Et il choisit des vierges pour le service de Vesta, sacerdoce d’origine albaine et qui s’apparentait à la famille du fondateur de Rome. Pour permettre à ces officiantes de se consacrer exclusivement au service du temple, il leur octroya une rémunération publique [stipendium de publico] ; par leur virginité et d’autres pratiques pieuses, il les rendit vénérables et sacrées. (Tite Live)1
Au premier livre de son Histoire romaine, Tite-Live présente l’établissement des différents sacerdoces par le roi Numa, dont le très commenté sacerdoce de Vesta. La déesse du feu sacré est en effet servie par six vierges, pour une durée théorique de trente années. Ces prêtresses, dont l’issue pouvait être funeste, ont été largement présentées et mentionnées par les auteurs2. Il s’agit du sacerdoce féminin le plus documenté. Parmi les différentes caractéristiques de cette prêtrise, se distingue le statut juridique de ces femmes. Sorties de la potestas de leur père et exclues de toute tutelle, les jeunes vierges deviennent sui iuris et peuvent gérer comme bon leur semble leurs affaires3. Surtout, celles-ci semblent bénéficier d’une rémunération publique et d’immunités fiscales. Les attestations de tels privilèges sont rares et plusieurs interrogations doivent être soulevées : existe-t-il une cohérence lexicale et sémantique dans le corpus établi ? Quelle est la technicité de vocabulaire des auteurs du corpus ? Une évolution des privilèges financiers est-elle envisageable ?
Pour répondre à ces questions, le corpus établi est composé de sources dites littéraires et épigraphiques. Regrettablement, aucune source juridique n’évoque directement ces privilèges financiers. Les auteurs répertoriés entre les ier et ive siècles sont, chronologiquement, Tite-Live, Tacite, Suétone, Ambroise, Symmaque et Prudence. Quant aux données épigraphiques, il s’agit de tablettes d’immunités de prêtresses ayant vécu entre les ier et iiie siècles.
Lexicalement et sémantiquement, les termes et expressions relevés sont les suivants : stipendium de publico4, immunis5 et immunitas6 ainsi que commoda (avantages)7. Le récolement est pauvre et la lecture ne peut être littérale. Nous reviendrons ainsi sur les deux éléments de ces avantages financiers des vestales : la rémunération publique (I) et l’immunité fiscale (II).
I. Le stipendium de publico
Deux auteurs, séparés de quatre siècles, usent du terme stipendium concernant une rente ou rémunération publique versée aux Vestales. Au ier siècle, Tite-Live l’utilise dans sa narration de la création des prêtresses vierges par le roi Numa : His ut adsiduae templi antistites essent stipendium de publico statuit, « Pour permettre à ces officiantes de se consacrer exclusivement au service du temple, il leur octroya une rémunération publique » ; au ive siècle, Symmaque, grand défenseur de la religion traditionnelle romaine, l’évoque dans sa lettre adressée à l’empereur Valentinien II : Quanto commodo sacri aerarii vestri Vestalium virginum praerogativa detracta est ? Sub largissimis imperatoribus denegatur, quod parcissimi praestiterunt ? Honor solus est in illo velut stipendio castitatis, « Quel avantage Votre Trésor a-t-il retiré du retrait de leurs privilèges aux vierges de Vesta ? Sous les plus généreux des Empereurs refuserait-on ce qu’accordèrent les plus parcimonieux ? L’honneur seulement compte dans ce qui apparait comme le salaire de la chasteté »8.
Une telle utilisation surprend, eu égard à la différence de temps et de genre de ces deux textes et, impose de revenir au sens premier du vocable. Stipendium, construit sur stips, la pièce de monnaie9, présente deux sens, la solde versée annuellement ou du moins régulièrement aux soldats10 ainsi que le tribut ou l’impôt11. Ces sens semblent dater de l’époque républicaine voire impériale. Pour Jérôme France, à l’époque impériale, stipendium désignerait surtout la solde, « le produit d’un revenu ou d’un salaire », comme cela est relevé chez Tacite12. Il s’agirait de son sens originel et cela expliquerait que, sous le principat d’Auguste, fut réalisée une révision du vocabulaire de l’impôt provincial avec l’utilisation du terme tributum. Cette notion de « solde » est également relevée chez Tite-Live13. Selon l’auteur, elle était versée aux soldats lors de la dernière guerre contre Véies en 406 av. J. C. Précédemment à cet évènement, la solde était occasionnelle et obtenue « en puisant » dans d’autres ressources telles que le butin de guerre14. Cristina Soraci relève ici l’incohérence d’une telle signification avec la circulation plus tardive des pièces de monnaie. Différentes hypothèses furent dès lors envisagées par la Romanistique : l’introduction de la notion de stipendium militaire aurait été plus tardive ; stipendium aurait eu à l’origine un sens autre et se référerait à la nourriture, i.e. la solde aurait été payée en nature ; ou il s’agirait d’un paiement en paléomonnaie (aes rude ou aes signatum)15. Pour Cristina Soraci, qui rejoint Hubert Zenhacker, la récompense versée en 406 av. J. C. aux soldats n’aurait été officiellement appelée stipendium que bien plus tardivement, à la fin du ive siècle av. J. C. Il s’agirait dès lors d’un « anachronisme linguistique » utilisé pour désigner la « récompense institutionnalisée »16.
