Introduction
Dans la plupart des travaux de recherche qui s’y intéressent, les dialogues vidéoludiques sont généralement étudiés à l’aune des choix de la joueuse1 et de la construction de sa relation à l’avatar et aux personnages non-joueurs (PNJ2), en particulier ceux qui impliquent le choix de la joueuse. Mais il est un type de réplique particulièrement peu considéré : ce qu’on appelle en anglais et dans le milieu professionnel les « barks », c’est-à-dire des lignes de discours en apparence dérisoires que lancent, dans certaines situations, les PNJ, individuels ou collectifs, et auxquelles la joueuse n’a pas la possibilité de répondre. Ces « aboiements », si l’on traduit littéralement, semblent souffrir d’une désaffection générale – de la part des chercheuses donc, mais aussi des scénaristes et des narrative designers qui les associent parfois à une écriture fonctionnelle de simple remplissage, moins importante, même si leur conception exige en réalité un temps d’écriture et un travail considérables. Il est fréquent aussi que les joueuses se moquent ou se plaignent de barks trop répétitifs perçus comme artificiels – commentaires qui peuvent produire des objets médiatiques partagés circulant sous forme de mèmes dans les communautés en ligne.
Le bark serait donc en même temps insignifiant et potentiellement mémorable, donc digne d’intérêt. Les définitions issues du milieu professionnel ont en commun de circonscrire cet objet vidéoludique par le moins, le peu, ou la privation – donc par ce qui lui fait défaut. Ainsi, le bark peut être défini comme « tout ce pour quoi on paie les doubleurs et qui ne fait pas partie de l’histoire3 », comme « les bouts de dialogue déconnectés que les PNJ adorent laisser échapper comme s’ils étaient atteints du syndrome de Tourette, et qui sortent souvent de nulle part4 », ou « le dialogue accidentel qui sert à saluer ou à lancer des cris dans la bataille, ou simplement à faire que le joueur surprenne quelque chose en passant5 » – dans tous les cas, « de courtes lignes de discours criées depuis l’arrière-plan du jeu, au hasard ou en réaction au joueur et aux événements6 ». Dans ces définitions, le bark se caractérise à chaque fois par son caractère marginal, résiduel et contingent, ainsi que par sa faible ampleur verbale. Ce « moindre » du bark concerne aussi la position dans laquelle la joueuse se trouve ainsi « placée », comme le souligne pour sa part Sarah Beaulieu :
Les barks, ce sont ces répliques, ou ces onomatopées, lancées par des NPC (Non Playable Characters) […] dans des situations données (des triggers). Par exemple, lorsque vous passez à côté d’un personnage [...]. Ce peut aussi être un dialogue entre deux NPC que vous entendez se disputer. Dans tous les cas, le joueur n’aura pas la possibilité d’intervenir directement7.
En parlant d’absence d’intervention directe, Beaulieu signale la difficulté à saisir la secondarité du bark dans la manière dont il engage une relation avec la joueuse ; si cette relation est communément considérée comme non interactive (nous le discuterons), elle peut engager des formes d’activité ou de réactivité.
Il faut d’ailleurs reconnaître plus globalement la réalité hétérogène des barks : les répliques automatiques du personnage-joueur y sont parfois intégrées et les discours en question peuvent s’avérer plus longs que de courtes répliques. Malgré tout, dans l’ensemble, ces définitions identifient bien des tendances globales : la secondarité du bark, ou ce que nous appelons son « mode mineur », et sa communication redondante.
Or, il n’est pas certain que cette situation structurelle de « petite chose vidéoludique » prive le bark d’effets plus considérables. Dans quelles conditions et selon quels processus signifiants le mode mineur des barks vidéoludiques peut-il engager des conséquences majeures pour l’expérience de jeu ? Quelles sont ses potentialités, voire ses pouvoirs, à la fois pour l’action ludique, pour la construction diégétique et pour l’engagement de la joueuse ? Pour répondre à ces questions, nous envisageons le bark comme une situation complexe impliquant non seulement des énoncés verbaux, mais aussi des entités parlantes, des comportements, un déroulement temporel, un design sonore et des pratiques de programmation. Nous puiserons aux théories du personnage, de la fiction et de la narrativité vidéoludique pour proposer, d’abord, une étude formaliste des barks s’appuyant sur un corpus de RPG AAA sortis entre 2010 et 20208 qui permettra d’analyser une grande diversité de formes et de fonctions des barks tels qu’ils sont perçus par la masse des joueuses9. Notre analyse s’appuie sur une expérience personnelle de ces jeux, mais aussi sur les vidéos de fans en ligne à la fois pour des raisons pragmatiques de temps et d’accès aux œuvres et parce que nous considérons, comme Hugo Montembeault et Simon Dor, que l’activité des fans est précieuse pour constituer des « archives de la jouabilité10 » et pour saisir des processus de signification concrets. Cette analyse formaliste ouvrira ensuite à la présentation d’un travail de recherche-création11 sur le jeu RecovR, développé par le studio indépendant The Seed Crew dans lequel Hélène Sellier travaille en tant qu’artiste-chercheuse et narrative designer. Il s’agit d’un jeu de sensibilisation et de conscientisation sur des sujets liés à l’inclusion et à la mixité sociale comme le sexisme, le validisme et l’âgisme, et destiné à la formation en entreprise. Dans le récit de pratique12 que nous ferons, nous nous concentrerons sur le fonctionnement du système de barks, que les membres de The Seed Crew ont coutume d’appeler « dialogues fluff », ce qui insiste bien sur l’idée de remplissage qui leur est associée. Dans une démarche de recherche-création, il s’agira de situer ce jeu par rapport aux dynamiques dégagées à partir de l’analyse des RPG, puis de proposer un retour réflexif sur les processus créatifs en articulant un double regard : l’un informé par l’expérience directe du travail au studio (Hélène Sellier) et l’autre apporté de l’extérieur par une chercheuse sans implication dans ce projet (Aurélie Huz).
