Le français haïtien et la contribution d’Haïti au fait francophone

DOI : 10.35562/rif.1041

Résumés

L’État d’Haïti est né créolo-francophone. Son acte d’indépendance proclamée le 1er janvier 1804 est rédigé en français. Il est membre fondateur de l’OIF et de beaucoup d’organismes francophones. Son administration ne fonctionnait qu’en français jusque dans les années 1980, même s’il faudra attendre la Constitution de 1918 promulguée sous l’occupation américaine pour le voir reconnu officiel par la loi haïtienne. Le français est arrivé dans la Caraïbe en 1625, à Saint-Christophe, à un moment où il n’était pas encore une langue unifiée dans l’espace devenu aujourd’hui la France continentale. En 1635, en vue de l’unifier et le normaliser, le Cardinal de Richelieu va officialiser l’Académie française fondée en 1634. Le français va évoluer en se différenciant des variétés qui se développeront en France et dans d’autres colonies françaises établies en Amérique, dans l’océan Indien, dans le Pacifique et, plus tard, en Afrique de l’Ouest. Ainsi a émergé le français haïtien dont les spécificités se manifestent aux niveaux lexico-sémantique, phonologique et morphosyntaxique. Haïti sera le seul État américain de français langue officielle. Ainsi, il contribue à la diffusion du français et du fait francophone dans des organismes internationaux d’Amérique.

The State of Haiti was born Creolo-Francophone. Its Independence’s Act proclaimed on January 1st, 1804 is written in French. It is a founding member of OIF and many francophone organizations. Its administration only worked in French until the 1980s, but we’ll have to wait till the Constitution of 1918, promulgated under the American occupation, to recognize French as an official language. French language arrived in the Caribbean in 1625, in Saint-Christophe, when it was not yet a unified language in the space who become now continental France. In 1635, in order to unify and standardize it, Cardinal Richelieu will formalize the French Academy founded in 1634. It will evolve differentiating itself from the varieties that will develop in France and in other colonies established in America, in the Indian Ocean, in the Pacific and, later, in West Africa. Thus will emerge Haitian French whose specificities can be identified at the lexico-semantic, phonological and morphosyntactic level. Haiti will be the only American state of French official language. Thus, it contributes to the diffusion of French and the francophone fact in American international organizations.

Index

Mots-clés

français haïtien, francophonie, diffusion du français, contribution d’Haïti

Keywords

Haitian French, Francophonie, French expansion, Haiti’s contribution

Plan

Texte

La francophonie haïtienne et la contribution d’Haïti à l’expansion et la diffusion du français dans des organismes internationaux sont mal connues parce qu’elles ne sont guère étudiées. Tontongi (2007) fait une critique de cette francophonie en identifiant les rapports centrifuges caractérisant la cohabitation du français et du créole haïtien (CH) et les actions des élites et du pouvoir politique en faveur du français occasionnant la minorisation du CH. Descardes (1999) établit un état des lieux des apports d’Haïti à l’adoption du français dans les institutions internationales. Govain (2008, 2009, 2013, 2018), prolongeant la réflexion de Pompilus (1961), amorce la description de ce qu’il convient d’appeler le français haïtien (FH). Klinkenberg (2008, 10) entend l’expansion linguistique comme « le processus par lequel une variété de langue est amenée à élargir le champ de ses fonctions sociales. » en se déplaçant géographiquement. L’expansion d’une langue sert à élargir son champ de rayonnement. Ici, cette expansion est liée à la politique intérieure d’Haïti vis-à-vis de ses deux langues et leur institutionnalisation dans la vie sociopolitique et notamment leur instrumentalisation dans ses échanges internationaux. Nous envisageons ici la francophonie comme une communauté évolutive transnationale, transculturelle et trans-civilisationnelle composée de communautés, d’institutions, de locuteurs d’origines continentales diverses mais unis par le français comme médium identitaire d’expression. Qu’il soit langue maternelle, seconde voire étrangère, le français permet au francophone de communiquer mais aussi de se représenter le monde et présenter son identité.

Cette contribution s’organise en deux parties. La première établit un état des lieux de la francophonie haïtienne et met en lumière la contribution d’Haïti à l’expansion et la diffusion du français notamment à travers l’adoption du français dans des institutions internationales grâce à sa situation géopolitique et sa diplomatie. La seconde fait une brève description du FH en passant par son mode de transmission, ses représentations générales… en lien avec la contribution d’Haïti au fait francophone. L’expansion peut « se manifester soit à travers les locuteurs de langue (émigration, colonisation, tourisme, occupation militaire...), soit à travers les produits de la société que cette variété véhicule (administration, biens de consommation, connaissances, technologie, production culturelle). » (Klinkenberg, 2008, 10). En suivant le modèle de Chaudenson (1988), la première partie va dans le sens du status et la seconde dans celui du corpus, ces deux axes de coordonnées caractérisant le fonctionnement du français dans la francophonie. Les valeurs du status du français en Haïti étant supérieures à celles du corpus, il est attendu que la contribution d’Haïti sera plus forte sur le plan du corpus.

