Le folklore libanais à travers les dictons : l’imaginaire derrière le sarcasme et la parodie

  • The Lebanese Folklore through Proverbs: The Imaginary behind Sarcasm and Parody

DOI : 10.35562/iris.3990

Résumés

Dans cet article, il s’agit d’aborder le folklore libanais à travers les dictons et de montrer comment, derrière des énoncés oraux et concis, le champ dynamique de l’imaginaire influe sur la société contemporaine et ancre, dans la pensée collective de plusieurs générations, les valeurs d’une communauté, qu’elles soient fondées ou pas.

Bien que la société libanaise soit patriarcale, l’homme y est dépeint en bête, très souvent domestique, précisément en animal de trait. La parodie, la satire et l’humour qui caractérisent généralement le dicton alimentent les images qui circulent dans l’inconscient collectif. La symbolique thériomorphe de Durand et les ramifications qui en résultent tout en se référant à « la domination masculine » de Bourdieu, mettent en exergue les mœurs et les traditions qui dévalorisent la femme et la représentent comme un être inférieur, sinon l’incarnation du Mal sur la terre.

Constituant l’une des facettes du folklore, ces expressions populaires ont parfois pour origine des histoires mythiques, bibliques ou traditionnelles qui sont le résultat de croyances et de rituels transmis à travers les siècles.

In this article, the aim is to explore Lebanese folklore through proverbs and to demonstrate how the dynamic field of imagination behind concise oral statements influences contemporary society and anchors, in the collective thinking of several generations, the values of a community, whether they are well-founded or not.

Although Lebanese society is patriarchal, men are often depicted as beasts, frequently domestic and specifically as draft animals. The parody, satire, and humor that generally characterize proverbs feed into the images that circulate in the collective unconscious. Durand’s theriomorphic symbolism and its resulting ramifications, while referring to Bourdieu’s “male domination”, highlight customs and traditions that devalue women and represent them as inferior beings or even as the embodiment of evil on earth.

As one facet of folklore, these popular expressions sometimes originate from mythical, biblical, or traditional stories that are the result of beliefs and rituals passed down through centuries.

Plan

Texte

Introduction

Le dicton, proche du proverbe1 mais plus humoristique et populaire, moins philosophique, rythmé et rimé, est un propos sentencieux qui reflète la pensée d’une communauté, ou plus, l’arrière-pensée d’une collectivité provenant des représentations de son imaginaire social. Le folklore ou « la connaissance (lore) du peuple (folk) » (Van Gennep, 1924, p. 9), englobant différentes catégories de l’ethnographie (comme les coutumes, les croyances, les récits populaires, les rites, le langage, les dictons…) constituera l’objet de notre étude visant à cerner l’imaginaire anthropologique de la société libanaise à travers ses dictons. « Dits », les « dict-ons » (dictum en latin) sont, à l’origine, des énoncés transmis oralement, à travers les générations, inculquant aux membres d’une société, la façon de penser de leurs aïeux sous forme de conseils, fruits d’expériences et de maturité, avec une mise en scène concrètement parodique, souvent sarcastique. Ayant aussi pour source des récits mythiques, des contes fabuleux, des croyances religieuses ou des faits divers, le dicton est exposé à des remodelages relatifs aux différences régionales, dialectales, rituelles et confessionnelles dont nous regarderons de près les significations.

Bien que le Liban n’existe en tant qu’État que depuis 1943, il est mentionné plus de soixante-dix fois dans la Bible. Pays du Levant, il est marqué par diverses civilisations : phénicienne, assyrienne, égyptienne, perse, babylonienne, byzantine, macédonienne, romaine, grecque, arménienne, arabe, seldjoukide, mamelouk, ottomane et française. L’influence culturelle de ces dynasties a légué à la population libanaise, à travers les siècles, des coutumes aussi riches que complexes. La soumission du peuple à des dominations et mandats tantôt orientaux, tantôt occidentaux, judéo-chrétiens ou musulmans, a créé, selon la méthode historique des folkloristes, une « chaîne traditionnelle » (ibid.) qui est visible dans les savoirs et les croyances et qui persistera jusqu’à nos jours. La méthode biologique proposée par Arnold Van Gennep est applicable aussi dans notre étude lorsqu’il s’agit de l’interprétation de la vie des animaux et de l’analyse physique du corps féminin par rapport au corps masculin.

Représentant une catégorie importante du folklore, les dictons libanais reflètent donc l’imaginaire collectif de la population. La relecture thématique d’une grande partie des dictons nous contraint à opter pour deux classifications essentielles : les tournures dialectales rimées qui tournent en dérision l’homme en le remplaçant péjorativement par un animal domestique (en l’occurrence l’âne) et celles qui ridiculisent la femme (la fille, l’épouse, la veuve, la belle-mère et la belle-fille) en rendant « figure obsédante » son infériorité, sa bêtise et son incapacité à égaliser l’homme. Nous suivrons, dans notre étude, la méthode mythocritique de Gilbert Durand afin d’étudier l’imaginaire derrière le folklore libanais représenté par les mythes latents, les images et les symboles qu’illustrent les dictons. D’une part, les symboles thériomorphes y sont très fréquents rappelant ainsi les symboles de la chute et du péché. D’autre part, l’archétype de la femme-serpent ou Ève est redondant : elle est celle qui trahit, qui « empoisonne » la vie et qui « saccage le paradis ». Dans la dernière partie, nous présenterons les dictons qui sortent partiellement des deux premières thématiques et qui renvoient explicitement et sur un ton également parodique, aux croyances et aux récits mythiques grecs ou religieux, dictons qui manifestent le folklore libanais dans ses origines. En somme, nous montrerons comment la préservation et la classification des traditions orales, en l’occurrence les dictons, peut servir de base à l’étude des représentations symboliques qui alimentent l’imaginaire. Notre approche s’appuie sur des exemples afin d’envisager les échanges entre le folklore et l’imaginaire.

