L’étude des recueils manuscrits s’insère dans la complexe histoire éditoriale de l’âge classique et des Lumières et du double système de censure imposé en France depuis la création du statut de censeur royal, puis de la librairie et de la censure préalable1. De fait, de nombreux écrits continuent de circuler sous forme manuscrite longtemps après l’invention de l’imprimerie, et pour différentes raisons : des pièces fugitives aux écrits plus polémiques, le manuscrit reste encore longtemps un support important dans la diffusion des idées de la première modernité. Les textes dont nous allons parler dans ces pages s’inscrivent dans cette logique éditoriale, d’autant que leur contenu interdit toute possibilité de publication officielle, et rend même très compliquée une publication à l’étranger2. La diffusion manuscrite des écrits qui nous intéressent a donc un double intérêt : protéger, du moins partiellement, l’auteur, et même le lecteur, des effets de la censure et des sanctions de la police du livre, et assurer la diffusion des ouvrages à un moindre coût : le travail de copistes professionnels, qui travaillaient généralement dans les arrière-boutiques des libraires imprimeurs, coûtait souvent moins cher que l’impression et le transfert des livres depuis l’étranger.
Quels sont donc ces textes ? Ce qu’on appelle « manuscrits philosophiques clandestins » et de manière plus large, « littérature philosophique clandestine » n’est pas un courant d’idées, ni un genre, ni un mouvement intellectuel organisé en tant que tel. Les auteurs dont les écrits forment ce corpus n’avaient pas conscience de former un groupe organisé ni de participer à la constitution d’un corpus particulier, ils se servaient des moyens de diffusion disponibles à leur époque tout en se protégeant de la censure. Si certains d’entre eux se connaissaient et partageaient leurs écrits, d’autres travaillaient de leur côté, sans savoir qu’il existait des auteurs qui partageaient et leurs idées et leurs méthodes. Ce corpus est donc la traduction d’un état d’esprit, à un moment donné de l’histoire intellectuelle qui va, grosso modo du milieu du xviie siècle aux années 1760, et qui touche différentes catégories de la société française et même européenne3.
En réalité, le corpus de la littérature philosophique clandestine a été défini a posteriori, grâce au travail des chercheurs et constitue l’une des plus étonnantes découvertes littéraires du xxe siècle. Il est composé par les textes manuscrits qui, depuis leur première identification par Gustave Lanson4 en 1912 et Ira O. Wade en 19385, n’ont cessé de se multiplier, jusqu’à atteindre, selon notre plateforme en ligne qui a complété la liste établie par Miguel Benítez6, trois-cent-trente-six titres différents pour plus de deux-mille-six-cents copies, conservées essentiellement dans les bibliothèques européennes, surtout françaises, et dont la circulation sous le manteau est avérée. Il s’agira donc de proposer une brève présentation de ce corpus particulier dans le cadre de la production intellectuelle des xviie et xviiie siècles, afin d’analyser, dans un deuxième temps, la spécificité des recueils de manuscrits philosophiques clandestins, à travers l’exemple de deux d’entre eux, qui illustrent la complexité et la richesse de ce type de littérature.
Trois critères doivent être réunis pour définir un « manuscrit philosophique clandestins », ceux-là mêmes qui ont fini par donner son nom au corpus. Il s’agit pour l’essentiel de copies manuscrites dont la circulation ne précède pas nécessairement une forme imprimée qui en serait l’étape ultime, car les manuscrits entretiennent souvent un rapport fort complexe avec des ouvrages imprimés. Il s’agit aussi de textes clandestins, même si ce trait n’est pas exclusif non plus à ce corpus. Au contraire, l’histoire intellectuelle et l’histoire matérielle du livre et de la lecture nous montrent que les différentes formes que prend la clandestinité philosophique (manuscrits, édition hors de France, éditions clandestines en France, etc.) constituent l’une des configurations propres à la vie intellectuelle des xviie et xviiie siècles, celle que pratiquent une bonne partie des ouvrages qui, pour des raisons différentes (des œuvres purement pornographiques aux poésies fugitives, en passant par les écrits jansénistes) échappent aux exigences strictes imposées par le marché du livre et la pratique de la censure royale et religieuse, autrement dit, une grande partie des textes de l’âge classique et des Lumières7. Le troisième point qui caractérise ces textes, c’est donc qu’ils ajoutent à leur diffusion sous le manteau et à leur support manuscrit le fait d’être philosophiques, au sens large que donneront à ce mot les Lumières : ils traitent dans un esprit critique, subversif, ou impie, des matières essentiellement métaphysiques ou religieuses et combattent les préjugés à partir d’une réflexion fondée sur la raison (raison philosophique, historique, scientifique). Ce sont donc pour la plupart des écrits hétérodoxes, dans la mesure où le plus souvent les idées qu’ils dénoncent concernent des vérités de foi : Dieu lui-même (son existence, son essence et son rapport au monde) ; l’âme humaine (sa spiritualité, son immortalité) ; la Révélation (authenticité ou cohérence des Écritures bibliques, validité des prophéties et des miracles, force de l’exégèse) ; les religions historiques en général (leurs origines, leur rapport au monde politique, les crimes commis en leur nom au cours de l’histoire), et le christianisme en particulier, surtout le catholicisme, à travers son histoire, ses dogmes, ses mystères ou sa morale8. Cependant, cette constante dans la thématique et dans la démarche critique peut reposer sur des orientations philosophiques très variées, du naturalisme au matérialisme, de l’athéisme au panthéisme ou au déisme, et traduire l’influence de Descartes, de Bayle, de Hobbes ou de Spinoza, sans oublier les libertins érudits du xviie siècle.