I. La francophonie haïtienne

Haïti est officiellement bilingue, l’article 5 de la Constitution de 1987 en vigueur consacrant le bilinguisme officiel CH – français. Le CH est pratiqué par la totalité de la population et le français par une frange dont il est difficile d’établir la démographie, les paramètres de définition étant flous et les statistiques absentes ou non fiables. En outre, depuis la fin des années 1950 on assiste à un mouvement d’exode des membres de l’élite intellectuelle francophone haïtienne notamment vers le Canada et les États-Unis. Il s’est intensifié avec les événements sociopolitiques générant des crises depuis les années 1990. L’émigration des Haïtiens ayant un niveau d’enseignement secondaire est de 30 % alors que celle de ceux qui ont un niveau universitaire est de 84 % (Docquier et Marfouk, 2005). Néanmoins, Rivard (2016) dénombre les francophones haïtiens à 4 454 000 locuteurs (francophones + partiellement francophones). Cela représente 41 % de la population locale estimée, en 2013, à 10,7 millions d’habitants1.

L’État haïtien est officiellement francophone dès sa naissance le 1er janvier 1804 : l’acte de l’indépendance est rédigé en français et les élites dirigeantes n’ont jusqu’à une date assez récente (les années 1986) recouru qu’au français notamment en situation formelle de communication. Aujourd’hui encore, dès qu’il faut écrire, on recourt au français. Mais ce n’est que la Constitution de 1918 qui en fait une langue officielle. De la Constitution de Toussaint Louverture de 1801 à celle promulguée sous l’occupation américaine en 1918 (114 ans après l’indépendance du pays), les lois du pays sont restées muettes sur le statut du français. Une douzaine de versions de la Constitution s’est succédé avant 1918. L’usage du français (officiel de facto) dans la vie éducative, politique, administrative et socioculturelle semble avoir été si institutionnalisé dans le pays que lui accorder le statut officiel de jure n’avait guère paru nécessaire. Et l’officialisation du CH ne date que de 1987. Il est paradoxal que ce soit sous l’occupation américaine (durant 19 ans : de 1915 à 1934) que le français ait été rendu officiel. Gaillard-Pouchet (2014) croit qu’il s’est agi d’une contribution de l’élite intellectuelle haïtienne face à l’imposition de l’anglais par l’occupant. Mais, de l’avis de Manigat, la réalité semble bien différente :

« … en 1915, au lendemain de l'intervention militaire américaine en Haïti, l'ambassadeur de France à Washington, Jusserand, s'empressera d'obtenir du Secrétaire d'État américain Lansing, la triple garantie de l'Egalité de traitement en Haïti pour les citoyens français par rapport aux ressortissants américains, du maintien du français comme langue officielle en Haïti et du respect de l'organisation ecclésiastique existante » (Manigat, 1967, 332).

En général, les Haïtiens se représentent le francophone haïtien comme quelqu’un qui possède une maîtrise parfaite du français comme il maîtrise le CH, sa langue première. Ils vivent le français comme une langue non haïtienne. Ils ne s’y identifient pas comme un moyen identitaire d’expression et de (re)présentation de soi. Ils ne se considèrent pas comme acteurs de sa construction, de son évolution. C’est ce que Gumperz (1976) appelle they-code, la langue authentique, la langue légitime, langue à eux, par opposition à we-code, la langue de la communauté, langue à nous. D’où une distance qui les empêche de se l’approprier en tant que leur langue et qui est un signe de xénité à l’origine d’une insécurité linguistique.

Pourtant, l’OIF (2005) considère deux catégories de francophones : les francophones, des locuteurs capables de faire face, en français, aux situations de communication courante et les francophones partiels, limités dans leurs habiletés à faire face aux mêmes situations. Nous considérons une troisième catégorie : les francophonisants, des locuteurs ayant une (des) langue(s) maternelle(s) autre que le français et qui ont un intérêt marqué pour le français et qui l’apprennent pour des raisons diverses.

À l’occasion d’une enquête en 2007 sur l’être francophone haïtien (Govain, 2009) auprès de 30 étudiants de 1e année de trois entités de l’Université d’État d’Haïti2 et 6 enseignants de français, 53,33 % des étudiants s’estiment francophones ; 23,33 % ne se jugent pas francophones alors que 16,66 % ont donné une réponse nuancée, c’est-à-dire qui n’est ni oui ni non mais qui est entre les deux :« Pas tout à fait, je ne parle pas assez souvent le français ; Légalement oui, réellement non ; J’essaie à peine de produire dans cette langue ; Oui, mais pour moi Haïti n’est pas vraiment francophone. Quelques Haïtiens seulement sont francophones ; Oui et non. Être francophone maîtrise parfaitement bien le français (sic.). Je serai peut-être un francophone après mes 4 ans ici à la fac ; Non, parce que le français est chez moi une langue seconde. La plupart du temps, je m’exprime en créole et je pense en créole. »

Certains se considèrent comme des francophones en devenir : « Oui … parce que je vis dans un pays où l’on parle français… Je continue à travailler ardûment pour être un vrai francophone. »

D’autres se disent francophones en se basant sur le statut du français en Haïti et dans les écoles qu’ils ont fréquentées :

« Bien sûr, je parle le français comme langue seconde, je vis dans un pays ayant un bilinguisme étatique incluant le français et mon pays fait partie de la francophonie ; […] je me considère comme francophone parce que malgré les difficultés, je parle le français ; […] je le suis puisque j’ai été éduqué en français, chez des Français, je continue encore à travailler en français et cette langue est une langue officielle en Haïti. »

« Être éduqué chez des Français », c’est avoir été scolarisé chez les Frères de l’Instruction chrétienne dont la plupart était des Français.

