La laïcité au Cameroun : réflexion sur l’effectivité d’un principe constitutionnel

DOI : 10.35562/rif.1163

Résumés

« La loi protège la foi aussi longtemps que la foi ne prétend pas dicter la loi ». C’est dans ces termes que la loi française de 1905 consacre le principe de laïcité. Elle est alors considérée comme la séparation entre les religions, relevant de la vie privée et les institutions publiques. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en donne une définition plus précise. L’article 4 souligne qu’elle renvoie à « l'harmonisation, dans diverses conjonctures socio-historiques et géopolitiques, des principes de respect de la liberté de conscience et de sa pratique individuelle et collective ; d’autonomie du politique et de la société civile à l'égard des normes religieuses et philosophiques particulières ; de non-discrimination directe ou indirecte envers des êtres humains ».

Ce principe de la laïcité déjà établi en France sera exporté dans les colonies françaises d’Afrique pendant la colonisation. Au Cameroun, il est intégré dans l’ordre juridique à travers la Convention du mandat, puis le Décret du 28 mars 1933. Après l’indépendance de ce pays, les constitutions successives vont reconduire le principe de la liberté de l’exercice de tous les cultes non contraires à l'ordre public et aux bonnes mœurs. Par exemple, la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 consacre directement le principe de la laïcité dans quatre paragraphes de son préambule. Fort de ses fondements juridiques et même a-juridiques, le principe de la laïcité est alors brandi comme une sorte de mantra. Seulement, cette fétichisation du principe ne s’accompagne pas d’une réelle application. Il rencontre donc d’importants problèmes qui poussent à s’interroger sur son effectivité. La laïcité est-elle effective au Cameroun ? Au regard de l’aménagement juridique des rapports entre les religions et l’État, la réponse peut être positive. Mais comme en France, la question de la laïcité au Cameroun ne peut être simplement laissée au droit. Doivent être pris en compte un certain nombre d’actions et de comportements qui impactent sur l’effectuation de ce principe. En effet, contrairement aux mots du droit, subsistent des maux qui ancrent l’inégalité entre les croyances. Est toléré et même institué un régime préférentiel pour certaines religions au détriment d’autres. Dès lors, doit être évalué l’indépendance et la neutralité de l’État vis-à-vis des religions et surtout revisité la place des religions traditionnelles africaines aujourd’hui au Cameroun. C’est donc dire que la laïcité reste un défi encore difficile à relever dans ce pays comme dans la plupart des États qui l’ont réceptionné, sans épargner la France.

"The law protects faith as long as faith does not pretend to dictate the law". It is in these terms that the French law of 1095 enshrines the secularism principle. It is then considered as the separation between religions, relating to private life and publics institutions. The universal declaration of the human rights gives a more precise definition. Article 4 underlines that it refers to “the harmonization, in various socio-historical and geopolitical conjunctures, of the principles of respect for freedom of conscience and individual and collective practice; autonomy of politics and civil society with regard to particular religious and philosophical norms; direct or indirect non-discrimination against human beings”. This principle of secularism already established in France will be exported to the French colonies in Africa during colonization. In Cameroun, it is integrated into the legal order through the Mandate Convention, then the decree of march 28, 1993. After the independence of this country, successive constitutions will renew the principle of freedom of exercise for all cuts not contrary to public order and morality. For example, the Cameroonian Constitution of January 18, 1996 directly enshrines the principle of secularism in four paragraphs of its preamble. With is principle; of secularism is then brandished as a kind of mantra. However, this fetishization of the principle is not accompanied by real application. It therefore encounters important problems which raise questions about its effectiveness. Is secularism effective in Cameroon? With regard to the legal arrangement of relations between religions and the state, the answer may be positive. But as in France, the question of secularism in Cameroun cannot simply be left to the law. There are a number of actions and behaviors that have an impact on the realization of this principle. Indeed, unlike the words of the law, there are evils which anchor the inequality between beliefs. A preferential regime for certain religious is tolerated and even instituted at the expense of others. Therefore, the independence and neutrality of the state vis-à-vis religions must be assessed and above all revisited the place of traditional African religions today in Cameroon. This is to say that secularism remains a challenge that is still difficult to meet in this country as in most of the states which have received it, without sparing France.

