans lequel le terme générique se restreint est imposé par la notion de l’espèce qui prévaut ; le fait est général et bien attesté : ainsi en latin bestia donne en français « biche », expliquant par là comment peu à peu biche de « bête » a pu signifier exclusivement la « femelle du cerf ».
Ainsi, la recherche étymologique, associée à la dialectologie ou à des faits sociolinguistiques, laisse apercevoir que derrière la biche se cache, peut‑être de façon plus générique, la bête. Est‑il alors possible de donner du sens à la complainte ?
Un scénario mythique
Pour répondre, il a fallu étendre mes investigations à d’autres textes, d’autres cultures. Persuadée de la pérennité du mythe que véhiculait la chanson, devais‑je rechercher un scénario mythique ? Et si oui, où le découvrir ? Il m’a paru logique, dans un premier temps, de recenser les contes de tradition orale en France. J’ai utilisé pour cela l’ouvrage de Delarue et Ténèze (1977). Si l’observation des contes retenus a prouvé une fois de plus la réversibilité du mythe, je n’ai guère découvert de scénario mettant en scène un frère pourchassant sa sœur. En revanche, j’ai pu constater que la tradition orale avait mieux conservé que la littérature médiévale le topos de la chasse au blanc cerf : la métamorphose de la jeune fille en biche était évoquée explicitement.
Je me suis alors tournée vers d’autres légendes et, conseillée par mon directeur de thèse, j’ai opté pour des lectures anthropologiques (Dumézil, 1965), historiques (Roux, 1993). J’ai également « surfé » sur internet (Jankovics). Là encore, quels que soient les contes ou les légendes, le scénario se caractérisait par une chasse à la biche qui se transformait en quête nuptiale et débouchait soit sur l’union de deux êtres donnant naissance à deux peuples (Hongrois et Magyar [Charnier, 2008, p. 513]), soit à un homme héroïque (Gengis Khan [Charnier, 2008, p. 517]), cette union ne pouvant se concrétiser qu’en un « centre du monde » (dans le ciel, dans un bois ou près d’une source). Cependant, ce scénario me semblait par trop lisible, surtout lorsque la religion chrétienne s’en est emparé et a attribué à la biche/cerf une fonction psychopompe transformant la quête nuptiale en mythe fondateur — création d’abbaye ou d’église.
En effet, aucun de ces contes, aucune de ces légendes ne mettent en scène le final de la complainte, à savoir la mise à mort de la biche et la prise de parole, parfois prophétique de l’animal, lors du banquet. Que signifie cette scène ? Pour quelles raisons la jeune fille semble s’offrir en sacrifice ? Il m’a semblé que, au‑delà du désir incestueux du frère, la complainte rejouait une hiérophanie où la vie et la mort se rejoignaient dans un cycle d’éternel recommencement et de promesse de fertilité.
Cette idée, jaillie certes d’une intuition, n’a pu faire son chemin qu’en tenant compte de certains processus mis en lumière par mes prédécesseurs : ainsi, lorsqu’il s’agit d’études consacrées aux mythes, l’on sait que le nom en lui‑même est porteur de sens (Walter, 1989), même si ou, peut‑être, surtout si un vernis chrétien l’a patiné. La jeune fille de la complainte étant souvent prénommée Marguerite, je me suis intéressée à la vie de sainte Marguerite (Voragine, 2004) réputée pour ses vertus protectrices lors des accouchements, vertu qui place bien cette sainte sous le signe de la fertilité.
Hagiographie et onomastique
Il était évident que je ne pouvais faire l’impasse d’une analyse onomastique, tant pour ce prénom que pour les autres, certes moins récurrents mais tout aussi porteurs de sens. Ces analyses étant éparses dans la thèse, je les présenterai dans un ordre qui donne de la cohérence à cet article et en facilite la lecture.