L’homme, animal domestique 

Pour représenter le folklore libanais, le panorama artistique (tableaux, dessins, photographies anciennes) montre, la plupart du temps, un paysan en turban et shirwal (pantalon large, plissé, arrivant aux genoux) accompagné d’un âne avec, en arrière-plan, la nature libanaise ou un paysage villageois à l’architecture traditionnelle. La première observation objective de la matière folklorique met d’ores et déjà l’âne au milieu de la perspective imagée. Au-devant de la scène imaginaire, l’homme et l’âne se côtoient au point de se confondre et de devenir l’être même de la plaisanterie, de la bêtise mais aussi parfois de la sagesse. « On fait porter des livres à un âne, il croit qu’il sait lire2 », dit-on de l’ignorant qui prétend être intelligent et cultivé. L’âne est généralement le cancre, le têtu, l’élève paresseux au « bonnet d’âne ». Son image émerge de « l’universalité et la pluralité » (Durand, 1992, p. 72) de sa symbolique. Il est autant empreint de vices, de malfaisance et de luxure qu’il est symbole de persévérance et de patience. Rendant hommage à cet animal miroir de son maître à qui il tient compagnie et le transporte partout avec son attelage, l’État libanais émet, en 1968, un timbre-poste de dix piastres qui représente un âne de profil (LastDodo). L’âne est aussi l’animal phare des contes populaires, en l’occurrence, les histoires de « Géha et son âne » héritées des traditions musulmanes, asiatiques et orientales. Géha est un vieux sage, représenté assis sur un âne mais le corps tourné en sens opposé à la tête de la bête afin de pouvoir s’adresser à ses disciples qui le suivaient à pied (Déjeux, 1995). L’âne est maléfique dans la religion musulmane et travailleur dans la Bible et les Évangiles. Le choix des animaux de trait (outre les animaux de la ferme) comme représentation de la société libanaise dans le folklore part, au préalable, d’un imaginaire commun basé sur le quotidien du monde rural. La collecte des données selon la méthode folkloriste socio-géographique rassemble des anecdotes et récits oraux, des chants, des contes et des dictons portant sur la récurrence de la compagnie du Libanais et de l’âne dans la mémoire populaire. La simplicité de la vie incluant la rareté de l’éducation ainsi que le contact direct avec le concret (terre, animaux, humains…) ont créé une implication particulière de la sagesse des paysans dans l’expression proverbiale ironique. Cette thématique nous emmène de plein pied vers la symbolique thériomorphe de Durand où « l’animal est susceptible d’être surdéterminé par des caractères particuliers ne se rattachant pas directement à l’animalité » (Durand, 1992, p. 73) : à nous d’en déduire « l’abstrait spontané » représenté par l’animal comme archétype ou même parfois comme totem.

« Nous avons dîné et nous avons fait manger l’âne. Qu’elle accouche la nuit, qu’elle accouche le jour3 ! » (No 211, p. 43) Ce dicton rend l’homme intéressé, indifférent et égoïste, du même acabit que l’âne. Durand déclare que « l’homme incline ainsi à l’animalisation de sa pensée et un échange constant se fait par cette assimilation entre les sentiments humains et l’animation de l’animal » (Durand, 1992, p. 74) : il désigne dans l’imaginaire thériomorphe un retour éliadien qui va jusqu’aux sources et qui dépasse le modernisme de la psychanalyse et des sciences de la société. La fusion entre l’homme et l’animal est spontanée, voire instinctive, « tant dans une conscience civilisée que dans la mentalité primitive » (ibid., p. 72). L’aspect folklorique de leur relation tirerait, par ailleurs, son essence de la mythologie grecque dans le dicton libanais suivant : « L’âne est âne même s’il porte le coffre du sultan4. » Ne serait-ce pas le coffre dans lequel Dionysos bébé aurait été transporté par un âne ? Cette phrase se dit de l’être orgueilleux, du vaniteux qui se fait riche et cultivé sans qu’il ne le soit. Il reste « âne » au caractère débile, têtu et borné. Ce caractère déchu d’un Midas5 aux « oreilles d’âne » trouve une image contraire dans le dicton : « Seau sans anse, âne sans oreilles6 » qui se dit d’un bon à rien, irresponsable et sur qui personne ne peut compter. Dans ce sens, les oreilles sont valorisées positivement puisqu’elles définissent le rôle de l’âne qui ne serait pas âne sans ses oreilles et qui ne servirait donc pas l’humain humblement. Ainsi, l’âne, le seau et l’humain se confondraient dans leur incapacité à la production sans, respectivement, leurs oreilles, anse et cervelle. Les trois éléments symbolisant l’équilibre, de part et d’autre du contenant, à droite et à gauche, un côté ne fonctionnant point sans l’autre, réfèrent à une « image-symbole » qui révèle, selon Wunenberger, « l’existence d’une architecture cognitive de l’image », celle-ci se traduisant en une série de perceptions permettant de relier « un contenu sensible à un contenu intelligible », ce qui conduit à une incarnation inconsciente de l'image permettant au référent d’être assimilé à l’objet à travers la production de « contenus visuels et idéels à la fois » (Chauvin et coll., 2005, p. 193‑204).

