Un inexplicable effet d’imagination. L’imagination des mères et ses incidences sur les perceptions et le corps du fœtus

Succès et réfutations du paradigme malebranchiste au xviiie siècle ou la question passionnante de l’interaction psychophysique

  • An Inexplicable Effect of Imagination. Mothers’ Imagination and Its Impact on the Perceptions and Body of the Fetus. Successes and Refutations of the Malebranchist Paradigm in the 18th Century or the Fascinating Question of Psychophysical Interaction

DOI : 10.35562/iris.3872

Résumés

Une erreur que la médecine a longtemps partagée est d’attribuer à une envie ou à un effet de l’imagination de la mère pendant la gestation, les difformités, excroissances ou taches qu’un enfant porte en naissant. L’imagination serait capable d’imprimer à la matière des modifications extérieures et aurait des incidences sur les perceptions et le développement sensoriel du fœtus. Revenant brièvement sur la généalogie et la postérité du topos, cet article se focalise sur les succès et réfutations du paradigme malebranchiste au xviiie siècle, au travers d’un corpus de textes de vulgarisation médicale où les débats opposent les partisans de l’imagination (imaginationistes) pour lesquels l’émotion altère les organes du fœtus et les détracteurs de cette thèse (anti-imaginationistes) qui n’y voient que préjugé. Les systèmes mécanistes avaient en commun de faire l’économie de l’âme pour expliquer la vie. Bien que chaque époque possède son système herméneutique de représentations et que la médecine — étroitement dépendante des conceptions philosophiques et morales de son temps — soit aussi une production culturelle, il n’est pas inintéressant néanmoins de s’interroger sur la fortune d’un motif et l’actualité scientifique de la question. Que perçoit le bébé in utero ? Ressent-il la douleur de sa mère ? Jusqu’où l’imaginaire et le vécu maternel peuvent-ils « marquer » le corps de l’enfant ? Éclairées par les technologies de l’imagerie fonctionnelle, des recherches récentes sur la vie embryonnaire reviennent sur le lien symbiotique des interactions mère-fœtus. Des convergences apparaissent entre ce xviiie siècle et notre xxie siècle. En aucun cas, on a voulu opposer les scientifiques d’aujourd’hui en prise solide avec le réel et leurs prédécesseurs en proie à l’imagination. La science, quelle que soit l’époque, se nourrit toujours d’imaginaire.

An error that medicine has long shared is to attribute to a desire or an effect of the mother’s imagination during gestation, the deformities, growths or spots that a child bears at birth. The imagination would be capable of imprinting external modifications on a matter and would have an impact on the perceptions and sensory development of the fetus. Returning briefly to the genealogy and posterity of the topos, this article focuses on the successes and refutations of the Malebranchist paradigm in the 18th century, through a corpus of medical popularization texts where the debates oppose the supporters of the imagination for whom emotion alters the organs of the fetus and the detractors of this thesis who only see it as prejudice. Mechanistic systems had in common that they avoided the soul to explain life. Although each era has its hermeneutic system of representations, and that medicine—closely dependent on the philosophical and moral conceptions of its time—is also a cultural production, it is nevertheless not uninteresting to question on the fortune of a motive and the scientific topicality of the question. What does the baby perceive in utero? Does he feel his mother’s pain? If so, what is the biological impact? To what extent can the maternal imagination and experience mark the child’s body? Informed by functional imaging technologies, recent research returns to the symbiotic link of mother-fetus interactions. Convergences appear between this 18th century and our 21st century. In no case did we want to contrast today’s scientists who are firmly in touch with reality and their predecessors who are prey to imagination. Science, whatever the era, always feeds on imagination.

Plan

Texte

« Doit-on s’étonner que l’imagination, à l’aide des esprits, meuve, modifie et dispose tellement une matière molle, qu’elle puisse graver, en tout ou en partie, sur le fœtus délicat, la figure d’une chose que la Mère aura vue, ou entendue, ou à laquelle elle aura pensé. »
(Riolan, 1650, p. 835)

« Ainsi les enfants voient ce que leurs mères voient, ils entendent les mêmes cris, ils reçoivent les mêmes impressions des objets, et ils sont agités des mêmes passions. »
(Malebranche, 1990, p. 67)

« C’est encore cette imagination passive des cerveaux aisés à ébranler, qui fait quelquefois passer dans les enfants les marques évidentes d’une impression qu’une mère a reçue ; les exemples en sont innombrables […] ; cet effet d’imagination n’est guère explicable, mais aucun autre effet ne l’est davantage. On ne conçoit pas mieux comment nous avons des perceptions, comment nous les retenons, comment nous les arrangeons. Il y a l’infini entre nous et les premiers ressorts de notre être. »
(Encyclopédie, article « Imaginer, Imagination », 1766, p. 564)

Pouvoir de l’imagination des mères, ou empreinte des jeux du hasard biologique ? La matière divise le xviiie siècle, qui, en ces temps de lumières philosophiques et scientifiques, compte encore bien des partisans de l’imaginationisme1. Un enfant naissait avec un nævus vasculaire, c’était une tache de vin, elle-même reflet d’une envie de vin. S’il s’agissait d’un pigment plus ou moins foncé, c’était un désir de café ou de chocolat. L’imaginaire d’une mère apparaissait si puissant qu’il semblait capable de modeler l’embryon conçu. Dans l’histoire des idées médicales, qui croisent le rationnel et le merveilleux, le motif des « envies » maternelles perdure2. Savants et médecins, dans une démarche de rationalisation et de « scientifisation de l’imaginaire d’une époque », élaborent des théories scientifiques susceptibles d’expliquer des légendes persistantes, comme l’a montré Anne-Lise Rey (2018). L’anomalie du vivant, sa nature aléatoire dont le monstre3 est en somme l’ambassadeur ultime, se présente d’emblée comme un défi à toute rationalisation du monde. Selon la thèse dite « imaginationiste », la mère imprime un « devenir-homard » au visage de son enfant pour avoir eu un désir de crustacés. Si une femme est effrayée au cours de sa grossesse par un animal, un étranger ou un épileptique, l’enfant en portera la marque, transmise naturellement par l’imagination. Alors même que le fœtus n’a aucune idée des objets extérieurs qui ont ébranlé le corps et l’esprit maternels, suscitant d’intenses émotions négatives (peur, culpabilité, tristesse et choc), les signes des passions semblent se transmettre mécaniquement au corps de l’enfant-récepteur par un phénomène de contagion émotionnelle. La communication de l’affect, qui n’est ici assujettie à la présence d’aucun déterminant cognitif, résulterait du pur effet de notre constitution matérielle passive. La vividité des images mentales qui s’imposent à l’esprit maternel suffit, croit-on, à influer sur les perceptions et l’organisme de l’enfant. On a prétendu que tout ce qui affectait la mère affectait le fœtus, que les impressions de l’une porteraient leurs effets sur le cerveau de l’autre, et l’on a attribué à cette influence les ressemblances, les monstruosités, par addition, par retranchement ou par conformation contre-nature. On a invoqué la possibilité d’une communication des impressions, mais aussi des passions et des idées de la mère. Au-delà de la réponse émotionnelle générée, la contagion affective se doublait d’une contagion mentale (transmission d’un contenu et de représentations) et s’attachait à la fabrique même du corps humain et de l’embryon. Ainsi s’ouvre en 1788 le recueil de Benjamin Bablot, conseiller et médecin ordinaire du roi :

Tout le monde en effet convient que les enfants apportent souvent en naissant des marques plus ou moins bizarres et des difformités plus ou moins monstrueuses. La dispute ne roule que sur la cause de ces productions, où les uns croient reconnaître le cachet du pouvoir de l’imagination des mères, tandis que les autres y voient l’empreinte des jeux du hasard []. Ceux qui prétendent que l’imaginaire de la mère influe sur l’organisation du fœtus citent à l’appui de leur opinion une masse de faits plus ou moins avérés, et ils se croient d’autant plus autorisés à s’étayer de ces faits que ce sont ces faits-là même […] qui ont donné naissance à leur opinion particulière. Ceux au contraire qui regardent cette croyance comme un préjugé ridicule, enfanté par la débauche des femmes, propagé par la crédulité du vulgaire, et accrédité par l’ignorance de quelques médecins, […] se retranchent dans la logique du raisonnement et dans ce qu’ils appellent les seules possibilités physiologiques. (Bablot, 1788, p. 5-6)

Cette théorie des pouvoirs de l’imagination maternelle sur le fœtus remonte à l’Antiquité avec, entre autres, Hésiode4, Empédocle, Hippocrate, Platon, Aristote, Pline ou Avicenne. Elle a retenu l’attention des médecins et des philosophes jusqu’à la fin du xviiie siècle. Très populaire au xvie siècle, accréditée par Montaigne (1580) et Ambroise Paré (1573)5, la croyance en une imagination procréatrice de monstres, opératrice de traces sur le corps de l’enfant, continue à intéresser aux xixe et xxe siècles, ethnologues et folkloristes. Si l’on en croit Joël Coste (2000), spécialiste d’épidémiologie historique à l’École pratique des hautes études, la médecine savante a été à l’origine d’une conceptualisation cohérente de cette représentation pendant plusieurs siècles, par le biais de la conception hippocratique du pouvoir de l’imagination maternelle. Malebranche, Maupertuis ou encore Liébaut, un des pères de l’école hypnologique de Nancy, ont réinterprété et réactualisé la représentation et contribué à la pérenniser. La diffusion des œuvres de Malebranche et le succès de la Recherche de la vérité en 1674 ancrent définitivement la popularité du motif. Le théologien y discute longuement des facultés de l’âme, de la contagion des imaginations fortes et des risques associés à l’imagination passive, de la transmission des représentations d’un esprit à l’autre et de l’action sympathique qui unit étroitement le fœtus et sa mère. Malebranche met en place un véritable paradigme et reconfigure la question de l’imagination des femmes enceintes, en introduisant la théorie des esprits animaux. « Il s’agit moins de discourir de l’influence des fantaisies de la mère sur le corps de l’enfant que d’expliquer le mécanisme de transmission qui opère de la mère au fœtus » (Rey, 2018, p. 10), en s’appuyant notamment sur la fragilité des fibres du cerveau de l’enfant. Avec Malebranche, on explique désormais le processus qui traduit le psychique en physique. Examinant la question à propos d’un compte rendu sur les lettres d’Isaac Bellet, le Journal des Savants d’août 1745 (p. 460) rappelle les deux postulats retenus par les physiciens : premièrement, certains mouvements excités dans le cerveau d’une mère à l’occasion de désirs sont la cause de dérangements remarqués à la naissance ; deuxièmement, le fœtus in utero ayant les mêmes impressions que celles éprouvées par la mère porte sur son corps la trace de figures semblables à celles aperçues par la mère. Selon la thèse d’Hippocrate admise par les médecins jusqu’au xviie siècle, l’état de grossesse entraîne chez la femme une perturbation du sang et des humeurs, responsable d’appétence pour des aliments extraordinaires.

Cette théorie était très liée à deux questions scientifiquement et socialement épineuses jusqu’au début du xviiie siècle : celle de la ressemblance des enfants aux parents, et celle des monstres (avec à l’arrière-plan toute la problématique de la génération). En effet, « ce n’est qu’avec les premiers succès de la théorie de la préformation des germes, entre 1720 et 1730, que l’idée de la force imaginative maternelle a pu être définitivement rejetée par la communauté savante » (Roger, 1993, p. 214). S’y ajoute une théorie de l’hérédité double, physiologique et imaginaire. Quelle est l’influence de l’inconscient des parents sur l’enfant à naître ? Une double question se pose, celle de l’attribution des vices de conformation à l’imagination de la mère, et celle des transmissions transgénérationnelles d’une mémoire traumatique. Non seulement on attribue à la mère, voire aux ancêtres, la possibilité de modeler l’embryon, en rattachant les difformités congénitales aux violentes impressions maternelles dont les contrecoups sont directs sur le fœtus. Mais est postulée également l’hypothèse d’une transmission d’informations inconscientes avant la naissance, par l’inscription du traumatisme maternel dans le corps de l’enfant au plus profond des cellules. Dans le paradigme malebranchiste, « les enfants dans le sein de leurs mères ne voient que ce que voient leurs mères ; et même lorsqu’ils sont venus au monde, ils imaginent peu de choses dont leurs parents ne soient la cause, puisque les hommes, même les plus sages, se conduisent plutôt par l’imagination des autres, c’est-à-dire par l’opinion et la coutume, que par la raison » (Malebranche, 1990, p. 67). L’individualité s’y fonde sur un héritage imaginaire et perceptif, résultant du travail de l’imagination familiale et de ses effets de contagion. L’imagination, à ce titre, est facteur d’historicité. Pour Malebranche, si l’imagination permet de prendre l’ascendant sur autrui (effets d’intimidation et de respect), le meilleur exemple reste celui de l’influence des parents sur leur progéniture. Tous les facteurs sont réunis : l’hérédité, la malléabilité des fibres cérébrales, la dépendance, l’affection, la vulnérabilité, l’ignorance, la propension à imiter. « À la relation diachronique de la transmission des traces par les esprits animaux dans le ventre de la mère, correspond une transmission synchronique, par les gestes, les paroles et ce que Malebranche nomme l’air. » (Buzon, 2010, p. 250) Les images de l’inconscient maternel et du co-inconscient familial impressionnent la mémoire du futur nouveau-né. L’ensemble du corpus6 qui présente des enfants malades de leurs parents introduit au roman familial de la psychanalyse et à la « clinique de l’impensé généalogique », au non-dit ancestral, au fantôme transgénérationnel, auxquels s’intéresse depuis une vingtaine d’années un certain nombre d’études en épigénétique (Hachet, 2003 ; Koritar, 2019). L’enfant semble bien hériter de l’histoire fantasmatique et imaginaire de ses parents.

