Blanca Solares, Imaginarios mayas en la música contemporánea. S. Revueltas, A. Ginastera y G. Scelsi

Cuernavaca, Université Nationale Autonome du Mexique, Centre régional de recherche multidisciplinaire, 2022, 173 p.

Bibliographical reference

Blanca Solares, Imaginarios mayas en la música contemporánea. S. Revueltas, A. Ginastera y G. Scelsi, Cuernavaca, Université nationale autonome du Mexique, Centre régional de recherche multidisciplinaire, 2022, 173 p.

Text

Étudier l’imaginaire (vision du monde) des Mayas d’après des musiques contemporaines qui se revendiquent de leur héritage, tel est le propos original de cet ouvrage d’une spécialiste reconnue de la culture maya, ayant publié un volume monumental sur la déesse-mère dans la religion de l’ancien Mexique (Madre terrible. La diosa en la religion del Mexico Antiguo, Mexico, 2007, 430 p.). Ce nouvel opus explore les œuvres de trois compositeurs du xxe siècle, inspirés par la civilisation maya dans leur travail musical : Revueltas, Ginastera et Scelsi. Deux questions centrales sont soulevées. Quels liens (explicités par leurs titres) ces musiques entretiennent-elles avec l’imaginaire maya ? Quels liens peut-on établir entre la fonction de la musique dans le Mexique précolombien et la recherche contemporaine de nouveaux langages musicaux ?

La nuit des Mayas (La noche de los Mayas) est la dernière œuvre du compositeur mexicain Silvestre Revueltas (1899-1940). Pensée initialement comme la musique d’un film (celui de Chano Urueta tourné dans le Yucatan et portant le même titre), elle fut reprise et réorchestrée après la mort du compositeur par J. Y. Limantour qui lui donna la forme d’une suite symphonique en quatre mouvements. C’est l’évocation d’une passion incontrôlable entre une jeune fille maya et un étranger (rappel de la liaison entre Cortès et la Malinche). La musique de Revueltas évoque musicalement deux façons d’être au monde : celle de la dépossession, de l’abus et de l’ethnocide dont ont été victimes les Mayas pendant la conquête espagnole puis pendant leur marginalisation tout au long l’histoire moderne ; et cette autre forme de vie, toute de résilience, qui parvient à perdurer grâce à la réappropriation par les Mayas de leur culture (codex, rites, monuments, livres sacrés et littérature), avec l’ouverture au mystère de la nature et la protection de la mémoire humaine. Dans cette visée, les procédés musicaux mis en œuvre rendent sensibles la force de résistance et de créativité du mythe de l’éternel retour, par le contraste des rythmes, mélodies et timbres (propres aux Mayas et à leurs « conquérants »), rejouant ainsi le contraste dysharmonique entre naissance, destruction puis résurgence d’une civilisation opprimée. Cette nuit des Mayas fait alors surgir nombre des fantasmes majeurs de l’imaginaire nocturne, telles que les a décrits G. Durand dans leur versant mystique.

La plongée dans l’imaginaire du mythe se fait encore plus directe dans l’œuvre du compositeur argentin Alberto Ginastera (1916-1983). Son Pop Vuh, opus 44, porte en sous-titre « La Création maya ». Commandée en 1957, l’œuvre ne fut créée qu’en 1989. Ses huit mouvements suivent la genèse du cosmos maya telle qu’elle est racontée dans le célèbre texte quiché transcrit entre 1554 et 1558 par un missionnaire espagnol : la nuit des temps ; la naissance de la terre ; l’éveil de la nature ; le cri de la création ; le déluge : la cérémonie magique du maïs ; le soleil, la lune et les étoiles ; l’aube de l’humanité. Transformé en musique, le mythe exige pour être saisi poétiquement le triple regard croisé que C. Lévi-Strauss attendait de l’anthropologue : Regarder, écouter, lire (Plon, 1993). En cherchant à mimer la genèse du monde, c’est aussi la genèse d’un son inouï qui s’impose comme articulation première d’une mythopoïétique au diapason du cosmos. Le son primordial surgit du néant, d’un cri (grito) de marimbas, de flûtes et de cuivres émoussés. Ginastera souligne ici l’inspiration métaphysique et spirituelle de son œuvre : « Ce que j’ai fait, c’est reconstruire l’aspect transcendantal de l’ancien monde précolombien. »

La dernière œuvre étudiée est celle du compositeur italien Giacinto Scelsi (1905-1988) qui, dans son Uaxuctum (créé en 1985), concentre tout son travail musical sur le façonnage du son et l’approfondissement des techniques du timbre (atonalité, micro-intervalles, clusters instrumentaux, etc.), tentant de libérer toute la force cosmique latente dont la matérialité du son peut être porteuse. Un enregistrement récent de l’œuvre est accessible en ligne : <www.radiofrance.fr/francemusique/uaxuctum-la-legende-de-la-cite-maya-detruite-par-eux-memes-pour-des-raisons-religieuses-5266609>. Un esprit de radicalité s’attache à cette cérémonie sonore singulière qui fait songer aux productions de l’IRCAM de Pierre Boulez et au courant de la musique dite « concrète ». Il s’explique par la recherche secrète du compositeur pour approfondir les clés ontologiques des sons cosmiques, ce qu’il justifia dans les termes suivants : « L’étrange valeur attribuée aux œuvres d’art, ou aux créations artistiques, vient du fait qu’elles sont des cristallisations visibles et l’incarnation matérielle d’un processus de connaissance directe et unique des forces créatrices du cosmos. »

Ainsi, chez ces trois compositeurs, l’investigation mythopoïétique des langages musicaux les plus divers et leur construction et déconstruction des formes en dialogue avec les avant-gardes internationales inspirées par les univers « primitifs » ou archaïsants des mythes dépassent de loin les limites sociopolitiques du folklorisme qui fut une constante des musiques romantiques européennes au xixe siècle (Dvorak, Smetana, Tchaïkovski, etc.) ou même les éternelles illusions du mythe de l’Origine. Dans ces trois recréations de l’imaginaire maya, le son se fait incantation chamanique en quête d’une révélation proprement sacrée de la vie, au-delà de l’impuissance et de l’agonie d’une pré-Amérique disparue. Cet ouvrage, au diapason des œuvres musicales qu’il évoque, est tout entier marqué de passion et d’émotion.

References

Electronic reference

Philippe Walter, « Blanca Solares, Imaginarios mayas en la música contemporánea. S. Revueltas, A. Ginastera y G. Scelsi », IRIS [Online], 43 | 2023, Online since 04 décembre 2023, connection on 18 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=3532

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Philippe Walter

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