Ce premier numéro de revue participe d’un projet éditorial collectif, intitulé Partages, que nous souhaitons voir se poursuivre et évoluer dans les années à venir. Il nous semble essentiel, pour permettre aux lecteurs et lectrices de bien cerner les intentions de notre comité de rédaction, de définir la ligne de Partages, sa ou ses vocation(s) future(s), et sa place dans le champ éditorial, déjà riche, de la didactique du français. Il s’agit donc d’expliciter notre démarche, en posant la genèse et les fondements de cette initiative collective, mais aussi de définir les contours de ce nouvel espace éditorial, en tâchant de nous positionner par rapport aux revues d’interface(s), de recherches et de pédagogie qui en ont inspiré les principes. Enfin, nous tenterons de livrer, en toute sincérité, l’état de nos réflexions, ou plutôt de nos questionnements, quant aux perspectives d’évolution de la revue pour de prochains numéros.
1. Genèse du projet
Avant de devenir une revue de pédagogie, Partages a d’abord été un projet personnel puis collectif, qui est le fruit de rencontres. Il me paraît donc difficile d’expliquer ce projet sans évoquer ma trajectoire professionnelle, mais aussi les identités des membres de l’équipe qui collaborent à cette revue, car ce sont nos expériences partagées qui en fondent les principes.
1.1. De la construction de mon identité professionnelle à la volonté de fonder un projet éditorial collectif et collaboratif
L’idée de créer une revue de didactique du français prioritairement dédiée aux recherches collaboratives s’est nourrie de lectures sur l’intérêt des recherches collaboratives, en didactique des langues notamment (Kervyn, 2020 ; Lebreton et Lorilleux, 2020) et en sciences de l’éducation (Vinatier et Morrissette, 2015). Mais elle est aussi — et d’abord — le fruit de différentes expériences professionnelles. Parmi ces expériences, qui m’ont amenée à m’intéresser à la recherche collaborative dans une perspective d’écriture et de publication, j’en citerai trois qui ont également été des espaces de rencontres à l’origine de la composition actuelle des différents comités de la revue.
1.1.1. M’initier au métier d’enseignant-chercheur dans un contexte de recherche(s) voulue(s) collaborative(s) : une expérience fondatrice
De 2016 à 2019, j’ai effectué une thèse dans le cadre de l’Institut Carnot de l’Éducation (ICE). Ce dispositif visait à fédérer des recherches en éducation ayant comme vecteurs communs de s’intéresser aux inégalités scolaires et de regrouper des projets de recherche et des projets dits d’« action éducative », dans une démarche d’échanges entre une équipe de chercheurs et une équipe de personnels de l’éducation. Cette première expérience s’avère fondatrice, car elle a été l’occasion de développer des collaborations avec des enseignants-chercheurs du LIDILEM et hors LIDILEM investis dans des recherches en relation avec le terrain : Catherine Frier, Françoise Boch, Thierry Soubrié, Jean‑Charles Chabanne et Marie‑Laure Elalouf, qui sont actuellement membres des comités de Partages.
La fréquentation d’espaces de rencontres plus ou moins formels m’a également permis d’échanger avec d’autres doctorants confrontés à des questions méthodologiques relatives aux recherches collaboratives. C’est le cas notamment de : Anne Vadcar, Marianne Tiré ou Dorothée Sales-Hitier qui contribuent au comité scientifique de la revue.
De cette première expérience, je retiens donc des rencontres fondamentales pour la construction de mon identité professionnelle, mais aussi, et surtout, des questionnements qui ont nourri le projet Partages dans deux directions distinctes : les enjeux et difficultés des recherches collaboratives et la formation des doctorants à ces pratiques de recherche.
1.1.2. Réfléchir aux formats de publication au sein d’une équipe pluri-catégorielle : l’expérience d’une « action » transversale
En 2019, j’ai rejoint une équipe pluri-catégorielle de recherche, qui fonde l’action transversale « Pédagogies engageantes en littéracie » du LDILEM. Cette équipe, dont plusieurs membres participent au comité éditorial de Partages, s’est très vite interrogée sur l’écart existant entre le statut officiel de ces membres : enseignants, formateurs, chercheurs, etc. — la plupart ayant d’ailleurs plusieurs casquettes — et les rôles assumés et revendiqués par chacun, qui étaient, en revanche, assez similaires. En effet, depuis nos différents ancrages « institutionnels », nous avions, finalement, tous le sentiment d’être des praticiens réflexifs de la didactique, engagés dans un travail de formation et de recherche difficilement dissociables l’un de l’autre. En somme, des « praticiens-chercheurs » (Albarello, 2004).