Par ailleurs, le statut socio-didactique du français en Haïti n’est pas défini : est-il langue maternelle, langue seconde ou langue étrangère ? Lors de l’enquête, un enseignant de français répond que le français est en Haïti une « langue maternelle pour certaines familles aisées de Port-au-Prince qui ont une tradition dans l’usage du français depuis des générations. Langue seconde pour une grande partie des couches populaires et moyennes qui font connaissance avec le français à l’école. Langue étrangère pour la très grande majorité de la population vivant en milieu rural dans les mornes et dans les zones difficiles d’accès n’ayant jamais fréquenté l’école ». Il lui envisage les trois statuts en même temps. Pour 86,66 % des enseignants enquêtés, le français est en Haïti une langue seconde. Pour 6,66 % c’est une langue maternelle et une langue étrangère pour 6,66 %. Un enseignant le reconnaît comme une langue étrangère « parce qu’un très faible pourcentage de la population scolarisée a pu développer certaines des habiletés linguistiques conventionnelles au terme de leurs études classiques ou supérieures ».

En réalité, le français peut être considéré pour la majorité des écoliers haïtiens comme une langue étrangère car c’est à l’école qu’ils font connaissance avec la langue et où ils doivent tout apprendre de l’oral comme de l’écrit. Le français a en Haïti un double statut socio-didactique : langue seconde pour ceux ayant atteint un plus ou moins haut degré de scolarisation ; langue étrangère pour la majorité des élèves qui vont le découvrir à l’école, mais il a la potentialité d’évoluer vers une langue seconde au fur et à mesure que se développe sa maîtrise à l’école. Besse (2002) a raison de noter qu’enseigner / apprendre une langue seconde, c’est enseigner/apprendre une langue étrangère, mais qui a des statuts (dans l’enseignement, dans la vie sociale) qui l’apparentent à ceux de la langue maternelle.

Si le français n’est pas considéré comme une langue étrangère en Haïti au regard de ces apprenants, c’est parce qu’il est proche du CH à bien des égards et qu’il est langue d’enseignement. En effet, dans les communautés où le français est pratiqué comme langue seconde, c’est l’école qui est en général responsable de sa transmission. En Haïti, il est principalement appris à l’école où se développe sa maîtrise. Donc, l’éducation est le principal mode de diffusion du français. Plus on évolue dans l’échelle de la formation académique, plus on a la possibilité d’en avoir une bonne maîtrise. Selon Cuq et Gruca (2005, 90), qui font la synthèse de travaux antérieurs, « on appelle couramment langue maternelle la première langue qui s’impose à chacun ». Selon Cuq (1991), le français est une langue étrangère sur chacune des aires où la notion de français langue seconde trouve son application. Il se distingue des autres langues étrangères présentes dans ces aires par ses valeurs statutaires, soit juridiquement, soit socialement, et par le degré d’appropriation de la communauté qui l’utilise.

I.1. Haïti et la francophonie américaine

La francophonie américaine est cette aire géolinguistique regroupant des communautés francophones d’Haïti, du Québec, des départements d’Outremer français d’Amérique (DFA), des communautés francophonisantes (Mexique, certains États des États-Unis, des communautés d’Amérique centrale et latine, de la Caraïbe) où le français joue un certain rôle dans les échanges interpersonnels. Cette francophonie américaine, multi-scalaire avec des foyers diffuseurs (Haïti, Québec et les DFA) et des zones réceptrices comme les communautés francophonisantes, a vu le jour en Acadie avec l’arrivée sur l'Île de Sainte-Croix, en 1604, de la première délégation française. Elle consacrera son assise en 1608 avec la fondation du Québec (Vaugeois et Litalien, 2004 ; Joutard et Joutard, 2006).

Le français se présente en Amérique globalement dans quatre contextes linguistiques spécifiques : 1. langue première et officielle avec une autre langue qui a aussi ces mêmes caractéristiques. Chacune d’elles est pratiquée dans une communauté linguistique. C’est le cas du Canada où le français est officiel notamment dans la province du Québec et l’anglais plus majoritairement sur l’ensemble du pays. En 1867, à la naissance de la Confédération canadienne, le français et l'anglais sont déclarés langues officielles du parlement fédéral et de la législature et des tribunaux dans la province de Québec ; 2. langue première, avec un créole, et seule langue officielle comme dans les DFA ; 3. langue seconde, après un créole langue première, et les deux sont langues officielles : le cas d’Haïti ; 4. langue étrangère partout ailleurs. Le français n’a pas de statut officiel en Louisiane aux États-Unis, pas plus que l’anglais d’ailleurs. Mais il y jouit d’une certaine reconnaissance : le texte original du Code civil de cet État a été rédigé en français au XIXe siècle. En 1968, constatant la perte de vitesse et la probable extinction du français dans cet État, la Louisiane a créé le Conseil pour le Développement du français en Louisiane (CODOFIL) dans l’objectif de « faire tout ce qui est nécessaire pour développer, utiliser et préserver la langue française telle qu'on la retrouve dans l'État de la Louisiane pour le bénéfice culturel, économique et touristique de l'État ». La francophonie états-unienne est aussi présente en Nouvelle-Angleterre, en Californie, en Floride où il y a une forte présence haïtienne.