Ces éléments apportent un éclairage à cet usage quasi unique de stipendium pour désigner une rémunération des Vestales. Le vocable possède deux sens et renvoie soit à la « militarité » soit à la fiscalité. Toni Ñaco del Hoyo n’aborde d’ailleurs pas l’utilisation livienne dans son ouvrage de 200317. Trois hypothèses peuvent être envisagées pour expliquer un tel usage de stipendium. La première est le renvoi au sens premier de stips, l’offrande ou obole, un sens religieux pourrait alors être supposé. La deuxième est la présence, également dans ce texte, d’un anachronisme linguistique inséré dans une narration de la création légendaire de la prêtrise par le deuxième roi de Rome18. La troisième hypothèse, qui rejoint quelque peu la deuxième, est l’utilisation d’un terme inadéquat en l’absence d’autre terme technique. Cette dernière hypothèse rejoindrait l’exposé de Nina Mekacher. Selon l’historienne, plusieurs auteurs évoquent cette rémunération publique comme Suétone (Aug., 31.3), usant du terme commoda, et Tacite (Ann., 4.16.4) n’utilisant aucun terme technique19. Ce dernier décrit même le versement de deux millions de sesterces à la Vestale Cornelia20 en 23 ap. J. C. lors de son entrée dans le sacerdoce :
Puis, afin de relever la dignité des prêtres et de stimuler leur zèle à assurer le service du culte, on attribua à la Vestale Cornelia, prise pour remplacer Scantia, deux millions de sesterces, et on décida que, chaque fois qu’Augusta entrerait au théâtre, elle prendrait place au milieu des Vestales21.
Cette somme, rapportée car particulièrement élevée, représentant le double du cens sénatorial, est à rattacher pour Nina Mekacher à la rémunération évoquée par Tite-Live. Selon l’historienne, le montant de cette rémunération aurait été redéterminé à plusieurs reprises dans l’histoire de Rome et une augmentation aurait même déjà été envisagée par l’empereur Auguste22. Cette lecture, également formulée par Hubert Zehnacker, engendre deux conséquences : aucun terme technique n’existe ou du moins n’est rapporté concernant cette rémunération et, surtout, cette dernière ne serait octroyée qu’en un seul versement, lors de la captio de la prêtresse. Le stipendium de la Vestale ne serait donc en aucun cas une rente ni un salaire mais un capital. Hubert Zehnacker rattache d’ailleurs ce versement à un acte honorifique et à la garantie d’un statut social voire même civique23. Il écarte ainsi le versement d’une somme destinée « à assurer leur vie quotidienne », alors que Nina Mekacher envisage une utilisation à la fois personnelle et cultuelle de ce capital24.
L’octroi de ce stipendium s’explique donc par le prestige particulièrement élevé du sacerdoce de Vesta et l’absence de finances personnelles des jeunes vierges lors de leur captio par le grand pontife25. Ce patrimoine constitue une des quatre sources de revenu définies par Nina Mekacher, les trois autres étant les legs et donations, les biens fonciers transférés par Rome et certaines amendes pour profanation de tombes26.
Au privilège sacerdotal du stipendium s’adjoignent les immunitates.