La clandestinité littéraire et encore plus le choix de la forme manuscrite, répondent donc non seulement aux besoins de protection des auteurs et des lecteurs, à un mode de diffusion propre à certains cercles d’initiés, mais constituent aussi un choix économique et intellectuel9 : la forme manuscrite, prédominante dans le corpus philosophique clandestin, semble correspondre à un trait particulier de cette littérature, conçue souvent non seulement comme le support privilégié d’une pensée polémique en soi, mais aussi comme un matériau malléable, réutilisable par d’autres lecteurs devenus à leur tour copistes et auteurs, et associés ainsi à l’élaboration et à la diffusion d’une pensée qui est autant individuelle que collective, à la fois l’expression de fortes personnalités et un phénomène social, la traduction d’une « crise des consciences », pour reprendre le titre du célèbre livre de Paul Hazard10, où le nom des individus compte moins que le réseau de significations que construisent les textes, et où la beauté de la forme importe souvent bien moins que la force des arguments.
C’est donc parce qu’il associe un contenu hétérodoxe à un support compatible avec une pensée dynamique, en constante réélaboration et qui peut facilement s’adapter aux conditions de circulation clandestine, que ce corpus constitue une arme particulièrement redoutable de l’underground philosophique de la fin du xviie siècle et d’une bonne moitié du xviiie11. C’est d’ailleurs la raison qui avait permis, au départ, à Gustave Lanson de dresser la première liste de manuscrits philosophiques clandestins : il y avait reconnu, à juste titre, une source majeure des idées les plus polémiques des auteurs des Lumières.
Ces éléments de définition nous permettent de comprendre quelques points importants et qui distinguent clairement la recherche sur les manuscrits de celle qu’on peut faire sur des textes imprimés :
- Dans le cas des manuscrits, toutes les copies sont nécessairement différentes, avec plus ou moins de variantes, mais elles relèvent d’un acte d’écriture unique, et sont alors susceptibles de modifications, volontaires ou involontaires ; les copies manuscrites sont donc toujours uniques, mais quand il y a plusieurs copies d’une même œuvre, chaque manuscrit a un statut particulier, inscrit dans une forme d’histoire matérielle du texte (même si on ne peut pas parler d’une linéarité historique absolue). Il faut donc savoir, dans la mesure du possible, à quel niveau de « l’arbre généalogique de l’œuvre » se place la copie que l’on doit étudier.
- S’intéresser à un manuscrit signifie ainsi nécessairement s’intéresser à l’histoire matérielle de la copie qui le porte (avec ses spécificités, y compris, par exemple, la qualité et les caractéristiques du papier), ce qui complique d’autant plus la recherche : le cadre de composition doit être dissocié de celui de la réalisation de la copie (quand le document n’est pas autographe), de sa circulation, et finalement de sa réception. L’interprétation du contenu doit également tenir compte de ce qu’on sait de la copie qu’on analyse, voire de l’histoire du document.
Or, comme nous l’avons vu, ces documents ont été oubliés pendant près de deux siècles sans qu’on s’aperçoive de l’intérêt qu’ils revêtaient dans l’histoire de la pensée moderne, de sorte que recomposer ces arbres généalogiques constitue souvent un véritable défi. Les manuscrits philosophiques clandestins ont été éparpillés, à la fin du xviie siècle, dans des bibliothèques diverses, parfois dans des endroits qui n’ont rien à voir avec leur lieu de composition ou de réception immédiate. Ils sont arrivés dans les fonds des bibliothèques à la suite de circonstances historiques très variées – notamment des confiscations révolutionnaires, qui ont éparpillé les collections de congrégations religieuses ou d’aristocrates dans des fonds patrimoniaux divers –, ils ont accompagné des exilés qui les ont légués ensuite à des bibliothèques étrangères, ou ils ont tout simplement été achetés, dans des lots de documents divers, par d’autres bibliothèques. Ces manuscrits ont donc souvent été catalogués de manière approximative (ils sont très souvent anonymes), parce que les bibliothécaires, surtout au xixe siècle, ne savaient pas dans quelle catégorie les classer ou parce que leur sujet polémique et antireligieux les condamnait à des rayons discrets. Ajoutons à cela que de très nombreuses copies sont conservées dans des recueils de nature diverse, ce qui a contribué à occulter encore plus l’existence des pièces du corpus clandestin.