Par ailleurs, la récurrence de l’apparition de l’âne dans l’image folklorique libanaise se repère aussi dans les dictons à caractère provocateur où l’animal est un des « symboles phalliques » aux côtés des bovidés : « taureau, bouc, bélier, sanglier, âne et cheval » (Durand, 1992, p. 74). « Comme les ânes blancs, ils n’ont chaud qu’un jour par an7 » (no 2747, p. 654) est un dicton qui, dans sa connotation inverse, célèbre la chaleur sexuelle continue de l’animal. En effet, l’âne blanc, race très répandue au Proche-Orient, ne se différencie pas des autres races sexuellement, mais la réception symbolique de la couleur blanche, neigeuse et froide, sous-entendrait la froideur et l’impuissance de l’âne blanc. À l’inverse, la mention de l’ânesse permet de signaler une activité sexuelle fréquente : « L’ânesse est mon ânesse et je monte sur sa queue8. » (No 2713, p. 645) L’énonciateur est un homme grotesque et autoritaire : il se donne la liberté de se comporter comme il veut aux dépens des sentiments et de la fierté de la femme. Malgré l’image de l’ânesse valorisée positivement dans la scène chrétienne des Rameaux où Jésus entre au temple sur une ânesse, symbole d’humilité et de modestie, l’âne reste l’être dégradé et inférieur au cheval, avatar du bourgeois et de l’homme aisé. « On demanda au mulet : Quel est ton père ? — Il répondit : Le cheval est mon oncle (maternel)9. » (No 2767, p. 659) Le mulet, produit d’un âne et d’une jument, se vante d’avoir un oncle cheval plutôt que d’avoir un père âne. Cette idée est explicite dans : « J’ai flairé un cheval étalon et c’est un âne qui m’a saillie10. » (No 2782, p. 663) Il est dans la symbolique durandienne du cheval infernal une signification de la fuite du temps. Durand montre le concept du temps chtonien en étudiant surtout « le folklore et les traditions populaires germaniques et anglo-saxonnes » (Durand, 1992, p. 79). Et puisque, d’une manière globale, il y a rapprochement humain dans la vision folklorique des sociétés, un des dictons libanais sur le cheval explique d’une manière presque naïve la symbolique de la fuite du temps interprétée par Durand : « Le cheval qui marche lentement et celui qui court ne sont séparés que par le temps requis pour déboucler une ventrière11. » (No 2763, p. 658) Le chaos commis par une chevauchée rapide dont l’objectif est une course contre le temps vaut la maladresse de l’animation rapide qui échoue face à Kronos, dieu du temps, avaleur de ses propres enfants. La morale de ce dicton réside dans la démonstration qu’on ne peut vaincre le temps en le défiant, sinon il conduira à la chute inévitable, « le cheval perfide, ombrageux, se transforme en une monture domptée et facile, attelée au char du héros victorieux » (Durand, 1992, p. 86). Le cheval « qui marche lentement » vaincra. Un autre dicton représente la symbolique de la chevauchée funèbre : « Nourris bien les chevaux noirs et garde-les pour les incursions (= la guerre) de nuit12. » (No 2766, p. 659) Le symbolisme hippomorphe connote le caractère néfaste du mouvement nocturne des chevaux, malgré la moralité positive du dicton. « Noirs », « incursions » et « nuit » sont isomorphes des ténèbres. « La noirceur est toujours valorisée négativement » (Durand, 1992, p. 99), l’image des chevaux nocturnes renferme une symbolique de la mort. Dans l’imaginaire social, le cheval noir est symbole de vitesse et de déséquilibre visuel quant à la confusion entre les couleurs la nuit. L’inconnu nocturne est chaos et mort. Durand expose : « Dans le folklore, l’heure de la tombée du jour, ou encore le minuit sinistre, laisse de nombreuses traces terrifiantes : c’est l’heure où les animaux maléfiques et les monstres infernaux s’emparent des corps et des âmes. » (Ibid., p. 98) La guerre et la mort, isomorphes de la nuit et des ténèbres, sont incarnés dans le temps lourd porté par le cheval noir. Dans cette perspective, il serait question des descendants des Croisades vers la Terre Sainte et des exodes vers l’Orient. La folkloristique s’avère ainsi porteuse de matière ethnographique pour les études de l’imaginaire social, en l’occurrence, celui des Libanais affichant leur passé anthropologique dans l’imaginaire symbolique qui renferme un patrimoine entier dans ces phrases courtes et implicites que sont les dictons.

À côté du cheval, le chameau, symbole des traversées désertiques, est un animal folklorique des arabes. Appartenant à la même catégorie du bestiaire que l’on enfourche et qui attèle la marchandise et l’homme, le chameau est surtout l’animal du paysage sablonneux, des oasis et des longues distances. C’est de la presqu’île arabe, ou de la péninsule Arabique, d’où beaucoup de Libanais sont issus. Cet imaginaire des traversées nocturnes et désertiques accompagnées des grands et longs exodes apparaît aussi dans les dictons. « Les chameaux du sultan marchent nu-pieds13 » (no 2787, p. 665) se dit pour les personnes qui se plaignent de leur pauvreté. Ils sont comparés péjorativement aux chameaux pour mieux montrer leur esclavage et leur infériorité. On critique aussi les prétentieux aux défauts saillants, en les comparant à cette bête : « Si le chameau voit sa bosse, il tomberait et se casserait le cou (de honte)14. » (No 2789, p. 665) D’un ton sarcastique, l’homme comparé à un moyen de transport animé, soumis, à la tête basse, au dos courbé est également assimilé au bœuf : « Le sillon tortueux provient du vieux taureau15 » (no 1923, p. 449) parce que la faute du plus âgé est impardonnable, et « il n’y a que le taureau qui souffre l’injustice16 » (no 1943, p. 454), en supportant les coups et les injures. Dans la plupart des cultures, le taureau représente la force et le courage grâce à sa capacité à se défendre avec sa tête cornue, les cornes étant, selon Durand, un symbole phallique par excellence. Et quand il se veut fort et dominant dans le dicton libanais, le taureau est maître et les hommes vulgairement inférieurs : « Monseigneur, tu es le bœuf et nous sommes les mouches17. » (No 1021, p. 228) Ce dicton rappelle la fable de La Fontaine (1668) « Le Lion et le Moucheron », celui-ci défiant le roi des animaux lui déclare : « Un Bœuf est plus puissant que toi/ Je le mène à ma fantaisie. » En fin de compte, l’image du bœuf est dégradée dans les deux sens : lorsqu’il est puissant, il est mené par l’hypocrisie de son entourage et le reste du temps, il est soumis et patient, non sans en avoir conscience.

Outre l’âne, le cheval, le chameau et le taureau qui sont des animaux de trait et qui réduisent l’homme, dans le folklore libanais, à un porteur d’hommes, de marchandises ou de fardeaux, qui sont le moyen de transport principal et qui côtoient leur maître pour de longs moments, les autres animaux de compagnie comme les animaux de la ferme, le poisson, l’oiseau, le singe, le loup, l’ours… occupent une place importante aussi dans les dictons libanais. Nous avons opté pour les animaux de trait vu la fusion spirituelle entre l’animal et son maître, homme raillé par l’ironie des dictons, sarcasme qui se transformerait en violence verbale quant à ce qui concerne l’élément féminin dans les dictons.