Petits barks et grands effets ? Essai de typologie analytique
La première partie de cet article propose une analyse typologique des barks, dont le but n’est pas l’exhaustivité, mais la diversité. Nous suggérons de distinguer trois régimes de fonctionnement de cet objet vidéoludique, qui correspondent bien plutôt à des tendances qu’à des catégories exclusives. En effet, non seulement les logiques ludiques, narratives et réflexives s’interpénètrent, mais elles peuvent ou non, selon la joueuse et le contexte, s’actualiser dans les pratiques.
Des barks pour jouer
Le premier cas que nous identifions correspond aux barks qui servent principalement à transmettre de l’information ludique, en réaction à ou pour déclencher une action de la joueuse. Par exemple, ils signalent ce qui se passe dans le déroulement d’un défi ludique. Ainsi, dans tel combat du remake de Final Fantasy VII13, les répliques orales prononcées par Aerith, personnage contrôlé par la joueuse, indiquent les phases du combat, les changements de personnage contrôlé et la progression vers la victoire : « c’est à moi », « je vais m’occuper de lui », « encore un coup14 ! ». Ces barks ludiques ne sont pas lus à l’écran, seulement entendus, et peu discernables parmi les bruits du combat. À l’inverse, dans Divinity: Original Sin15, ce même type de barks est écrit, mais dans une taille de caractères très petite. Le récurrent « Hydrosophist’s helper » vient ainsi valider une action de jeu liée au lancement du sort, et son irruption relève d’un calcul probabiliste : quand on lance un sort dans Divinity, on a une certaine probabilité d’entendre tel bark dénotant ce sort, et l’énoncé finalement actualisé est tiré aléatoirement dans un ensemble d’énoncés possibles.
Cet usage ludique des barks en éclaire à plusieurs égards la « petitesse » médiatique. Premièrement, le bark est petit dans son implémentation visuelle ou sonore. Deuxièmement, il relève d’une infimité systémique : dans le code, les barks sont liés à une action préalable de la joueuse, donc s’il y a bien, en un sens, interactivité – cette action a quand même une conséquence sur l’environnement de jeu –, le bark n’en demeure pas moins une conséquence collatérale de l’action de jeu, à laquelle elle peut rétroactivement donner une valeur. Troisièmement, le bark implique un très bas degré informationnel : son signifié est déjà connu et sa forme tirée aléatoirement. Ce qui est signifiant, dès lors, c’est moins ce qui est dit que le fait que quelque chose soit dit, pour baliser les embranchements de l’action, récompenser ludiquement la joueuse et dramatiser le combat d’un point de vue rythmique et émotionnel. Le bark agit comme une petite musique parlée, dont l’impact est systémique et moteur. Il contribue à ce que Laura Ermi et Frans Mäyrä identifient comme l’immersion basée sur le défi, au sens d’absorption dans l’action, d’incorporation de la conscience de la joueuse dans les mécaniques de jeu16. Selon ces modalités les barks ludiques engagent essentiellement la joueuse à performer le gameplay, même si peut s’y associer parfois une fonctionnalité réaliste sur le plan diégétique. C’est le ressort qu’on observe lorsque les barks de récompense, par exemple à la fin d’un combat réussi, diffèrent selon les personnages qui les prononcent : à la fin de chaque victoire dans Tales of Berseria17, les compétences et l’identité propres à tel ou tel personnage se singularisent à travers le bark selon le contenu signifié, mais aussi le vocabulaire, la syntaxe ou l’intonation18. Les dimensions ludiques et narratives sont en effet poreuses les unes aux autres, mais le bark peut faire peser la balance plutôt d’un côté ou plutôt de l’autre.