Bien évidemment, tous les manuscrits clandestins ne sont pas conservés dans des recueils. Certains manuscrits, volumineux, constituent à eux seuls des pièces bibliographiques à part entière, identifiés par leur titre qu’il est plus ou moins facile de reconnaître dans les catalogues des bibliothèques. Mais il existe aussi de nombreux manuscrits qui ont survécu à l’intérieur de recueils manuscrits, plus ou moins faciles à reconnaître, et dont la nature doit également être prise en compte pour une appréhension exacte de l’évolution interne des textes, de leur circulation et de leur réception. Hélas, rien n’est simple quand il s’agit des manuscrits philosophiques clandestins. L’existence des recueils invite toujours à la plus grande prudence, comme c’est le cas pour les manuscrits, puisque chaque recueil est unique et qu’il peut exister des cas de figure très différents qu’il faut savoir distinguer au risque de commettre des erreurs d’interprétation : on n’analysera pas de la même manière le recueil autographe composé par un lecteur-copiste, qu’un recueil factice résultant de la reliure tardive de pièces diverses mais de même format, ou celui composé par un lecteur avisé et relié parfois de manière à constituer une collection particulière12. Nous allons donc nous intéresser à deux cas particuliers et représentatifs des problèmes d’analyse que posent les recueils de manuscrits philosophiques clandestins, et qui vont nous permettre de comprendre, outre la spécificité éditoriale de ces ensembles, l’intérêt de ce type de littérature.
Le premier geste devant un recueil contenant des manuscrits clandestins est de considérer celui-ci comme un objet historique dont il convient avant tout d’étudier la nature, précisément en raison de l’instabilité de ce type de documents. Il arrive que certains des manuscrits clandestins aient été reliés avec d’autres documents, par les bibliothèques qui en ont été dépositaires, surtout au xixe siècle. C’est ce qu’on appelle un recueil factice : on trouve dans une même reliure un ensemble de documents manuscrits qui n’ont de commun que la date supposée de composition, l’auteur ou la provenance. Ces recueils ne sont pas rares et ils ont occulté l’existence de certaines copies, cachées entre des correspondances variées, des lectures pieuses ou des registres de comptes. Il faut d’ailleurs saluer la patience et la curiosité des chercheurs, qui passent des heures à feuilleter ces recueils composites et qui, au hasard d’une lecture, finissent par identifier une nouvelle copie de notre corpus13.
On s’intéressera ici plutôt aux recueils de manuscrits qui résultent, soit du travail d’un auteur particulier, qui décide de réunir ses propres écrits et parfois ceux qu’il collectionne et qu’il utilise pour son propre travail, soit du choix d’un lecteur, collectionneur de manuscrits clandestins. Dans les deux cas, nous essaierons de procéder avec la prudence méthodologique nécessaire, en contextualisant les aspects matériels des documents pour éviter toute fausse interprétation. On comparera ensuite comment un même titre, dans deux recueils différents et par le jeu de recomposition propre aux copies manuscrites et aux pratiques libertines, peut révéler des stratégies argumentatives différentes, avec parfois même des buts philosophiques opposés.
Le premier exemple est celui du recueil intitulé Extraits des lectures de M. de Boulainvillier, avec des réflexions, un ensemble de six volumes de manuscrits in-4o, conservés à la Bibliothèque nationale sous la cote NAF 11071 à 1107614. Quelques précisions s’imposent ici. Le comte Henri de Boulainvilliers, né à Saint-Saire en 1658 et mort à Paris en 1722, est un auteur peu connu, si ce n’est par Le Dîner du comte de Boulainvilliers, conte de Voltaire qui le met en scène avec un autre des personnages de la clandestinité philosophique, Fréret, et à qui Voltaire attribue une discussion sur les erreurs de la religion chrétienne. Boulainvilliers n’a publié de son vivant qu’un seul ouvrage, un Mémoire pour la noblesse de France, contre les ducs et pairs, paru en 171715, mais en a écrit beaucoup d’autres, restés manuscrits : des écrits historiques, engagés dans des débats politiques de son temps, ou des traités conçus pour l’éducation de ses enfants, mais aussi des écrits astrologiques, le comte de Saint-Saire étant l’un des derniers défenseurs de l’astrologie judiciaire. Boulainvilliers est surtout l’auteur de traités clandestins, comme l’Essai de métaphysique dans les principes de Benoît de Spinosa, un manuscrit donc il existe une vingtaine de copies et qui contribue à diffuser en France la pensée du philosophe hollandais16.