Alors qu’en 1745, Isaac Bellet, membre de l’Académie de Bordeaux, publie un ensemble de lettres sur le pouvoir de l’imagination des femmes enceintes, dans le but de détruire un préjugé néfaste au repos maternel, il est forcé d’admettre que « la crédulité paraît ici fondée sur l’expérience » (Bellet, 1745, p. 3). Pour Lavater lui-même, célèbre pour ses travaux sur la physiognomonie (1781), les marques que les enfants portent en naissant résultent bien d’une impression reçue par la mère durant la grossesse. Les faits lui semblent trop nombreux pour qu’un observateur impartial puisse nier l’existence des envies. S’il met de côté tout ce que l’imaginaire ajoute d’absurde, il est obligé d’adopter comme vraie une chose incompréhensible : l’imagination, excitée par une passion violente, opère sur l’enfant. « Tantôt c’est l’empreinte d’une main sur la même partie que la femme enceinte a touchée dans un moment de surprise ; tantôt c’est une aversion insurmontable pour les objets qui ont répugné à la mère pendant sa grossesse […]. » (Variot, 1891, p. 458) Persuadé de l’énergie de la pensée des mères, Descartes lui-même avait expliqué, dans le Traité des passions (1649), les antipathies singulières de certains adultes pour l’odeur de la rose, la présence d’un chat ou bien d’autres choses, non seulement par des souvenirs désagréables et des blessures liées à la petite enfance, mais aussi par les indispositions de leurs mères, alors enceintes, avec lesquelles ils auraient partagé ces douloureuses sensations.

La misogynie du discours est latente. Ceux qui, comme James-Auguste Blondel, entreprennent de détruire une telle croyance, entendent plaider en faveur des femmes sur lesquelles pèsent pression et culpabilité. Sous le spécieux prétexte de l’imagination, voilà les mères injustement chargées des difformités de leurs enfants. Pour ce médecin londonien, il s’agit d’un « préjugé si incommode, si fatal et si honteux au genre humain » qu’il convient absolument de s’en défaire. De telles conjectures inquiètent des familles entières. « N’est-il pas scandaleux de supposer que celles, à qui le Tout-Puissant a donné tant de charmes et de tendresse pour leurs enfants, puissent […] engendrer des monstres par l’effet d’une imagination folâtre ? » (Blondel, 1737, Préface) Dans son entreprise de réfutation pour combattre « l’absurdité d’une erreur vulgaire », l’unique dessein de Blondel est de calmer l’esprit des parents et de « justifier le beau sexe d’une imputation fausse et injurieuse, qui souvent cause des différends dans les familles » (ibid., p. 104). Cette croyance a eu pour effet de « déshonorer tout un sexe, par l’infamie des mœurs qu’il n’a point » (Bablot, 1788, p. 159). Pour expliquer le mystère des difformités qui préoccupait médecins et théologiens, on a prêté aux femmes des imputations de bestialités et de débauche, des histoires de conjonctions monstrueuses dont elles se seraient souillées (des filles se prostituant à un chien, les infâmes caresses d’un reptile coassant). Ces turpitudes dont on les accuse sont autant de calomnies contre lesquelles s’élèvent les anti-imaginationistes. « La somme des maux physiques attachés à la triste condition des reproductrices de l’espèce humaine n’est déjà que trop effrayante. » (ibid., p. 171) Le vécu de la grossesse dans la France du xviiie siècle, voire du xixe siècle, où la mortalité infantile et celle des parturientes reste grande7, est d’autant plus anxiogène qu’on prête à la mère de considérables pouvoirs sur la formation du corps et de l’âme du fœtus. L’extrême sensibilité des femmes en couche, au corps perméable, à l’imagination coupable, inquiète. L’angoisse suscitée demeure d’autant plus profonde qu’il n’existe pas de moyen pour prévenir ces effets d’imagination. Si le scepticisme se développe chez les médecins, la population continue à croire au pouvoir du regard des femmes, à l’imprégnation du fœtus par les qualités maternelles, voire à son éducation in utero (Berthiaud, 2012). Pour toutes ces raisons, la grossesse demeure un état très encadré, présidé par la volonté de protéger les mères de toute émotion négative et assorti de précautions symboliques, comme l’interdit d’enjamber une femme enceinte ou de croiser les jambes en cas de grossesse, comme la consigne d’éviter tout geste circulaire (vider un écheveau ou enrouler le fil sur la pelote). Ces mises en garde cherchent à prévenir des étranglements par enroulement du cordon ombilical. Conscientes d’influer sur les qualités physiques, psychiques et morales de leur enfant avant sa naissance, certaines mères soignent leur état émotionnel et leurs activités pendant la grossesse ou s’emploient à regarder les tableaux de grands artistes pour s’imprégner de beauté. Hésiode déjà exhortait les maris à ne pas caresser amoureusement leur femme en revenant de funérailles.

À partir de données empiriques, la thèse imaginationiste esquisse des tableaux de symptômes et toute une nosographie, corroborant l’idée que l’imaginaire est uniquement expliqué dans ses maux et jamais dans ses aptitudes à susciter du bonheur. Blondel (1737, p. 15) le déplore, lui qui refuse de croire en la capacité de l’imagination à « dépouiller le fœtus de sa figure humaine », pour en faire un animal semblable à celui qui effraya la mère ou que la mère fantasma : l’imagination — et il convient de le regretter — « s’est rendue maîtresse de tout le négoce des difformités ». « Quel besoin y a-t-il d’attribuer les marques et les malformations des enfants à des causes imaginaires, quand la Nature nous en fournit de solides et de réelles ? » (ibid., p. 84) C’est dans le pouvoir de l’imagination, au moment du « sacrifice amoureux » (entendons, au moment de la conception) qu’on trouve la cause des dissemblances. Alors qu’incapables de distraction, les animaux se livrent entièrement au plaisir de la chair, l’inconstance et la mobilité des idées de l’homme au moment de la procréation semblent expliquer les imperfections relatives à la généanthropie.

Le corps du fœtus est terre d’inscription des blessures symboliques de la mère. Il donne à voir la détresse maternelle, en empruntant une forme inédite et somatique, travail de traduction et de transfert, qui laisse entrevoir une histoire familiale tatouée dans les profondeurs du sujet et produisant ses effets à la surface de la chair de l’héritier. La description de ces cas cliniques qui enchaînent — véritable litanie — les récits des chocs traumatiques maternels (confrontation insoutenable avec la mort : souffrance du deuil ou scène d’exécution publique en place de Grève, femme épouvantée d’un coup de tonnerre…) est un pont jeté entre le soma et le psychisme, ouvrant un champ de rencontre médicale où le sujet est convié à se dire à partir d’un corps, stigmate d’un héritage émotionnel violent, qui ne lui appartient pas directement mais dont il est le réceptacle et la victime collatérale. « Ce qui existe spirituellement dans l’âme de la mère se retrace physiquement sur le corps de son enfant. » (Bablot, 1788, p. 29) La collecte de signes organiques toujours plus extraordinaires, toujours plus farfelus aussi, peut, d’un ouvrage à l’autre, donner l’impression d’une surenchère, comme d’une collection d’inepties discréditant leurs auteurs. L’imaginaire excède ici la vie individuelle. Il devient une force matérielle qui meut et forme le corps. L’imaginaire altère la vie physique, il en est la matrice invisible. Le réel (ici le biologique) ne semble se comprendre qu’à partir de l’irréel.

Cet effet d’imagination semble à tous égards bien mystérieux et inexplicable. Détracteurs comme imaginationistes en conviennent, eux qui souhaitent comprendre « comment telle ou telle figure passe des artères d’une femme grosse, jusques sur les membres de l’enfant qu’elle porte dans son sein » (Bablot, 1737, p. 62). Et certains s’accordent à dire qu’il est regrettable qu’un homme comme Descartes, acquis à l’idée de l’influence de la mère sur la modification extérieure du fœtus, « n’ait pas daigné soulever un coin du voile épais qui dérobe à nos yeux le mécanisme de cet étonnant phénomène » (ibid.).

Nous autres Anatomistes, confessait le célèbre Méry, à qui le xviiie siècle doit les Problèmes de physique sur le fœtus, nous sommes comme les crocheteurs de Paris, qui connaissent toutes les rues, jusqu’aux plus petites, mais qui ne savent pas ce qui se passe dans les maisons, nous devons avouer avec humilité notre ignorance de l’action et du jeu des liqueurs entre la mère et l’embryon, comme du type de communication pouvant exister entre le cerveau de la mère et celui du fœtus. (Bablot, 1788, p. 123)

Quoi qu’il en soit de leurs méconnaissances en la matière, comme le rappellent en 1771 Van Swieten (p. 123) et après lui Bablot en 1788, tous deux médecins, il leur est impossible de nier les effets de l’imagination de la mère sur le fœtus sous prétexte que le mécanisme par lequel ils opèrent reste inconcevable. Maupertuis l’admet aussi dans la Vénus physique :

Il y a certainement entre le fœtus et sa mère, une communication assez intime, pour qu’une violente agitation dans les esprits ou dans le sang maternel, se transmette dans le fœtus, et y cause des désordres auxquels les parties de la mère peuvent résister, mais auxquels les parties trop délicates du fœtus succombent. En conséquence, si une femme troublée par quelque passion violente, épouvantée par un animal affreux, accouche d’un enfant contrefait, il n’y a là rien que de très facile à comprendre. Et l’enfant qui naquit roué est bien moins prodige que ne le serait celui qui naîtrait avec l’empreinte de la cerise qu’aurait voulu manger sa mère. (Maupertuis, 1751, p. 115)

Les adversaires du pouvoir de l’imagination devraient, dans ce cas pour Bablot (1788, p. 196), « se retrancher dans le parti le plus sage, celui de savoir douter » et avouer avec le Docteur Grunswald, académicien auteur d’un article dans la Gazette Salutaire XXXVI de 1787, que l’ignorance de la physique médicale, malgré ses progrès, est encore trop grande pour prendre, en pareille matière, le raisonnement pour juge.

D’un point de vue anatomique comme philosophique, le modèle continuiste mis en place par Malebranche provoque un vrai débat, dont nous retraçons ici quelques éléments, entre influence admise de l’imaginaire (premier axe) et rejet de la thèse par la communauté savante (second axe). Ce que ne sauraient admettre les anti-imaginationistes, c’est que la mère puisse imprimer au fœtus la figure de l’objet qui occupe son imaginaire et pire, qu’en conséquence de ces représentations, elle puisse créer ou retrancher des parties du corps8. La critique anatomique du modèle malebranchiste qui s’appuie sur les découvertes récentes en matière de circulation sanguine et qui défend l’idée que deux corps déjà individués ont leur circulation propre, cherche à montrer qu’entre la mère et le fœtus, la communication du mouvement corporel n’est pas du même ordre que la communication des idées, entendues comme contenus représentationnels. Aujourd’hui des recherches et des débats contemporains en psychologie, sciences cognitives et neurosciences alimentent certaines de ces discussions. L’actualité de ce vieux motif mérite attention (troisième axe). Parce que la mère et l’enfant sont tous deux reliés à un même univers, biologique-physiologique-affectif et énergétique, on accorde désormais un grand intérêt aux incidences du stress prénatal comme à la qualité des stimulations périphériques (au niveau de la parole, de la caresse, de l’apport nutritionnel, de la pensée, des émotions et de l’amour) les plus appropriées à une synaptogenèse9 harmonieuse.

« Quand les femmes avaient l’utérus imaginatif10 ». Le pouvoir des idées des femmes enceintes sur les perceptions et la configuration du fœtus

« De imaginationis maternae in foetum efficacia. »
(Harting, 1805)

La doctrine de l’imagination, selon laquelle « Imaginatio movet formatque corpus11 », a la particularité d’être partagée par la culture savante et la culture populaire, la transmission des envies étant le fait exemplaire le plus prégnant de tout le système, la tératogenèse constituant le stade ultime de cette recherche des origines.