Personnage, monde, atmosphère : le bark comme levier diégétique
Qu’en est-il donc des cas où les barks assument plus explicitement des fonctions diégétiques ? Celles-ci sont activées par une configuration particulière : les dialogues ambiants, qu’on peut définir de manière plus restreinte que dans The Game Narrative Toolbox19 comme une ou des ligne(s) de discours déclenchée(s) quand la joueuse passe à proximité d’un PNJ. Souvent, dans les pratiques créatives, ce type de bark est conçu comme un moyen d’enrichir l’encyclopédie fictionnelle. Mais, à l’aune des théories de la fiction, que signifie de dire que le bark contribue à créer le monde ? Un premier argument consiste à dire que le fonctionnement optionnel et faiblement interactif du bark participe au réalisme d’univers, c’est-à-dire au sentiment que le monde de fiction est autonome, complet et cohérent, doté des mêmes caractéristiques ontologiques que le monde réel20. Ainsi dans le remake de Final Fantasy VII, certains barks anonymes et diffus fonctionnent comme des rumeurs. Dans le chapitre 3 « Home Sweet Slum », lorsqu’on traverse les taudis de la ville de Midgard21, ils ne nous apprennent rien qu’on ne sache déjà sur le groupe terroriste Avalanche, mais donnent l’impression de peupler l’univers de fiction de manière autonome, à travers les habitants indéterminés qui les prononcent en masse. Certes, dans la réalité de la programmation, ces barks ambiants dépendent en fait de la présence de la joueuse : pour des raisons d’optimisation et d’allègement du code, ils ne sont généralement pas actualisés quand la joueuse n’est pas dans l’espace où ils doivent se déclencher. Mais sur le plan cognitif, ces barks produisent l’effet strictement inverse : ils donnent l’impression qu’ils sont ce qui environne la joueuse – ils sont en ce sens « ambiants » –, ce qui existe indépendamment de sa présence à elle, ce qui lui préexiste. Ils font croire que la joueuse les découvre par hasard au lieu de les produire (indirectement) par ses propres actions ; comme le résume Sarah Beaulieu, « le bark est l’un des éléments qui donnent l’impression que le monde d’un jeu existe et évolue par lui-même22 ». Un deuxième argument porte sur la lacunarité du bark : le bark est écrit de manière non seulement à être bref et allusif, mais aussi à construire des lacunes informatives dans l’encyclopédie du monde imaginaire (on prend ici le terme d’« encyclopédie » dans le sens qu’Umberto Eco lui a donné pour penser les univers de fiction23), lacunes que la joueuse peut identifier comme telles et s’approprier par l’imagination. Il peut s’agir de microscénarios tout juste esquissés, comme dans les conversations téléphoniques de Grand Theft Auto 5, ou de références plus opaques à des parties d’une « xéno-encyclopédie24 » plus radicalement étrangère (selon le terme forgé par Richard Saint-Gelais, à la suite d’Eco, pour les genres de l’imaginaire), jusque-là ignorées, comme dans Skyrim. En cela, ces barks impliquent une saturation faible du monde fictionnel : ils manipulent ce que Lubomír Doležel appelle sa « zone indéterminée », c’est-à-dire qu’ils posent implicitement des états de choses fictifs – à la différence des « blancs » du monde qui correspondent aux référents dont on ne parle pas du tout25. Les deux arguments de l’autonomie et de la lacunarité s’entrecroisent à l’évidence, pour permettre au bark de faire miroiter le sentiment « qu’il existe bel et bien un ailleurs, que la fiction, dans ses propriétés, comporte celle [...] d’avoir un dehors26 » selon les termes de Tiphaine Samoyault à propos des personnages secondaires de romans.
Si, dans ce cas, les barks ont un impact diégétique par le seul fait qu’ils existent, leur contenu verbal contribue bien sûr aussi à construire la fiction et le récit. Ils servent ainsi souvent à caractériser les PNJ secondaires, anonymes ou non, qui les prononcent. Par exemple, l’un des gardes de Whiterun dans Skyrim dit : « Des Sombrages, des Impériaux, des dragons. Peu importe ce que je tue. Qu’ils viennent seulement27. » L’énoncé n’apporte aucun élément de worldbuilding nouveau : les conflits entre factions, la menace monstrueuse sont déjà bien établis. Le bark ne se distingue pas non plus par son interface, identique à celle des autres dialogues. Sa nouveauté consiste en revanche à concrétiser et à personnaliser les informations encyclopédiques déjà connues à travers un point de vue singulier dans la diégèse, celui du garde. Il est impossible pour la joueuse de dissocier le propos belliqueux, l’intonation vindicative, la syntaxe lapidaire et la posture fière en armure : l’ensemble construit ce personnage courageux et sanguinaire, qui affirme ainsi sa hardiesse aux yeux des autres et, peut-être aussi, à ses propres yeux. Le bark entrouvre la porte vers une intériorité individuelle réaliste, que le discours extériorise. En même temps, dans Skyrim, tous les gardes de Whiterun sont susceptibles de proférer cette réplique, et un garde particulier peut tout aussi bien émettre une autre remarque, relativement similaire dans son contenu. Le régime des barks ambiants est donc ambivalent : l’individualisation psychologique des PNJ résulte plutôt, comme un mirage, d’une logique de typification. À partir de grandes catégories de personnages, aux discours et aux comportements homogènes, l’illusion de diversité est introduite grâce à l’aléatoire. Ce réalisme psychologique en demi-teintes, attaché à la construction des personnages, gagne peut-être plus de force lorsque le bark sert à caractériser autant (voire davantage) l’interlocutrice que la locutrice. Dans certains cas, le personnage-joueur est en effet plus directement pris à partie par les « petites phrases » du monde vidéoludique. Pour prendre un exemple radical, dans Fable28, les PNJ secondaires réagissent différemment en fonction d’une partie où l’alignement de la joueuse est « bon » ou « mauvais » : en félicitant ou en critiquant le personnage-joueur, le bark l’assigne à une place morale ou sociale dans le monde fictionnel29.
