Myriam Jacquemier, Le Mythe de Babel à la Renaissance. Richesses et structures du mythe ; Les Fonctions politiques du mythe de Babel à la Renaissance. Creuset de la modernité ; La Laïcisation du mythe de Babel à la Renaissance. Du verbe à la parole

3 volumes, Paris, L’Harmattan, 2024

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Myriam Jacquemier, Le Mythe de Babel à la Renaissance. Richesses et structures du mythe ; Les Fonctions politiques du mythe de Babel à la Renaissance. Creuset de la modernité ; La Laïcisation du mythe de Babel à la Renaissance. Du verbe à la parole, 3 volumes, Paris, L’Harmattan, 2024

Texte

Avec ces trois volumes, Myriam Jacquemier reprend, enrichit et parfois corrige son livre paru en 1999 : L’Âge d’or du mythe de Babel : de la conscience de l’altérité à la naissance de la modernité. S’il se place dans le sillage de la démarche herméneutique de Gilbert Durand — comme nombre des travaux de son auteure —, ce travail renouvelé met aussi à profit les évolutions récentes en matière de transversalité en sciences humaines et repose ainsi sur un support méthodologique en partie nouveau. Il ne s’agit pas tant, dans ces pages, de proposer un simple rappel du mythe — qualifié de « texte babélien » — et de sa présence au cours de la Renaissance que de déconstruire un jeu d’écriture(s) perçu dans la richesse des textes et traductions de l’époque pour suivre pas à pas ses divers plans d’exploitation où se perçoit une révolution d’écriture et de pensée. Le mythe de la tour de Babel ne fournit en effet pas seulement une image du désordre engendré par l’orgueil d’humains en révolte contre Dieu et finalement dispersés à la surface de la terre. La lecture de M. Jacquemier entend aller au-delà de cette surface très visible que les arts visuels du temps ont fréquemment saisie pour en quelque sorte redonner vie aux profondeurs du mythe babélien tel que la Renaissance l’a perçu, capté et remotivé.

Le premier volume entend pénétrer dans l’écriture du mythe telle que l’ont érigée, et peut-être en partie imposée, les différentes traditions vivantes au début du xvie siècle, tout en soulignant combien le mythe rencontre une actualité dont il permet en partie l’invention.

Le deuxième se concentre sur les enjeux religieux et politiques dont les diverses variations du mythe babélien ont permis une expression : entre nostalgie d’une langue originelle unique et formation d’une identité nouvelle, le mythe constitue un véritable « creuset de la modernité ». Cette vie d’un mythe sans cesse actuel dans sa plasticité se manifeste aussi par une lecture plus directement politique, lecture qui au gré de greffons peu visibles mais effectifs contribuent à en faire un élément de réflexion en matière de choix de gouvernement, au point de substituer à une figure du tyran (Nemrod) celle, réactualisée, d’un prince unificateur de son peuple.

D’autres aspects de la modernité du mythe sont examinés dans le troisième volume qui s’attache aux fonctionnements des langues tant sacrées que vulgaires et nationales, mais permet aussi de voir comment ses variations ont pu figurer puis rendre possible une conceptualisation et une appropriation de la langue aux dépens des langages d’autorité ; dans cette perspective, des auteurs comme Rabelais ou Montaigne peuvent emprunter à la complexité du mythe pour saisir la complexité de la vie. Passant progressivement d’une culture du Verbe à une culture du signe, l’homme de la Renaissance échappe au statut de créature et se construit en tant qu’individu tandis qu’au fil de la période le mythe n’est de plus en plus souvent perçu que comme une forme allégorique dans une société que les vestiges de la culture antique désertent toujours un peu plus. Reste à savoir si cette évolution épuise la richesse du mystère qui lui est propre…

Ce que M. Jacquemier traque dans la dimension mythique du « texte babélien », c’est avant tout une organisation propre de l’imaginaire mise au service d’une lecture du créé aussi bien qu’utile afin d’ordonner ce qui est à construire — de là une possible application jusqu’aux temps présents. L’étude méthodique des textes du xvie siècle prouve combien la richesse structurelle et rhétorique d’un mythe ayant son identité propre induit la reconstruction morale, politique, linguistique et peut-être surtout métaphysique d’une identité culturelle en période de transition.

La Renaissance a vécu le mythe dans de multiples dimensions existentielles ; les analyses de M. Jacquemier invitent le lecteur contemporain à penser l’écriture du mythe comme moyen d’en faire à nouveau apparaître la raison : le mythe de Babel tel que les hommes de la Renaissance le comprennent et l’exploitent devient ainsi — et ce n’est pas le moindre intérêt de ces trois livres — une sorte de modèle, à la fois exemplaire et expérimental, propre peut-être à enrichir un présent où la profondeur des mythes semble parfois avoir disparu.

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Référence électronique

Bruno Petey-Girard, « Myriam Jacquemier, Le Mythe de Babel à la Renaissance. Richesses et structures du mythe ; Les Fonctions politiques du mythe de Babel à la Renaissance. Creuset de la modernité ; La Laïcisation du mythe de Babel à la Renaissance. Du verbe à la parole », IRIS [En ligne], 45 | 2025, mis en ligne le 31 janvier 2025, consulté le 17 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=4128

Auteur

Bruno Petey-Girard

Université Paris-Est Créteil
petey-girard@u-pec.fr

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