Que penser de Marguerite, Catherine et Marie (Voragine) ? La variance des prénoms peut se comprendre par une identité de martyre, pérennisée par la tradition orale — Marguerite et Catherine par exemple (Charnier, 2008, p. 364 et 643‑644) —, mais aussi par l’adaptation de la religion chrétienne qui a reporté les vertus protectrices attribuées aux « bonnes dames » sur ces trois saintes, ces vierges fortes, susceptibles de remplacer les fées (Charnier, 2008, p. 570‑571). Pourtant, questionner un autre prénom, Louise (Lelu, 1975), fait émerger l’existence d’un monde où les fées n’ont pas disparu (Charnier, 2008, p. 583‑584) et révélerait plutôt la coexistence de deux systèmes de croyance dont les hagiographies seraient, paradoxalement, les dépositaires.
En effet, la date de célébration de sainte Marguerite n’est pas innocente. La sainte ouvre la canicule et si, dans la chrétienté romaine, elle est la protectrice des enfants et des femmes en couche — telle Artémis —, dans la chrétienté orthodoxe elle protège aussi les moissons. De même, dans les chansons françaises regroupées sous le nom de « sainte Marguerite » (Millien [Charnier, 2008, p. 618‑620, 640 et suiv.]), la sainte revêt ces mêmes caractéristiques. Marguerite se voit donc investie de cette double fonction qui n’est pas sans rappeler celles de la déesse mère. De fait, cette dernière est souvent représentée accompagnée d’un animal — un capridé —, image archaïque d’une source inépuisable de la fertilité (Éliade, 1949). Derrière la fille/biche se cacherait donc la Grande Déesse, et la métamorphose serait une version métaphorisée d’un mythe archaïque.
L’étymologie de Marguerite marque une convergence vers cette interprétation herméneutique. En effet, la racine sanscrite de marguerite — *mrga — renvoie à un animal qui vit en forêt, ou une bête sauvage, un gibier en quelque sorte, spécialement une biche, un faon, une gazelle, une antilope, un cerf. Cependant, cette racine peut également évoquer un oiseau (Charnier, 2008, p. 627‑630 ; Monier-Williams, 1985). Or au Moyen Âge margau recouvre l’acception « goéland » (Godefroy, 1965), sens qu’il revêt toujours au Canada. Est‑ce alors un hasard si, dans la tradition orale, la pie est appelée Margot, à l’image des « Margot la fée » ?
Le croisement des hagiographies romaines et orthodoxes, des traditions orales, des croyances et des divers dictionnaires — d’ancien français ou sanscrit — témoigne du complexe mythique que renferme le prénom Marguerite pouvant désigner diverses bêtes, ce que rendait visible l’étymologie de biche.
Ainsi, quelle que soit la façon dont nous abordons le personnage féminin — biche ou Marguerite —, le croisement de différents champs disciplinaires met en lumière une convergence qui tend à démontrer que derrière Marguerite ou la biche se cache la bête qui connote la déesse mère, marquant par là la dimension mythique de la complainte.
Conclusion
Tenter de décrypter les différents schèmes mythiques sous-tendus par les versions a nécessité l’élaboration de mes propres outils. Je souhaite insister sur l’importance d’un retour aux sources, c’est-à-dire les textes écrits en ancien français : la langue médiévale est riche d’enseignements tant d’un point de vue lexical, grammatical, poétique qu’en regard du sens. Cependant, il faut dépasser le strict cadre du Moyen Âge et scruter les légendes et les traditions orales de notre culture et de cultures différentes de la nôtre, observer les mots d’une langue à l’autre, rechercher leur étymologie, comparer et croiser toutes ces informations issues de champs disciplinaires variés afin de délacer ce que le temps a voilé à travers des formes sans cesse renouvelées. Ce n’est qu’à ces conditions qu’il est possible de retrouver la passerelle entre l’imaginaire et le poétique, de retrouver les différents substrats qui se sont superposés au fil du temps sur les écrits ou les chants de tradition orale qui sont parvenus jusqu’à nous.