Si, à un niveau local, les barks ambiants permettent ainsi souvent d’individualiser les PNJ et de subjectiver l’encyclopédie, à un niveau global ils peuvent fréquemment produire l’impression inverse : un effet de masse et d’indétermination. En atteste le marché bien connu de Cyseal dans Divinity: Original Sin : sur la place du marché, on harangue, on alpague, on vend sa marchandise. La joueuse se trouve au centre de ces interpellations ouvertes ; l’affichage des barks dans différentes zones de l’écran, autant que le passage d’une source sonore à l’autre, spatialise par la vue et l’ouïe l’expérience de jeu et favorise une immersion perceptive globale. Les barks ambiants sont ainsi susceptibles de glisser vers le sound design au même titre que d’autres matériaux sonores. Dans The Witcher 330, par exemple, traverser la ville de Novigrad à cheval signifie entendre la musique d’ambiance, les bruitages (sabots, toux, éternuements), les barks de Geralt lui-même qui parle à son cheval (« Allez, Roach ! ») et les paroles agressives des personnages qui peuplent le monde (« Eh bien… Quel monstre31 »). Dans ce régime collectif et anonyme, la signification linguistique des barks pris individuellement – celle qui relève du symbole au sens de Peirce32 – s’efface au profit d’un autre type de signe : ces barks-bruits deviennent des indices (des signes par contiguïté) sonores, et plus spécifiquement vocaux. Ils servent de traces auditives du monde de fiction, qu’ils concrétisent à travers l’effet de présence produit par les multiples proférations de ses habitants.
Barks réflexifs ou « méta-barks »
À l’inverse, un dernier type de barks se distingue par la manière dont il implique de rompre l’immersion fictionnelle. Dans ce cas, le bark crée une distanciation, souvent comique, qui propose une connivence extradiégétique entre créatrices et joueuses, d’où peut découler une gratification intellectuelle ou émotionnelle. Ainsi, dans Dishonored33, dans la mission 7, l’un des barks reproduit un dialogue de Thief34, qui se tient ici entre deux personnages assassins, et la joueuse assiste à la scène en surplomb35. Cette posture symbolise avec évidence la filiation spirituelle36 que Dishonored revendique avec Thief à travers la citation intertextuelle. Relevant du principe classique de l’Easter egg37, ce type de barks pourrait être qualifié de métavidéoludique et d’ironique parce qu’il joue précisément de l’écart entre l’insignifiance fonctionnelle ordinaire du bark – son réglage interprétatif par défaut, en quelque sorte – et l’attention spécifique qu’il convoque ici et qui le fait valoir pour lui-même, comme un détail à rechercher et à consommer en soi et pour soi. Ces « méta-barks » dénudent les codes médiatiques, selon un principe de métamédialité qui s’avère fréquent au sein de la culture vidéoludique. La citation intertextuelle n’en est pas la seule modalité : la reprise citationnelle peut tirer profit du caractère délimité, marginal et mémorable du bark pour l’extraire de son contexte d’apparition, l’autonomiser et le mettre au pot commun d’une culture partagée largement réflexive. En témoigne le cas de Nazeem, PNJ de Skyrim, qui, quand on le croise, prononce fréquemment les phrases « Est-ce que tu vas très souvent au Cloud District ? Mais qu’est-ce que je dis – bien sûr que non38. » Parce que cette réplique est entendue très souvent, et méprisante pour le personnage-joueur en même temps qu’assez incongrue, elle est devenue un mème emblématique de cette circulation réflexive des barks.
Malgré leurs différences, ces fonctionnements ludique, diégétique et réflexif montrent tous qu’en tant que petites choses vidéoludiques, les barks peuvent viser de bien plus considérables effets sur la joueuse : engagement sensoriel, spatial, diégétique, émotionnel, voire métamédiatique. Mais il s’agit tout d’abord d’effets possibles, qui dépendent de la manière dont on joue, et aussi d’effets reposant sur de fortes conventions : le caractère très codé, et partant artificiel, du bark, suggère que l’idée de réalisme, particulièrement complexe, n’est pas la seule clé d’entrée pour comprendre comment le jeu vidéo implique et affecte la joueuse, y compris du point de vue des mécaniques de fiction. En effet, les ressorts spécifiques du bark sont susceptibles, comme nous allons le montrer, d’orienter cette implication vers des enjeux plus éthiques et des problèmes plus politiques et, en retour, un investissement créatif centré sur les barks et leurs opportunités critiques peut venir questionner, voire déplacer, les partages proposés dans cette première typologie théorique, tout en en éclairant les enjeux. C’est ce que l’on propose à ce stade de mettre à l’épreuve à partir d’un projet concret de recherche-création prenant comme objet d’étude le jeu RecovR39 développé par le studio The Seed Crew et auquel Hélène Sellier a travaillé en tant qu’artiste-chercheuse et narrative designer.