Index

Mots-clés

laïcité, État, religion, Église, liberté

Keywords

secularism, State, religion, Church, liberty

Plan

Texte

« Plus jamais l’Église catholique ne fera de pèlerinage à Ngog Lituba, plus jamais elle n’y mettra sa croix de fer et d’acier. Nous aiderons nos frères Bati, gardiens de notre sanctuaire à lutter sans merci, physiquement, spirituellement, mystiquement, contre toute tentative de l’Église d’y remettre la croix »1. Ces mots de « Mbombog »2 Simon Mbog Bassong, l’un des chefs de la tribu Bassa-Bati-Mpoo, illustrent bien la tension que connaît le fait religieux au Cameroun. Il réagissait ainsi à la remise sur la montagne Ngog Lituba en février 2017, des symboles de l’Église catholique après que la communauté Bassa-Bati-Mpoo les y eurent arrachés un mois plus tôt3. Celle-ci considère qu’il s’agit d’un haut lieu de la religion traditionnelle où habitent les dieux et d’où ils surveillent et protègent la Terre. Malgré les enjeux importants qu’emportait cette affaire, les acteurs des libertés publiques au Cameroun n’ont malheureusement pas saisi l’occasion de discuter de la question de la laïcité qui s’inscrivait là clairement à côté de celle de la propriété. Mais ce mutisme n’était pas surprenant, tant la question de la religion divise et les uns et les autres préfèrent éviter le problème que de le résoudre. Il reste que le Cameroun, comme la plupart des États francophone d’Afrique, a réceptionné le paradigme français du rapport entre l’État et les religions. La laïcité dans cet État a été posée de la manière la plus claire possible : « la loi protège la foi aussi longtemps que la foi ne prétend pas dicter la loi ». Par cette phrase, les Républicains4 en France illustraient le divorce consommé entre l’État et l’Église5. Celui-ci est effectif avec l’adoption de la loi du 9 décembre 1905 à l’initiative du député républicain-socialiste Aristide Briand qui abroge le régime du Concordat6. C’est la fin de l’époque du Régime de catholicité où la Vérité de l’Église (catholique) s’imposait à tous. Cette séparation qui se fait progressivement7 invente une laïcité spécifique à la France qui proclame la liberté de conscience, garantit le libre exercice des cultes et pose le principe de séparation des Églises et de l’État8. Les conséquences par rapport au Concordat auquel cette loi de séparation vient mettre fin sont importantes, surtout sur le plan domanial et financier. Premièrement, les Ministres des cultes ne reçoivent plus de rémunération de l’État comme cela avait été prévu en 1801 par le régime concordataire9 et celui-ci n’intervient plus dans la nomination des évêques. Deuxièmement, les associations cultuelles remplacent les établissements publics de culte avec pour objet de subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice public d’un culte10. Elles ne perçoivent pas de subventions de l’État. Troisièmement, les biens de l’Église saisis par l’État en 1789 restent sa propriété. Cette conception des rapports entre l’État et les religions est bâtie sur le concept de laïcité. C’est sur ce paradigme de la rupture entre la foi et l’État, porté par le principe de laïcité que se sont formés les ordres juridiques des États d’Afrique francophone.

Pendant la colonisation, le principe consacré en France par la loi du 9 décembre 1901 a été étendu au Cameroun en application de l'article 7 de la Convention du mandat, puis d’un Décret du 28 mars 1933. Après la colonisation, les diverses constitutions du Cameroun vont reconduire le principe de la liberté de l’exercice de tous les cultes non contraires à l'ordre public et aux bonnes mœurs. Ce qui au départ était considéré comme une exception française, va être réceptionné dans la plupart des États d’Afrique francophone. À travers leurs Constitutions, ils vont donc réceptionner ce principe qui est en fait l’héritage de l’histoire atypique de la France. La Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 consacre directement le principe de la laïcité dans 4 paragraphes de son préambule11. C’est également le cas de la Constitution du Mali de 1992 qui précise dans son préambule qu’elle « s'engage solennellement à défendre la forme républicaine et la laïcité de l'État ». La Constitution du Sénégal précise pour sa part dans son article 1 que « la République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale »12.