Les Extraits de lecture font partie de ces manuscrits, et les exemplaires conservés à la BnF sont des documents précieux : les manuscrits ne sont pas autographes, mais ils sont tous reliés aux armes du comte de Boulainvilliers, ce qui nous prouve qu’ils proviennent directement de sa bibliothèque et qu’ils ont pu être recopiés par quelqu’un de confiance, peut-être un secrétaire, comme c’était parfois l’usage. Un ex-libris montre également que ces textes se sont retrouvés au xviiie siècle (comment ? par l’intermédiaire de qui ?) à la bibliothèque du séminaire de Saint-Sulpice, et qu’ils sont probablement arrivés ensuite à la BnF à travers les saisies révolutionnaires. Nous sommes donc en présence de documents que l’on peut considérer comme provenant directement de Boulainvilliers, et leur analyse peut nous informer sur les pratiques d’un auteur/lecteur de littérature philosophique clandestine. Nous savons aussi que ces documents ont donné lieu à d’autres copies qui ont circulé : un exemplaire presque identique, mais où six tomes sont reliés en trois volumes, est conservé à la Bibliothèque royale de Bruxelles, sous le titre Recueil des lectures de M. de Boulainvilliers sur les religions17. Une troisième copie aurait été conservée au château d’Ancy-le-Franc, dans une collection de la famille Clermont-Tonnerre, qui aurait été vendue à l’hôtel Drouot en 1980 et dont on a, malheureusement, perdu la trace. On sait, par ailleurs, que certaines des pièces contenues dans les Extraits de lecture ont circulé séparément : nous y reviendrons plus loin.
Intéressons-nous donc au contenu de ce recueil manuscrit. L’ensemble est conséquent, puisqu’il est composé de six volumes in-4o comportant une quarantaine de titres où coexistent des résumés d’ouvrages faits par Boulainvilliers lui-même et des notes prises à partir de comptes rendus déjà existants et parus dans des périodiques de l’époque. Boulainvilliers trouve, par exemple, dans l’un des numéros de la Bibliothèque universelle de Jean Le Clerc, le compte rendu du Naked Gospel d’Arthur Bury, théologien antitrinitaire et professeur à Oxford, dont il tire un Extrait d’un livre intitulé l’Evangile nud, attribué à M. Bury, qui figure dans le 4e volume des Extrais de lecture. L’ouvrage, qui prônait un retour à la simplicité de l’Évangile et l’abandon de toute surinterprétation théologique, avait valu à son auteur d’être censuré et même de perdre son poste de recteur d’Exeter College. Boulainvilliers, qui ne lisait pas l’anglais, a donc recours à la recension de Le Clerc pour s’informer sur l’ouvrage.
Mais il y a aussi des pièces originales, comme un tout petit texte intitulé Origine des êtres et des espèces, contenu dans le deuxième volume des mêmes Extraits, et que Gianluca Mori a identifié comme un travail original de Boulainvilliers18. Le statut de ces écrits est donc complexe : il s’agit d’écrits d’étude, de brouillons, de notes de lecture conçues avant tout pour un usage personnel. De sorte que, considérés de manière individuelle, sauf exception, ces extraits n’ont apparemment rien d’exceptionnel, et peuvent donner une image assez éloignée de celle du libertin athée immortalisé par Voltaire. Mais l’évidente circulation de ces écrits, tant sous forme de recueils que par certaines des pièces qui le composent, montre qu’ils ont également été perçus, si ce n’est par Boulainvilliers lui-même, du moins par ses contemporains, comme des écrits destinés à un groupe de lecteurs avertis qui partageaient centres d’intérêts et grilles de lecture. Considérés dans leur ensemble, les extraits de lecture offrent donc au lecteur de véritables « dossiers thématiques », organisés autour des grandes questions intéressant la pensée hétérodoxe dont le nom de Boulainvilliers devient alors le symbole19.
Le tome I de cette collection se compose de deux titres qui montrent l’intérêt que porte le comte de Boulainvilliers aux controverses religieuses : on y trouve des Réflexions sur les principes de la religion chrétienne suivant la métode [sic] de saint Ignace, un manuscrit daté de « janvier 1997 » (1697) qui mériterait une plus longue analyse, mais qui se présente comme une série de considérations sur les fondements de la religion chrétienne qui confrontent la lecture de De l’imitation de Jésus-Christ, l’ouvrage le plus diffusé après la Bible, d’après les recherches de Yann Sordet20, teinté d’augustinisme, et les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola, l’esprit même de la doctrine jésuite. Le deuxième texte, Abrégé de la doctrine des églises de Pologne dites unitaires, est un extrait de l’ouvrage intitulé Cathecesis ecclesiarum Plonicarum, un catéchisme socinien, paru en 1684. Ce volume s’organise donc autour des controverses religieuses et ouvre sur des thématiques que d’autres volumes vont expliciter (la nature de la grâce, par exemple) tout en montrant l’intérêt que Boulainvilliers manifeste pour les doctrines antitrinitaires, ce que vont confirmer les nombreux extraits qu’il consacrera dans la suite au théologien arminien Jean Le Clerc.