II. L’immunitas
L’immunitas des Vestales est connue par différentes sources, littéraires et épigraphiques. En premier lieu, Suétone, Symmaque et Ambroise évoquent cette immunité. Si Suétone la mentionne de manière indirecte, écrivant qu’Auguste « accrut le nombre, le prestige, mais aussi les prérogatives [commoda] des prêtres, particulièrement des Vestales »27, Symmaque et Ambroise, dans leurs lettres adressées à l’empereur Valentinien II en 384, s’expriment avec bien plus d’ardeur28. En réaction à la suppression des privilèges des sacerdotes de la religion traditionnelle romaine, le préfet de Rome énonce ainsi :
Quel avantage Votre Trésor a-t-il retiré du retrait de leurs privilèges [praerogativa] aux vierges de Vesta ? Sous les plus généreux des Empereurs refuserait-on ce qu’accordèrent les plus parcimonieux ? L’honneur seulement compte dans ce qui apparait comme le salaire de la chasteté [stipendium castitatis] : autant les bandelettes font l’ornement de leurs têtes, autant l’exemption de charges [vacare muneribus] est jugée la marque distinctive du sacerdoce. Elles ne réclament qu’une immunité [immunitas] purement verbale, parce que leur pauvreté les protège de tout débours. C’est pourquoi qui leur ôte quelque chose assure un complément à leur gloire, s’il est vrai qu’une virginité vouée au salut public croît en mérite, quand elle est privée d’avantages [praemium]29.
L’évêque de Milan répliqua aussitôt :
[…] « Rendez, dit Symmaque, leurs immunités [immunitas] aux Vestales. » Voilà bien le langage de gens incapables de croire qu’il puisse y avoir une virginité gratuite, et qui, se défiant de la vertu, suscitent des vocations par l’appât du gain. Et pourtant combien de vierges leur ont amené les avantages promis ? C’est à peine sept jeunes filles que l’on prend pour Vestales. Voilà tout le nombre qu’ont attiré les bandelettes qui ornent leur tête, leurs robes de pourpre, leur litière entourée d’un cortège de serviteurs, leurs privilèges immenses [privilegia maxima], leurs gains énormes [lucra ingentia] et enfin le terme assigné à leur chasteté30.
Tout comme le capital versé aux Vestales, leur immunitas est au cœur des débats religieux à la fin du ive siècle. Celle-ci concerne particulièrement une exemption fiscale.
Immunitas, construit sur immunis (im-munus), désigne d’abord une exemption de charges ou de devoirs (munera), puis une exemption d’impôts31. Cette immunité, octroyée en raison de l’importance du sacerdoce de Vesta, se manifeste en pratique dans certains échanges commerciaux ou déplacements. En effet, cinq tablettes de bronze dites tabellae immunitatis sont connues, datées entre les ier et iiie siècles ap. J. C. Ces tablettes rectangulaires, dont la taille varie entre dix et quinze centimètres de longueur et cinq à dix centimètres de hauteur, étaient percées de deux trous et s’attachaient probablement aux harnais des chevaux des attelages des prêtresses. Ces tablettes mentionnent généralement le nom de la Vestale, son titre sacerdotal et l’emploi, l’immunitas, et parfois même la destination – in iugo (sur le joug, l’attelage) ou in naucella (sur le navire)32. Et, considérant les grandes similitudes entre les différentes plaques connues, Gabriella Gasperetti envisage une production en série de ces tabellae, en plusieurs exemplaires pour les Vestales, dédiées à un usage quotidien33.
La tablette la plus ancienne de ce corpus est celle de Calpurnia Praetexta, grande Vestale de la fin du ier siècle voire du début du iie siècle de notre ère34 : Calpurniae | Praetextat(ae) | V̅(irginis) V̅(estalis) | maxim[ae] | immuni[is], « À Calpurnia Praetextata, grande Vierge Vestale, exempte ». La tabella ne précise pas la destination mais elle devait être utilisée pour les attelages, comme c’est le cas de la plupart des tablettes35.
La destination est cependant clairement signifiée pour trois des tablettes, qui appartenaient à la grande Vestale du milieu du iiie siècle, Flavia Publicia36. Les deux premières, identiques, étaient destinées à un harnais équin en raison de la mention in iugo : Flaviae | Publiciae | V̅(irginis) V̅(estalis) | maximae | inmunis | in iugo, « À Flavia Publicia, grande Vierge Vestale, exempte (de taxes) sur l’attelage37 » ; la troisième avait pour destination un navire de la prêtresse : Flaviae | Publiciae | V̅(irginis) V̅(estalis) | maximae | immunis | in naucella marina cunbus Portensis | parasemo(n) Porphyris, Eudromus, « Le navire du Port avec l’enseigne Porphyris appartient à Flavia Publicia, grande Vestale, exempte (de taxes) pour son bateau de mer. Eudromus (esclave) »38. La cinquième tablette de notre corpus concerne une Vestale du iie siècle, Sossia Maxima39 : Sossiae Maximae | V̅(irginis) V̅(estalis)40. Si cette tabella ne précise pas son emploi, la forme de la tablette et la mention du nom et du statut de la Vestale font bien référence à une immunitas. Il convient d’ajouter que certains auteurs évoquent un sixième document, une médaille à l’effigie de la Vestale Bellicia Modesta41 présentant la courte inscription Belliciae Modeste | V(irginis) V(estalis)42. Nina Mekacher, comme d’autres, est d’avis d’exclure cette pièce qui semble surtout avoir un but décoratif43.