Malgré cette consécration, la laïcité peine à trouver un sens communément accepté en Afrique. Les grandes controverses qui ont cours en France depuis les années 2000 permettent de saisir l’étendue de l’épineuse question de la laïcité. S’il est aisé de soutenir qu’elle renvoie à l’idée d’une séparation entre les religions relevant de la vie privée et les institutions publiques, il est difficile de préciser toutes ses implications dans la vie sociale. D’après la Déclaration universelle sur la laïcité au XXIe siècle, la laïcité est « l'harmonisation, dans diverses conjonctures socio-historiques et géopolitiques, des principes de respect de la liberté de conscience et de sa pratique individuelle et collective ; d’autonomie du politique et de la société civile à l'égard des normes religieuses et philosophiques particulières ; de non-discrimination directe ou indirecte envers des êtres humains »13. Mais dans ces définitions de la laïcité, il reste assez de considérations à préciser qui jettent de l’ombre sur son effectivité. Est-elle méconnaissance des religions ou reconnaissance de toutes les religions ? Implique-t-elle éjection de la foi de l’espace public ou plutôt permission à toutes de se pratiquer ? Les termes de la polémique semblent différents au Cameroun au regard des options gouvernementales. Tel qu’elle est mise en œuvre, la laïcité implique la reconnaissance sociale des cultes qui tient compte des spécificités du religieux en général et des particularités propres à telle ou telle religion. Ainsi, toutes les opinions, même religieuses, sont mises sur le même pied. Le rapport Stasi publié en France clarifie bien cette laïcité lorsqu’il énonce que « le temps de la laïcité de combat est dépassé, laissant la place à une laïcité apaisée reconnaissant l'importance des options religieuses et spirituelles, attentive également à délimiter l'espace public partagé »14.

Il se pose donc en France comme au Cameroun et partout dans les États ayant consacré ce principe de laïcité, le problème de l’application réelle du principe de laïcité. Si le principe de la laïcité est brandi au Cameroun comme une sorte de mantra, il reste que sa capacité à être applicable reste en débat et sa mise en œuvre effective rencontre d’importants problèmes. Dès lors, il faut s’interroger sur sa réalité. La laïcité est-elle effective au Cameroun ? Se trouve posée en ces termes la question de l’applicabilité et de l’application de la laïcité.

La réception par l’Afrique du constitutionnalisme des anciennes puissances colonisatrices, a largement participé à ce que la doctrine juridique s’intéresse peu au fait religieux. Ce dernier est très généralement abandonné aux autres sciences sociales comme la sociologie, l’anthropologie et l’ethnologie15. Il convient, par ailleurs, de questionner la pertinence et l’effectuation du principe de laïcité, d’évaluer l’indépendance et la neutralité de l’État vis-à-vis des religions et surtout de revisiter la place des religions traditionnelles africaines aujourd’hui au Cameroun.

Une analyse exhaustive de cette question du rapport entre la foi et l’État nécessite le recours à des méthodes plurielles. Les droits formels sont certes la condition nécessaire de l’égalité réelle, mais ils ne sont pas suffisants. Dans ce sens, l’interprétation des textes et de la jurisprudence est nécessaire, tout comme l’est la méthode sociologique qui, comme le rappelle Joseph Owona, « vient permettre d’analyser les normes mêmes constitutionnelles comme des choses, biunivoques, faites de phénomènes et de noumènes » (Owona, 2010, 9). Une analyse anthropologique est également importante pour saisir les rapports entre le fait religieux, la société, la culture et l’histoire. L’aménagement juridique de la laïcité implique une applicabilité du principe au Cameroun (I). Une égalité de droit entre toutes les religions est consacrée, posant les bases d’une laïcité objective. Mais dans la pratique, il faut faire le constat d’une occlusion de l’application du principe de laïcité qui débouche sur une inégalité de fait entre les différentes religions (II).

I. L’applicabilité constatée du principe de laïcité

Une règle ne vient à la vie juridique que lorsqu’elle a suivi le processus de formalisation. Il s’agit de son adoption ou de son énonciation par les autorités compétences et sa soumission aux normes qui lui sont supérieures. C’est également le cas pour les méta-normes que sont les principes. La laïcité est donc d’abord une conception des rapports entre l’État et la religion avant d’être un principe juridique. Avant sa traduction juridique, elle se présente comme une option idéologique et politique. Son aménagement emporte alors l’idée de la rendre applicable. Cette applicabilité est donc déduite d’une part de l’autorité des sources qui consacrent la laïcité (I.1.) et d’autre part, de la clarté de ses implications (I.2.).

I.1. L’autorité des sources consacrant la laïcité

La laïcité est d’autant plus applicable que ses sources formelles occupent les places les plus éminentes de l’ordre juridique. La Constitution qui consacre la laïcité a une autorité absolue dans l’ordre juridique interne (I.1.1.). La loi qui l’aménage n’en a pas moins d’autorité bien que celle-ci soit plus relative (I.1.2.). Cette autorité des sources de la laïcité lui offre plus de possibilité de réalisation.