La femme, « figure de malveillance »

Malgré la valorisation apparente de la femme dans certains dictons libanais, la femme est très souvent apparentée à Ève qui saccage dans un sens le paradis et qui, par ce fait biblique maudit, a amené le monde, surtout les hommes, à subir éternellement les répercussions de son méfait. Ce qui en résulte, c’est le droit presque officiel à battre la femme qui ne se conduit pas « correctement ». « Quand tu rentres, bats ta femme, si toi tu n’en connais pas la raison, elle, elle la connaît18. » Les femmes, héritant de l’espièglerie du péché originel féminisé, pourraient atteindre leur but quoi qu’il soit parfois irréalisable. « Les ruses des femmes feraient descendre les rouleaux de leurs terrasses19 » (no 803, p. 170) lorsqu’il est impossible qu’un être humain puisse descendre les rouleaux à durcir les toits en terre (constructions anciennes). Et tant que la femme n’est pas « conduite » par un homme, elle échouera dans tout acte. La veuve incarne la figure de la femme perdue sans boussole masculine : « Quand la veuve élève un enfant, elle n’en fait pas un homme ; quand elle dresse un chien, il n’aboie pas ; quand elle met un bœuf à la charrue, il ne laboure pas ; ce qu’elle sème ne pousse pas20. » (No 1024, p. 229) La société patriarcale empêche la femme de s’épanouir : mariée, elle doit obéir à son mari et plus tard à son fils ; célibataire, elle obéit à son père, à son frère ou tout autre homme de la famille ; veuve, elle dépend du regard de toute la société masculine. Dans le dicton ci-dessus, bien avant les implications de la psychanalyse et du complexe œdipien, on associe l’absence du père au manque de virilité de l’enfant. Les quatre tâches qu’une veuve ne réussirait pas dépendent de « l’attribut phallique du créateur » (Durand, 1992, p. 74) incarné par le père. Les marques de virilité, selon le dicton, résident dans le terme « homme », dans le bruit provoqué par le chien pour montrer sa force, l’aboiement, dans l’adresse du bœuf en bon laboureur et dans la capacité de « monter » une plante. Tout ce que la femme sans homme touche, tarit et meurt. Isomorphes de la souillure et de l’impureté, les images de la femme soumise se révèlent l’antidote d’une montée en érection de la face virile. La misogynie est à l’origine de la tradition et du folklore oriental. Pierre Bourdieu affirme que « la domination masculine est assez assurée pour se passer de justification », qu’elle est ancrée dans la pensée passive (et active) qu’elle devient tout à fait légitime : « La vision dominante de la division sexuelle s’exprime dans des discours comme les dictons, les proverbes, les énigmes, les chants, les poèmes […]. » (Bourdieu, 1990, p. 5) Il parle de « violence symbolique » en proposant d’appliquer « “l’analyse anthropologique aux structures de la mythologie collective” livrée par des montagnards berbères de Kabylie » (ibid.). Orientalisées, ces populations se partagent un imaginaire commun quant à la « cosmologie phallonarcissique qui hante […] les inconscients ». L’archétype de la femme dans le folklore libanais anticipe une chute dans tous les sens. L’homme est là pour éviter sa propre chute avec elle, se trouvant obligé de se dégager du gouffre avec l’aide de ses propres parents : « Oh fille ! Qui t’a soulevé ? Ton mari et tes beaux-parents21 ! » Le schème de la chute lié directement à « la possession par le mal » (Durand, 1992, p. 125) rappelle la malédiction de l’homme déchu, chassé du paradis et livré à la mortalité : la cause, c’est la femme. L’homme est donc en permanente tentative de redressement, symbole phallique de l’ascension et, qui plus est, de résurrection. Il se croit être là à se libérer du temps lourd, mortel, qui l’aspire vers le bas, temps néfaste représenté par la femme et par sa condition de pécheresse. Un autre dicton illustre la représentation phallique derrière le discours populaire : « La jument grâce à son cavalier, la femme grâce à son homme22. » (No 827, p. 177) Il est connu qu’un bon cavalier peut dresser sa jument et apprivoiser ses comportements surtout lorsqu’elle devient violente, la cause biologique étant le passage par la période des chaleurs. Les analogies entre les deux êtres féminins dans le dicton ainsi qu’entre les deux êtres masculins révèlent la mentalité archaïque de la « domination masculine ». Bourdieu explique l’image que l’ordre social imprime sur le corps d’un sujet « dans sa dimension sexuée et sexuante », à travers « un véritable programme de perception, d’appréciation et d’action » (Bourdieu, 1990, p. 12). En effet, « les structures structurées et structurantes de l’habitus sont le principe […] qui produit la différence entre les dominants et les dominés, c’est-à-dire leur identité sociale » (ibid.). La division symbolique entre les deux sexes met en évidence la disposition de la femelle à s’abêtir et donc à illustrer, par ses comportements et ses gestes, la tradition anthropologique qui donne inconsciemment le droit du mâle à la domination, ce que Bourdieu appelle système « mythico-rituel » interprétant la notion de l’habitus naturel des êtres. Cela s’applique sur la société méditerranéenne où la femelle est sexuellement séductrice, prête à la soumission, au redressement, sinon elle se rebelle et devient capricieuse, voire irréparable. Le folklore étant, selon Bourdieu, le lieu où se cristallisent les rapports de pouvoir et les hiérarchies sociales, l’homme est là à jouer son rôle qui lui est inculqué par l’ordre du monde à travers la libido dominante : il ne se laisse pas séduire par une Ève-serpent, cause de la fatalité catamorphe. En revanche, représenté par son phallus/martinet, il est en position symbolique du maître du monde social qui se prétend masculin et qui a droit légitime de battre sa femme, de l’apprivoiser.