La difficulté à dénombrer les francophones n’est pas inhérente à Haïti. Elle tient à la variabilité de la cartographie de la francophonie, la maîtrise du français étant une expérience variable. Le Haut Conseil de la Francophonie (1990) considère le dénombrement des francophones comme un exercice périlleux vu la faiblesse des statistiques et la diversité des situations ; les résultats peuvent donner l’impression tout à la fois d’un pessimisme démobilisateur, d’un optimisme béat ou d’un certain illusionnisme. Le Centre de la Francophonie des Amériques (CFA)3 situe la population francophone des Amériques à 33 millions : 9,6 millions au Canada, 7 millions au Québec, 11 millions aux États-Unis, 200 300 au Mexique, 9,7 millions dans les Caraïbes, 2,6 millions en Amériques centrale et du Sud. Pour Rivard (2016), les francophones seraient 25 542 406 locuteurs (incluant 7 396 068 apprenants du français) en Amérique : 9,6 millions au Canada dont 6,2 millions au Québec et le reste est dispersé en Ontario, en Nouvelle-Angleterre et en Acadie et, notamment, au Nouveau-Brunswick, etc.

Le Québec, avec ses plus de 8 millions d’habitants dont 6,2 millions de francophones, est un foyer de diffusion du français. Il est depuis la fin des années 1950 la destination principale d’expatriés haïtiens qui contribuent à la diffusion du français au Québec (Audebert, 2012 ; Pierre, 2010 ; Dejean, 1990). La plupart y ont exercé dans l’éducation à tous les niveaux et participé au côté des Québécois à la Révolution tranquille, au début des années 1960. Des Haïtiens enseignent le français en République dominicaine, par exemple, à l’Alliance française de Santo-Domingo, à l’Université APEC, etc. D’autres l’enseignent aux États-Unis, à Princeton University, à Florida International University, etc.

Le français est l’une des quatre grandes langues officielles d’Amérique (avec l’anglais, l’espagnol et le portugais), des langues indo-européennes héritées de l’expérience coloniale. Il est adopté comme langue officielle dans des organismes internationaux et est le principal moyen de communication de 274 millions de locuteurs (OIF, 2014) répartis sur les cinq continents. En général, il cohabite avec d’autres langues dans les communautés où il est pratiqué, même en France continentale reconnue officiellement monolingue, une situation paradoxale car il y cohabite avec d’autres dont des langues dites régionales, l’arabe ou des langues issues de l’immigration, incluant des créoles. Le français est dominant sur le plan national, mais dominé sur le plan international. L’expansion et la diffusion du français connaissent certes un ralenti certain, une perte de vitesse. Aussi Paxman (2016) croit-il que le français est, au XXIe siècle, une langue inutile et sans avenir.

Si l’avenir du français paraît compromis dans le Nord, il est vivant dans le Sud (Chaudenson, 2000) où il représente généralement le principal outil d’échange avec le reste du monde, le principal moyen d’accès au savoir, malgré les discours identitaires et revendicatifs de groupes militants pour la promotion des langues locales. Mais cet avenir dépend de la définition d’objectifs communs entre les États francophones du Nord et du Sud en vue de mieux positionner le français dans la mondialisation. Arrivé dans le Sud avec la colonisation, le français va devenir langue officielle de ces nouvelles communautés qui vont assurer son expansion et sa diffusion.

Par ailleurs, l’espagnol est dominant dans la Caraïbe avec 94 % de la population, l’anglais vient en deuxième position avec 3 % et le français occupe la dernière position (Taglioni, 2000). Les francophones occupent 13 % de la population panaméricaine dont plus de 1 % dans le bassin caribéen (Taglioni, 2000). Mais les données de l’auteur remontent à une époque où la population haïtienne (6 800 000 habitants) était quasiment la moitié de ce qu’elle est aujourd’hui. En Haïti, le français et l’anglais se trouvent dans une certaine compétition. « La francophonie perd du terrain en Haïti, ex-colonie française, à la faveur de l’américanophonie qui la supplante », a confié l’écrivain Frankétienne en 1998 à de Coster, en se plaignant du « manque de détermination de la France au sujet de la francophonie en Haïti ». L’américanophonie désigne cette situation consistant pour des locuteurs haïtiens à recourir à l’anglais (qui tend à évincer le français dans les représentations de prestige et de distinction sociaux) dans leurs échanges communicatifs. Beaucoup de radios de Port-au-Prince ont des émissions hebdomadaires en anglais. Une dizaine d’écoles fonctionne en anglais dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Chaudenson et Vernet (1983) avaient observé que l’anglais connaissait un prestige supérieur à celui de l’espagnol mais un peu moins que le français et qu’il était perçu comme un moyen d’aboutir à un mieux-être économique.

Malgré les actions de la Francophonie et de ses institutions socioculturelles, le français recule devant l’anglais. On célèbre tous les ans la Journée internationale de la francophonie à travers le monde, entre autres activités. La France implante à l’étranger des Instituts français et des Alliances françaises qui enseignent le français4. Le Centre de la Francophonie des Amériques (CFA) organise des activités de promotion de la francophonie dont une université d’été tous les deux ans et des mobilités de chercheurs francophones. Mais cela n’offre guère au français la promotion espérée. Nous pouvons espérer que le Plan d’urgence pour la relance de l’utilisation du français dans les organisations internationales de l’OIF réussira à atténuer la situation.