Le tome II s’organise autour de l’œuvre de Spinoza et réunit des extraits de lecture de différents ouvrages du philosophe : sa critique des Principes de la philosophie de Descartes, et le Traité théologico-politique, dont on a un résumé en latin. On trouve ensuite des extraits d’ouvrages à propos de Spinoza : un Abrégé ou courte exposition des opinions de Spinoza touchant la divinité, l’esprit humain et les fondements de la morale qui de toute évidence n’est pas de Boulainvilliers (c’est l’extrait d’une autre note de lecture, dont l’auteur n’est pas indiqué), et un Extrait du Traité théologo-politique de Spinoza et la réfutation de quelques-uns de ses sentimens, écrit par Boulainvilliers, où se succèdent l’exposé des idées de Spinoza et les observations et objections du comte. Ce volume contient aussi le manuscrit Origine des Estres et des Especes, mentionné plus haut et qui défend une conception matérialiste et athée de l’origine de l’univers et des êtres vivants.
Le tome III réunit des textes d’orientation gnoséologique et métaphysiques, tirés de l’œuvre philosophique du théologien arminien Jean Le Clerc publiée en latin à Amsterdam en 1698, et comprend des « considérations diverses » (c’est le titre choisi par Boulainvilliers pour cette série de manuscrits) sur les différentes méthodes de « disposer nos jugements pour parvenir à la connaissance de la vérité », sur « les opérations de l’entendement humain sur les idées », « sur la nature des êtres et ses propriétés », et sur « les jugements de l’esprit et leur énonciation ». Boulainvilliers n’indique pas ici ses sources, et modifie sensiblement la disposition des textes et le titre des chapitres qu’il résume.
Le tome IV analyse des questions dogmatiques, essentiellement l’immortalité de l’âme et la nature de la grâce, et apparaît comme l’un des plus composites. Il rassemble un manuscrit clandestin qui a parfois été attribué, sans doute à tort, à Boulainvilliers, l’Histoire des opinions des anciens sur la nature de l’âme, un court extrait inspiré de la Nouvelle bibliothèque des auteurs ecclésiastiques de Louis-Ellies Dupin, théologien catholique français, censuré par Rome en raison de son regard critique sur l’histoire ecclésiastique et sa volonté de rapprochement avec le protestantisme, consacré à l’âme et à sa condition après la mort, un extrait du septième chapitre de la Kabbala denudata de Van Helmont (1677 et 1684), sur la préexistence des âmes, et un groupe de courtes notes de lecture à propos de la vie des Pères de l’Église et de leur opinion sur le sujet, toujours tirées de la Nouvelle bibliothèque de Dupin. Suivent un extrait de l’Historia religiones veterum Persarum eorum magorum, publiée par Hyde à Oxford en 1700, un extrait de l’Evangile Nud de Bury, un résumé du Traité historique contenant le jugement d’un protestant sur la théologie mystique du pasteur calviniste Pierre Jurieu (1699) et un dernier extrait des Mémoires pour servir à l’Histoire des Controverses de l’Église Romaine sur la Prédestination et la Grâce21 du théologien arminien Jean Le Clerc, datant de 1689.
Le tome V se concentre sur des questions philologiques et scientifiques : deux extraits des œuvres cosmologiques de Thomas Burnet et en particulier les chapitres consacrés à l’interprétation des récits bibliques de la création et du déluge, et plusieurs extraits de l’interprétation de la Genèse par Jean Le Clerc, publiée en 1693. Ce volume contient aussi d’autres manuscrits intéressants, comme les extraits de De veritate Religionis Christianæ (1687) du théologien arminien hollandais Philippe Van Limborch qui exposent ses discussions sur le christianisme avec le théologien juif Orobio de Castro, et De la Perpétuité de la foi d’Arnauld et de Nicole (1669-1779), ainsi que quelques notes thématiques courtes tirées de l’Histoire des variations des Églises protestantes de Bossuet (1688). Le même volume contient un Extrait du sermon V sur la Parabole des Noces, de M. Claude sur le texte : « il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus », tiré du cinquième et dernier sermon publié par le ministre protestant Jean Claude, publié en 1675, et qui répond au livre d’Arnauld et Nicole sur des points dogmatiques divers.
Le dernier tome de cette collection est entièrement consacré à l’analyse de l’Histoire des variations des Églises protestantes de Bossuet, qu’il faudrait comparer plus en détail au texte source, mais qu’on peut d’ores et déjà replacer dans le contexte des autres volumes consacrés aux controverses religieuses et le mettre en rapport avec l’intérêt évident que Boulainvilliers manifeste à l’égard de certains courants du protestantisme, tels que le socinianisme, l’arianisme, l’unitarisme, l’antitrinitarisme, etc.