Barks mineurs dans les marges et espaces de pouvoir
La secondarité du bark peut en effet s’avérer un précieux atout pour engager le jeu vidéo vers des réflexions engagées. RecovR est un jeu destiné à la formation en entreprise : la joueuse y incarne un personnage sur son lieu de travail et assiste à des situations discriminantes qui l’impliquent diversement, en tant que victime, actrice ou témoin. La joueuse peut identifier (dans le jeu : « flag ») les situations problématiques grâce à un bouton situé en bas à droite de l’écran. De manière schématique, on peut distinguer deux types de phases de jeu : le déplacement dans le monde des bureaux en 3D et le dialogue avec les collègues du personnage-joueur en 2D. Pendant la phase d’exploration, on croise des PNJ secondaires, qui travaillent dans les bureaux, mais ne sont pas directement en collaboration avec le personnage-joueur, et qui sont caractérisés par un certain nombre d’animations, de comportements et de dialogues. Dans sa conception initiale (été 2020), le système de barks qui les concernait était assez proche du fonctionnement des dialogues ambiants et des effets de concrétisation de monde qu’on a précédemment décrits. Cependant, le travail itératif de design a fait évoluer à de nombreuses reprises cette dimension du jeu, en transformant notamment l’écriture des lignes de dialogues, la visualisation du texte dans l’interface et les formes d’interaction. Retracer cette évolution du système de barks et les tâtonnements de la création permet d’éclairer ce que peuvent être et faire les barks selon le registre d’action qu’on souhaite proposer à la joueuse.
Réalismes discursif et existentiel des PNJ secondaires : des barks redessinés
Originellement, les « dialogues fluff », ainsi désignés par les membres du studio pour leur fonction de remplissage (comme un matériau verbal qui ferait « gonfler » la fiction), ont été conçus comme un contenu complètement optionnel, à destination d’un profil de joueuse complétionniste. Ces barks ont été écrits comme des bouts de vie, des bruits de couloir sur lesquels la joueuse n’a pas de prise, mais qui projettent des situations qu’elle peut reconnaître et dont elle peut se sentir proche. S’y mêlaient des anecdotes sur la vie de bureau, pour lesquelles il s’est parfois agi d’imiter la « langue du travail » et son jargon néo-libéral40, mais aussi des conversations sur les aléas ordinaires de la vie personnelle (problèmes d’assurance, vacances, mariages, conflits intimes, etc.). Dans ce premier état du design des barks, la cohérence narrative recherchée entre les différents dialogues était minime ; les principaux objectifs étaient d’abord de produire l’illusion d’un monde complet, comme pour les dialogues ambiants évoqués à propos des RPG. Mais il a aussi très tôt été question de faire de ces barks conventionnels, relevant de la fonction diégétique qu’on a traitée plus haut, un ressort ludique et éthique. En effet, certains d’entre eux exposaient ou suggéraient des situations problématiques que la joueuse pouvait signaler grâce au bouton adéquat ; cette dernière était donc invitée à scruter les barks, en détail, à les prendre au sérieux en repérant les phrases inacceptables (désignées pour la programmation par le terme « trigger »), comme le montre cet exemple tiré du document de narrative design :
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Salle de réunion
Ashley Huang : C’est le positionnement complet qu’il faut revoir, à ce compte-là.
Christian Boyard : Oh là ! Faut se calmer, ma cocotte. [Trigger]
Auguste Vrioni : Tu peux pas tout désorganiser comme ça41.
À ce stade, le système de jeu envisageait donc les barks des dialogues fluff en même temps comme un élément annexe et, déjà, comme un levier potentiellement signifiant, parce que susceptible de devenir moins mineur, donc plus important pour l’expérience fictionnelle et ludique, nous y reviendrons.
Disons à ce stade que cette puissance de signification devait beaucoup, dans l’idée des conceptrices, à l’exploitation de l’incomplétude des PNJ et au sentiment de proximité et de familiarité que ces bribes de discours pouvaient produire. Les travaux s’intéressant aux rapports entre joueuses et personnages vidéoludiques ont la plupart du temps traité de l’avatar42 ou des personnages compagnons43, laissant dans l’ombre un paramètre également important : la connexion potentielle que la joueuse peut ressentir avec les PNJ secondaires. Les études littéraires ont pu envisager la manière dont, dans le roman, les personnages secondaires offrent des « modèle[s] à vivre » dans la mesure où leur caractère non héroïque et leurs apparitions discontinues dans l’histoire, comme l’écrit Isabelle Daunais, les rendent assez ordinaires, réalistes à hauteur de leur banalité :
Le personnage secondaire n’est évidemment pas moins fictif que le héros, mais son intermittence correspond à la nôtre : nous sommes nous aussi, du moins l’essentiel d’entre nous, des êtres intermédiaires, appelés à ne prendre le devant de la scène qu’en de rares occasions, dont les moments d’action hors de l’ordinaire restent peu nombreux, et vivant beaucoup plus souvent de longues périodes de latence que des événements en série44.