La théorie de l’imagination fournit le cadre génétique d’une anthropologie générale où sont amalgamés tous les problèmes touchant la variation de l’espèce humaine : sa variété synchronique (morphologique, culturelle, individuelle) mais aussi ses dérives diachroniques (son historicité) dues à la transmission, perpétuation et propagation de tares et d’errances individuelles au sein de l’espèce. (Rioux-Beaulne, 2012, p. 705)

Le pouvoir de l’imaginaire maternel n’y est qu’une illustration de la force contagieuse de l’imagination et de ses incidences sur les facultés physiques et morales de l’homme. Mais il en est un exemple paradigmatique. On ne peut, selon Bablot, refuser à l’imagination des mères une action immédiate sur le fœtus et en nier les conséquences, alors que tous les jours l’éloquence du barreau ou la magie théâtrale démontrent ses effets incendiaires comme son pouvoir d’imprégnation. La même chose se produit dans les églises, quand l’éloquence d’un habile oratorien fait entrer dans l’âme de ses auditeurs les vérités évangéliques. Chaque mot ajoute à l’émotion et fait palpiter les cœurs. Le partisan de l’imaginationisme qu’est Bablot s’étonne, voire s’afflige de la contradiction de l’esprit humain qui ne veut pas croire à l’influence de l’imagination des mères, alors qu’il croit à la guérison de Saül au son de la harpe de David. En sa qualité de médecin, Bablot a pu à l’aide de l’imaginaire musical faire revenir d’un accès de folie un malade mélomane que les bras de cinq ou six hommes vigoureux pouvaient à peine contenir. Il lui semble d’autant plus difficile d’en nier les effets à la fin du xviiie siècle que le pouvoir de l’imaginaire a été confirmé par l’examen des procédés du magnétisme. Le mesmérisme a prouvé en 1784-1788 que l’homme pouvait agir sur l’homme à tous moments et presque à volonté en frappant son imaginaire et que l’homme moral, comme l’homme physique, n’existe et ne devient tel qu’il est que par l’imitation et l’imagination.

C’est avec Malebranche — dont l’héritage philosophique influent au xviiie siècle (cinq éditions de la Recherche de la vérité entre 1721 et 1772) est sujet à controverse — que le processus d’identification inaugural entre l’enfant et la mère devient décisif pour le développement psychique et physique de l’enfant. Malebranche, somaticien pionnier du prénatal, a dessiné le cadre théorique de cette propagation contagieuse des passions de la mère au fœtus, basée sur une relation imitative par « machine » et une transmission des représentations, réponse affective sans action de la volonté.

Ainsi les enfants voient ce que leurs mères voient12, ils entendent les mêmes cris, ils reçoivent les mêmes impressions des objets, et ils sont agités des mêmes passions […]. On a raison de penser que les mères sont capables d’imprimer dans leurs enfants les mêmes sentiments dont elles sont touchées et les mêmes passions dont elles sont agitées. (Malebranche, 1990, p. 87)

La fragilité du fœtus ajoutée à l’intimité du lien mère-enfant accréditent l’idée d’une communication des plaisirs et des maux. Cette transmission des « traces » suppose que le sang circule de la mère à l’enfant, que l’enfant dans la matrice ne soit pas indépendant et qu’il y ait communication du cerveau maternel au cerveau fœtal. Pour Malebranche, les enfants ne font qu’un avec le corps de leur mère.

Quoique leur âme soit séparée de celle de leur mère, leur corps n’étant point détaché du sien, on doit penser qu’ils ont les mêmes passions, en un mot toutes les mêmes pensées qui s’excitent dans l’âme à l’occasion des mouvements qui se produisent dans le corps. (Malebranche,1990, note 21)

Un tel mécanisme suppose enfin que les sensations ressemblent aux objets qui les causent. Les images, qui se forment dans l’imagination passive du bébé, résultent de l’action du monde extérieur sur les sens maternels. Elles sont les effets d’ébranlements réels qui se produisent dans le corps. Sous ce rapport, l’imagination est pouvoir de réception. Les forces qui agitent le monde extérieur s’y voient converties en images par le jeu des esprits animaux traversant le système nerveux jusqu’au cerveau où ils impriment leur mouvement.

Comme le mouvement des esprits animaux est la cause occasionnelle de l’image qui se trace dans l’imagination, il faut admettre que l’impression subie par la mère et transmise à son fœtus, doit produire une image similaire dans son esprit […]. L’occasionnalisme de Malebranche assure la correspondance entre les traces dans le cerveau et les idées, et entre les émotions et les mouvements des esprits animaux, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’être affecté par un objet pour en sentir la présence. Il suffit que les traces que cet objet susciterait le soient. (Rioux-Beaulne, 2009, p. 489 et 510)

La contagion au niveau du corps produit une contagion au niveau des représentations. Le fœtus reçoit machinalement l’impression de l’image qui agite sa mère. Une mère effrayée à la vue d’un animal transmettra à son enfant une phobie du même animal, en attachant l’émotion de la peur aux traces qui correspondent dans le cerveau à l’image de la bête. La contagion des imaginations est explicable en termes de communication de mouvements, de chocs, de contre-chocs, parfaitement illustrée par le modèle de la transmission acoustique du son entre deux luths. Sympathie et lois du choc rendent compte de la manière dont les corps se communiquent, les uns les autres, leurs affections et participent à la douleur d’autrui. De tels mécanismes définissent chez Malebranche le fonctionnement des rapports imaginaires entre individus, ciment social et source instinctuelle de compassion. L’union mère-enfant permet de penser la relation que l’homme entretient avec son semblable, sous sa modalité la plus étroite. Elle devient le symbole de ces effets surprenants de sympathie qui unissent les êtres. « La théorie de l’imagination se voit attribuer dans un même geste les phénomènes relatifs à l’hérédité et ceux qui concernent la transmission des idées, rassemblant, sous un même chef, la mémoire biologique et la mémoire collective qui définissent les caractères des nations. » (Rioux-Beaulne, 2009, p. 490) Mais en même temps, l’imagination, « faculté attachée à une corporéité, prise dans une mécanique, nous faisant marcher avec nous, sans nous, par machine » (ibid., p. 491), devient responsable de la concupiscence et du péché originel. Dès le moment de la conception, l’enfant serait attaché à la corruption de ses parents, par la liaison physique qu’il entretient avec sa mère.

De l’imagination maternelle reproduite sur le corps de l’enfant, Malebranche tire les incidences les plus radicales : la formation des monstres, l’hérédité des caractères acquis, la transmission des phobies congénitales et de la concupiscence. L’imagination favorise la ressemblance entre la mère et l’enfant. Cette correspondance qui, loin d’être une chose inutile ou mal ordonnée dans la nature, s’avère nécessaire au transfert de certaines dispositions du cerveau qui doivent être différentes en différents temps et différents pays.

Entre la mère et l’enfant, une communication d’idées et de passions

Pour le théologien, l’enfant dans le ventre de sa mère est sensible à l’espérance, à la crainte, à la haine, à l’amour ; il forme des désirs, cède à la passion. Son corps se confond avec celui de sa mère : mêmes esprits animaux, même sang. Or, dans cette conception des choses, où sentiments et passions sont les suites naturelles du mouvement des esprits et du sang, l’ensemble des pensées dont le corps est l’occasion est par conséquent commun à la mère et à l’enfant. Cette union charnelle prend la forme d’une malédiction originelle.

De la ressemblance des figures

La ressemblance est invoquée pour expliquer la communication des images du cerveau de la mère à celui de l’enfant. Elle devient dans le schéma malebranchiste le symptôme des maladies de l’imagination. Entre l’esprit de l’un et l’esprit de l’autre, les images se communiquent sans altération. Tel portrait, longuement scruté par la mère, sert de modèle à l’enfant qu’elle attend. Parmi ces femmes, Malebranche en cite une qui, adoratrice de Saint Pie, accoucha d’un enfant au visage de vieillard, aux yeux tournés vers le ciel. « Mais cette imitation ayant donné au corps de l’enfant une figure trop extraordinaire, elle lui causa la mort. » (Malebranche, 1990, p. 74) On a vu, moulée sur le corps des enfants, la figure de divers objets, « sur le bras de l’un, une croix de Saint-Hubert, sur la main de l’autre un serin, sur le front de celui-ci une large mouche de taffetas d’Angleterre, sur la joue de celui-là une couenne de lard » (Bablot, 1788, p. 146).

L’imitation reste une disposition naturelle du cerveau à l’origine de l’apprentissage du langage et de la formation des diverses communautés humaines. La ressemblance des hommes, et par le corps et par l’esprit, s’avère pour Malebranche un fondement nécessaire et heuristique. Chez lui, le principe de la similitude est avant tout physiologique. Le livre sur l’imagination met en évidence les processus d’unification constitutifs de la famille ou de la société, garants de leur homogénéité. La conservation du corps social est liée à cette même circulation des affects et des idées qu’il juge trop souvent pernicieuse entre la mère et l’enfant. Source d’éducation et de communion entre les êtres, postulat politique, l’imitation — reconnue comme le ciment de l’organisation civique et institutionnelle — a néanmoins sa face sombre quand elle reflète l’errance des imaginations trop fortes. Le mimétisme a ses dangers. Toutes ces fausses traces que les mères impriment dans le cerveau de leurs enfants leur corrompent l’imagination. Il existe, dit l’oratorien, des familles entières affligées de grandes faiblesses d’imagination qu’elles ont héritées de leurs parents. Il propose une vision tragique de la naissance dont il convient d’oublier le traumatisme pour demeurer sain d’esprit. « Que la naissance soit à ce point liée à l’évocation de la folie ne devrait pas nous étonner, dès lors que nous avons pris acte des affirmations de Malebranche sur le malheur d’avoir été mis au monde par nos mères, sous le règne de la chair et de la concupiscence. » (Minazzoli, 1990, p. 14)

On trouve chez Malebranche les éléments d’une théorie matérialiste de l’imagination liée à une science de l’homme et étudiée dans ses dimensions physiologiques, sociales, politiques, anthropologiques (Antoine-Mahut, 2006). On connaît l’influence de la théorie malebranchiste de l’imagination sur les analyses de Diderot et d’Helvétius. Toute une postérité matérialiste a vu dans le livre II un manifeste en faveur d’une efficacité de la matière. Si, pour l’oratorien, l’imagination dérègle la raison, s’oppose à la connaissance vraie, entretient la confusion du bien et du plaisir (Wiel, 2006), elle fascine néanmoins le philosophe, car elle permet de comprendre l’homme tel qu’il est, tourné vers le corps et sa condition de pécheur, assujetti aux passions et aux croyances. Malebranche met en évidence le rôle déterminant du corps dans le fonctionnement des facultés mentales, l’opacité de la conscience et le lien de l’imagination aux impressions, à l’expérience comme à la mémoire. Les maladies de l’esprit sont pour lui des affections de l’imagination ou de la sensation.

Précurseurs et héritiers de Malebranche débattent sur le temps de la conception où l’utérus s’avère plus imaginatif13 et ajoutent de nombreux passages sur des grossesses tourmentées d’impures visions14. Les principes physiologiques de l’imagination « servent la téméraire entreprise d’éclaircir philosophiquement la matière la plus obscure de la théologie : la transmission du péché originel de nos premiers parents à nous, aujourd’hui » (Kolesnik, 2007). Les passations transgénérationnelles15 et trans-natales intéressent l’actualité de notre problématique.

La découverte de la transmission trans-natale

Malebranche avait pressenti que, in utero, le fœtus en développement apprenait le monde extérieur et se façonnait grâce à ce lien mère-enfant tissé dès la conception.

Nous avons considéré le cerveau d’un enfant dans le sein de sa mère, examinons maintenant ce qui lui arrive dès qu’il en est sorti. En même temps qu’il quitte les ténèbres et qu’il voit pour la première fois la lumière, le froid de l’air le saisit : […] tous les objets extérieurs le surprennent […]. Les larmes et les cris par lesquels il se console sont des marques infaillibles de ses peines et de ses frayeurs […]. Il est vrai que les mères ont déjà un peu accoutumé leurs enfants aux impressions des objets, puisqu’elles les ont déjà tracées dans les fibres de leur cerveau, quand ils étaient encore dans leur sein ; et qu’ainsi ils en sont beaucoup moins blessés, lorsqu’ils voient de leurs propres yeux, ce qu’ils avaient déjà aperçu en quelque manière par ceux de leurs mères. (Malebranche, 1990, p. 88-89)

La naissance ne créait pas de discontinuité avec la grossesse. Malebranche reconnaissait une liaison entre le pré et le postnatal, notion encore aujourd’hui négligée.

La réversibilité possible de ces impacts

Certains impacts de l’imagination semblent néanmoins réversibles, lorsque les traces ne sont que dans le cerveau et ne rayonnent pas dans le reste du corps. Ce qui peut rendre le fœtus vulnérable in utero peut disparaître à la naissance. Cette thèse trouvera un écho contemporain16.

Ainsi, quoiqu’il soit vrai que tout ce qui se passe dans le cerveau de la mère se passe en même temps dans celui de son enfant, que la mère ne puisse rien voir, rien sentir, rien imaginer, que l’enfant ne le voie, ne le sente, et ne l’imagine, et enfin que toutes les fausses traces des mères corrompent l’imagination des enfants, néanmoins ces traces n’étant pas naturelles, il ne faut pas s’étonner si elles se referment d’ordinaire, aussitôt que les enfants sont sortis du sein de leur mère. Car alors, la cause qui formait ces traces et qui les entretenait, ne subsistant plus, la constitution naturelle de tout le corps contribue à leur destruction et les objets sensibles en produisent d’autres toutes nouvelles, très profondes et en très grand nombre, qui effacent presque toutes celles que les enfants ont eues dans le sein de leur mère. (Malebranche, 1990, p. 83)

Cette réversibilité des impressions prénatales est pour le théologien la condition pour que tous les hommes ne soient pas fous dès leur enfance.