I.1.1. L’autorité absolue de la source constitutionnelle

La Constitution irrigue tout l’ordre juridique. Cette réalité est présentée aujourd’hui à travers le concept d’« Ordre constitutionnel » (Favoreu, 1996a, 3). Norme suprême dans l’État, la Constitution confère à chaque règle ou principe qu’il consacre, une valeur éminente. C’est le cas du principe de laïcité, consacré dans le préambule de la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 de même que dans les textes internationaux auxquels une valeur constitutionnelle est attachée. La laïcité est dès lors un principe non seulement incontestable, mais également irréductible.

I.1.1.1. L’autorité du préambule de la constitution consacrant la laïcité

La question de l’autorité du préambule de la Constitution et par ricochet des principes qu’elle énonce a traversé la doctrine, penchant parfois avec pertinence du côté de ceux qui lui méconnaissaient une quelconque valeur juridique (Diarra, 2001, 4)16 et parfois avec assurance du côté de ceux qui la lui reconnaissaient (Minkoa She, 1987, 232 ; Kamto, 1991, 15). À la faveur de la révision constitutionnelle intervenue au Cameroun le 18 janvier 1996, le préambule se voit attribuer une autorité incontestable dans l’ordre interne. Il est reconnu comme faisant partie intégrante de la Constitution17. Il intègre donc, pour reprendre l’expression de Claude Emeri reprise par Louis Favoreu le « bloc de constitutionnalité » (Favoreu, 1975b, 33). La laïcité qui est consacrée dans le préambule acquiert ainsi une valeur constitutionnelle. En dehors de l’exigence faite du respect des lois de la République et de la préservation de l’ordre public et des bonnes mœurs, chaque citoyen est libre de pratiquer ou pas un culte. En effet, en tant que principe constitutionnel, il ne peut être remis en cause par les textes de valeurs inférieures qui doivent s’y conformer sous peine d’être sanctionnés.

Dès son entame, le préambule de la Constitution camerounaise énonce que « l’État est laïc. La neutralité et l’indépendance de l’État vis-à-vis de toutes les religions sont garanties ». L’énonciation du principe de neutralité et d’indépendance de l’État est ainsi assortie d’une obligation qui lui est faite de garantir celui-ci. Cet énoncé a des implications. Premièrement, l’État doit mettre en œuvre des moyens qui le protègent des influences du religieux et secondement, il doit s’abstenir de s’ingérer lui-même dans le domaine de la foi. Cette dernière conséquence est clarifiée par un autre paragraphe qui précise que « nul ne peut être inquiété en raison de ses origines, de ses opinions ou croyance en matière religieuse, philosophique ou politique sous réserve du respect de l'ordre public et des bonnes mœurs ». La liberté de choisir sa confession religieuse est reconnue à tous les citoyens qui ne peuvent, du fait de ce choix, voir leurs droits fondamentaux limités ou violés. C’est le sens qu’il faut attacher à un autre paragraphe qui énonce que « le Peuple camerounais proclame que l'être humain, sans distinction de race, de religion, de sexe, de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés (…) ». La libre croyance s’accompagne de la libre pratique qui est également précisée par le préambule de la Constitution en ces termes : « la liberté du culte et le libre exercice de sa pratique sont garantis ».

Pour veiller à la supériorité des règles posées dans la Constitution, un juge spécial a été mis en place au Cameroun comme dans la plupart des pays d’Afrique francophone afin de sanctionner les actes qui la contrediraient18. Cette même autorité est attachée aux textes internationaux qui précisent par ailleurs le principe de laïcité.

I.1.1.2. L’autorité des textes internationaux constitutionnalisés consacrant la laïcité