La femme-serpent est représentée aussi dans le dicton suivant : « Une seule femme vainc cent diables, mais il faut cent hommes pour vaincre une seule femme23. » La femme est une alliée du diable, du serpent, de la faute originelle : il ne faut jamais céder devant son Mal inné et il faut la garder toujours au rang inférieur, sinon, l’homme ne pourra plus la vaincre. Dans le dicton ci-dessus, le pouvoir est donné à la femme mais dans son rôle négatif. Durand recourt à la Genèse afin d’interpréter cette figure archétypale : « Si c’est par le sexe féminin que le mal s’est introduit dans le monde, c’est que la femme a pouvoir sur le mal et peut écraser le serpent. » (Durand, 1992, p. 128) Si « une seule femme peut vaincre cent diables » c’est que devant l’agitation chaotique de l’enfer, la femme incarne une puissance assez intense pour qu’elle puisse maîtriser les démons, c’est qu’elle est plus diabolique que cent diables (que cent serpents ?). Cette dernière image liée à la figure féminine rappelle ainsi l’une des sœurs Gorgone de la mythologie grecque, Méduse, avec ses cheveux faits de serpents. Le mouvement de l’agitation grouillante sur la tête de Méduse, symbole aquatique, déclenche une répugnance primitive quant au schème de l’animation chaotique. Isomorphe du monstre féminoïde qu’est l’araignée (ibid., p. 77), de l’hydre, de la pieuvre, toutes aux tentacules-cheveux aliénants, ensorcelants, la figure de la « femme fatale et magicienne » (ibid., p. 118) dont le regard pétrifie, porte aussi en elle une figure misogyne qui transformerait les tentacules pétrificateurs en phallus dominants. Et inversement, les cent diables deviennent les figures dominées par un seul regard masculin d’une femme rigide. Le chiasme qui structure le dicton ne rapporte pas, à égalité, les pouvoirs masculins et féminins dans l’imaginaire du folklore, parce que les « cent diables » de la première moitié de la phrase deviennent « cent hommes » dans la deuxième, tandis que la même femme, seule et unique, garde la même stature. Encore, lisons-nous un bon nombre de dictons qui montrent la relation dégradée de la belle-mère avec sa bru, constatation qui est assez fréquente dans presque toutes les sociétés du monde mais très intense au Liban parce que très souvent, l’homme se mariait et restait vivre avec sa femme et ses enfants dans la maison de ses parents : « Une belle-fille sur mille aime sa belle-mère et une belle-mère sur deux mille chérit sa belle-fille24. » (No 933, p. 205) Voilà un dicton qui exprime clairement la froideur du lien entre deux femmes de la même famille. Mais la haine est réciproque : « Ma belle-mère est une peste ; sa fille une scorpionne venimeuse25. » (No 940, p. 207) Et la belle-mère de répondre dans ce dicton : « Le soleil de février est pour ma belle-fille, celui de mars pour ma fille et celui d’avril pour ma vieillesse26 » (no 945, p. 208) sachant qu’en hiver le soleil oriental est perfide, au début du printemps, il est rayonnant et chaleureux, et à son milieu, il est rassurant et constant. L’égoïsme de la belle-mère est à son comble puisqu’elle garde le meilleur pour elle-même et le pire pour sa bru. Les dictons qui dégradent la femme au regard de l’homme mais aussi au regard de la femme même sont plus nombreux dans le folklore libanais et oriental, que ceux qui en font son éloge. En effet, il suffirait de regarder un échantillon de la référence principale de notre étude sur les dictons (Feghali, 1938) pour compter par exemple, dans le chapitre « Rapports entre époux : l’homme et la femme » (p. 164), trente-sept dictons dévalorisant la femme, contre six qui mettent en avant ses qualités ; et dans le chapitre « Rapports entre beaux-parents et enfants » (p. 204), dix-sept contre un. Ceci est dû à la culture fermée et archaïque de la société qui a hérité, non seulement des habitudes des ancêtres mais aussi des mythologies grecques, phéniciennes et égyptiennes dont nous allons voir les répercussions.

Dictons et mythes

Les étendues mythiques du proverbe interviennent dans le folklore en tant qu’éléments universels de l’imaginaire humain, rapportés par les particularités culturelles de la société. L’imaginaire dans le folklore libanais puise donc essentiellement sa matière dans une société fermée, confessionnelle et patriarcale. Mais aussi il s’exprime dans les dictons qui contiennent à l’origine les héritages légués par les civilisations, les croyances, les écrits et les cérémonies des occupants ou des peuples qui ont apporté avec eux leurs propres expériences. Nous citerons ici quelques dictons qui proviennent de mythes et d’histoires anciennes qui, reconsidérés par la société, revêtissent leur aspect patriarcal obtus.

Chez les Grecs, nous puisons une source du dicton libanais : « Il a ciré le fil et s’est enfui. » Nous retrouvons les deux schèmes essentiels du mythe de Thésée et d’Ariane27 : le fil et la fuite. L’hypotexte du mythe d’Ariane a produit chez les arabes un hypertexte différent mais avec les mêmes schèmes, cité dans Les proverbes populaires libanais (Yaacoub, 1984, p. 34). Il s’agirait d’un roi qui condamne à mort un pauvre homme. Celui-ci demande de lui apporter une boule de laine, de la cire, et un peu de temps pour cirer le fil. L’homme demande à son gardien de tenir le bout du fil et de s’éloigner petit à petit pour qu’il puisse réaliser le cirage sur tout le fil. Une fois le gardien éloigné, l’homme laisse le fil et s’enfuit. Dans la version arabe, la femme est absente, sans avoir le privilège de la bonne volonté et de la compassion comme Ariane. La réception de la version grecque du mythe conduit à un aboutissement convenant symboliquement à la tradition orientale. Les héros sont des hommes et l’hypertextualité sert, en l’occurrence, à transmettre la symbolique de l’histoire dans une perspective masculine plutôt qu’à donner un rôle mythique à la femme.