La thèse malebranchiste est relayée par plusieurs penseurs du xviiie siècle. Dans L’Homme-Machine17 (1748), La Mettrie prend la défense de Malebranche et rejette la réfutation de Blondel. En 1771, Lavoisien, auteur du Dictionnaire Portatif de Médecine attribue la formation des nævi materni, aux « flexions, contractions, extensions ou divulsions particulières que les fibres cutanées du fœtus souffrent en conséquence des différents mouvements que la mère leur communique, conformément aux idées qu’elle a conçues » (Lavoisien, 1793, p. 221). En 1773, le Dictionnaire de physique du Père Paulian, à l’article « Imagination », se rallie aux thèses de Malebranche. Enfin en 1788, Benjamin Bablot dans une longue dissertation où il synthétise la querelle sur l’ensemble du siècle, présente une défense soutenue de la thèse imaginationiste, théorie de la vis imaginandi, force qui se projette d’un corps à l’autre. L’idée est toutefois de plus en plus combattue par la communauté savante et par L’Encyclopédie, au grand désespoir de Bablot.

Un préjugé combattu : l’idée de l’imagination utérine rejetée par la communauté savante du xviiie siècle

« Si les enfants portaient l’empreinte de toutes les choses qui ont été fortement désirées par leur mère pendant la durée de la gestation, notre peau serait singulièrement bigarrée et pourrait offrir des images dont le nom ne doit pas figurer ici, quoiqu’elles aient été portées jadis en procession par les Égyptiens. » (Nivet, 1841, p. 44) Bien avant Vincent Nivet, d’autres, comme lui, maniant tour à tour sérieux et plaisanterie, ont réfuté tout le cortège des envies et l’inscription sur le corps de l’enfant de désirs insatisfaits. Médecins et essayistes sont nombreux à vouloir dissiper au xviiie siècle toutes ces superstitions et à attribuer tumeurs et loupes moins à l’imagination des mères qu’à l’amas d’humeurs cacochymes. Recherches et dissections leur ont appris que ces taches devaient être considérées comme une altération du tissu cutané, produite par quelque maladie. Les scientifiques ont remarqué que ces altérations morbifiques de la structure tissulaire avaient lieu principalement chez des personnes dotées d’une constitution lymphatique et scrofuleuse. Dans un article qu’il consacre à l’histoire de cette représentation populaire, Joël Coste, praticien hospitalier à Paris, fait remonter à Joubert, créateur en 1578 du genre littéraire des « Erreurs populaires », les premiers débats sur la vraie cause de ces envies18. Contre la prétendue influence de l’imaginaire maternel sur les malformations fœtales, des voix s’élèvent (Fischer, 1994) annonçant celle de Geoffroy Saint-Hilaire19, illustre tératologiste.

Parmi les philosophes et médecins qui prennent leur distance à l’égard de la théorie imaginationiste, on compte James-Auguste Blondel (1727, traduction française 1737), Isaac Bellet (1745), Maupertuis (1748), Buffon20 (1749), Charles Bonnet (1762), Antoine Portal (1770). L’illustre président de l’Académie de Berlin, Maupertuis, assure que l’imagination ne peut rien sur les traits du visage et rien sur le phénomène des ressemblances ou dissemblances. Il suffit pour accréditer cette thèse de rappeler que la frayeur ou le désir ne ressemblent point aux objets qui les ont causés. Parmi les périodiques éclairés qui ont fait barrage à la transmission utérine des représentations mentales, on peut citer la Bibliothèque raisonnée des ouvrages des savants de l’Europe, qui en 1746 se réfère à Blondel et s’attaque à Malebranche, et bien entendu l’article « Imagination » de l’Encyclopédie, publié en 1765. Dans ce corpus renfermant plusieurs mémoires de l’académie des sciences, un ouvrage retient l’attention des encyclopédistes, ce sont les lettres du docteur Isaac Bellet destinées à l’instruction des dames. La matière y est très bien discutée et mise à la portée de tous, « dernière charge originale contre l’imaginationisme » (Rioux-Beaulne, 2012, p. 721).

Réfuter le pouvoir de l’imaginaire maternel ne signifie pas refuser à l’imagination toute agentivité. Les anti-imaginationistes admettent l’efficience de l’imaginaire, sa capacité à agir sur le monde, à transformer les êtres ou les influencer. Blondel par exemple accorde à la fantaisie une fonction thérapeutique et un pouvoir d’auto-suggestion bénéfique, confessant que l’imagination contribue parfois à la guérison des maladies. Une bonne opinion du médecin s’avère salutaire, tout comme une agréable nouvelle. Il est persuadé par ailleurs que « les peines et les troubles de l’esprit peuvent rendre une personne phtisique ou pulmonique, hébétée, frénétique ou folle » (Blondel, 1737, p. 47). Il admet que les passions, par leur violence, mettent en désordre toute la machine humaine, comme la colère, la frayeur, le désespoir, qui provoquent convulsions, oppression, fièvres, épilepsie, apoplexie et même la mort. Il entreprend toutefois de minorer l’extension de ce « pouvoir despotique » (ibid., p. 9). Il se méfie de ceux qui comparent l’imagination à un « aimant très puissant, pouvant attirer, remuer et tourner, sens dessus dessous, toutes les choses animées et inanimées » (ibid., p. 11). Cette opinion, il ne la croit pas mieux fondée que celle qui soutient le sortilège et l’astrologie. Les encyclopédistes le savent toutefois : les préjugés fondés sur le merveilleux triompheront toujours des lumières de la raison et « nier les effets de l’imagination de la mère sur l’enfant par des raisonnements mécaniques, c’est oublier qu’on fait mourir un homme en lui chatouillant la plante des pieds » (Diderot, 1964, p. 208).

Le système des imaginationistes, à en croire ses adversaires, a varié si considérablement sur des points essentiels, objets d’assertions contradictoires, qu’il en a perdu toute crédibilité. Les partisans du despotisme imaginaire ne sauraient dire, selon Blondel, dans quels temps l’imagination travaille. Leurs opinions divergent concernant la période de la gestation où la force de la fantaisie serait la plus opérante. Les Anciens (Pline à leur tête) l’avaient fixée au moment même de la conception (celui du coït ou receptio feminis), persuadés que « tout ce que l’on a vu, entendu ou dont on s’est souvenu en ce temps-là contribue à la ressemblance21 ». Cette hypothèse continuait à être soutenue au xvie siècle par Thomas More. Afin de mieux appuyer leur théorie, les imaginationistes modernes en ont amplifié le temps, « jugeant fort sainement que dans ce moment heureux où les deux esprits s’unissent pour en former un troisième, la fantaisie, soit de l’homme ou de la femme, n’a pas le loisir de méditer sérieusement à des monstres ou à des objets affreux » (Blondel, 1737, p. 12). Turner, par exemple, défend l’idée que l’imagination ne commence qu’après la vivification du fœtus, c’est-à-dire lorsqu’il se fait sentir à la mère par ses mouvements (ibid., p. 13). Persuadée désormais de sa maternité, animée d’affects, la mère multiplie pensées et soins à l’égard de son enfant pour sa conservation. La qualité du lien, nouvellement établi, est gage de l’impact de l’imaginaire sur la machine organique et d’un ébranlement émotionnel à l’unisson. La plupart des imaginationistes conviennent enfin que l’imagination agit sur le fœtus depuis le moment de la conception jusqu’à l’accouchement. Nouveau désaccord : certains placent le pouvoir de l’imaginaire dans le cerveau de la seule mère, tandis que d’autres prétendent que le père y contribue aussi. Parmi les thèses imaginationistes sujettes à dérision, il y aurait encore, selon Blondel, la manie de vouloir faire de la fantaisie maternelle une véritable artiste, rivale de Zeuxis, peignant à l’envi sur l’enfant comme sur une toile, des fruits plus vrais que nature, avec finesse et réalisme, étonnante mimésis.

Pourquoi le fœtus ne serait-il pas la toile sur laquelle l’imagination de la mère, par l’entremise des esprits, qui lui tiendraient lieu de pinceau, viendrait dessiner les traits des différents objets extérieurs qui auraient frappé sa pensée et qui, dès lors, existeraient réellement dans son âme ? (Bablot, 1788, p. 131)

Dans ce siècle qui célébra les arts plastiques, Blondel souligne, de manière délicieusement ironique, combien l’imagination maternelle a de loin dépassé celle des mères hellénistiques.

Elle dédaigne d’être une petite fripière et de trafiquer seulement en méchants tableaux, où il était difficile de distinguer une pomme bouillie d’un pied de mouton ou d’une patate. Elle s’est rendu maîtresse de tout le négoce des difformités, et elle l’a tellement perfectionné que vous ne trouvez dans sa boutique que des formes réelles d’animaux ou de quelque partie de leurs corps, des figures exactes de végétaux ou de tout autre objet ; bien plus, elle peut dans un instant vous fournir des monstres de toute espèce. (Blondel, 1737, p. 15)

Les thèses imaginationistes résultent de conjectures et se fondent sur des témoignages par ouï dire, pris de seconde, voire de troisième main, reçus sans examen, alors même qu’une sage observation voudrait que le crédit d’un témoin inconnu diminue à proportion de l’éloignement des lieux et des temps. Le bon père Malebranche rapporte selon Blondel des cas mal circonstanciés. L’expérience ne paraît point favorable aux imaginationistes.

Qui est donc Jacques-Auguste Blondel ? Dès 1727, ce parisien qui pratique la médecine à Londres, publie une Dissertation Physique sur la force de l’imagination des femmes enceintes sur le fœtus, dans laquelle il entend combattre une « erreur vulgaire », contraire à la raison comme à l’anatomie. Malgré la solidité de ses arguments, Blondel s’attend à être réfuté « avec autant de zèle que [s’il allait] renverser le cours de la nature » (Préface). Sa controverse se rapporte pourtant à l’expérience, celle-là même dont se réclament les imaginationistes. Si ces derniers fondent leur hypothèse sur ce qui est purement casuel, l’expérience alléguée par les partisans du pouvoir des mères lui semble incertaine. Réfuter les thèses imaginationistes, c’est pour lui s’opposer à une opinion qui convoque des qualités occultes. Traduit en hollandais et en français la même année (1737), en allemand (1756) puis en italien (1765), The Strength of imagination in Pregnant Women Examined and the opinion that marks and deformities in children arise from thence, demonstrated to be a vulgar error (1727) eut un vrai retentissement européen et fit l’objet de débats entre partisans et adversaires des effets de l’imagination maternelle. La guerre fut déclarée entre Blondel et Daniel Turner, chirurgien londonien qui avait publié en 1714 un mémoire intitulé Spots and Marks of a diverse resemblance imprest on the skin of the fœtus, by the force of the Mother’s Fancy. Comment la mère peut-elle offenser le fœtus dans la matrice ?

Il s’agit présentement de savoir si la Mère, en fixant fortement sa pensée sur un objet peut former une impression spécifique de cet objet sur le corps de l’enfant, sans y être violentée par quelque autre cause, et enfin si la mère, par la force de son imagination, et en appliquant dans ce moment sa main sur quelque partie de son corps, casuellement ou sans intention, peut agir comme par sympathie sur la même partie du corps du fœtus et l’endommager, et si cette action peut être d’une conséquence dangereuse pour l’enfant. (Blondel, 1737, p. 5)

Contre la thèse imaginationiste, Blondel examine les cas fréquents où l’imagination maternelle agit sans répercussion sur le fœtus. De nombreuses femmes perturbées ont mis au monde des enfants sans la moindre trace sur le corps. À l’inverse, l’expérience nous apprend que quelques enfants naissent avec marques et difformités bien que leurs mères n’aient jamais eu ni envie ni accident d’aucune sorte. Le médecin londonien étaye son propos sur des statistiques et des calculs de proportion qui n’ont de fiabilité qu’illustrative.

Je crois que parmi 100 000 femmes enceintes, il y en a pour le moins 25 000 qui ont été exposées aux dangers et aux dérèglements de l’imagination, et cependant on ne peut trouver tout au plus que 300 enfants difformes ou marqués. De sorte qu’en gros il y en a 24 700 contre l’imagination, et seulement 300 pour elle. (Blondel, 1737, p. 27)

Il ajoute enfin que bien des difformités s’expliquent par les « fraudes des mendiants » et « l’inhumanité des gueux », capables de mutiler leur progéniture pour exciter la compassion. Quand la nécessité n’est pas la mère de l’industrie, les récits d’enfants nés avec des blessures imputées à l’imaginaire féminin viennent dissimuler les accidents de l’accouchement ou les méprises des chirurgiens. Tels sont les incroyables témoignages du Docteur Hornicœus de Francfort, rapportés par Blondel : Une femme effrayée en entendant tirer un coup de fusil accoucha d’un enfant avec une blessure dans le dos. Par ailleurs, la femme d’un tonnelier, ayant vu égorger un cochon, mit au jour un enfant dont les entrailles pendaient à l’air libre. Comment prêter foi aux contes de ce grand imaginationiste ? Blondel en appelle à la raison :

Comment ces blessures se sont faites ? Que l’imagination soit arbitraire et tyrannique tant que l’on voudra, il faut néanmoins qu’elle se serve de quelque puissance ou force corporelle pour produire le moindre effet sur la chair de l’enfant. Que le sang et les esprits soient dans la plus grande fermentation, ils ne pourront jamais opérer comme une balle de mousquet : et quelle nécessité y a-t-il d’alléguer des causes chimériques, lorsqu’on en a de réelles dans les doigts et les ongles, ou autres instruments propres à tirer un enfant du corps de sa mère ? La seconde difficulté est de savoir quand ces blessures ont été faites. Si on dit, dans le temps de la naissance, in partu, j’en conviens […]. Si on répond, dans le moment même de la frayeur, in articulo terroris, comment peut-on supposer que l’enfant puisse vivre après une si grande effusion de sang ? Pourquoi charger la mère des fautes d’autrui ? La fantaisie de bien des gens va fort souvent au-delà de l’imagination de la mère. (Blondel, 1737, p. 34-35)

Tout l’enjeu des développements physiologiques de Malebranche dans son traité sur l’imagination (livre II de la Recherche de vérité) se trouve balayé d’un coup de plume, et avec lui ses deux récits, l’un sur l’impact des tableaux regardés lors de la grossesse, l’autre sur l’enfant né aux Incurables avec un corps rompu aux mêmes endroits où l’on rompt les criminels. La mère de l’enfant en question avait assisté au supplice d’un assassin sur la roue. Mais alors que les fibres cérébrales de la mère eurent assez de force pour empêcher un bouleversement complet de son anatomie, le ravage fut total chez l’enfant, au point de lui faire perdre l’esprit pour toujours et de briser son corps. Dans les allégations du père Malebranche, Blondel ne voit que crédulité ou bigoterie22.