Plusieurs textes internationaux aménagent explicitement le cadre d’application de la laïcité. Les textes internationaux relatifs aux droits de l’Homme se sont vus reconnaître au sein de la hiérarchie des normes, une valeur plus importante qui est conférée aux conventions ordinaires (Makougoum, 2015, 95-114). La laïcité qui y est aménagée parfois dans le détail est donc valorisée à travers la constitutionnalisation des textes internationaux relatifs aux libertés fondamentales (Favoreu, op. cit., 1975b., 33 ; Minkoa She, op. cit., 18)19. La constitutionnalisation des normes internationales relatives aux droits de l’Homme s’est faite par le procédé de « l’incorporation ». Le Professeur Léopold Donfack Sokeng écrit que « l’incorporation constitutionnelle des droits humains tirés des différents instruments internationaux apparaît comme une occasion privilégiée de réécriture régionale et locale du discours universel sur les droits de l’Homme » (Donfack Sokeng, 2002, 96). La laïcité qui est donc aménagée par ces textes constitutionnalisés revêt une obligatoriété éminente. Il convient de faire premièrement mention de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui précise dans son article 18 que : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites ». Cette appartenance ou non appartenance à une religion ne doit pas entraver la reconnaissance à une personne des droits subjectifs20. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques est plus explicite sur la mise en application de la laïcité. L’article 18 dispose ainsi :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu'en privé, par le culte et l'accomplissement des rites, les pratiques et l'enseignement. 2. Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix. 3. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l'ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d'autrui. 4. Les États parties au présent Pacte s'engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux de faire assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions ».

La Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples est moins précise. L’article 8 dispose que « la liberté de conscience, la profession et la pratique libre de la religion, sont garanties. Sous réserve de l'ordre public, nul ne peut être l'objet de mesures de contrainte visant à restreindre la manifestation de ces libertés ». L’article 2 indique que « toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus et garantis dans la présente Charte sans distinction aucune, notamment de race, d'ethnie, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ».

L’autorité des conventions qui consacrent la laïcité est supérieure à celle des lois qui n’ont pas non plus une autorité négligeable.

I.1.2. L’autorité certaine de la source législative

L’aménagement de la laïcité est fait au Cameroun par la loi. Bien que soumise à la Constitution, elle a une autorité certaine qui permet aux juges ordinaires de censurer toutes violations qui seraient le fait de l’administration ou des particuliers. L’autorité de la source législative de la laïcité se manifeste par le caractère prescriptif de l’aménagement de la laïcité et à travers la nature répressive des sanctions des atteintes à la laïcité.

I.1.2.1. Le caractère prescriptif de l’aménagement législatif de la laïcité

La loi prescrit des comportements à ceux auxquels elle s’impose. Elle a donc un caractère obligatoire. À travers elle, l’État définit le régime de la laïcité. Celui-ci se décline essentiellement à travers le régime des associations. La libre croyance et pratique religieuse est consacrée à travers d’une part, la reconnaissance des associations cultuelles et diocésaines et d’autre part, l’autonomie de gestion financière autonome des Églises.

Sur le premier point, les associations religieuses doivent être autorisées comme le prévoit la loi n° 90/053 du 19 décembre 1990 relative à la liberté d’association21. La laïcité de l'État n’est donc admise qu’exclusivement à l’égard des cultes reconnus par un décret du Président de la République pris après avis motivé du Ministre en charge de l'administration territoriale 22. Mais il faut relever ce que le Professeur Bernard Momo nomme la reconnaissance de « seconde main » (Momo, 1999, 831). Il s’agit pour les Églises non autorisées d’être considérées comme reconnues « par interposition lorsqu'une congrégation religieuse légale accepte qu'une autre, dont la demande d'autorisation a été refusée, puisse travailler sous son couvert. Les "co-contractants" sont néanmoins tenus de transmettre leur demande de fusion au ministère de l'administration territoriale qui en prend acte » (ibid.). Bien que non prévue, il s’agit d’une pratique tolérée pour des raisons d'opportunité politique (ibid.). Sur ce point, le Professeur Bernard Momo relève qu’au Cameroun :

« il est difficile pour le profane de distinguer les religions reconnues de celles qui sont illicites. Cette confusion est entretenue par l'État lui-même à travers la liberté d'action qu'il accorde indifféremment à toutes ces religions et sectes. Les associations religieuses non reconnues disposent des édifices de culte et organisent des offices religieux publics. Elles créent des écoles, des dispensaires, des hôpitaux portant leur dénomination, elles reçoivent des subventions de l'État pour la réalisation des œuvres sociales » (ibid.).

Il est donc anormal de parler de laïcité de l'État admise exclusivement à l’égard des cultes reconnus par un décret du Président de la République et de reconnaître que l’État entretient lui-même une confusion sans en déduire un État « hors la loi ».

Concernant le second point, l’État a voulu donner aux religieux la pleine autonomie de leur gestion financière et il n’entend pas les subventionner même si elles peuvent recevoir des dons et legs immobiliers nécessaires à l’exercice de leurs activités23. Bien que l’État n’influence aucunement les comptes des religions, il reste qu’il peut, à travers son ministère de l’administration territoriale, adresser une réquisition afin que lui soit présenté le compte financier de l'année écoulée ainsi que l'état d'inventaire de leurs biens meubles et immeubles qu’elles ont obligation de tenir chaque année24.