L’explication de l’influence du globalais ou mondialais (l’anglais-langue-du-monde) sur le FH se trouve dans le contexte socioéconomique et géopolitique d’Haïti au regard des États-Unis vers lesquels se tournent volontiers les Haïtiens. Hagège (2012) voit dans l’usage hégémonique de l’anglais l’avènement d’une forme de pensée unique contre laquelle il s’insurge. La montée de l’anglais est facilitée par de nouvelles politiques linguistiques anonymes observées dans le cadre de l’internationalisation de la recherche où les chercheurs incluant les francophones se croient obligés de publier en anglais. Ils font ainsi la promotion de l’anglais au détriment du français et des autres langues de longues expériences scientifiques. On risque d’arriver un moment où, pour déposer un brevet, il sera exigé au technicien de présenter les résultats de sa démarche en anglais. Publier en anglais devient une panacée comme si l’anglais était devenu LA langue scientifique universelle (ce qui est pratiquement le fait de toute langue) : « toute langue humaine est le produit d’une histoire et de voies d’évolution chaque fois spécifiques, de sorte qu’aucune ne peut avoir le statut de langue scientifique universelle, qui subsumerait toutes les autres alors même que les évolutions qui les ont construites sont immensément diversifiées » (Hagège, 2012, 122).

L’utilisation obligée de l’anglais dans l’expression de la science peut avoir pour inconvénients de 1) réduire la diversité linguistique à une seule langue ; 2) renforcer les dissymétries dans les conditions d’accès à la science internationale et dans la production et la diffusion de la science et de la technologie elles-mêmes ; 3) mettre un frein dans la communication scientifique internationale elle-même mais aussi dans la communication interculturelle et de la préservation de la paix (Hamel, 2008). Se redirige-t-on vers l’expérience du Moyen-Âge où le latin est LA langue de la science ?

I.2. Politique étrangère d’Haïti en matière de francophonie

La place du français et de la francophonie n’est pas clairement définie dans la politique (nationale et étrangère) d’Haïti. Néanmoins, le français est pratiquement la langue d’enseignement à tous les niveaux. Le créole est certes introduit comme langue d’enseignement au côté du français avec la réforme éducative de 1979, mais l’absence de suivi de cette mesure fait que le français reste formellement la seule langue d’enseignement. L’État communique essentiellement en français, notamment à l’écrit. Le journal officiel de la république – Le Moniteur – ne paraît qu’en français. Tous les textes de loi – à l’exception de la loi portant création de l’Académie du créole haïtien promulguée en 2014 – sont élaborés en français.

À un certain moment, Haïti mettait ses compétences nationales au service de la francophonie internationale. Au moment de l’accession à l’indépendance de la plupart des pays d’Afrique francophone, dans les années 1960, l’Organisation des Nations Unies (ONU) avait recruté des professionnels haïtiens (principalement des médecins, des enseignants, des sociologues, des agronomes, des avocats) qui partaient en Afrique francophone pour des missions d’enseignement et d’accompagnement dans des actions de développement grâce à la langue française en partage.

Par ailleurs, la présence d’Haïti dans des institutions internationales et sa militance à cet effet constituent un incitatif pour son adoption comme langue officielle dans ces institutions. Haïti est le seul État francophone des 15 membres de la Caribbean Community (CARICOM) dont il fait 52 % de la population et dont l’anglais était la seule langue jusqu’en 2013. À l’issue du 24e Sommet tenu à Port-au-Prince les 18-19 février 2013 sous la présidence d’Haïti, le français a été adopté comme 2e langue officielle de l’association à la demande d’Haïti. Grâce à la présence d’Haïti, le français est :

  • l’une des 3 langues de travail de l’Association des États de la Caraïbes (AEC). Créée en 1994, l’AEC comprend 25 États auxquels il faut ajouter des États associés comme la France (représentant Saint-Barthélemy et Saint-Martin) ; les Pays-Bas pour Bonaire, Saint-Eustache et Saba, et Saint-Martin, Aruba, Curaçao ; le Royaume-Uni (pour les îles Turques-et-Caïques). Les DFA Guadeloupe, Martinique et Guyane sont membres en leurs propres noms ;

  • langue de travail de la Communauté d’États latino-américains et caribéens (CELAC) qui compte 33 États : 18 pays hispanophones, 12 pays anglophones, un pays lusophone (le Brésil), un pays néerlandophone (le Suriname) et Haïti comme seul État francophone. Les langues de la CELAC sont l’anglais, l’espagnol, le français, le néerlandais et le portugais, les langues de travail étant l’anglais, l’espagnol, le français et le portugais ;

  • langue officielle de la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes aux côtés de l’espagnol, de l’anglais et du portugais.