Pour une réfutation solide, il convient surtout de réunir des connaissances physiques et anatomiques. Plusieurs arguments sont invoqués : l’enfantement indépendant de la volonté, la nature de l’union mère-enfant sujette à débat, la question de la circulation du sang entre la mère et le fœtus, une certaine indépendance de l’enfant dans la matrice.

La conception se fait par un décret éternel, indépendamment de la volonté de la mère

Le désir d’enfant ne suffit pas aux femmes vertueuses pour que leur souhait soit accompli. D’autres conçoivent contre leur gré. L’embryon se nourrit et croît, que la mère le veuille ou non. Il est hors du pouvoir de l’imaginaire maternel de choisir le sexe, la taille, la couleur des cheveux, la ressemblance des traits du visage, ou encore d’accoucher d’un ou de deux enfants à la fois. Aucune de ces caractéristiques morphologiques n’est influencée par la mère. Pour cela, Blondel fait le distinguo entre le placenta, organe fœtal, et l’utérus réduit au statut de sac dans lequel le bébé séjourne neuf mois. Si l’on convient avec lui que la mère ne saurait par son imagination contribuer à la conception, comment peut-on croire qu’il lui soit permis de défigurer son enfant ?

Contestation de la communication entre le sang maternel et le sang fœtal, entre le cerveau de la mère et celui du fœtus

Quelques imaginationistes modernes, dont le père Malebranche, ont avancé l’idée d’une communication entre le cerveau de la mère et celui du fœtus. Un enfant in utero, à l’instar de sa génitrice, « pourrait languir après une bouteille de vin de champagne ou du saumon de Newcastle, ou du jambon de Westphalie » (Blondel, 1737, p. 52). Le fœtus serait pareillement content ou triste, de belle humeur ou en colère, en un mot sujet aux différentes passions de sa mère. L’anatomie vient réfuter la bizarrerie d’une telle assertion. Pour le médecin londonien, aucun nerf ne passe de la mère à l’enfant. Tandis que Turner croyait que le sang maternel et le sang fœtal se mêlaient, Blondel était certain que les vaisseaux sanguins de la mère et ceux du fœtus ne communiquaient pas entre eux. Dès lors, « comment est-ce que la mère pourrait communiquer ses pensées à l’enfant dans la matrice, quand son âme est absolument séparée de celle du fœtus ? » (ibid., p. 54). Entre la mère et l’enfant, point de partage d’idées ni de passions, pour les anti-imaginationistes. L’union qui existe entre eux est une union toute corporelle, « où l’âme ne peut avoir aucune part » (Bellet, 1745, p. 48).

Dans son réquisitoire fondé sur des considérations physiologiques, une chose est certaine pour Isaac Bellet : le cordon ombilical qui les relie est exclusivement composé de vaisseaux sanguins et lymphatiques qui ne peuvent communiquer aucune idée, puisqu’ils sont privés de tout sentiment. Par ailleurs, le chemin emprunté par les esprits animaux, du cerveau de la mère jusqu’au cerveau de l’enfant, passe par tant d’organes différents et est mélangé à tant de liquides qu’il paraît impensable, dans les seuls termes viables pour un physicien, c’est-à-dire mécaniquement, qu’une impression semblable à celle éprouvée par la mère parvienne dans le cerveau de l’enfant23. On ne saurait néanmoins, selon lui, soutenir que l’enfant est exempt de toutes les révolutions qui arrivent à la mère. Pour I. Bellet, le défaut de nutrition et non la fantaisie débridée des mères explique l’essentiel des difformités. Il en résulte l’atrophie de certains organes.

La thèse de l’indépendance du fœtus, qui n’aurait rien de commun avec sa mère, est une des grandes objections faites aux arguments imaginationistes.

L’expérience prouvant que l’enfant dans la matrice est à cet égard aussi indépendant de la mère qui le porte, que l’œuf l’est de la poule qui le couve, on peut croire, tout aussi volontiers ou tout aussi peu, que l’imagination d’une poule qui voit tordre le cou à un coq, produira dans les œufs qu’elle ne fait qu’échauffer, des poulets qui auront le cou tordu, que l’on peut croire la force de l’imagination de cette femme qui, ayant vu rompre les membres à un criminel, mit au monde un enfant, dont par hasard les membres se trouvent conformés de manière qu’ils paraissaient rompus. (Encyclopédie, article « Imagination », 1766, p. 562)

À l’instar du rédacteur de l’Encyclopédie, pour Bellet, l’enfant, quoique renfermé dans le sein de sa mère et nourri du même sang, ne forme pas avec elle un même corps. Cela explique que « l’âme de la mère ne puisse pas exercer sur le corps de l’enfant l’empire de sa volonté. Elle ne remuera pas à son gré la jambe ou le bras de cet enfant. Le fœtus a ses organes propres, il a son âme, il n’est qu’appliqué au sein de la mère, dont il reçoit la nourriture, comme une plante la reçoit de la terre » (Bellet, 1745, p. 58). Il n’existe pas non plus de circulation immédiate des humeurs entre la mère et le bébé. Leurs vaisseaux ne communiquent point sans intermédiaire. « On dirait qu’en l’isolant ainsi sous le rapport du mouvement de ses humeurs, la nature a voulu préserver ses organes délicats des chocs violents qui auraient pu en altérer la structure. » (Richerand, 1812, p. 20) Si le fœtus a des sensations, elles naissent dans ses organes ; s’il pense, s’il imagine, c’est par le moyen de son âme. En un mot, sa vie est distincte de celle de sa mère. À quoi Benjamin Bablot rétorque en 1788 qu’un choc, une chute ou une simple émotion de l’âme vécue par la génitrice suffisent pour tuer l’enfant dans son ventre. L’idée d’un être isolé, auquel la mère ne ferait que prêter un asile pendant neuf mois, sera vigoureusement combattue au nom cette fois de l’assortiment des tempéraments et des caractères qui unit très souvent les individus d’une même filiation.

L’homme le plus paisible peut maintenant épouser une mégère ; il n’a plus rien à craindre de cette furie pour sa postérité ; il n’y aura entre elle et les enfants qu’elle portera dans son sein ni circulation, ni communication quelconque ; ils ne devront qu’à eux seuls leur accroissement progressif ; l’organisation de leur cerveau ira son train et leur idiosyncrasie ne retiendra rien des inclinations et des habitudes vicieuses de leur mère. (Bablot, 1788, p. 125)

Le fœtus : une « masse sensitive de chair » destituée de raison et de jugement (Blondel, 1737, p. 53)

Comment le fœtus pourrait-il être sensible aux mêmes passions que sa mère, si la passion est un mode de pensées et un mouvement à l’égard d’un être corporel ? Circulation du sang et des esprits, dont la vitesse est diminuée ou accélérée, la passion du corps suppose toujours une réflexion sur un objet, quelquefois avec plaisir, d’autres fois avec aversion. L’envie procède du jugement que nous faisons de l’utilité ou de la bonté de ce que nous désirons. Une peur inopinée est une comparaison immédiate de force et une connaissance intérieure de faiblesse.

Or, les enfants sont-ils capables de faire toutes ces réflexions, dans le temps qu’ils ne sont qu’une masse sensitive de chair ? Les pensées de la mère sont étendues à la vérité, mais elles ne sont pas à la portée de l’entendement de l’enfant, qui n’est point formé par la connaissance des objets extérieurs qui touchent ou inquiètent la mère. Elle a peur d’une épée nue, parce qu’elle craint la main qui la tient […]. Elle sent de la peine à voir égorger un mouton, parce qu’elle comprend la souffrance de cet animal […]. Mais l’enfant est insensible à ces différentes passions, parce qu’il n’a aucune idée du bien et du mal et de leurs conséquences. […]. Ceux qui prétendent avec le père Malebranche que l’enfant voit ce que la mère voit, qu’il entend les mêmes sons ou bruits veulent dire, alio modo, que les enfants peuvent voir sans lumière et ouïr sans la vibration de l’air […]. Les principaux symptômes qui accompagnent les passions violentes touchent communément au thorax. Dans une grande frayeur ou surprise, les organes de la respiration souffrent des mouvements convulsifs, il s’ensuit qu’on ne peut bien articuler les mots, qu’on devient pâle, que l’on a des difficultés à respirer, que le pouls est intermittent, que le cœur palpite, qu’on tombe en défaillance ou en syncope. Mais les enfants dans la matrice ne sont pas exposés à ces terribles accidents auxquels sont sujettes leurs mères, parce qu’ils ont les organes de la respiration dans un état d’inaction. (Blondel, 1737, p. 53-55)

L’influence contestée de la contemplation d’un portrait

Si Blondel peut admettre l’incidence de passions violentes sur le fœtus, il n’entend pas comment des affections modérées de l’esprit peuvent marquer, voire défigurer, un bébé. En quoi le plaisir de regarder un beau portrait pourrait-il altérer l’organisme de l’enfant, alors même que l’émotion en est ténue, que la perturbation causée dans le sang et les esprits demeure quasi insensible et que ces changements subtils ne sauraient s’accroître quand bien même la génitrice contemplerait longtemps semblables objets ?

L’examen attentif de la doctrine de l’imagination et de la théorie des esprits animaux permet de récuser la reproduction mécanique des émotions, de reconnaître l’impact de l’imaginaire maternel sans admettre la disposition mimétique et d’inscrire l’explication des difformités dans le champ plus large de l’ensemble des êtres naturels (animaux et végétaux) sous l’explication commune d’un défaut de nutrition. Ce qui existe spirituellement dans l’âme de la mère ne saurait se retracer physiquement sur le corps de l’enfant. Désormais, avec Maupertuis, avec Blondel et Bellet, on refuse l’idée que la mère puisse imprimer au fœtus la figure de l’objet qui l’occupe. Le motif de l’imagination demeure présent, mais c’est l’imagination de celui qui interprète la difformité, qui est en jeu.

L’énergie de l’imagination sur la matière corporelle

Quelque puissante que soit l’imagination, elle n’anéantit ni ne crée la matière. Pour les anti-imaginationistes, la fantaisie des mères n’a pas plus de part dans la formation aux proportions d’un nain qu’à la structure colossale d’un géant. Elle peut bien imprimer à la matière certaines modifications extérieures ou favoriser une partie de ses écarts, mais voilà tout. « Un enfant qui viendrait au monde avec deux têtes, trois bras, ou une seule jambe, je conçois qu’il y aurait de l’absurdité à vouloir que l’imagination de la mère ait été la cause de ce phénomène. » (Bablot, 1788, p. 145) Les détracteurs de la doctrine malebranchiste ont beau remettre en cause l’énergie de l’imagination sur la matière corporelle, refuser d’un corps à l’autre la transmission de représentations imaginaires, contester la communication par machine des passions et ne plus traiter (à l’instar d’Isaac Bellet) l’imagination comme une faculté attachée à une corporéité prise dans une mécanique, mais au contraire comme un moyen cognitif24, ils continuent à admettre que si « les enfants ne voient pas ce que leur mère voit, ils ressentent ce qu’elle ressent » (Rioux-Beaulne, 2012, p. 725).

L’actualité de ce vieux motif

Ce vieux motif, impliquant l’imaginaire maternel dans la croissance de l’embryon (pathologies organiques, troubles perceptifs), acquiert aujourd’hui une certaine actualité avec l’explosion des connaissances sur le cerveau et la sensorialité fœtale depuis les deux dernières décennies, grâce à l’apport de l’imagerie médicale et des neurosciences. Que ressent le fœtus quand maman pleure ? Son visage est-il expressif ? L’apparition des expressions du fœtus est-elle retardée lorsque la mère déprime, fume ou boit pendant la grossesse ? Les changements émotionnels durant la gestation influencent-ils le devenir du bébé, avant et après la naissance ? Autant de questions qui orientent les programmes actuels de recherches et qui viennent bouleverser certains postulats. On a longtemps cru, une fois évacuées les thèses imaginationistes et les théories de l’imitation, que le développement du cerveau — considéré comme immature à la naissance — était déterminé par un patrimoine génétique établi lors de la conception de l’embryon et qu’il était au fond peu sensible aux facteurs extérieurs, imaginaires et émotionnels.