Dans le jeu vidéo, ce pourraient bien être les barks qui permettent de rendre ainsi les PNJ secondaires semblables à nous dans leur évidente normalité, et porteurs d’expériences susceptibles de nous renvoyer à notre propre rapport au monde et au réel. Le réalisme ontologique et existentiel à l’œuvre ici tablait donc sur la manière dont le bark permet à la fiction, comme on l’a déjà suggéré, de construire et de faire jouer, à son bénéfice, ses propres incomplétudes.
Créer les barks : systèmes de jeu et registres d’action
Pour le premier module de RecovR, portant sur le sexisme, ce quotidien commun et partageable projeté par les barks constituait l’une des dimensions recherchées dans l’élaboration des dialogues fluff, ce qui supposait de réfléchir à leur articulation au système ludique et aux logiques de programmation. Dans la première implémentation du système, les PNJ secondaires en situation de dialogue étaient ainsi signalés par une petite bulle (semblable à un phylactère de bande dessinée) dans laquelle s’affichait le signe suivant : « … » [Figure 1]. Quand le personnage-joueur s’approchait, le texte à l’intérieur de la bulle s’affichait et devenait lisible – sans qu’on voie toutefois le nom du personnage à l’écran. La caractéristique de cette première version du bark était de garantir l’autonomie du personnage-joueur par rapport aux PNJ et ainsi de lui faire prendre la mesure de sa latitude de choix, ce qui impliquait d’emblée de desserrer pour une part le critère strict du « hasard » ou de « l’accidentel » servant ordinairement à définir le bark, afin d’imaginer un potentiel de jouabilité : comme la caméra n’était pas fixe et que le personnage-joueur pouvait lui aussi bouger à sa guise, s’approcher ou non des PNJ en discussion, se déplacer ou non pendant le dialogue, les paramètres accentuaient sa position de témoin extérieur, aux marges de l’échange, mais libre d’intervenir ou non en réaction aux barks. Ce statut fonctionnel conféré au personnage-joueur par les dialogues fluff éloignait les barks du mode mineur qu’on a détaillé (secondarité systémique, pauvreté informationnelle et absence d’interactivité). Cette évolution a conduit les conceptrices de RecovR à une réflexion suivie en plusieurs étapes et donné lieu à plusieurs itérations du système de jeu, pour penser l’impact sur l’expérience de l’utilisatrice. Par exemple, le système d’interactions a été plusieurs fois retravaillé : le texte des dialogues défilait tantôt sur l’action de la joueuse, tantôt automatiquement. Ces modifications forment la trace d’une réflexion sur la possibilité d’impliquer la joueuse dans l’irruption des barks et, plus globalement, sur les manières de lui donner des possibilités d’agir.
Figure 1
Crédits : The Seed Crew.
Source : RécovR.
L’observation des pratiques en a été un moteur fort et les nombreux tests ont montré notamment que les dialogues fluff étaient inexistants dans certaines pratiques de jeu, car complètement ignorés (non activés) par de nombreuses joueuses qui ne connaissaient pas les conventions vidéoludiques ainsi que les formes de jeu d’exploration et de complétion. Un autre constat a été que, tels qu’ils avaient été mis en place d’abord, les barks véhiculaient un potentiel extrêmement violent pour l’utilisatrice dans la mesure où celle-ci pouvait se trouver face à des situations discriminantes, sans pouvoir aucunement intervenir. Dans la perspective d’une formation à des questions sensibles, concevoir les barks comme des bruits de couloir et des rumeurs imposées ne s’accordait pas à la visée éthique du jeu. Pendant l’été 2021, l’équipe de design a donc collectivement décidé de modifier le système de jeu pour doter la joueuse d’agentivité (au sens de Janet Murray45), c’est-à-dire lui donner la capacité de mener des actions et d’avoir des réactions ayant un impact sur la situation problématique46. Le nouveau système de barks a ainsi requis des choix explicites de la part de la joueuse : déterminer d’abord si elle désire ou non écouter la conversation, puis décider si elle souhaite intervenir dans la discussion [Figure 2]. L’arbre décisionnel se restructure donc, comme on le voit ici pour l’un des dialogues fluff rencontrés dans le module sur le validisme :
Mariam : Bairavi, quand elle arrive à 11 heures, c’est normal.
Ne pas écouter → FIN
Écouter
Mariam : En plus, ça lui arrive super souvent.