L’unité thématique de ces recueils paraît donc évidente et semble confortée par le fait que, contrairement à d’autres manuscrits clandestins, qui ont été écrits pour circuler de manière indépendante et se sont retrouvés associés à d’autres textes dans des recueils répondant à un choix a posteriori, ces recueils ont été élaborés et ont circulé en tant que tels, comme un tout faisant sens par lui-même, même si certaines pièces ont pu échapper à l’ensemble et circuler de leur côté. Il suffit pour s’en rendre compte de comparer la structure du recueil conservé à la BnF (et provenant très probablement de la bibliothèque de Boulainvilliers lui-même) avec celle du recueil conservé à la Bibliothèque royale Albert Ier à Bruxelles. Il s’agit d’un ensemble composé de trois tomes in-4o, réalisé par un copiste professionnel, et conservés dans leur reliure du xviiie siècle. L’intérêt de cette comparaison réside dans le fait que nous passons d’un ensemble provenant de la bibliothèque personnelle de leur auteur à celle d’un lecteur/collectionneur puisque les éléments dont nous disposons nous indiquent que ces manuscrits ont appartenu au cardinal Armand Gaston de Rohan de Soubise22, évêque de Strasbourg, membre de l’Académie des inscriptions dès 1701 et de l’Académie française à partir de 170323. Cette collection passa ensuite en la possession de Charles Van Hulthem, bibliophile belge et accessoirement parlementaire français sous le Consulat et le Premier Empire, qui les légua à la Bibliothèque royale.
Ces volumes contiennent essentiellement les mêmes manuscrits que la collection parisienne, classés dans un ordre un peu différent, mais respectent l’unité thématique que nous venons d’observer. Ainsi, le volume II de la BnF, consacré à l’œuvre de Spinoza, se retrouve intégralement dans le volume II de la collection de Bruxelles, même si les pièces sont présentées dans un ordre légèrement différent : le manuscrit sur l’Origine des Estres et des Espèces, qui fait partie du tome II de la collection de la BnF, et dont le rapport à la pensée de Spinoza ne va pas de soi, est classé ailleurs, dans le tome I du recueil bruxellois. De même, trois des textes traitant de questions gnoséologiques tirées de l’œuvre de Jean Le Clerc, que l’on retrouve dans le tome III de la BnF, se retrouvent ensemble dans la première partie du tome II de l’exemplaire de Bruxelles, encore une fois dans un ordre légèrement différent, mais toujours les uns à la suite des autres. L’unité de ces quatre textes explique sans doute leur circulation de manière indépendante du reste des notes de lecture, mais toujours dans un même ensemble, non plus comme des extraits, mais sous le titre de Traités métaphysiques24.
Le cas des titres du tome IV est encore plus intéressant : cet ensemble, plus hétéroclite mais qui trouve une forme de cohérence autour des questions doctrinaires, est scindé dans la collection bruxelloise en deux grandes parties : les textes sur l’immortalité de l’âme se retrouvent dans le tome II, alors que ceux sur la grâce apparaissent tous dans la dernière partie du tome III, toujours dans un ordre légèrement modifié, associés désormais aux textes qui s’intéressent aux controverses religieuses sur la question, dont l’extrait du sermon du ministre Claude sur la parabole des noces, et l’extrait consacré aux Mémoires pour servir à l’Histoire des controverses nées dans l’Église Romaine sur la Prédestination et la Grâce, ce qui renforce l’unité thématique de l’ensemble (les controverses religieuses).
Finalement, les ensembles thématiques du cinquième volume de la BnF, consacrés à l’œuvre cosmologique de Thomas Burnet et à l’œuvre exégétique de Jean Le Clerc sont placés dans le tome III du recueil de Bruxelles, les textes de Burnet restant reconnaissables comme tels, alors que les extraits de Le Clerc se retrouvent sous un titre général, Notes sur divers sujets de théologie, qui réunissent aussi les controverses entre Van Limborch et Orobio. On peut aussi signaler que ces extraits ont circulé de manière indépendante, mais dans une version très particulière sur laquelle on reviendra pour terminer.