Par ailleurs, la loi encadre le pouvoir de limitation de la liberté de culte par l’administration. Le juge contrôle dans le cadre des recours pour excès de pouvoir, l’usage par l’administration de son pouvoir de restreindre la liberté de culte sur le motif de l’ordre public25. Malheureusement, au Cameroun, le juge administratif refuse de contrôler la nécessité, l’opportunité et la proportionnalité des actes de l’administration (Makougoum, op. cit., 385).

À ces normes de caractère prescriptif, s’ajoute la nature répressive des sanctions des atteintes à la laïcité qui participe à conforter l’autorité de cette source législative.

I.1.2.2. La nature répressive des sanctions des atteintes à la laïcité

La source législative de la laïcité au Cameroun est également répressive. En effet, pour assurer la liberté de croyance et de pratique religieuse, l’État doit sanctionner tous les actes qui peuvent y porter atteinte. Sont réprimés les actes de troubles à la célébration des cultes et contre les ministres de culte. Le Code pénal camerounais y consacre plusieurs dispositions. Tout d’abord, l’article 269 dispose qu’« est puni d’un emprisonnement d'un mois à un an et d’une amende de cinq mille à cinquante mille francs, celui qui, par voies de fait ou menaces, contraint ou empêche de pratiquer un culte n’impliquant pas la commission d’une infraction »26. L’article 272 précise qu’« est puni d’un emprisonnement de quinze jours à un an et d’une amende de cinq mille à cent mille francs ou de l’une de ces deux peines seulement, celui qui, par des troubles ou désordres, empêche, retarde ou interrompt l’exercice d’un culte dans les lieux où il se célèbre habituellement ».

Cette répression législative épouse bien les conventions internationales qui consacrent la laïcité, notamment la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui posent la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, que ce soit individuellement ou dans un groupe, en public ou en privé et à travers le culte, les rites, les pratiques ou l'enseignement. La Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples précise clairement que les États prennent les dispositions nécessaires pour garantir ces droits découlant du principe de la laïcité. Au Cameroun, cette volonté de protéger les cultes va jusqu'à la pénalisation spécifique des outrages à l’égard des ministres du culte. L’article 270 précise qu’« est puni d’un emprisonnement d'un mois à trois ans, celui qui frappe ou injurie publiquement le ministre d’un culte à l’occasion de l’exercice de son ministère ». Ainsi, comme certaines personnalités publiques, notamment le Président de la Républiques, les ministres, les parlementaires les corps diplomatiques, les ministres de cultes font l’objet d’une surprotection27 par rapport aux citoyens ordinaires.

Il convient de préciser par ailleurs que le Code pénal réprime la pratique des religions qui porte atteinte à la sécurité, à l'ordre à la morale ou aux droits et libertés des autres. En effet, la liberté de pratiquer sa religion ne peut être possible que s’il y’a de l’ordre et si les autres droits qui sont tout aussi fondamentaux ne sont pas neutralisés.

La déduction de l’applicabilité du principe de laïcité est faite également à travers la clarté des implications de la laïcité.

I.2. La clarté des implications de la laïcité consacrée

Deux conséquences majeures découlent du principe de la laïcité au Cameroun. Il s’agit premièrement de la neutralité de l’État qui signifie a contrario liberté pour les religions (I.2.1.) et secondement de l’égalité entre tous les cultes reconnus (I.2.2.).

I.2.1. La neutralité de l’État

La neutralité de l’État signifie que d’une part, il doit s’abstenir de s’introduire dans le fait religieux et d’autre part, qu’il doit être à l’abri de toute influence du religieux.

I.2.1.1. L’interdiction de l’intrusion étatique dans le fait religieux

Dès son accession à l’indépendance, le Cameroun marque son option pour la laïcité et décline immédiatement ses implications à travers le préambule de la Constitution du 4 mars 1960 qui énonce que : « le principe de laïcité sous l'égide duquel le peuple camerounais place la République s'entend par la séparation des Églises et de l'État. Il implique que la République n'est ni religieuse, ni ecclésiastique ». La neutralité de l’État à l’égard du fait religieux était ainsi proclamée de manière claire. Dans un discours prononcé quelques temps après, le Président Ahmadou Ahidjo précisera que « le Gouvernement, fidèle à la tradition de la puissance tutrice, observera vis-à-vis de toutes organisations confessionnelles le même esprit de neutralité pour la libre évangélisation des masses camerounaises » (Mbomé, 1979, 180).