Les séminaires conduits au sein de l’équipe nous ont également amenés à nous interroger sur des formats de communication adéquats et efficients. L’organisation collective d’un colloque à l’Acfas et la publication d’un numéro de revue d’interface dans Le français aujourd’hui ont généré de nouvelles réflexions quant aux formats de publication les plus à même de valoriser les travaux de cette équipe, en tenant compte de sa diversité et de la posture qu’elle revendique. De cette seconde expérience, j’ai gardé l’attachement à une équipe pluri-catégorielle qui ne se définit pas tant par les statuts de ses membres que par un sens commun donné à notre travail, ainsi qu’une réflexion sur la souplesse des formats à publier pour valoriser au mieux un travail collaboratif, mais aussi pour permettre à cette collaboration d’advenir dans et par la publication elle‑même.
1.1.3. Intégrer un séminaire sur les recherches collaboratives en sciences de l’éducation : l’occasion de s’intéresser aux écrits « méta » de la recherche
Pendant l’année universitaire 2020‑2021, j’ai été membre associée du laboratoire EMA1. Dans le cadre de ce rattachement provisoire à un laboratoire de sciences de l’éducation adossé à l’INSPÉ, j’ai eu l’opportunité de rejoindre une équipe de séminaire réflexif sur les « nouvelles recherches collaboratives en sciences de l’éducation ». Cette expérience, au‑delà des rencontres qu’elle a générées et qui alimentent, elles aussi, la composition des comités de Partages — citons, par exemple, Véronique Bourhis, qui est membre du comité de rédaction — a été l’occasion :
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d’élargir ma connaissance de la diversité des méthodologies collaboratives existantes ;
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de découvrir un réseau international s’intéressant aux recherches avec les acteurs de l’éducation, plutôt que sur eux ;
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d’intégrer une équipe qui propose, par le biais de récits d’expériences réflexifs, un métadiscours sur les recherches collaboratives en mettant particulièrement la focale, par notre double identité de formateurs INSPÉ et d’enseignants-chercheurs, sur les relations entre recherche et formation dans ces dispositifs de recherche.
De cette troisième expérience, j’ai donc retenu, pour le projet Partages :
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une attention particulière à la réalité protéiforme des recherches collaboratives ;
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la possibilité de déployer un métadiscours qui interroge ces recherches dans leurs dimensions problématiques, notamment les rôles de chacun (Beauchesne et al., 2006 ; Monceau et Soulière, 2017) et les relations qui se jouent, ainsi qu’un intérêt particulier pour les effets formateurs de ces recherches sur les différents acteurs impliqués (y compris du côté de la recherche) (Macaire, 2020).
Bien sûr, depuis ces trois expériences qui m’ont conduite à m’intéresser aux recherches collaboratives en 2021, plusieurs rencontres, notamment dans mon travail avec Aurore Promonet et Fabienne Rondelli, également membres de notre comité de rédaction, sont venues renforcer et surtout réorienter le projet. Le récit livré ici n’est ni complet ni impartial, mais je souhaitais, en explicitant ces trois étapes de mon parcours de jeune chercheuse, rendre compte d’éléments de trajectoires qui ont permis la convergence d’un certain nombre de constats partagés par les membres fondateurs de la revue Partages. Je souhaitais également, à travers cette liste non exhaustive de rencontres fondatrices, souligner que ce projet consiste également à tirer parti de ces formidables expériences vécues au fil des postes pour fédérer, autour d’une conception commune, des professionnels dont les idées et les pratiques ont participé de la construction, toujours en cours, de mon identité professionnelle.
1.2. Une équipe fédérée par des engagements communs
1.2.1. Des constats communs issus d’expériences différentes
Le comité de rédaction de la revue Partages rassemble des individus de champs disciplinaires différents et ayant, au cours de leurs parcours d’enseignants, de chercheurs, de didacticiens, de formateurs — ces différents statuts ne s’excluant pas mutuellement — pu dresser un certain nombre de constats communs. D’abord, en ce qui concerne les recherches collaboratives :
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Les recherches collaboratives sont très présentes dans les champs de l’éducation et de la didactique du français (Bon et Chartier, 2019 ; Carignan et al., 2016).
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Ces recherches sont de nature protéiforme et leur(s) définition(s) et contours fluctuent d’un auteur ou d’un champ à l’autre, notamment quant au degré de « collaboration » nécessaire pour que la recherche soit considérée comme « collaborative » plutôt que « participative » (Coenen, 2001 ; Desgagné, 2007 ; Robbes, 2020) ou « collective » (Dias-Chiaruttini et al., 2022 ; Perrichon, 2022).
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Les enjeux méthodologiques, éthiques et épistémologiques que ces pratiques de recherche soulèvent font l’objet d’une réflexion importante, sous la forme de publications, à l’étranger (au Québec et au Brésil), mais se manifestent plus rarement dans le champ éditorial français (Fontaine, 2016).