Mariam : Moi, je suis en retard une fois, et on me le reproche.
Random
1. Laeticia: C’est à cause de ses rendez-vous médicaux !
2. Laeticia: C’est un aménagement auquel elle a le droit, tu sais.
3. Laeticia: Sans rire ?
4. Laeticia: Ça va… Vincent ne t’a pas non plus tiré les oreilles…
Intervenir
Manu : Tu ne devrais pas te plaindre, Mariam, franchement.
Mariam : De quoi, je me mêle ? Non, mais… vraiment pour qui il se prend, lui.
Ne pas intervenir
Mariam : Hum… Faut juste que je digère la conversation, je crois.
Figure 2
Crédits : The Seed Crew.
Source : RécovR.
L’implémentation du système de barks dans le jeu a en fait pris de nombreuses formes différentes, que nous ne saurions retracer toutes en détail, mais elle a en particulier affecté les différentes matérialisations visuelles et systémiques. Dans la version du jeu existant en 2022, celles-ci convergent pour tenter de redonner une importance et une valeur aux dialogues fluff [Figure 3]. Un cercle blanc au sol délimite désormais la zone dans laquelle l’échange prend place, l’interface de dialogue apparaît seulement lorsque la caméra atteint un certain point de l’espace (ensuite, elle reste fixe), les noms des PNJ secondaires sont cette fois lisibles et le personnage-joueur n’est plus déplaçable pendant que les barks se déroulent une seule et unique fois, au lieu de « boucler » comme auparavant. Désormais, une fois que la joueuse a lu une réplique, celle-ci n’est plus disponible. L’ensemble de ces traits fait que, dans cette nouvelle itération, lorsque la joueuse décide de prêter attention aux barks, un recentrement s’opère : le dialogue fluff n’est plus relégué à un second plan par rapport à une situation principale de jeu, mais devient la nouvelle situation à prendre en compte. Ces remaniements successifs aboutissent alors à un système de dialogues qui n’apparaît plus vraiment de l’ordre du bark et se négocie à la frontière avec d’autres éléments narratifs. En effet, les lignes de discours sont clairement identifiées et uniques, la joueuse peut consciemment interagir avec elles et, de surcroît, l’écriture des barks pour le module 2 a cherché à accroître la cohérence psychologique des personnages et à consolider des trames narratives.
Figure 3
Crédits : The Seed Crew.
Source : RécovR.
Néanmoins, le lien avec la logique minimale du bark n’est pas rompu, et certaines des solutions expérimentées par la recherche-création tiennent précisément à ce lien : outre l’optionnalité des dialogues et la secondarité liée au traitement visuel (à la différence des scènes d’action verbales qui impliquent directement la joueuse, dans les dialogues fluff les personnages ne disposent pas de portrait en 2D, par exemple), les dialogues fluff ainsi remodelés produisent désormais leurs effets propres parce que, sans être plus tout à fait des barks « mineurs », ils ne sont pas non plus des dialogues « majeurs », mais qu’ils opèrent une dialectique entre ces deux modes : ils exploitent du bark sa dimension ambiantielle particulièrement propice à figurer et à faire expérimenter des environnements collectifs (ici, le lieu de travail) et, en même temps, ils proposent à la joueuse de convertir cette insignifiance environnementale en sujet de réflexion et d’action – autrement dit, de construire en expériences éthiques et critiques ce qui relève d’un ordinaire de la discrimination. Pour RecovR, The Seed Crew en est ainsi venu à explorer un système hybride, qui tient autant des conventions des dialogues interactifs que des barks, et explore les potentialités subversives des marges.