Haïti est membre fondateur de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), ancêtre de l’OIF, créée en 1970. À la fin des années 1980, Haïti a accueilli l’Association des universités partiellement ou entièrement de langue française. Aujourd’hui, le bureau Caraïbe de l’AUF se trouve à Port-au-Prince, la direction générale pour les Amériques étant à Montréal. Haïti célèbre la journée internationale de la francophonie depuis 1993 : une journée en 1993 et 1994, une semaine de 1995 à 1999, puis une quinzaine. Le pays diffuse le français dans l’Organisation des États américains. Grâce à la participation d'Haïti à sa fondation à Bogota, en 1948 aux côtés de 21 États (qui vont être rejoints par 14 autres), le français allait être adopté comme langue de travail. Par ailleurs, lors de naissance de l’ONU, à la Conférence de San Francisco, le 28 octobre 1945, le vote d’Haïti a été si déterminant que le français a été adopté par une voix de majorité (Reboullet et Tétu, 1977). À l’origine, l’anglais et le français étaient ses seules langues de travail. L’espagnol, l’arabe, le chinois et le russe vont être adoptés plus tard. Concernant la part des langues dans le fonctionnement de l’ONU, Laponce (2008, 57) rappelle que « l’anglais "possède" 30 %, le français 16 %, l’espagnol 11 %, l’arabe 11 %, le portugais 4 %, l’allemand, le chinois et le malais 2 % chacun. » Ces données remontent à une époque où l’organisation avait 91 États. Elle en compte aujourd’hui 93 avec l’intégration de Monténégro en 2006 et du Soudan du Sud en 2011.

II. Apport du FH à la francophonie

Après avoir passé en revue la contribution d’Haïti à l’expansion et la diffusion du fait francophone notamment dans l’adoption du français dans les organisations internationales, voyons à présent l’apport du FH au fait linguistique francophone.

Le français pratiqué à Saint-Domingue va évoluer en se différenciant des variétés qui vont se développer dans d’autres colonies françaises implantées en Amérique à peu près à la même époque et de celle que pratiquaient les Français de l’époque en développant le FH (Pompilus, 1961 ; Govain, 2008, 2009, 2013, Fattier, 2012 ; Saint-Fort, 2007). C’est que le temps, l’espace et les générations impriment leurs marques sur les pratiques linguistiques. Fernand Hibbert a, en 1923, compris que le français pratiqué en Haïti était différent des autres variétés de français en faisant dire à son personnage Gérard Delhi : « … par l’action du milieu, le français que nous parlons et écrivons n’est pas plus le français de France que l’anglais des États-Unis n’est l’anglais des Iles britanniques, - et j’ajoute que rien n’est plus ridicule qu’un puriste haïtien… » (Hibbert, 1993, 77). Le FH est une variété de français propre à Haïti et différente à bien des égards des autres variétés de parlers francophones. Il est influencé par le milieu local, le CH, l’anglais et l’espagnol, Haïti partageant l’île d’Haïti avec la République dominicaine qui est de langue espagnole. Les spécificités du FH se manifestent aux niveaux lexico-sémantique, phonologique et, dans une moindre mesure, morphosyntaxique. Nous n’évoquerons brièvement ici que l’aspect lexico-sémantique qui est mis en évidence par des haïtianismes (termes ou expressions créés dans le contexte socioculturel haïtien et exprimant une réalité proprement haïtienne), des anglicismes (termes ou expressions empruntés à l’anglais), des hispanismes (mots ou expressions empruntés à l’espagnol).

II.1. Des haïtianismes

Par sa vivante littérature, Haïti contribue au patrimoine linguistique du français commun. Il est constaté dans cette littérature une forme de diglossie littéraire (Mackey, 1976) ou une hybridité linguistique (Costantini, 2003) où règnent des haïtianismes, entre autres phénomènes. La plupart des écrivains haïtiens (passés et actuels) sont de renommée mondiale. Par exemple, pour l’année universitaire 2018-2019, Yanick Lahens est nommée responsable de la chaire Mondes francophones au Collège de France où elle a donné sa leçon inaugurale le 21 mars 2019. Dany Laferrière est élu à l’Académie française en 2013. Il écrit certes globalement en français commun accessible au plus grand nombre de francophones, mais des haïtianismes émaillent ses romans. En témoignent les exemples suivants, tirés de L’énigme du retour, signalés en italique :

  • Ne rester qu’une brève nuit à Port-au-Prince avant de filer à Petit-Gôave pour revoir cette maison pas loin de l’ancienne guildive de mon grand-père (49). La guldive est une entreprise de fabrication d’une eau-de-vie haïtienne dénommé clairin ou tafia. L’origine du mot est incertaine, même s’il est indiqué dans Bollée (2017, 120) qu’il pourrait être l’altération de kill-devil signifiant littéralement tue-diable. Le mot existe aussi en français guyanais où il désigne une boisson synonyme de tafia.

  • La plupart des œuvres de Saint-Brice sont des têtes sans corps, et elles font peur à ma femme. (250). Tête-sans-corps = fantôme.

  • Les scènes hautement carnavalesques des guédés, qui boivent de l’alcool et du vinaigre à tire-larigot tout en mangeant des tessons de bouteille, ajoutent à l’ambiance. (139). Un esprit vodou. Le mot est d’origine africaine en particulier du fon (Bollée, 2017, 118).

  • Il leur avait volé leur bon ange. (38). Esprit bienfaiteur chez tout individu dans la tradition vodou. Chaque individu possède le gros-bon-ange associé au corps entier et le petit-bon-ange associé à l’esprit.

Ou dans Tout bouge autour de moi :

  • … il avait mis toute son énergie à promouvoir la lodyans, cette forme narrative si proche, affirme-t-il, de notre manière de voir le monde. (40). Le sens est dans l’énoncé. Le mot est d’origine français : audience.