Mais il faut bien préciser que l’État adopte une neutralité active qui consiste à intervenir pour que toutes les religions reconnues puissent librement pratiquer leur culte et mener les autres activités d’évangélisation à travers notamment la création des écoles et les hôpitaux. C’est donc une laïcité de reconnaissance sociale des religions28 qui est consacrée. Elle est expliquée par Jean-Paul Willaime en ces termes : « le régime de laïcité n'établit donc pas une frontière aussi étanche qu'on le pense entre État et religions. Une « séparation bien tempérée », une neutralité « bienveillante » ou « positive », « nouveau pacte laïque », autant d'expressions qui témoignent d'une évolution allant dans le sens d'une laïcité sans agressivité à l'égard de la religion et cherchant au contraire à aménager la place et le rôle du religieux dans la société » (Willaime, 2005, 68)29. La laïcité est donc une option politique et une traduction juridique de la place de la religion dans des sociétés qui consacre l'autonomie réciproque du politique et du religieux et distingue la citoyenneté de l'appartenance religieuse. Cette neutralité se traduit également par l’interdiction faite par la loi de 1990 relative à la liberté d’association de subventionner les religions par l’État.

Le fait religieux est donc extérieur à l'État et comme le souligne Jean Rivero, ce dernier adopte à l'égard des Églises et des religions une attitude d'impartialité, de neutralité (Rivéro, 1972, 291 et s.). En retour, il est interdit aux religions de s’immiscer dans les affaires de l’État.

I.2.1.2. L’interdiction de l’immixtion du religieux dans les affaires de l’État

L’origine la plus lointaine de l’interdiction de l’immixtion du religieux dans les affaires de l’État est à trouver dans la Bible. En effet, à la question posée à Jésus-Christ de savoir s’il fallait payer les impôts à l’empereur Romain, il répondra par cette phrase que convoquent même les non-croyants : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu »30.

Au Cameroun, l’immixtion du religieux est formellement sanctionnée comme le démontre la jurisprudence administrative dans les affaires Eitel Mouelle Koula31 et Nana Tchana Daniel Roger32. Dans les deux affaires, les requérants demandaient l’annulation du décret du 13 mai 1970 constatant la dissolution de « la secte » des Témoins de Jéhovah33. À l’appui des requêtes, ils arguent que celui-ci était pris en violation du paragraphe 2 de l'article premier de la Constitution de 1961, de l'article 18 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et des articles 9, 32 et 33 de la Loi n° 67/LF/19 du 12 juin 1967 sur la liberté d'association qui fondaient la liberté de culte. Le juge va rejeter les prétentions en considérant que la secte des témoins de Jéhovah avait dévié de son objet initial en prônant l'abstention à l'élection d'avril 1970 et que par conséquent, elle s'était comportée comme un parti politique. Dans ce sens, le juge décide que la dissolution de la secte des Témoins de Jéhovah ne saurait être interprétée comme une violation de la liberté de culte par l'État. Le juge considère donc dans ces deux affaires que les témoins de Jéhovah se sont immiscés dans les affaires de l’État alors même que cela leur est interdit.

L’Église Catholique a également eut l’occasion de signifier son abstention face aux affaires de l'État en 1970 dans un communiqué publié à la suite de la condamnation de Mgr Albert Ndongmo : « l'Église du Cameroun traverse actuellement un des moments les plus difficiles de l'histoire [...] un évêque est mis en cause. Mais les chefs d'accusation ne sont pas d'ordre religieux. L'affaire à notre connaissance est au stade des enquêtes de police ; nous espérons qu'elle suivra son cours selon le droit et la justice »34.

Cette neutralité est complétée par l’égalité entre les religions.

I.2.2. L’égalité des religions

L’égalité est un élément clés de la laïcité. Ainsi, « l'absence de reconnaissance institutionnelle des religions ainsi que l'affirmation de neutralité religieuse de l'État imposent à ce dernier de les traiter toutes de manière égale, sans en privilégier ni en défavoriser aucune » (Prélot, 1999, 849). Toutes les religions se doivent d’être reconnues de la même manière. Dès le moment où un État aménage un régime spécifique à une religion, on ne peut plus parler de laïcité (Owona, op. cit., 505 et s.). La laïcité implique donc une égalité dans la reconnaissance des religions d’une part et d’autre part dans leur traitement.