Barks, marges et liberté
Pour penser ce pouvoir critique des barks, la recherche-création peut s’appuyer sur de nombreuses références qui élargissent la focale théorique, tout en témoignant d’un positionnement commun à travers les disciplines et les objets d’étude. En effet, qu’il s’agisse des études postcoloniales chez Homi K. Bhabha47, de la pensée d’un « trouble dans le genre » chez Judith Butler48, des critères d’une « littérature mineure » chez Gilles Deleuze et Félix Guattari49, ou de l’ensemble des travaux hérités des perspectives critiques développées par les cultural studies vis-à-vis des pratiques et des usages culturels, les recherches en sciences humaines et sociales ont continûment réfléchi à la manière dont les espaces liminaux ont le pouvoir de subvertir la norme. Or, pour ce qui est des habitants des mondes fictionnels, c’est aussi en ce sens que Samoyault envisage l’intérêt des personnages secondaires de romans : « le lieu du ban [de la marge] se présente comme un cadre excellent pour la pensée : celui d’où vient la question50 ». C’est ce pouvoir critique et transformateur que les dialogues fluff de RecovR ont voulu exploiter. Pendant la création du jeu, les barks ont été explorés comme un espace de liberté, car il s’est avéré qu’ils permettaient d’évoquer des sujets très, voire trop, compliqués à aborder dans les dialogues principaux, dans le cadre d’un outil de formation : ainsi, par exemple, de la ségrégation des personnes handicapées, une question que le studio a finalement choisi de soulever dans les barks pour sa nature sensible. Le détour par les barks offrait, par ailleurs, un mode de signification parfois plus approprié pour traiter de discriminations qui, dans notre univers de référence, sont, elles aussi, banales, diffuses et quotidiennes. De plus, les barks ont constitué un terrain d’expérimentation fécond : ils ont ainsi été utilisés comme un lieu de test pour certains designs, comme l’introduction de l’aléatoire sur certaines répliques. Mais, au-delà de leurs possibles éthiques et techniques, ce qui s’est dégagé de l’expérience est que les barks sont très aptes à constituer un espace pleinement expressif pour la joueuse, si on reprend les propositions d’Esteban Giner concernant le continuum entre les situations de communication expressives et persuasives dans les jeux vidéo51. La joueuse peut investir ou non cet espace, et ce de plusieurs manières. Elle trouve là une forme de latitude et de liberté pour poser un regard, faire valoir une sensibilité, formuler une position. Redonner de l’importance aux dialogues fluff dans l’expérience de jeu ne s’inscrit pas dans une volonté d’effacer la marge, mais simplement de la rendre plus facile à identifier et à investir puisque, comme le rappelle Bhabha52, les marges ne sont jamais fixes, mais toujours en construction, en négociation. L’équipe de design de RecovR a donc voulu faire de la joueuse une partie prenante de cette négociation, lui donner le pouvoir de remettre au centre les expériences des marges – démarche de désinvisibilisation d’autant plus cruciale lorsqu’on traite de sujets liés à des oppressions.
Conclusion
Au terme de ce parcours analytique et créatif, les petits sons des barks se sont donc avérés beaucoup moins anodins qu’ils n’y paraissent, et leur mode mineur susceptible de déplacements et de manipulations fécondes. Que leur mise en œuvre relève d’une démarche active de conscientisation et d’implication de la joueuse, comme dans la recherche-création menée pour RecovR, ou que, plus simplement, en tant que détails même, leur secondarité engage des enjeux beaucoup plus conséquents de la poétique vidéoludique, les barks travaillent, aux marges, des dynamiques fondatrices du média : scander et sanctionner l’action ludique, projeter un surcroît de monde et repousser les limites de la fiction, saturer l’expérience sensorielle et perceptive, réfléchir les conventions médiatiques, ou encore faire circuler les références communes d’une culture partagée.
Ce que nous apporte le dialogue entre théorie et création, c’est d’abord l’intrication des enjeux : les barks ludiques sont le plus souvent porteurs, même a minima, de miroitements diégétiques, quand l’effet diégétique de ces « petits bruits du monde » est susceptible, par répétition et décontextualisation, d’engager des interprétations métafictionnelles ou, par balisage et articulation, de scander le parcours ludique de la joueuse. Comme l’a montré le travail sur RecovR, ces différentes efficacités du bark sont indissociables et, bien plus, s’influencent mutuellement, susceptibles de jouer en sens commun ou contraire. Dans un jeu de sensibilisation à des problèmes de discrimination, la vraisemblance environnementale des bruits de couloir peut se faire aux dépens des valeurs associées aux objectifs ludiques, mais, en même temps, ce statut diffus et subsidiaire peut octroyer à la joueuse un espace de liberté lui permettant de consentir (ou non) au bark et à son potentiel violent. En travaillant ainsi aux marges des barks, en hybridant ce type de discours à certaines modalités des dialogues in game ou des dialogues de cinématique, la recherche-création sur RecovR démontre en fait que comprendre les barks suppose moins de scruter des petits mots ou des petites phrases que d’évaluer, de manière relationnelle, les dispositifs de leur mise en place qui en façonnent la réception : le bark n’est ludique, diégétique ou méta, comme on l’a proposé, qu’à travers ses modes d’implémentation qui convoquent un panel de matières expressives du jeu vidéo (paramètres visuels, spatiaux, corporels, sonores, cognitifs, etc.) et dessinent un espace de signification possible, jamais certain.
C’est là un autre apport de notre parcours : la valeur des barks dépend de la manière dont ils sont (ou non) repérés, reçus, compris, intégrés à l’expérience de jeu, mais cette variété d’attitudes vis-à-vis du bark ne tient pas essentiellement et uniquement à des différences interindividuelles relevant de la singularité personnelle. Non seulement elles dépendent davantage de profils de joueuses, comme l’ont montré les leçons, sur RecovR, relatives aux parcours novices ou complétionnistes du jeu, mais surtout elles résultent de ce que les dispositifs du bark invitent la joueuse à construire comme préférences, le temps du jeu, plutôt que de préférences préétablies et intrinsèques. Le bark se révèle ainsi, par la dialectique introduite entre marginalité et centralité, secondarité et primauté, mode mineur et mode majeur, un levier intéressant pour construire des postures à la fois ludiques et éthiques, pour poser la question de l’écoute et du regard dans leurs significations politiques. En tous ces sens, le « petit » bark est riche de grands enseignements.