« Se tailler la part du lion » est une expression française dont la source est grecque aussi, qui a la même version traduite en arabe28, mais qui se reflète encore dans un dicton dont l’histoire se réfère à la Bible : « Et voici la part d’Achmar ! » (No 234, p. 48) D’origine arabe, Achmar était un domestique « intelligent » et rusé. Alors lors d’un dîner où il doit servir un poulet rôti, il découpe les morceaux en disant :

J’ai donné la tête à Monsieur parce qu’il est le maître, la cuisse à Madame parce que c’est de la cuisse d’Adam que fut [créée] Ève, et voyez, je vais servir maintenant les deux ailerons avec les ailes à ces messieurs parce qu’on dit que les frères se complètent comme deux ailes, le cœur et le foie aux petits qui sont comme les entrailles de leurs parents.

Et pour « les meilleurs morceaux », il ajoute : « Et voici la part d’Achmar ! » La différence entre la fable d’origine écrite par Phèdre, réécrite par La Fontaine et dont le titre est « La Génisse, la Chèvre et la Brebis en société avec le Lion » (1668 [1906], p. 5) et l’histoire d’Achmar, c’est le pouvoir de l’argumentation. Le lion s’empare des quatre parts par la force : la première parce qu’il s’appelle Lion, la deuxième parce que c’est le droit du plus fort, la troisième parce qu’il est le plus vaillant, la quatrième parce que c’est la sienne. Achmar, cependant, présente des preuves de la mythologie et des croyances judéo-chrétiennes pour convaincre la tablée : il est un domestique donc le moins fort des présents. Comme nous l’avons montré plus haut, la société patriarcale exige que le père de la famille soit le privilégié, le plus important, et, de surcroît, dans les paroles ecclésiastiques du mariage officiel chrétien, « l’homme est la tête [ou le chef] de sa femme » (1 Corinthiens 11 : 3). Il reçoit donc la tête du poulet, ce qui n’est pas un morceau fameux mais ici Achmar joue sur la fierté de Monsieur et le classe dans la hiérarchie biblique au rang de Dieu ou d’Adam. Plus bas, la femme-Ève a droit à la cuisse puisque c’est la part de sa création et inversement aux frères ennemis Abel et Caïn, fils d’Adam et d’Ève, les ailes viennent corriger le mythe de l’adversité pour rendre l’équilibre à la famille dont les « petits » sont le « cœur ». La poitrine, la meilleure partie riche en viande, Achmar la « garde tout entière ». Achmar serait un lion dans une version hypertextuelle moins mythique, plus rusée et sociale. Serait-il le renard de la fable Le Corbeau et le Renard ? (La Fontaine, [1668], 1906, p. 2) Il n’a ni pouvoir physique ni niveau social, il use de sa ruse pour atteindre son but.

Plusieurs sources de dictons viennent des peuples (autre que les Français) qui sont passés par le Liban ou qui y ont résidé longtemps comme les Bédouins : « Eh bien ! blute, Halâli29 ! » (No 830, p. 179) à l’accent et langage typiques de la communauté, mais aussi comme les ottomans : « Va daller la mer30 ! » (Yaacoub, 1984, p. 35) et les Phéniciens à travers l’échange de commerce et les déplacements, en l’occurrence, vers Carthage en Tunisie : « Il renouvela les exploits de Zanêti31 » (no 462, p. 93), les tribus des Arabes musulmans : « Si tu veux de la religion, prends Zein El-Abidin ; si tu veux le monde, prends Yazid, fils de Moua’wiya ; si tu ne veux ni l’un ni l’autre, choisis la barbe de ton oncle Bou Hraïra32. » (No 1402, p. 324)

La variété des récits mythiques qui s’apparentent aux dictons nous invite à citer quelques mythes-croyances qui ont depuis toujours hanté la pensée de la société libanaise. La ‘riné, par exemple, est une version (ayant la même sonorité et presque la même prononciation en arabe) des Érinyes de la mythologie grecque, déesses de la vengeance. La ‘riné est l’ennemie spirituelle de l’être humain, chacun en a une, « elle attaque les jeunes surtout la nuit, alors ils crient et se terrifient en voyant des cauchemars » (Khater, 1977, p. 221). Par ailleurs, hérité des croyances européennes, le rituel qui consiste à soigner les inflammations en étranglant une taupe se lit dans un dicton libanais : « Celui qui a étouffé dans sa vie une taupe guérit. » (Ibid., p. 222) Et nous lisons dans l’analyse des croyances sur la taupe : « Guérison du mallet (mal d’entrailles violent) : Prendre une taupe vivante, la faire périr lentement en la serrant dans la main, d’une pression modérée. […] Frotter le ventre malade de haut en bas et le masser de la main avec laquelle on a fait périr la taupe. » (Gabbud, 2016) Il en est de même quant à la croyance qui dit que l’urine guérit la blessure, ce qui a fait naître le dicton suivant : « Il n’urine pas sur un doigt blessé33 » (Khater, 1977, p. 229), pour parler d’un avare qui ne donne rien et ne sert personne. Le nombre quarante occupe une belle place dans les proverbes et dictons libanais vu son symbolisme universel : « Tuer un gecko pardonne quarante péchés34 », « Celui qui regarde le miroir la nuit pour soigner son apparence, éloigne les anges durant quarante jours35 » (ibid., p. 227), « Quiconque fréquente des gens durant quarante jours devient l’un d’eux ou s’éloigne d’eux36 », « On mit pendant quarante ans la queue du chien dans un moule, et, cependant, elle resta tordue37 » (no 2815, p. 673) ou « La loi du rassasié est de quarante bouchées38 »… Le nombre quarante est d’une grande importance symbolique, religieuse et culturelle. Les dictons basés sur ce nombre réfèrent à la Bible dans les traditions hébraïque et chrétienne : les quarante ans de marche du peuple hébreu dans le désert après la sortie d’Égypte, les quarante jours et quarante nuits de déluge de Noé, les quarante jours de jeûne de Jésus dans le désert et les quarante jours qui précèdent l’ascension du Christ après Pâques. Et dans la tradition islamique, quarante est la période de purification : les quarante jours de deuil après la mort d’une personne, le temps que l’âme quitte le corps définitivement. La quarantaine est aussi la période d’isolement des malades afin de chasser toute possibilité de contagion. Les nombres, les symboles, les images et les mythes véhiculent des connaissances à travers les générations. Quoiqu’ils semblent obsolètes ou dépassés, les dictons ainsi que plusieurs aspects du folklore, continuent d’influencer notre culture, notre imaginaire et notre façon de penser.