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Les acteurs investis dans des recherches collaboratives rencontrent parfois des difficultés à valoriser leur travail.
En effet, la focale mise sur le choix de la recherche collaborative au sein de la revue Partages repose sur un paradoxe constaté entre une pratique foisonnante des recherches collaboratives dans notre domaine de recherche et une visibilité plus restreinte. Nos expériences respectives nous ont amenés à formuler quelques hypothèses explicatives à ce phénomène, qui motivent en grande partie le désir de créer un espace éditorial privilégié :
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Une partie des revues de didactique du français favorisent, dans leur grille d’évaluation, des méthodologies peu compatibles avec les recherches collaboratives, notamment parce que la collaboration en recherche amène souvent à produire des résultats qui ne visent pas systématiquement la généralisation. Ces recherches mettent également en œuvre des collectes et des traitements de données qui sont le fruit de négociations entre acteurs. Ces négociations sont parfois peu compatibles avec les critères érigés par certains comités de lecture comme modèles de « rigueur » méthodologique (Bourgeois, 2016).
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La distinction entre revue de recherche et revue d’interface conduit parfois à séparer les publics (que ce soit en tant qu’auteurs ou en tant que lecteurs). En outre, les livrables des recherches collaboratives, quand ils sont publiés, le sont souvent séparément, selon des objectifs de communication distincts selon qu’il s’agisse d’essaimage de pratiques ou de valorisation de la recherche.
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Les formats d’écriture, souvent très académiques, proposés dans les revues scientifiques, ne sont pas nécessairement adaptés aux auteurs non chercheurs, et encore moins à la coécriture et à la cosignature qui sont parfois problématiques, même dans des revues d’interface.
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Les processus d’évaluation anonymes en double aveugle donnent parfois lieu à des commentaires et remarques difficilement reçus et intégrés par des auteurs moins acculturés que d’autres à l’écriture académique et à ses modes d’évaluation.
1.2.2. Des principes et des postures partagés
Partages n’est pas seulement un espace visant à valoriser les recherches collaboratives ou à déployer une métaréflexion sur ces recherches. C’est également un espace de dialogue et de partage entre différents acteurs de la didactique du français, réunis autour de quelques principes :
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une vision large de la didactique du français (de la maternelle à l’université, du FLM au FLE) ;
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une relation forte entre recherche et formation, sans prévalence de l’une sur l’autre (en lien avec les missions de l’INSPÉ dont a formation des enseignants et des chercheurs) ;
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une volonté de créer un espace où le dialogue et l’altérité favorisent la réflexivité et l’émancipation (Broussal, 2015, 2019) pour les chercheurs comme pour les acteurs de l’enseignement et de la formation ;
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un ancrage de la didactique dans les réalités de la classe et de la formation (Reuter, 2022) ;
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une conception particulière de la relation en recherche (qui doit se faire avec et pour les acteurs, et non sur eux, qu’il s’agisse d’enseignants, d’étudiants ou d’élèves) ;
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une conception singulière de la relation dans la recherche qui justifie la mise en place d’une politique éditoriale différente.
2. Lignes de partage : distinguer notre revue dans le champ éditorial de la didactique du français
2.1. Une revue qui interroge les écritures « frontières » et les revues d’interface
La revue Partages entretient, par sa vocation de mise en relation de la recherche avec la formation, un lien évident avec des revues d’interface à l’objectif affiché de formation, comme les revues Enjeux (en sciences de l’éducation) ou Le français dans le monde et Le français aujourd’hui. Néanmoins, Partages se distingue de ces revues d’interface qui sont majoritairement lues par des enseignants et produites par des chercheurs en accordant une place plus importante aux écrits de professionnels de l’éducation et, surtout, aux coécritures.
Partages, dans cette volonté de créer un véritable support de publications « hybrides », se rapproche également d’autres revues d’interface, très connues en sciences de l’éducation, telles que Diversité ou La Revue hybride de l’éducation. Ces deux revues proposent en effet un dialogue — par des formats assez originaux qui se distinguent à la fois des écrits académiques au sens strict et des écrits professionnels —, entre les écrits d’enseignants et ceux de chercheurs, mais ne sont pas spécialisées en didactique du français.
2.2. Une revue de didactique du français qui se distingue par sa politique éditoriale
Partages a, dans ses principes fondateurs, quelques points communs avec des revues de recherche en linguistique et didactique ou en littérature, linguistique et didactique telles que Lidil ou Pratiques, notamment par sa conception élargie du champ de la didactique du français. Néanmoins, contrairement à ces deux supports, notre revue se consacre exclusivement à la didactique vue à la fois comme « mise en interaction de diverses disciplines » — plutôt qu’en tant que partie de « disciplines mères » (Reuter, 2022, p. 32) — et comme ayant un « horizon praxéologique » (Reuter, 2022, p. 33).