Il apparaît aussi que l’unité thématique de ces recueils n’est pas absolument parfaite, d’autres manuscrits apparaissent ici ou là dans les différents tomes des Extraits, ce qui nous rappelle que nous sommes dans l’univers des manuscrits et donc de l’instable. Ainsi, le tome I de Bruxelles comporte toute une série de textes historiques et théologiques sur les différentes églises chrétiennes, qu’interrompent parfois des passages portant sur des réflexions diverses, dont l’original attribué à Boulainvilliers Origine des Estres et des espèces. Mais la nécessaire relation entre les titres mentionnés, nous permet de comprendre que le recueil des notes de lecture établi par Boulainvilliers a pu être lu par ses contemporains comme un tout cohérent à l’intérieur duquel se détachent des ensembles thématiques clairement identifiables : une réflexion sur l’histoire des églises chrétiennes et sur les controverses, un ensemble sur des questions dogmatiques, et en particulier les questions portant sur la grâce et la nature de l’âme, un ensemble portant sur des questions gnoséologiques, philologiques et scientifiques appliquées à l’interprétation des Écritures, et un ensemble portant sur l’œuvre de Spinoza qui justement repose sur la lecture critique et historique de la Bible : le Traité théologico-politique. Bien évidemment, ceci correspond aux centres d’intérêt de Boulainvilliers lui-même, mais la comparaison des deux recueils permet de voir que si les textes ont circulé dans un ordre plus ou moins différent dans les deux collections, l’unité thématique des ensembles a été perçue comme telle par les contemporains de Boulainvilliers (copistes ou collectionneurs), qui ont modifié un peu la disposition générale (le recueil de Bruxelles renforce les passages portant sur l’histoire des controverses) mais qui ont malgré tout respecté la logique générale du classement. Bien évidemment, nous manquons d’éléments critiques : il s’agit de copies faites par des professionnels, et non pas des originaux autographes, nous ignorons par conséquent comment et par qui le classement du second recueil a été établi, mais force est de constater qu’une légère réorganisation s’est opérée au moment de l’établissement de la copie et de la composition du recueil relié.
Ces groupes de manuscrits révèlent aussi une certaine unité méthodologique, du moins la marque d’une démarche analytique précise de la part de Boulainvilliers, que le second recueil suit d’assez près. Observons par exemple l’ensemble sur l’immortalité de l’âme, tel qu’il apparaît dans le tome IV de la BnF. Il contient, on l’a dit, l’Histoire des opinions des anciens sur la nature de l’âme, une série de biographies et de commentaires sur les Pères de l’Église tirées de la Nouvelle bibliothèque des auteurs de Louis-Elie Dupin et le résumé d’un chapitre du livre de Van Helmont, sur la préexistence des âmes. Autrement dit, Boulainvilliers fait alterner des textes qui opposent des points de vue très différents sur la question, sans proposer directement de réponse personnelle à celle-ci, si ce n’est quelques remarques qui mettent en évidence les contradictions profondes qui existent entre les divers auteurs, entre les Pères de l’Église et parfois chez un même auteur. Ainsi, le passage intitulé De anima (pièce B) insiste sur l’impossible conciliation entre la doctrine de l’âme immortelle telle qu’elle est défendue par saint Augustin avec la doctrine du péché originel que soutient le même Augustin et finit par observer que, selon les anciens Égyptiens, l’âme est composée « de petits corps très minces et subtils » (elle est donc matérielle). Or, à aucun moment Boulainvilliers n’assume la paternité de ces idées, puisqu’il renvoie pour le tout à l’œuvre de Louis-Ellies Dupin qu’il est en train de résumer ou à celle de Van Helmont dont il fait un extrait. Nous reconnaissons là des procédés argumentatifs caractéristiques des manuscrits philosophiques clandestins, qui procèdent souvent par le collage d’extraits d’auteurs divers, souvent même des théologiens ou des Pères de l’Église, que quelques commentaires viennent nuancer, de manière à faire surgir le sens de la confrontation d’idées diverses. Boulainvilliers obtient un résultat similaire grâce au traitement accordé à l’exercice de l’extrait ainsi qu’à la forme recueil, qui finit par orienter le sens des textes présentés, sans que l’auteur ait pris la peine d’écrire contre la religion.
La même interprétation peut être avancée au sujet des controverses religieuses contemporaines, comme celle sur la nature de la grâce divine et sur la prédestination, dont on trouve un écho dans le même tome IV de la BnF, et dans le volume III de la collection de Bruxelles. Boulainvilliers résume l’analyse historique de ce débat proposée par Jean Le Clerc dans les Mémoires pour servir à l’Histoire des Controverses nées dans l’Église Romaine sur la Prédestination et la Grâce, et fait l’extrait du livre que Jurieu consacre à cette question, et notamment à la querelle qui opposa Fénelon à Bossuet au sujet du quiétisme. Il commente aussi le livre de Bury, qui, en proclamant le retour à la morale simple de l’Évangile, entendait faire l’économie des débats théologiques sur la grâce. Boulainvilliers réunit ainsi quatre opinions différentes sur un sujet central pour la théologie chrétienne, même s’il prend le parti de l’aborder du point de vue de la critique protestante : il résume les œuvres de Jurieu et de Le Clerc, alors qu’il aurait pu directement résumer les arguments de Bossuet et de Fénelon, d’autant plus que le comte fait des extraits d’autres œuvres de l’évêque de Meaux (le tome VI, absent de l’ensemble bruxellois). Cette juxtaposition d’explications dogmatiques contradictoires semble révéler chez Boulainvilliers l’idée que l’esprit humain est en droit de se former une interprétation personnelle en matière de religion, ce qui correspond à l’esprit revendiqué ailleurs par d’autres auteurs de manuscrits clandestins25.