  • Ce dieu a déjà un nom dans la culture populaire, Goudougoudou, d’après le bruit que faisait la terre en tremblant. (97), idéophone désignant le tremblement de terre.

  • Aristide, chimère, corruption, gouvernement de facto, déchouquage et embargo. (80). Chimère (d’origine française) = bandit à tendance criminelle ; déchouquage = renversement, destitution, est formé de trois morphèmes : 1. la racine chouk = souche, 2. le préfixe dé- (suppression), 3. le suffixe -age (servant à former un substantif d’action).

Ou encore dans L’odeur du café :

  • Mais c’est moi qui ai suggéré à Gros Simon d’aller voir Gervilien, le hougan de Morne Marinette. (75). Prêtre vodou. Il vient du fon : hungán (hun et gán) = grand chef vodou (Bollée, 2017, 134).

  • On est partis dans l’après-midi et à dix heures du soir, on pouvait voir de loin le péristyle de Gervilien. Temple vodou.

Pour Pompilus (1961), les haïtianismes sont des emprunts au CH, des mots inconnus du français ou des mots français pris dans des acceptions nouvelles, ou encore des termes dialectaux conservés par le FH. Dans un nombre restreint de cas, les haïtianismes ne proviennent pas du CH mais sont forgés dans le contexte haïtien pour exprimer une expérience proprement haïtienne. C’est le cas, par exemple, de restavec (enfant domestique) formé du verbe français rester et de la préposition avec, être en pleine ceinture signifiant être enceinte en parlant d’une femme. D’autres proviennent de l’anglais : pikliz (de pickles, sauce spéciale faite de piment, du jus d’orange sure, du vinaigre, des carottes, du chou, de l’échalote, etc., caoutchoucman (réparateur de pneus), radioman (réparateur de transistor) formés sur le modèle tennisman, barman, etc.

Les haïtianismes peuvent être relevés en fonction de champs sémantiques spécifiques :

  • du vodou : houngan (prêtre) hounsi (auxiliaire du prêtre), hounfort (office du prêtre), péristyle (temple), mambo (prêtresse), ati (chef suprême), lwa (esprit, divinité), assortor (tambour), açon (cloche mystique), point (amulette servant à jeter/conjurer un mauvais sort), expédition (mauvais sort), etc.

  • de la faune/flore : des oiseaux tels banane mure, oiseau palmiste, quite, siam, pipirite, tacot, charpentier, caw (corbeau), malfini, wanga négresse, grigri, coucou, etc. ; tobie (mâle de la mule), mabouya (petit lézard), gazelle (vache n’ayant pas encore de petit) ; mapou/mombin (arbres géants), bayahonde (arbre à épines), assorossi (plante médicinale à vertus multiples), palma-cristi (ricin), kenèpe (fruit comestible du kénépier), latanier (sorte de palmier), grenadia (fruit de la passion), coco macaque (cactus sauvage), médecinien (jetropha, plante thérapeutique), etc.

  • de la gastronomie : mamba (beurre d’arachide), grillot / tasso (viande de porc/bœuf grillée), banane pesée (morceaux de banane frits), royal (cassave enduite de mamba), etc.

  • des expériences socio-ethniques : grimeau / grimelle (homme / femme clair de peau), marabou (femme aux cheveux longs au teint naturel), plaçage (union libre ; les membres d’un couple vivant dans le plaçage sont dits placés), père savane (homme assurant des offices religieux : ondoiement d’un enfant, messe des morts… sans être formé à cette fin), grandon (grand propriétaire terrien), coumbite (association d’ouvriers pour l’entraide agricole), etc.

II.2. Des anglicismes

Par-delà ces realia haïtiennes que sont les haïtianismes, le FH comporte des anglicismes dont nous pouvons retenir : auto deal (établissement de vente de voitures d’occasions), black-out (ténèbres), break (pause, arrêt d’une activité), carwash (portique automatique de lavage automobile), chinese [ʧaniz] (mocassin), citizen (naturalisé américain), clampser = clipser (agrafer), clutch/clutcher [klɔʧ]/[kloʧe] (embrayage / embrayer), delco5 (générateur d’électricité), drum (tonneau, cylindre), plywood (contreplaqué), market (supermarché), mop (serpillère), muffler (silencieux), overtime (heures supplémentaires), payroll (paie), power steering (direction assistée), shop tire [ʃɔptajœʁ] (magasin de pneus), tank (réservoir), tubless (pneumatique sans chambre à air), tip [tep] (pourboire), socket (douille, prise électrique), switch (interrupteur), dry cleaning (nettoyage à sec de linge), etc.

Certains anglicismes n’ont pas d’équivalents immédiats en FH : carwash, clutch, flash, market, drum, delco, dry cleaning, payroll, power steering, muffler, tubless, film, socket, timing, remote contrôle (télécommande), etc.

II.3. Des hispanismes

On rencontre aussi en FH des hispanismes, des emprunts à l’espagnol dominicain ou cubain. Voici quelques exemples : batey (espace de vie établi près des installations industrielles et des champs de canne à sucre en République dominicaine), bracéro (ouvrier agricole des bateys), cachimbo (grosse pipe), carabella (tissu folklorique), coucouille (de cocuyo = luciole), gabelle (avantage spécial accordé à quelqu’un), gwayabelle (chemise à plis verticaux en avant et en arrière), guaïl (mot cubain guajiro = rustre), rapadou (pain de sucre), zafra (saison de récolte de la canne), mantègue (manteca, mantequilla = variété de beurre), borlette (loterie populaire haïtienne, de l’espagnol boletin = billet), etc.