Si en psycho(patho)logie périnatale, la dyade mère-enfant et la triade parents/bébé semblent maintenant bien cartographiées, la rencontre prénatale et les interactions parents/embryon/fœtus restent a contrario une zone encore insuffisamment défrichée. Il est néanmoins possible aujourd’hui de reconstruire la vie psycho-émotionnelle du fœtus. Nombreux sont les chercheurs qui, à l’instar d’Anna Maria Barbero (2016), s’intéressent au développement de ses compétences relationnelles, certains postulant même (comme Righetti, 1998) l’hypothèse d’un « moi pré-natal ». On écrit beaucoup sur la sensorialité fœtale et l’on sait actuellement que le fœtus n’est pas, comme on l’a longtemps pensé, un organisme physiologique sans perception. Toutefois les scientifiques ignorent encore, comme le soulignent Marie-Claire Busnel et Anne Héron, spécialistes de ces questions à l’université Paris Descartes, « les limites de la réceptivité fœtale », car « [leur] capacité à interroger le fœtus et à comprendre ses réactions reste embryonnaire ».

On a longtemps cru que le corps maternel était un filtre important préservant le fœtus de toutes stimulations excessives. Ces notions ont évolué. On sait maintenant non seulement que les stimulations extérieures sont présentes avec peu de déformations in utero, mais aussi que chaque type de stimulations prépare les capacités perceptives qui traiteront les indices sensoriels pertinents pour le bébé (finesse de l’acuité, pouvoir discriminant). On sait aussi que les stimulations perçues au cours de la vie intra-utérine participent au modelage structurel et fonctionnel du système nerveux. […]. Ceci souligne l’importance de préserver la mère, ainsi que le bébé prématuré, de stimulations excessives qui pourraient influencer le développement des structures sensorielles concernées. S’il est peu probable que le fœtus ait conscience de ses réactions ou qu’il les associe à des événements, il paraît plus vraisemblable qu’il détecte passivement les composants de son environnement, que cette perception permet aux systèmes sensoriels d’affiner leur fonctionnement et qu’ainsi l’environnement crée chez le fœtus une trace mnésique qui prendra sens après la naissance lorsque les sensations et leur objet pourront être associés. (Busnel & Héron, 2010, p. 633 et 643)

Dès la fin du premier trimestre, la proprioception des interactions materno-fœtales joue un rôle capital dans le processus de maternalité et vient s’opposer à la vision trop fréquente d’un enfant imaginaire totalement désincarné. Pour Sylvain Missonnier, psychanalyste et professeur à l’université Paris-Cité en psychologie clinique de la périnatalité, cette scotomisation de l’étayage sensoriel est une profonde méconnaissance des échanges entre la mère et l’enfant. Déjà dans l’utérus, la surface cutanée du fœtus reçoit une multitude de messages coordonnés avec la rythmicité de la mère. Au niveau biologique, on a pu observer la rapidité avec laquelle se développent les organes sensoriels du fœtus. Dès la soixantième journée de conception, tous les organes destinés à la perception et à l’exploration sont la miniature des organes adultes. Système cutané et système auditif sont les deux voies sensorielles les plus significatives. Tandis que le cutané est le premier canal de l’expérience et de la communication de l’être humain, plusieurs études ont montré que la fonction auditive correspond pour le fœtus à un sentir de type tactile-vibratoire, stimulé par la conduction des bruits externes du liquide amniotique, tout comme par la conduction osseuse de la colonne vertébrale, la voix de la mère demeurant un stimulus fondamental. Anna Maria Barbero le rappelle, si l’on veut comprendre l’univers acoustique du fœtus, il faut être attentif aux vibrations de la voix maternelle, véhicules d’émotions. Cette dimension affective appartiendrait, selon les découvertes les plus récentes des neurosciences, à la mémoire implicite qui ne peut être ni rappelée ni verbalisée. D’après Mauro Vecchiato (2007), le fœtus, déjà au cours du cinquième mois de gestation, est capable de coordonner stimuli internes et externes. Plusieurs études expérimentales ont montré une correspondance entre les modifications physiologiques des mouvements et de la fréquence cardiaque du fœtus d’un côté et celles des variations respiratoires et de la fréquence cardiaque de la mère, de l’autre.

On sait désormais que, malgré l’immaturité du cortex cérébral, les perceptions prénatales (sonores, motrices, tactiles, visuelles) peuvent être mémorisées (à l’exemple de la comptine lue régulièrement en fin de gestation25). Les chercheurs remarquent que ces perceptions, préparant le bébé à reconnaître son environnement et à s’y adapter, influencent ses préférences post-natales pour les sons, odeurs ou saveurs perçus in utero, si la période de gestation est exempte de traumatisme. Les scientifiques observent en revanche des manifestations de crainte et de rejet, si la mère a subi des stress ou des violences. Alors que l’audition de battements cardiaques adultes généralement sécurise le prématuré, si la mère a vécu pendant la grossesse une expérience traumatique, à l’audition de ce stimulus, l’enfant traduit son mal-être par des pleurs, une agitation ou un comportement de retrait. Des études récentes révèlent que les enfants dont la mère a eu une alimentation variée explorent plus volontiers leur environnement car ils sont attirés par la nouveauté. Elles corroborent la thèse de l’influence des comportements maternels sur les perceptions du nouveau-né et mettent en avant l’interaction sensorielle entre mère et fœtus. Si, dès la naissance, le nouveau-né arrive à distinguer l’expression de certaines émotions telles que la peur, la joie, la tristesse, les chercheurs pensent que c’est parce qu’il a associé in utero ton de la voix et émotion, grâce aux modifications de la physiologie maternelle (rythmes, flux hormonaux, tonus musculaire) liées aux émotions accompagnant les fluctuations de l’intonation. En 2016, deux membres du laboratoire ETHOS de l’université de Rennes, Alban Lemasson et Martine Hausberger, ont conclu à l’importance d’une transmission trans-natale.

L’observation de fœtus in utero, associée à des recherches sur les processus biologiques et comportementaux durant la période prénatale (comme les travaux en psychologie du Docteur Elysia Poggi Davis26 à l’université de Denver), ont prouvé que les états émotionnels maternels affectaient bien le développement prénatal. Non seulement le bébé peut ressentir l’état psychologique de sa mère, le placenta recevant les signaux hormonaux qui dérivent de la tristesse, mais il semble aussi que le fœtus fasse dans le ventre maternel son apprentissage émotionnel. L’équipe du Docteur Nadja Reissland de l’université de Durham27, dont les recherches portent sur le développement de l’intelligence émotionnelle et l’interaction précoce mère-enfant à partir de 12 semaines de gestation, a révélé que le fœtus est beaucoup plus sensible qu’il n’y paraît, que ses émotions se calquent sur celles de sa mère (rire ou pleur), pour établir enfin une continuité chimio-sensorielle de la vie prénatale à la vie postnatale. Capable d’apprentissage par association, en mémorisant le lien entre un stimulus et son ressenti, le fœtus semble bien, pour ces études récentes, sensible aux émois maternels dont le comportement et la physiologie sont, pour lui, sources majeures d’expériences sensorielles. Ces recherches ont contribué à un changement important dans notre compréhension de la santé et du bien-être, en prenant en compte les expériences fœtales et le rôle des hormones du stress prénatal aux conséquences durables sur le développement du fœtus, l’issue de la naissance et les risques subséquents pour la santé et la maladie des enfants comme des adultes. Le Professeur Curt Sandman (2012) de l’Université de Californie a démontré qu’une exposition à des concentrations élevées de cortisol au début de la gestation avait des incidences de programmation sur le fœtus en construction, associée à un développement cognitif plus lent du nourrisson. Ses études en psycho-neuro-endocrinologie ont prouvé également qu’une anxiété de grossesse excessive était associée à une diminution de la densité de matière grise chez les enfants de 6 à 9 ans. Pour cette même équipe scientifique, avoir une mère dépressive peut entraîner des problèmes neurologiques et psychiatriques chez l’enfant, mais aussi des différences dans certaines structures cérébrales (incidences sur les volumes ultérieurs d’amygdale et d’hippocampe), éléments non observables lors d’une grossesse émotionnellement équilibrée.

De nombreux travaux voient le jour sur les relations entre stress anténatal et tempérament néonatal. On y analyse leur impact à long terme sur le développement psychomoteur, cognitif, attentionnel et émotionnel. Les psychanalystes impliqués dans la clinique de la naissance s’intéressent (tel Sylvain Missonnier, 2013) à l’exploration du croisement entre stress et grossesse (le stress s’inscrivant dans le registre du corps biologique, là où l’angoisse intéresse l’idée du corps, c’est-à-dire la vie psychique). Hans Selye, fondateur du paradigme du stress, l’a défini comme une série de réactions endogènes métaboliques à un facteur ou une agression exogène : une réaction d’alarme qui s’accompagne d’un cortège de réactions neurovégétatives inhérentes à la décharge d’adrénaline par la médullo-surrénale qui mobilise l’ensemble de l’organisme (axe hypothalamo-hypophyso-corticosurrénalien impliquant le système limbique). La production de corticoïdes permet une inhibition des excès de réaction d’alarme. Cette filière du stress a été largement complexifiée avec les théories cognitives et transactionnelles. Si la plupart des études ont d’abord porté sur les conséquences de l’anxiété sur la gestation (prématurité, faible poids de naissance du nouveau-né et modalités de l’accouchement), les chercheurs se sont ensuite concentrés sur les effets du stress prénatal concernant le développement du fœtus. Les variables de l’activité motrice, cardiaque et du périmètre crânien ont retenu l’attention. Actuellement, un champ prospectif ouvre des perspectives prometteuses : les études centrées sur le développement cérébral fœtal et ses conséquences à long terme sur l’axe hypothalamo-pituito-adrénalien (HPA), fréquemment nommé hypothalamo-hypophysaire. Une lecture transversale met en exergue une hypothèse insistante : le rôle de l’axe HPA, composante de la transmission physiologique des hormones du stress, et en particulier du cortisol. Une trop forte exposition à cette hormone, essentielle dans le développement du cerveau, pourrait selon ces expérimentations modifier la genèse des structures embryo-fœtales et le fonctionnement cérébral ultérieur. On savait déjà que le taux de cortisol de la mère était corrélé à celui du fœtus, la barrière placentaire autorisant le passage de cette hormone. Depuis que l’on a appris que la réactivité de l’axe HPA décroît à mesure que la gestation progresse (Brunton et al., 2008), plusieurs études mettent l’accent sur une réactivité au stress plus significative en début de grossesse. L’équipe de Laura Glynn (2001) a montré notamment que des femmes qui vivaient un tremblement de terre durant les deux premiers mois de la grossesse avaient un taux de césarienne plus élevé. Cela ne signifie pas que le stress prénatal serait sans effet au-delà du premier trimestre. Thomas O’Connor (2002) défend l’idée qu’un stress maternel sévère en début de grossesse aurait un impact sur le développement des organes de l’embryon, et en fin de grossesse sur le développement neuro-comportemental du fœtus. Autant de travaux qui accréditent certaines thèses imaginationistes du xviiie siècle. L’équipe de O’Connor (2018) a montré que l’anxiété maternelle entrainait des difficultés émotionnelles et comportementales, observables à l’âge de 6 ans, puis chez les enfants pré-pubères. Avec une prudence louable, O’Connor défend in fine l’hypothèse d’un stress prénatal, plutôt source d’une vulnérabilité générale aux troubles psychopathologiques, que facteur prédictif de pathologies spécifiques, comme tentent de le suggérer certaines études sur l’autisme ou la schizophrénie (Graignic et al., 2009). L’équipe de Barbara Gutteling (2005) a mis en évidence une relation entre la crainte maternelle massive de porter un enfant handicapé et des capacités attentionnelles plus réduites chez les enfants de deux ans. La peur des malformations représente une des variables primordiales dans la psyché maternelle.

Être confronté à la mort pendant la grossesse figurait aussi parmi les situations traumatiques relatées par les imaginationistes, événements aux incidences pathologiques pour le fœtus et l’enfant. On se souvient, dans une brochure académique de 1787 (Journal de Médecine, t. LXXIV) de la description par le docteur Robert de Dresde de la constitution singulière d’un jeune homme de 15 ans à la peau livide, au nez et aux lèvres d’un rouge pourpré, à la langue noirâtre, aux ongles couleur de fer, à la sclérotique bleuâtre, qui n’avait parlé qu’à cinq ans, et qui, devenu adolescent, n’était pas plus grand qu’un enfant de six ans. Sa mère attribuait la triste situation de cet infortuné à son imagination frappée, pendant la grossesse, par la vue d’un mort. Dans la revue scientifique PNAS, des chercheurs français de l’Inserm28 (Unité 1169), à partir d’une étude historique menée sur les orphelins de la Première Guerre mondiale, ont établi qu’un stress subi par la mère à la suite du décès de son mari soldat, écourtait de deux ans la vie de l’enfant devenu adulte, et que cette souffrance psychologique ressentie par la parturiente imprimait sur les orphelins « des marques de deuil », pouvant correspondre à des modifications génétiques ou chimiques. Sans altérer l’ADN, ces marques étaient susceptibles de perturber l’expression de certains gènes.