Conclusion

Compte tenu de la forte influence des traditions dans la société libanaise, les dictons demeurent une part du folklore vécu même par les plus jeunes. Van Gennep avertit sur le sens équivoque du mot tradition : d’un côté, il « implique seulement “ce qui est transmis” soit d’un être à un autre, soit d’une génération à une autre, sans discontinuité », d’un autre côté, il est « ce qui doit être conservé tel quel, sans modification » (Van Gennep, 1975, p. 61). Encore plus que le mythe, la tradition, bien qu’elle soit exposée à une multitude de variations socio-historiques, garde une racine constante conçue comme référence ou source. L’inconscient collectif puise dans cette source qui nourrit l’imaginaire et le façonne en le léguant aux générations futures. Le ton sarcastique est toujours privilégié dans le langage des Libanais du xxie siècle et les dictons restent au service de la parole pour en faire sortir l’implicite. Riche de son folklore diversifié, le Liban garde l’ampleur des héritages traditionnels dans l’application quotidienne de ce folklore : les jeunes se répètent encore les dictons qu’ils ont appris de leurs parents. Le dicton libanais, récité aussi dans de nouvelles versions ou tournures, sert les publicités et les médias. Les textes des chansons populaires contemporaines en regorgent et la nouvelle littérature de jeunesse use du dialecte libanais pour transmettre le folklore aux nouvelles générations. Caroline Torbey (2018) s’est servie de proverbes écrits en libanais qu’elle a illustrés, de leur traduction en français et de contes fabuleux avec des dessins, à la manière des Fables de La Fontaine pour faire circuler des croyances et des rituels de la société à la jeunesse libanaise. Il est certes plus répandu que les dictons soient l’expression quotidienne des ruraux, mais les croyances et leurs manifestations font partie du langage contemporain, même si en avoir une conscience directe devient de plus en plus rare avec le colossal essor technologique, notamment les réseaux sociaux. En fin de compte, les expressions culturelles populaires vues à travers le kaléidoscope de l’imaginaire génèrent une vision plus approfondie des valeurs d’une société. En les examinant de manière critique, nous en apprenons davantage sur les enjeux relationnels entre les humains sachant qu’au Liban, le sarcasme est la référence des petits et des grands. Restituons un dicton qui puisse clore toute dispute à propos de cet aspect oral du folklore : « Le proverbe n’a jamais menti39. » (No 27, p. 138)

Bibliographie

Bourdieu Pierre, 1990, « La domination masculine », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 84 (Masculin/féminin-2), p. 2-31. Disponible sur <www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1990_num_84_1_2947>.

Chauvin Danièle, Siganos André & Walter Philippe (dir.), 2005, Questions de mythocritique. Dictionnaire, Grenoble, Imago.

Déjeux Jean, 1995, « Djoha et la nâdira », Revue du monde musulman et de la Méditerranée, nos 77-78 (L’humour en Orient), p. 41-49. Disponible sur <www.persee.fr/doc/remmm_0997-1327_1995_num_77_1_1710>.

Durand Gilbert, 1992, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire : introduction à l’archétypologie générale [1969], Paris, Dunod.

Feghali Michel, 1938, Proverbes et dictons syro-libanais : texte arabe, transcription, traduction, commentaire et index analytique, Paris, Institut d’ethnologie. Disponible sur <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k26160z/f332.item>.

Gabbud Maurice, 1919, « Carnet du folk-loriste : croyances et superstitions valaisannes », Folklore Suisse : Bulletin de Correspondance de la Société Suisse de Folklore, t. 9, Cahiers 1‑4, Zurich, p. 7-8. Disponible sur <https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=sgv-001%3A1919%3A9%3A%3A115>.

Khater Lahad, 1974-1977, Les Coutumes et les Traditions libanaises, t. 1 et 2, Beyrouth.

]خاطر لحد، 1974-1977، العادات والتقاليد اللبنانيّة، الجزء 1 و2، بيروت.[

La Fontaine Jean (de), 1668, Fables [1906], Paris, Librairie illustrée Jules Tallandier. Disponible sur <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65668792/f13.item>.

La Sainte Bible, ou l’Ancien et le Nouveau Testament / traduction nouvelle d’après les textes Hébreu et Grec par une Réunion de Pasteurs et de Ministres, 1864-1868, fasc. 1-9, Paris, Librairies protestantes. Disponible sur <https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb33259792r>.

LastDodo, <https://www.lastdodo.fr/fr/items/3346817-animaux> [consulté le 10/06/2024].

Matricon-Thoma Élodie, 2014, « Le fil d’Ariane et la traversée du Labyrinthe », Gaia : revue interdisciplinaire sur la Grèce Archaïque, no 17, p. 181-207. Disponible sur <www.persee.fr/doc/gaia_1287-3349_2014_num_17_1_1629>.

Torbey Caroline, 2018, Dessine-moi un proverbe. Les proverbes libanais racontés à nos enfants, Mkalles, Hachette Antoine.

Van Gennep Arnold, 1924, Le Folklore. Croyances et coutumes populaires françaises, Paris, Stock, coll. « La culture moderne ».

Van Gennep Arnold, 1975, Textes inédits sur le folklore français contemporain, Paris, Maisonneuve et Larose, coll. « Archives d’ethnologie française », no 4.

Yaacoub Émile, 1984, Les Proverbes populaires libanais, Tripoli, Jarrouss Press.

] يعقوب إميل، 1984، الأمثال الشعبيّة اللّبنانية، طرابلس، جرّوس برس.[

« Proverbes libanais », 2023, Wikiquote. Disponible sur <https://ar.wikiquote.org/wiki/%D8%A3%D9%85%D8%AB%D8%A7%D9%84_%D9%84%D8%A8%D9%86%D8%A7%D9%86%D9%8A%D8%A9>.