Ces hispanismes sont parfois employés dans des romans haïtiens francophones édités à l’étranger :

  • G. Victor dans Le diable dans un thé à la citronnelle (Vents d’ailleurs, 2005) :

« Il se faufila ensuite dans la rue jusqu'à une ruelle obscure creusée entre un temple protestant et une banque de borlette » (187).

« Je lui dirai alors comment j’ai travaillé fort pendant la zafra » (104).

« Ils m’ont raconté la vie dans les batey » (104).

  • G. Victor dans Soro (Mémoire d’encrier, 2011) :

« Un home sans âge, vêtu seulement d’un jean et d’une gwayabera blanche » (122).

  • L. Trouillot dans La belle amour humaine (Actes Sud, 2011) :

« Les commentateurs des matches de foot qui font de la pub pour les importateurs de riz et de mantègue et aboient même dans les temps morts » (18).

  • Y. Lahens dans La couleur de l’aube (Sabine Wespieser, 2008) :

« Aujourd’hui quand tu poses le pied hors de ta maison tu es numéro joué à la borlette, tu ne sais pas si tu y reviendras » (180).

  • D. Laferrière dans L’odeur du café (VLB Éditeur, 1991)

Je fais un petit cabicha. (p. 154). Cabicha de l’espagnol cabezada = un somme (cabezada = dodelinement de la tête).

Généralement, les anglicismes et les hispanismes passent d’abord par le CH avant d’arriver au FH, les deux langues s’influençant de manière quasi-osmotique.

Conclusion

La situation géopolitique d’Haïti, sa présence comme membre de ces organismes internationaux comme seul État de français langue officielle et la circulation des Haïtiens dans l’espace mondialisé tendent à faire du pays une communauté stratégique pour l’expansion et la diffusion du français en Amérique. Le pays a ainsi contribué à ce que le français devienne langue officielle dans ces organismes. Il représente même une plaque tournante pour la francophonie dans la région. Mais il semble que ni les instances de la francophonie institutionnelle ni les autorités haïtiennes n’en sont conscientes. En outre, le FH contribue un tant soit peu au patrimoine du français. Par ex., les mots cassave, maïs, zombie ou zombi, déchouquer… sont d’origine haïtienne.

Enfin, la contribution d’Haïti à l’expansion du français repose notamment sur son choix d’institutionnalisation de ses langues officielles, sur l’émigration haïtienne à travers la circulation d’Haïtiens dans l’espace mondialisé. Cette contribution est remarquable dans le renforcement des fonctions prestigieuses du français au plan mondial comme langue officielle (avec l’anglais et rarement une troisième langue) de nombreuses organisations internationales. Elle aurait pu être plus forte n’était-ce la récurrence de ces crises sociopolitiques et des catastrophes naturelles à répétition qui sévissent dans le pays et qui l’affaiblissent : plus une communauté est forte, plus elle a de chance de répandre et diffuser sa langue en dehors de ses frontières naturelles. Car les produits (culturels, intellectuels, socioéconomiques, voire politiques) d’un État sont des véhicules de l’expansion et de la diffusion de sa langue au-delà de ses frontières.

1 Recensement 2013 de l’Institut haïtien de statistique et d’informatique

2 Facultés de Linguistique appliquée, de Médecine et de Pharmacie et l’Institut national de Gestion et des hautes Études internationales

3 http://www.francophoniedesameriques.com/fr/francophonie.html

4 Il existe un Institut français à Port-au-Prince et une Alliance française dans 9 des 10 chefs-lieux de département. Ils enseignent la langue aux non

5 Acronyme pour Dayton Engineeringn Laboratory Company.

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Notes

1 Recensement 2013 de l’Institut haïtien de statistique et d’informatique

2 Facultés de Linguistique appliquée, de Médecine et de Pharmacie et l’Institut national de Gestion et des hautes Études internationales

3 http://www.francophoniedesameriques.com/fr/francophonie.html

4 Il existe un Institut français à Port-au-Prince et une Alliance française dans 9 des 10 chefs-lieux de département. Ils enseignent la langue aux non-francophones haïtiens et aux étrangers séjournant dans le pays.

5 Acronyme pour Dayton Engineeringn Laboratory Company.

Citer cet article

Référence électronique

Renauld Govain, « Le français haïtien et la contribution d’Haïti au fait francophone », Revue internationale des francophonies [En ligne], 7 | 2020, mis en ligne le 29 mai 2020, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/rif/index.php?id=1041

Auteur

Renauld Govain

Renauld Govain enseigne la linguistique à l’Université d’État d’Haïti où il coordonne le laboratoire Langue, Société, Éducation (LangSÉ). Il a publié, entre autres, Le parler bolith : Histoire et description (Jebca 2017), Les emprunts du créole haïtien à l’anglais et à l’espagnol (L’Harmattan 2014), des articles et chapitres d’ouvrages sur la francophonie haïtienne, la créolistique, la dialectologie haïtienne, etc.

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