Depuis plus de vingt ans, des études en épigénétique s’intéressent aux transmissions inconscientes des traumatismes parentaux s’inscrivant dans le corps de l’enfant au plus profond des cellules. Ces recherches démontrent que le traumatisme transmis est bien plus fort que le traumatisme acquis, que les enfants des survivants de l’holocauste souffrent trois fois plus de symptômes post-traumatiques que leurs parents. Pour la psychanalyse transgénérationnelle, nous naissons « chargés » de contenus hérités (dettes émotionnelles impayées, non-dits, secrets, maladies du deuil), hantés par une mémoire familiale. C’est au psychiatre hongrois Ivan Boszormenyi-Nagy que l’on doit en 1973 le concept de « loyauté familiale invisible ». C’est un autre psychanalyste hongrois Nicolas Abraham qui, aux côtés de Maria Török (1978), désigne sous la notion de « fantôme » une structure psychique et émotionnelle parasite, issue d’un ancêtre, portée et agie inconsciemment par un descendant. Rendant les traumatismes héréditaires, analysant des enfants malades de leurs parents, ces chercheurs introduisent à la clinique de l’impensé généalogique.

Ouvertures

La science médicale actuelle paraît corroborer la thèse des impacts cognitifs, émotionnels et comportementaux des traumatismes intra-utérins. L’ensemble des études admet que des vécus de grossesse douloureux participent à la vulnérabilité biologique et psycho-émotionnelle de l’enfant comme de l’adulte. Qu’ils s’intéressent à la place de l’enfant dans le fantasme parental, aux rêveries inhérentes à la grossesse, aux effets du stress, aux incidences du deuil ou à l’impact des avancées technologiques de l’échographie fœtale sur les représentations maternelles comme sur les interactions précoces mère-enfant, les travaux de recherche récents en périnatalité reconnaissent à l’imaginaire maternel un rôle déterminant, aux conséquences réelles sur les perceptions et le développement du fœtus. Ils font des représentations maternelles un modèle dynamique, prémice de la relation post-partum. Ils voient dans le comportement et la physiologie des mères une source majeure d’expériences sensorielles pour le fœtus. Osant franchir la barrière qui nous sépare à tout jamais de la matrice originaire, ils font des « traces mnésiques » de la période prénatale et des proto-expériences auditives et mentales le premier chapitre de la biographie du sujet.

Invisible durant des siècles29, l’embryon est devenu en moins de cinquante ans palpable, quotidiennement observé, photographié, filmé. Les avancées scientifiques du xxe siècle ont permis à l’embryon de sortir de sa matrice nourricière. Objet de fantasme, l’embryon se dessine et s’expose chez les artistes (Bruno & Valot, 2019). Il s’exprime, tantôt défenseur du mouvement féministe, tantôt engagé dans la lutte contre le tabac, voire utilisé dans le combat contre l’avortement. De plus en plus désiré, cet être en devenir n’en devient que plus vulnérable. La question de sa représentation, reliée à celle de l’origine de la vie, renvoie à des questionnements éthiques et anthropologiques. L’embryon symbolise la sacralité et la fragilité de l’humain. À travers lui, s’expriment les grandes peurs du xxie siècle, du désordre génétique aux malformations causées par des perturbations environnementales. La recherche sur l’embryon (séquençage du génome, correction de mutations génétiques) ravive la peur ancestrale des monstres.

Pour explorer les images mentales, expliquer les anomalies du vivant ou sonder les secrets du féminin, les scientifiques ont toujours apporté leur contribution avec les moyens du moment. Si aujourd’hui les instruments d’investigation sont tout autres, se profile toujours en arrière-plan l’idée que c’est dans notre cerveau qu’il faut chercher la clef de la nature humaine.

La science nous donne accès aujourd’hui à de nouvelles pistes de recherches sur le corps, traquant ses mécanismes jusque dans les méandres du moléculaire et les circonvolutions du cortex. Rien ne s’oppose plus désormais sur le plan théorique à ce que les conduites de l’homme soient décrites en termes de codage et de connexions, d’activation d’aires cérébrales. Mais faut-il redouter l’entrée en scène de l’homme neuronal ? Voir la matérialité cérébrale d’une pensée laisse croire qu’on peut en comprendre l’origine. Les neurobiologistes sont désormais en première ligne dans l’explication de la pensée humaine, ce qui ne va pas sans susciter des réticences chez les défenseurs de l’irréductibilité du psychologique au neurologique. Quand certains milieux scientifiques prônent l’avènement d’une « neurosociété » guidée par l’exploration du cerveau, quand s’impose de plus en plus l’identité entre états mentaux et états cérébraux, surgissent des craintes légitimes : celle de voir le déterminisme biologique reléguer au second plan les facteurs socioculturels, celle d’apporter une réponse réductrice à nos interrogations fondamentales sur la nature humaine. Avec l’essor de la neurophysiologie expérimentale et d’une neurophysiologie de l’imaginaire, l’anthropologie moderne change de paradigme. Les hallucinations ont une solide base biologique. Dieu habite le cerveau droit et Satan a quelque rapport avec les plis de notre cortex préfrontal gauche (Walter, 2012, p. 263). Fallait-il attendre les sciences du cerveau pour comprendre la pensée humaine ? Détruire les barrières qui séparent le neural du mental comporte des risques et peut se contester. S’il est aujourd’hui établi qu’une émotion se traduit au niveau neuronal par des réactions chimiques, la difficulté intervient lorsqu’on considère que cette chimie cérébrale la détermine entièrement. Toute tentative de traduction des manifestations du corps ne saurait être menée sans intégration corrélative dans une construction psychique engageant l’histoire du sujet. L’homme naît deux fois biologiquement et symboliquement.

L’explication scientifique nourrit par ailleurs les fantasmes sociaux et n’est jamais exempte d’imaginaire, voire d’idéologie sous-tendant certaines visions de l’être humain. Les anti-imaginationistes se faisaient les thuriféraires de la science éducatrice, érigeant le savoir biologique en symbole d’instruction publique. Les ouvrages de vulgarisation scientifique destinés à l’instruction des dames s’apparentaient à une sorte de philosophie à l’état pratique, école du rationalisme critique propre à délivrer des superstitions. Ils proposaient en somme des humanités scientifiques. L’éducation au savoir médical se faisait éducation civique. Que la science soit par nature éducatrice résulte d’une philosophie de l’histoire articulée sur l’idée de progrès et où la science apparaît comme le nouveau principe directeur des sociétés humaines. La formation au vrai s’accomplit en formation au bien. Épistémologie et axiologie : même combat.

L’imaginaire scientifique est tributaire de l’environnement cognitif et culturel dans lequel il puise ses ressources. N’emprunte-t-il pas ses métaphores aux découvertes qui lui sont contemporaines (la machine horlogère de Descartes, le clavecin du matérialisme enchanté de Diderot et à l’heure des réseaux numériques le cerveau réticulaire et câblé, comparable à un ordinateur) ? On pourrait s’interroger sur les analogies et métaphores qui ont guidé et guident aujourd’hui encore les recherches sur le cerveau (entreprise commencée sous la direction de Marie-Agnès Cathiard et Patrick Pajon). Quelle est la part de l’imaginaire et de la rhétorique dans la pensée et l’écriture scientifique ? Et comment cet imaginaire des sciences à son tour innerve, alimente, structure l’imaginaire social ? Ce travail nous invite à y réfléchir. Au-delà de la seule sphère médicale, la science du vivant aménage des horizons épistémologiques, irrigue des doctrines philosophiques, s’insinue dans les idéologies. Le corpus des savoirs médicaux, tout en étant continuellement revisité, remis en cause et réformé, fournit les vecteurs intellectuels de la longue histoire qui conduit à l ’émergence des neurosciences contemporaines. Il s’agit d’une histoire d’interrogations fondamentales sans cesse reconduites sur les mécanismes de la sensation, le siège de l’âme, les pouvoirs de l’imaginaire, la science des monstres ou les songes de l’embryon. L’état intra-utérin est le laboratoire idéal d’une réflexion sur les pensées du corps.

Mais la médecine change l’homme. De l’anatomie à la neurophysiologie, l’histoire des sciences n’est-elle pas l’histoire d’une invention du corps ? Le corps segmenté, cartographié, mécanisé des anatomistes n’est pas le corps naturel, mais le produit d’une opération culturelle. La découverte de l’échographie fœtale a révélé les premières images de l’embryon in utero imprégnant cette représentation caractéristique de l’homo novus dans l’inconscient collectif. L’embryon invisible était devenu réel. Le bébé éprouvette était né alors qu’il n’était constitué que de quelques cellules. Dans la période actuelle, le cerveau est désormais partout, supplantant les concepts d’âme et d’esprit. Ses images fascinent. Le cerveau fantasmé, c’est aujourd’hui le cerveau organique dont dépendrait entièrement la personnalité. À l’articulation de l’anatomie et de la psychologie, le cerveau est un objet anthropologique à propos duquel toute théorie de la connaissance postule une physiologie, toute théorie du nerf présuppose une théorie de l’âme. D’où la nécessité, si on en fait l’histoire, de visiter les lieux philosophiques de la médecine et de remonter les affluents médicaux qui irriguent la pensée des philosophes. N’est-il pas urgent aujourd’hui, lorsque émergent de nouvelles disciplines (neuro-philosophie, neuro-éthique), de raviver ces alliances entre science et humanités qui au gré des discours se resserrent ou se distendent, de jeter une nouvelle passerelle sur le fossé qui semble parfois séparer les sciences de l’homme et les sciences du système nerveux dont la finalité n’est pas exclusivement thérapeutique. Les neurosciences servent également à dire l’homme et sa nature, à départager le normal et l’anormal, à statuer sur la raison et la déraison, sur les états émotionnels d’une « bonne » mère lorsque le placenta reçoit les signaux hormonaux qui dérivent de la tristesse. Si l’homme, en tant qu’organisme vivant est bien un système chimique autopoïétique, capable de régénérer ses propres constituants, échangeant matière et énergie avec son environnement, la part nouvellement triomphante de la chimie cellulaire dans la compréhension de l’humain ne doit pas faire oublier l’alchimie des rêves. Souvenons-nous de la formule de François Jacob (2003, p. 427) : « Nous sommes un mélange de protéines et de souvenirs, d’acides nucléiques et de rêves […]. »

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Notes

1 Une querelle oppose au xviiie siècle imaginationistes et anti-imaginationistes. Les premiers adhèrent à la thèse développée par Malebranche (livre II de la Recherche de la vérité) selon laquelle tout ce qui affecte la mère affecte le fœtus. À cette influence sont attribuées ressemblances et monstruosités. Les seconds, pour lesquels l’imagination n’est responsable ni des taches de naissance ni de l’accouchement de « monstres », attaquent l’imaginationisme sur trois points : l’expérience, l’anatomie, la raison et s’attellent à récuser les présupposés malebranchistes tant d’un point de vue physiologique que philosophique. Leur réfutation s’appuie sur de récentes découvertes en matière d’épigenèse. Pour comprendre l’importance de tels débats, il convient de rappeler avec Mitia Rioux-Beaulne (2012, p. 705) que la théorie de l’imaginationisme fournissait alors « le cadre génétique d’une anthropologie générale ». La communication mère-fœtus servait de parangon aux liens qui unissent les hommes. Le système malebranchiste fondé sur un modèle continuiste, capable d’unifier phénomènes physiques et moraux, faisait de l’imagination le lieu d’attache de notre corps au corps social. Retour au texte

2 Il reste très présent dans le corpus des « erreurs populaires », genre littéraire créé par Joubert en 1578 et qui a connu en France une remarquable postérité (voir article de Joël Coste, MCF, praticien hospitalier à l’hôpital Cochin à Paris, « Les envies maternelles et les marques de l’imagination. Histoire d’une représentation dite populaire », Bibliothèque de l’école des Chartes, année 2000/158-2, p. 507-529). Retour au texte

3 « Le matérialisme remplace la causalité “satanique” qui mène du Diable à un enfant difforme, via l’imagination maternelle, par l’anatomie et les accidents. » (C. T. Wolfe, « Réflexion sur le pouvoir messianique du monstre », dans Multitudes, 2008/2/no 33, p. 53-62). Retour au texte

4 « Hésiode avait cru, plus de quatre siècles avant Empédocle, que l’imagination des parents entrait pour quelque chose dans la configuration du fœtus […]. Il écrit qu’un mari doit bien se garder de caresser amoureusement sa femme en revenant de quelques funérailles. Le vrai moment de travailler à se reproduire, c’est au sortir d’un banquet ou […] de quelques jeux divertissants. » (Bablot, ouvr. cité, p. 10-11) Retour au texte

5 Dans les Essais (1998, p. 180), Montaigne ne semble pas douter que les femmes puissent « envoyer aux corps des enfants qu’elles portent au ventre, des marques de leurs fantaisies ». Retour au texte

6 Nous renvoyons ici au texte de Benjamin Bablot qui, dans sa Dissertation de 1788 sur le pouvoir de l’imagination des femmes enceintes (Paris, chez Crouillebois et Royez libraires), passe en revue tous ceux qui, depuis l’Antiquité jusqu’à la fin du xviiie siècle, ont admis l’influence de cette faculté sur le fœtus. Retour au texte

7 On estime à 1 ou 2 % la mortalité des femmes en couches dans la France du xviiie siècle, conséquences d’accouchements impossibles par suite d’une mauvaise présentation ou de l’étroitesse du bassin (césarienne impraticable en l’absence d’anesthésie), d’hémorragies du post-partum ou de fièvres puerpérales. Ce risque se renouvelant à chaque grossesse, comme les femmes ont en moyenne cinq enfants, cela signifie que 10 % des femmes en âge de procréer meurent à la suite d’un accouchement (voir Histoire de la naissance en Occident xviie-xxe siècles). Retour au texte