Ces différentes tablettes sont des documents particulièrement riches, en particulier les tablettes de Flavia Publicia44 de par leurs mentions in iugo et in naucella marina cunbus Portensis. Tout d’abord, les tabellae CIL VI, 2147 et Gleusa p. 149 désignent deux immunitates in iugo. L’expression in iugo a présenté des difficultés d’interprétation à la Romanistique mais la majorité des auteurs a établi que celle-ci renvoyait au joug et à l’attelage des animaux de trait45. Cette exemption concernait alors la collatio equorum qui permettait au pouvoir romain de réquisitionner des chevaux. Les Vestales possédaient ou du moins avaient accès à diverses montures afin de pouvoir se déplacer sans contrainte, y compris dans Rome, et même les jours de fête, et cet accès ne devait pas être entravé46. Les tablettes étaient ainsi soit accrochées aux montures ou à la voiture soit clouées sur la porte des écuries47. Gabriella Gasperetti cite d’ailleurs un extrait des travaux de Rodolfo Lanciani, archéologue italien de la fin du xixe et du début du xxe siècle, qui affirme que les tabellae immunitatis de Calpurnia Praetexta, Flavia Publicia et Sossia Maxima ont été découvertes dans une ferme pour la première – un ager Tusculanum selon la notice du CIL – et dans les écuries de Flavia Publicia pour les deux autres48. Cependant, d’autres auteurs, comme Marc Mayer i Olivé, envisagent une lecture plus large de l’expression in iugo qui ferait référence au transport par voie terrestre ou maritime ou même renverrait à une immunité fiscale globale49. Ces tablettes étaient, en tout état de cause, accrochées ou exposées au-devant de la monture ou moyen de transport pour signifier l’exemption et faciliter la circulation.
La troisième tabella de Flavia Publicia fut découverte lors des travaux du port de Porto Torres (Sardaigne) en 2007. La plaque, de la forme d’une tabula ansata, présente, au centre, le portrait en relief d’une femme tournée vers la droite et coiffée d’un voile50. L’immunité concerne explicitement les activités maritimes et/ou portuaires, notamment le paiement des portoria, droits de péage d’un port, et la taxation des cargaisons de marchandises51. L’inscription est particulièrement significative par sa grande précision : in naucella marina cunbus Portensis parasemon Porphyris, Eudromus, « Sur le navire du Port avec l’enseigne Porphyris pour son bateau de mer. Eudromus ». La Romanistique a longuement étudié et commenté cette inscription déterminant les éléments suivants : le port (port(u)ensis) désigné dans l’inscription serait le port de Rome (Ostie) et Eudromus devait être l’esclave rattaché au navire, peut-être son pilote, magister ou gubernator52. Aussi, il est établi que le cunbus, dont le nom latin est issu du grec κύμβος, désigne un navire aux « fonctions variables », « utilisé pour la pêche, pour le chargement du sable, comme une chaloupe, pour la navigation dans les eaux intérieures et dans les ports ». Il s’agit ainsi d’une « embarcation de port », comme l’expose Gabriella Gasperetti. Ce cunbus accompagnait la naucella ou navicula, diminutif de navis, pouvant désigner à la fois un navire de mer et un fluminalis, un navire plus petit mais rapide. La naucella était donc principalement utilisée pour la petite navigation, tout en étant aussi usée pour des déplacements plus longs. Plus encore, selon la même autrice, le nom de l’esclave serait indiqué, en plus de sa qualité de pilote, pour notifier une exemption d’impôt sur celui-ci, qu’il exerçât ou non une activité économique53.