Toujours dans la catégorie des revues de recherche, Partages pourrait davantage se rapprocher de la revue Repères ou, dans la catégorie des revues d’interface en didactique du français, de la revue Recherches. Elle se distingue néanmoins de ces deux publications d’une part en termes de champ disciplinaire (par son intérêt pour tous les publics d’apprenants, au‑delà de la dichotomie entre français langue maternelle et français langue étrangère) et d’autre part en termes de politique scientifique (par ses processus d’évaluation et d’accompagnement à l’écriture). En effet, Partages procède à une première évaluation des propositions en double aveugle (comme Repères et la majorité des revues de recherche en didactique du français) et comporte, à ce titre, un comité scientifique ainsi qu’un comité de lecture propre à chaque numéro, avant de mettre en œuvre un accompagnement à l’écriture (qu’on trouve parfois dans des revues d’interface comme Les Cahiers pédagogiques ou Recherches) qui s’inspire, dans ces modalités, directement du processus de la revue de recherche en didactique de la grammaire, Scolagram. Il s’agit donc d’une combinaison inédite entre processus d’évaluation et d’accompagnement, pratiqués séparément par des revues de recherche et/ou d’interface distinctes.
2.3. Partages, une revue internationale et indépendante sur le plan institutionnel
Si le positionnement de notre revue, à la frontière entre recherche et formation, en lien fort avec l’INSPÉ, nous rapproche sans aucun doute de la toute récente revue Reliance, Partages se distingue par la dimension internationale de son comité ainsi que par son détachement institutionnel vis‑à‑vis de l’INSPÉ de Lorraine qui soutient néanmoins le projet.
2.4. Une revue « originale » ?
Ainsi, nous ne prétendons pas que Partages constitue une invention, ni même une innovation, par rapport aux revues d’interface, de pédagogie ou de recherche qui constituent le champ éditorial actuel de la didactique du français et dont nous n’avons cité ici que quelques éléments cardinaux. Au contraire, il s’agit d’une publication qui puise son originalité dans une combinaison de différents éléments explorés par d’autres revues, dont nous nous nourrissons en tant que lecteurs, auteurs ou même, parfois, membres de différents comités. Il s’agit pour nous de tisser de manière cohérente des éléments qui nous ont paru efficients compte tenu des besoins auxquels nous espérons répondre en termes de formation, de diffusion de la recherche et des pratiques, et de co‑construction d’une pratique réflexive de didactique du français dans les prochains numéros de notre revue.
3. Vocations et perspectives d’évolution
3.1. Des recherches collaboratives à la notion de collaboration en recherche
Si Partages est d’abord née de besoins constatés dans nos expériences, aussi diverses soient-elles, de recherche(s) collaborative(s), besoins qui nous ont amenés à placer, au cœur de chaque numéro, une rubrique consacrée aux réflexions méthodologiques et éthiques issues de ces recherches, la revue a néanmoins vocation à accueillir des travaux qui ne relèvent pas toujours de méthodologies étiquetées comme collaboratives. Nous avons à cœur d’offrir, par cette revue, un espace de coécriture entre différents acteurs de différents statuts, ainsi qu’un accompagnement à l’écriture qui interroge, sans doute à un autre niveau, la collaboration en recherche, ses modalités et ses enjeux (Dias-Chiaruttini et al., 2022).
Nous souhaitons également, dans une démarche de « slow science », mettre à l’honneur les chantiers de recherche et ferons donc une place de choix aux questions non tranchées, qu’elles émanent de chercheurs plus ou moins jeunes, d’étudiants, ou d’acteurs de l’éducation et de la formation.
3.2. Un espace de médiation à inventer
Si Partages s’inscrit dans la catégorie des revues de pédagogie, c’est avant tout parce qu’elle a pour ambition, au‑delà de son intérêt pour les recherches collaboratives, de faire œuvre de médiation, et donc de proposer à ses lecteurs comme à ses auteurs des formats propices à ce que le numéro 63 de la revue Repères nomme « discours de vulgarisation dans la culture professionnelle des enseignants » (Plane et Rinck, 2021) et, ajouterions‑nous, dans celle des formateurs et des chercheurs.
3.3. Le champ des possibles
À l’image des travaux que nous espérons diffuser dans nos numéros, notre revue est elle‑même un espace de recherche et de formation en et par la collaboration. Elle est appelée à évoluer, dans ses formats et ses contenus, en fonction de la composition de son équipe, des expériences cumulées et des retours reçus. Nous comptons bien conserver cet espace ouvert aux possibles.