8 « Ce n’est point une imagination agissante qui produit les variétés que l’on voit dans les pierres figurées, les agates, les dendrites. Elles ont été formées par l’épanchement d’un suc hétérogène, qui s’est insinué dans les diverses parties de la pierre […]. Si pareil principe peut occasionner dans ces corps des ressemblances assez parfaites avec des objets connus […], il n’y a aucun inconvénient à attribuer à cette cause aveugle les figures extraordinaires que l’on voit sur les corps des enfants. » (article Imagination, Encyclopédie, 1766, p. 564) Retour au texte

9 La synaptogenèse est un processus biologique essentiel au développement et à la fonction du système nerveux. Elle concerne la formation des synapses qui assurent la transmission d’informations entre les cellules nerveuses et dont l’explosion se produit au cours du développement précoce du cerveau. Le deuxième trimestre de grossesse correspond au début du processus de synaptogenèse chez le fœtus. Il existe alors une période intense, environ douze semaines après la conception, pendant laquelle les neurones créent entre eux de nombreuses connexions. Le positionnement des synapses et leurs configurations géométriques assurent à l’individu ses apprentissages et sa permanence psycho-cognitive. L’environnement joue un rôle essentiel dans la synaptogenèse, en conduisant à davantage de connexions neuronales grâce à des stimuli propices à l’apprentissage. L’encéphale de l’homme contient dans l’organisation anatomique de son cortex des représentations du monde qui l’entoure. Retour au texte

10 Titre d’un article de Stéphanie Chapuis-Desprès, dans Prendre corps, septembre 2015. Disponible sur <https://corpsgir.hypotheses.org/>. Retour au texte

11 On retrouve cette formule latine dans la Dissertation sur le pouvoir de l’imagination des femmes enceintes de Benjamin Bablot (ouvr.cité, p. 23). Il s’agit d’une attribution apocryphe à Platon dans l’index alphabétique de l’édition de Marsile Ficin, Vol. 1, in-fol. Fracofurti, 1602. Retour au texte

12 Mitia Rioux-Beaulne le souligne : la vision de l’enfant, voyant ce que voit sa mère, « ne suppose pas l’organe de la vue ni l’agitation du nerf optique par une cause externe : il suffit que le corps de l’enfant soit disposé comme celui de la mère pour que l’âme voie et ait l’idée de ce qu’il voit ». (2012, p. 720) Retour au texte

13 On citera Joubert. « J’accorde bien toutefois que la grande imagination et appréhension de la mère peut beaucoup sur le corps de l’enfant, à lui imprimer quelque marque, mais c’est principalement à l’heure de la conception ou tout le long du temps qui est employé à la conformation de l’enfant, ce que peut être d’un mois suivant ce que dit Hippocrate. Et c’est aussi adonc que la femme grosse a ses plus grandes envies. En ce premier mois, dédié à la conformation de l’enfant, la vertu imaginative a bien assez de force […]. Mais quand il est déjà tout formé et qu’il remue, étant fortet, il n’est plus sujet à ces impressions. » (Joubert, 1578, chancelier de la faculté de médecine de Montpellier, cité par Joël Coste, 2000, p. 507) Retour au texte

14 « Une demoiselle portait sur l’avant-bras la figure du scrotum ; c’était un sac de peau pendante, ridée et couverte de poils comme les bourses d’un homme. Assurément, la grossesse de sa mère avait été tourmentée par quelques visions impures. Le cas me fut raconté avec mystère, et les parents me prièrent d’en faire l’extirpation. C’était le sac d’une loupe enkystée, fort ancienne. La tumeur s’était enflammée et vidée par suppuration. Restait la peau pendante, rugueuse et plus velue qu’elle n’a coutume de l’être chez les personnes du sexe. » (Richerand, Des erreurs populaires, ouvr. cité, p. 18) Retour au texte

15 « Il y a toutes les apparences que les hommes gardent encore aujourd’hui dans leur cerveau des traces et des impressions de leurs premiers parents. » (Malebranche, 1990, p. 79-80) Retour au texte

16 Voir les conclusions de Françoise Molénat, pédo-psychiatre de l’unité « Petite enfance » du CHU de Montpellier qui rejoint ici la thèse de Malebranche. Retour au texte

17 « Puisqu’il est des communications évidentes entre la mère et l’enfant et qu’il est dur de nier des faits rapportés par Tulpius et par d’autres écrivains aussi dignes de foi (il n’y en a point qui le soient plus), nous croirons que c’est par la même voie que le fœtus ressent l’impétuosité de l’imagination maternelle, comme une cire molle reçoit toutes sortes d’impressions, et que les mêmes traces ou envies de la mère peuvent s’imprimer sur le fœtus, sans que cela puisse se comprendre, quoi qu’en disent Blondel et tous ses adhérents. Ainsi nous faisons réparation d’honneur au P. Malebranche, beaucoup trop raillé de sa crédulité par des auteurs qui n’ont point observé d’assez près la Nature et ont voulu l’assujettir à leurs idées. » (La Mettrie, 1981, p. 195) Retour au texte

18 Dans ses recueils précurseurs des études ethnologiques où sont décrits et souvent dénoncés les comportements des contemporains en matière de santé, Joubert attribue tumeurs et loupes à un amas d’humeurs. Pour Portail, auteur des Considérations sur la nature et le traitement des maladies de famille et des maladies héréditaires (1814), le temps des croyances est révolu. Jacquin, dans Mémoires ou Observations sur les marques ou taches de naissance, article paru dans le Journal de médecine, de chirurgie et de pharmacie en 1812, rejette dans le domaine des fables tous les faits bizarres admis et répétés sans contrôle. Retour au texte

19 Geoffroy Saint-Hilaire cite une anecdote plaisante dans l’Histoire générale et particulière des anomalies de l’organisation de l’homme et des animaux (Paris, Baillère, 1832), qui montre jusqu’où a pu être poussée la crédulité. Il évoque une jeune fille née à Valenciennes pendant la Révolution, portant sur le sein gauche la marque d’un bonnet phrygien. Plus remarquable encore, note le commentateur, le gouvernement crut nécessaire de récompenser par une pension de 400 francs la mère assez heureuse pour avoir donné le jour à une enfant parée, par la nature, d’un emblème révolutionnaire. Retour au texte

20 Pour Buffon, « toute tache doit nécessairement avoir une figure qui ressemblera, si l’on veut à quelque chose ; mais je crois, dit-il, que la ressemblance que l’on trouve dans celle-ci dépend plutôt de l’imagination de ceux qui les voient que de celle de la mère ». (Buffon, 1830, p. 277) Retour au texte

21 « Similitudinem quidem in mente reputatio est, et in qua creduntur multa fortuita pollere, visus, auditus, memoria, haustaeque imagines sub ipso conceptu. » (Pline, dans Blondel, ouvr. cité, p. 12) Retour au texte

22 « Une femme regardant attentivement le portrait de St. Pie eut un enfant qui lui ressemblait. L’enfant avait l’air d’un vieil homme, sans avoir de la barbe ; ses bras étaient croisés sur l’estomac, ses yeux tournés vers le ciel. […] Il avait une espèce de mitre renversée sur ses épaules, avec plusieurs marques rondes, représentant les pierres précieuses dont les mitres sont ornées. Enfin, il était le véritable portrait de celui que sa mère avait conçu par la force de son imagination. C’est ce que tout Paris peut avoir vu, puisqu’on l’a longtemps conservé dans l’esprit de vin. (Malebranche) Je prie le lecteur, poursuit Blondel, de faire attention combien le père Malebranche ajoute foi à ce qu’une femmelette lui dit […]. Car, premièrement, chacun sait que dans l’agonie les membres se raccourcissent ou s’allongent et les yeux en convulsion sont souvent tournés en haut. Deuxièmement, qu’un corps, dont la peau est fort tendre mis dans l’esprit de vin devient en peu de temps flasque et ridé. Troisièmement, que le déclin ou la dissolution du cerveau causera une dépression des os et fera paraître le front plat. Quatrièmement, que lorsque les membres d’un mort sont devenus roides, on peut les mollir avec de l’eau chaude et les mettre dans la posture que l’on veut par le moyen d’une forte ligature. » (Blondel, 1737, p. 36-37) Retour au texte

23 « Nous avons vu que les vaisseaux sanguins sont l’unique voie par laquelle ces esprits animaux puissent passer de la mère à l’enfant. Examinons par quelle route ces esprits peuvent y parvenir. Ils doivent nécessairement être renvoyés du cerveau dans les muscles ; là, se confondre avec toute la masse des liqueurs, ne faire qu’un avec les autres parties du sang, circuler avec lui, se diviser et être enfin portés dans les vaisseaux capillaires ; de là passer dans ce cordon tortueux qui réunit l’enfant à la mère : après ces différents détours, ils parviennent à l’enfant ; mais, suivant toujours le mouvement du sang, ils commencent une nouvelle circulation jusqu’à ce qu’enfin ils soient placés dans le cerveau de l’enfant. Peut-on penser que ce liquide spiritueux, confondu si longtemps avec d’autres liquides si différents par leur nature, ait conservé sa première impression ? Ces esprits ne peuvent pas exciter dans le cerveau de l’enfant le même ébranlement et la même idée […]. De surcroît, quelque ébranlement que les esprits excitassent dans [le cerveau de l’enfant], il ne pourrait le rapporter à aucun objet extérieur, puisque ses sens n’ont jamais été frappés par ces objets. » (Bellet, ouvr. cité, 1745, p. 52-53) Retour au texte

24 On se reporte ici aux conclusions analytiques de M. Rioux-Beaulne. Retour au texte

25 Voir Marie-Claire Busnel et Anne Héron, « Le développement de la sensorialité fœtale », dans R. Frydman et M Szejer, Naissance : histoire, cultures et pratiques d’aujourd’hui, Albin Michel, 2010, p. 633-643. Retour au texte

26 Elysia Poggi Davis, M. A. Howland, C. A. Sandman, « L’entropie prénatale de l’humeur maternelle est associée au développement neurologique de l’enfant », dans Émotion, 21 (3), avril 2021, p. 489-498. Elysia Poggi Davis, Catherine H. Demers, Ozlu Aran, « Programmation prénatale du neurodéveloppement : changements structurels et fonctionnels », dans Stress prénatal et développement de l’enfant, Springer, janvier 2021, p. 193-242. Elysia Poggi Davis, Jessica L. Irwin, Laura Glynn, « Le cortisol prénatal maternel programme l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien du nourrisson », dans Psychoneuroendocrinologie, t. CXXV, mars 2021. Retour au texte

27 On a observé en 2013 l’expressivité du visage du fœtus grâce aux travaux de N. Reissland qui synchronisent plusieurs mouvements du visage pour imiter les expressions de douleur. Son équipe a montré, à partir de l’analyse de 15 fœtus pendant le deuxième et troisième trimestre de grossesse (clichés étudiés à la recherche de sourcils relevés, de nez froncés ou autres mouvements coordonnés), que les fœtus ont leurs premières mimiques à 24 semaines de grossesse (esquisse d’un sourire). Au bout de 36 semaines, ils imitent des expressions plus complexes ressemblant à de la douleur. Selon ces scientifiques des universités de Durham et Lancaster, le réflexe des pleurs se prépare dans le ventre de la mère où le fœtus s’entraîne à mimer la douleur. Tous les bébés étudiés étant en bonne santé et les scans réalisés pendant le repos de la mère, les chercheurs ne peuvent conclure à une souffrance intra-utérine réelle ni affirmer que les expressions du visage observées sont liées à ce que ressentent les fœtus. Mais leurs recherches indiquent que ces mouvements expressifs du visage s’intègrent au processus de développement et sont liés, sinon au ressenti prénatal, du moins à la maturation cérébrale du fœtus. Retour au texte

28 Unité Inserm 1169, « Thérapie génique, génétique, épigénétique en neurologie, endocrinologie, cardiologie et développement de l’enfant ». Travaux de Nicolas Todd, 2017, avec Pierre Bougnères et Alain-Jacques Valleron. Todd Nicolas, 2017, Effets sanitaires à long terme des stress de la première guerre mondiale, Thèse soutenue le 10 octobre à Paris VI, dans le cadre de l’école doctorale Pierre Louis, épidémiologie et sciences de l’information biomédicale. Retour au texte

29 À la Renaissance était apparue une nouvelle discipline l’embryologie. Des descriptions anatomiques précises avaient été réalisées notamment par Léonard de Vinci. Dès le xviie siècle, des expérimentations étaient conduites pour comprendre le rôle exact de l’homme et de la femme dans la reproduction. Au xviiie siècle, deux théories s’opposaient : l’épigenèse et la préformation. Retour au texte

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Véronique Costa, « Un inexplicable effet d’imagination. L’imagination des mères et ses incidences sur les perceptions et le corps du fœtus », IRIS [En ligne], 44 | 2024, mis en ligne le 09 février 2024, consulté le 28 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=3872

Auteur

Véronique Costa

Univ. Grenoble Alpes, CNRS, Litt&Arts, 38000 Grenoble, France, centre ISA (Imaginaire et Socio-Anthropologie)
renaud.costa34@gmail.com

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