]« أمثال لبنانيّة »، 2023، ويكي الاقتباس.[

Notes

1 La différence entre le dicton et le proverbe étant ténue et difficile à définir, nous opterons pour une seule appellation tout au long de notre étude : le dicton. Retour au texte

2 حمار حمّلو كتب، خمّن حالو صار يعرف يقرا.
La majorité des dictons qui figurent dans notre étude ont pour référence les Proverbes et dictons syro-libanais de Michel Feghali (1938). Nous nous contenterons de réduire la référence à la page du dicton et à son numéro. Les dictons non numérotés sont tirés de la page <https://ar.wikiquote.org/wiki/%D8%A3%D9%85%D8%AB%D8%A7%D9%84_%D9%84%D8%A8%D9%86%D8%A7%D9%86%D9%8A%D8%A9>. Par ailleurs, nous donnons la traduction des proverbes en arabe pour des raisons d’authenticité scientifique : parfois ils sont rimés avec une cadence poétique, ce qui n’est pas le cas en français. Retour au texte

3 تعشّينا وعشّينا الحمار، فيها تخلّف باللّيل، فيها تخلّف بالنهار.
Il s’agirait d’un charlatan qui se fait inviter à dîner avec son âne pendant qu’on donne son fallacieux remède à une femme au travail. Puis, s’apprêtant à partir, on lui demande d’attendre le résultat. Il répond par les propos du dicton. Retour au texte

4 الحمار حمار لو حمل صندوق السلطان. Retour au texte

5 Lors d’un concours de musique, le roi Midas favorise Pan au détriment du dieu Apollon, alors celui-ci lui fait pousser des oreilles d’âne pour se venger. Retour au texte

6 سطل بلا علاقة، حمار بلا دينين. Retour au texte

7 متل الحمير البيض، ما بتدفى الّا بالسنة مرّة. Retour au texte

8 الحمارة حمارتي وبركب عدنبا. Retour au texte

9 سألوا البغل: مينو بيّك، قلّن : الحصان خالي. Retour au texte

10 نهمنا بحصان، ركبنا حمار. Retour au texte

11 بين البطيء والرهوان، فكّة حزام. Retour au texte

12 خيول الدّهم كتّرلا عليقا، وخلّيها لحزّات اللّيالي. Retour au texte

13 جمال السلطان حافية. Retour au texte

14 الجمل لو بشوف حردبتو، كان بيوقع وبيكسر رقبتو. Retour au texte

15 الثلم الأعوج من الثور الكبير. Retour au texte

16 ما بيحمل الجور إلّا الثور. Retour au texte

17 يا سيّدنا، انت الفدّان ونحن الدّبّان. Retour au texte

18 بس ترجع عالبيت، مرتك ضربا، اذا انت ما بتعرف ليش هيّي بتعرف. Retour au texte

19 حيل النسوان بتنزّل المحادل عن السطوح. Retour au texte

20 الأرملة ان ربّت ولد ما نجحش، وان ربّت كلب ما نبحش، وان ربّت عجل ما فلحش، وان زرعت شي ما صلحش. Retour au texte

21 يا بنت مين علّاك ؟ جوزك وبيت حماك ! Retour au texte

22 الفرس من ورا خيّالا والمرا من ورا رجّالا. Retour au texte

23 كل مرا بتغلب مية شيطان وكل مية رجال تيغلبو مرا. Retour au texte

24 بالألف كنّة واحدة بتحبّ حماتا وبالألفين حما واحدة بتعزّ كنّتا. Retour au texte

25 الحما حمّي وبنت الإحما عقربة مسمّة. Retour au texte

26 شمس شباط لكنّتي وشمس اّذار لبنتي وشمس نيسان لشيبتي. Retour au texte

27 Amoureuse de Thésée, Ariane lui donne un fil qui lui permettra de sortir du labyrinthe après avoir tué le Minotaure. Retour au texte

28 يأكل حصة الأسد. Retour au texte

29 انخلي يا هلالي !
Ces mots se disent lorsqu’on doute de l’honnêteté d’une personne. Retour au texte

30 روح بلّط البحر.
Ce dicton se dit lorsqu’on défie quelqu’un et qu’on est sûr de son incapacité. Il s’agit de l'ottoman Ahmad Bacha, l’Abatteur, le wali de Akka, qui remblaie la plage. Retour au texte

31 بتع بتع الزناتي.
Zanêti était un héros africain qui avait la réputation d’être invincible. Retour au texte

32 كان بدك دين خدي زين العابدين، وكان بدك دنيا خدي يزيد ابن معاوية، وكان بدك لا دين ولا دنيا عليك بذقن عمّك بوهريرة.
C’est la réponse de Abou Hraïra à une jeune femme qui lui demande son avis pour le choix d’un mari.
Retour au texte

33 ما بشخ ع اصبع مجروح. Retour au texte

34 اذا قتلت بو بريص بينغفرلك اربعين خطيّة. Retour au texte

35 من ينظر الى المرة ليلاً ليصلح هندامه ابتعدت عنه الملائكة أربعين يوما. Retour au texte

36 عاشر القوم أربعين يوم يا بتصير متلن يا بترحل عنّن. Retour au texte

37 دنبة الكلب حطّوا أربعين سنة بالقالب وضلّت عوجا. Retour au texte

38 قانون الشبعان أربعين لقمة. Retour au texte

39 ما قال المثل شي من كذب. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Rachel Ltaif, « Le folklore libanais à travers les dictons : l’imaginaire derrière le sarcasme et la parodie », IRIS [En ligne], 45 | 2025, mis en ligne le 31 janvier 2025, consulté le 16 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=3990

Auteur

Rachel Ltaif

Docteur ès Lettres modernes, Université Libanaise
rachelltaif@gmail.com

Autres ressources du même auteur

  • IDREF
  • ISNI
  • BNF

Droits d'auteur

CC BY‑SA 4.0