Cette tablette unica engage également l’historien à comprendre son utilisation par la Vestale. Pourquoi la Virgo Vestalis possédait-elle une telle immunitas ? Que faisait-elle avec ce navire ? Était-ce habituel auprès des sacerdotes de Vesta ? Selon Rosanna Ortu, le navire de la prêtresse transportait très possiblement des céréales, Flavia Publicia ayant vécu et officié au cours de la Saecularis Aetas organisée par Philippe l’Arabe où d’importantes distributions de céréales (congiaria) avaient été réalisées. Les Vestales avaient ainsi peut-être pris part à ces grandes distributions et les navires au service de l’annone auraient été dès lors exemptés de tout impôt. L’autrice envisage alors une immunité personnelle, voire même exceptionnelle. R. Ortu propose également une cause religieuse, l’achat de blé pour la réalisation des rites. Par ailleurs, le navire pouvait aussi transporter du sel des salines de la Nurra qui était destiné tant à la conservation des viandes et aliments qu’à une utilisation cultuelle54. Pour sa part, Piero Gianfrotta interroge la présence de cette tabella dans le port de Turris Libisonis, loin de Rome. La Vestale faisait-elle transporter des fournitures – un approvisionnement en céréales par exemple – depuis la Sardaigne, ou cette tablette a-t-elle été déplacée et utilisée en remplissage en vue de la construction de la jetée du port comme l’envisage aussi Gabriella Gasperetti55 ? D’autre part, Marc Mayer i Olivé envisage diverses causes dont un déplacement de la Vestale en Sardaigne pour des raisons personnelles. En effet, l’auteur relève la présence sur l’île, au milieu du iiie siècle, de L. Flavius Honoratus, procurator et praefectus provinciae Sardiniae, qui pourrait être le frère de Flavia Publicia56.
Plus encore, cette tablette semble montrer une Vestale à la tête d’un negotium qui posséderait alors la qualité de domina navium, voire même de navis exercitor, comme l’expose Rosanna Ortu. Flavia Publicia était en effet la propriétaire du navire et de l’esclave Eudromus57. À l’époque impériale, les femmes romaines peuvent être « cheffes d’entreprises ». Plusieurs cas sont relevés, comme le rapporte Rosanna Ortu, à l’instar de Flavia Seia Isaurica, à la tête d’une production de briques (figlinae) et propriétaire de gisements d’argile, ou encore la Vestale Aurelia Severa qui dirigeait une entreprise de production de canalisations (fistulae aquarie)58. Est également connue Memmia Sosandris, femme clarissime, à la tête d’une exploitation d’une mine de fer en Gaule lyonnaise59. Les femmes possèdent à cette époque une capacité juridique – même si partielle. La loi Claudia a supprimé la tutelle des agnats en octroyant à toutes les femmes le ius trium liberorum60. La Romaine ne doit alors recevoir l’auctoritas d’un tutor que pour les actes entraînant une diminution de son patrimoine. Pour le reste, la femme peut agir librement et en particulier, elle peut choisir son tuteur61. Sont ainsi attestées des femmes maîtres d’affaires, préposées au commerce romain62. En ce qui concerne les Vestales, nous savons que celles-ci étaient capables et détenaient divers biens tels que des esclaves et des immeubles63. Ceux-ci avaient pu être notamment acquis grâce au capital octroyé lors de l’entrée dans le sacerdoce. Rosanna Ortu conclut dès lors que Flavia Publicia gérait une activité commerciale en tant que domina navium et se demande, par conséquent, si son immunité provenait de son statut de Vestale ou bien si elle était liée à une activité annonaire qui pouvait octroyer un tel privilège64. Il convient cependant de prendre en considération les limitations et interdits commerciaux vis-à-vis des élites romaines65. Une Vestale n’aurait jamais pu se livrer à n’importe quelle activité. Les raisons de la présence de Flavia Publicia en Sardaigne, si elle s’y est déplacée et était propriétaire d’un tel navire, devaient être très certainement nobles : religieuses, familiales ou évergétiques voire honorifiques.
Les finances des Vestales comportent donc deux privilèges notables et qui leur sont, dans l’ensemble, propres : le versement d’un capital lors de l’entrée dans le sacerdoce, que Tite-Live qualifie de stipendium, et l’octroi d’immunitates, exemptions de taxes. Ces privilèges, peu attestés dans les sources, semblent établis à l’époque républicaine et perdurer à l’époque impériale, malgré une absence nette de cohérence lexicale et de technicité linguistique. Même, si l’immunité des prêtresses semble majoritairement concerner leur déplacement dans la ville de Rome ou encore possiblement la collatio equorum, une exemption fut également décelée vis-à-vis de la navigation maritime ou portuaire. La tabella de Porto Torres permet à l’historiographie d’appréhender plus encore le statut presque énigmatique de ces prêtresses vierges, sorties de leur familia, entièrement dévouées à Vesta et pleinement actives et actrices dans la Cité. Les Vestales n’étaient en effet en aucun cas réduites à une vie uniquement religieuse. Par ailleurs, ces deux privilèges, assurant une capacité financière des Vestales, ont permis de projeter une capacité financière des femmes romaines.