L’attitude de l’auteur face à de tels sujets apparaît donc aussi bien dans le choix des textes qu’il commente, dans la méthode critique adoptée, que dans la disposition de ces textes à l’intérieur du recueil qui acquiert alors une valeur argumentative. Ceci apparaît également dans les manuscrits autour de la philosophie de Spinoza (tome II de la Bnf, tome III de la collection bruxelloise). Boulainvilliers fait alterner les opinions philosophiques et philologiques du philosophe hollandais, et de ceux, notamment, qui s’appliquent à la critique biblique (le Traité théologico-politique), qu’il résume le plus fidèlement possible (en latin et en français), avec celles de ses contradicteurs, l’auteur anonyme de l’Abrégé, qu’il reprend et critique par moments, et ses propres opinions sur la matière, qui apparaissent en filigrane. Il revient ensuite au lecteur clandestin de tirer les conséquences de ces choix méthodologiques et de cet agencement, ce qui nous rappelle que la littérature philosophique clandestine est un matériau en constante évolution. On peut l’observer dans le cas des extraits que Boulainvilliers donne des œuvres du théologien anglais Thomas Burnet, présentes dans le tome V de la collection de la BnF, qui avait tenté de concilier le récit de la création et du déluge avec la physique cartésienne : Boulainvilliers sélectionne les passages les plus polémiques, qu’il présente comme des « doutes » venant de Burnet lui-même au sujet de la crédibilité du texte biblique et auxquels il est difficile de donner une réponse. Ce texte circulera par la suite de manière indépendante de l’ensemble, dans un manuscrit qui réunit les extraits de Burnet et les extraits de l’œuvre philologique de Jean Le Clerc, présentés comme un tout uniforme, sans référence aux sources, et organisé selon une logique argumentative imparable :
- Évocation des difficultés suscitées par la lecture littérale des premiers chapitres de la Genèse (extraits de Burnet).
- Nécessité d’une lecture allégorique et critique du texte mosaïque en raison de la nature même de la langue hébraïque (justification philologique grâce aux extraits de Le Clerc).
- Application de ces principes au récit de la création et adoption du système cosmologique de Burnet qui lui permettent d’expliquer que les premiers chapitres de la Genèse décrivent l’organisation d’une matière préexistante et non une création ex nihilo.
De sorte que, après un tel réaménagement de l’ensemble, le théologien Burnet se trouve à l’origine d’une thèse de nette inspiration matérialiste, mettant en cause deux des récits fondateurs de l’histoire biblique et de la morale chrétienne. Ce manuscrit se trouve d’ailleurs dans un autre recueil fort intéressant, que nous ne pourrons pas analyser ici, et qui repose sur un ensemble de textes matérialistes et athées. Disons simplement, pour l’anecdote, que ce recueil, conservé aujourd’hui dans une importante collection de manuscrits clandestins à la bibliothèque Mazarine26, appartenait à Florent Du Châtelet, marquis de Lhomond, le fils d’Émilie Du Châtelet, et accessoirement commandant du régiment du roi responsable de contenir la foule réunie à la Bastille, le 14 Juillet 1789…
Les recueils d’extraits de lecture font ainsi entrer dans le monde de la clandestinité chacun des ouvrages que le comte de Saint-Saire lit et commente, non seulement par le traitement réservé au texte source, mais par la stratégie d’insertion dans un recueil cohérent de textes qui reflètent et résument d’importantes controverses contemporaines, impliquant des notions majeures pour la pensée hétérodoxe (dont la nature historique des Églises chrétiennes, l’immortalité de l’âme et la question de la grâce qui pose avec elle la question de la Providence et in fini, du salut). Ces recueils, qui circulent en tant que tels parmi des lecteurs proches de l’univers de la clandestinité philosophique, offrent par ailleurs une base de données d’argumentations érudites qui deviendront de véritables lieux communs du combat philosophique du xviiie siècle, comme par exemple les théories cosmologiques de Burnet et la critique philologique de Spinoza ou de Jean Le Clerc27. Les recueils de Boulainvilliers offrent donc aux lecteurs du xviiie siècle des objets (des textes prêts à être copiés et réaménagés selon les besoins du copiste/lecteur), une sélection d’idées polémiques, une méthode analytique et une stratégie argumentative propre à la clandestinité. Ils sont non seulement le support naturel de la pensée clandestine, élaborée en tant que telle, mais également d’une manière de lire la littérature contemporaine, à travers la loupe de la clandestinité philosophique, destinée à un public averti qui cherche dans les manuscrits ce qu’il lui était impossible de trouver dans les ouvrages imprimés du temps. Voltaire avait donc bien raison de rendre hommage au comte de Boulainvilliers en faisant de lui le porte-parole de la critique religieuse de son célèbre Dîner…