I.2.2.1. L’égalité dans la reconnaissance des religions

L’égalité entre les religions est par principe affirmée dans les textes constitutionnels, à travers la consécration de la liberté de conscience qui se traduit par la reconnaissance de la nature laïque de l’État. Parlant de la consécration de la laïcité par la législation française, le professeur Jacques Robert souligne que ces « textes signifient que l'État, en France, ne donne sa préférence à aucune religion puisqu'il n'en aide aucune, mais il les reconnaît toutes et assure le libre exercice des cultes de chacune d'entre elles » (Robert, 1977, 361). C’est donc tout le contraire qu’il faut considérer dès lors que dans un État, une religion est consacrée au milieu de plusieurs autres. Dès qu’une religion est reconnue par l’État qui lui détermine un statut particulier, il est évident que l’égalité est rompue et qu’on est là en présence, non pas d’un État laïc, mais d’un État confessionnel. C’est le cas notamment de plusieurs États qui consacrent l’islam comme religion d’État. En Iran, le principe IV de la Constitution prévoit que « l’ensemble des lois et règlements doit être basé sur les préceptes islamiques. Ce principe prime sur le caractère général et absolu de tous les principes de la loi constitutionnelle ». En Arabie Saoudite, l’article 23 de la Constitution dispose que « l’État protège l’islam et applique la sharia »35. Les Républiques confessionnelles comme la Libye, l’Égypte, le Pakistan ou l’Afghanistan qui reconnaissent une religion comme le référentiel de l’ordre juridique ne pratiquent pas une égalité entre elle et les autres.

La laïcité implique donc qu’aucune religion ne soit pas reconnue de manière particulière par rapport à d’autres. Ce principe s’applique également pour ce qui concerne leur traitement.

I.2.2.2. L’égalité dans le traitement des religions

L’État se doit d’adopter une certaine posture par rapport aux religions une fois qu’il a opté pour la laïcité. Au-delà de l’absence de reconnaissance d’une religion d’État, il doit réserver un traitement juridique non discriminatoire aux religions. Le rapport de l’État aux religions ne doit donc pas muter en fonction des religions. Ces dernières doivent être reconnues de la même manière, les conditions de la pratique de leur culte doivent être identiques, le cadre de leur limitation également.

Les avantages accordés à une religion doivent l’être pour toutes les religions ou s’ils sont refusés à une, qu’ils le soient pour toutes. C’est dans ce sens que parlant de la laïcité, Pierre-Henri Prelot note qu’« on ne saurait mieux exprimer l'idée que toutes les religions ont vocation à être traitées en droit de la même manière » (Prelot, op. cit., 870). Une attitude discriminatoire s’interpréterait simplement comme un « déni de laïcité » (ibid., 871).

Dans la mesure où les religions se présentent essentiellement comme des systèmes de croyances qui définissent des vérités, des dogmes et des préceptes, l’État est interdit d’y pénétrer puisqu’il est a-religieux. Il ne prend donc position que pour ce qui concerne des éléments extérieurs aux religions, à savoir les risques de troubles à l’ordre public, des atteintes aux bonnes mœurs et la garantie d'autres libertés de même rang.

Le Cameroun ayant opté pour une laïcité de reconnaissance des religions, l’égalité signifie par exemple de conférer le statut d'associations cultuelles, de congrégations religieuses, ou encore d'octroyer une plage horaire dans les émissions religieuses télédiffusées du service public à toutes les religions dont les pratiques ne troubleraient pas l’ordre public36.

Mais il faut dire que cette neutralité n’est pas toujours respectée par l’État du Cameroun.

II. L’application altérée du principe de laïcité

La neutralité qui sous-tend la laïcité est loin d’être ancrée dans la pratique au Cameroun. Elle est certes consacrée par le droit et clamée dans les discours politiques mais reste largement compromise dans les faits. Il s’agit donc d’une laïcité de façade. Certains cultes sont mieux reconnus et valorisés que d’autres, ce qui met en péril les principes de neutralité de l'État et d’égalité entre les religions. Il faut constater au Cameroun comme le fait le rapport Stasi pour la France, que « la mise en œuvre du principe de laïcité n'a pas encore permis de combler des déficits d'égalité entre les croyants ou entre ceux-ci et les athées »37. La laïcité est donc contredite aussi bien par des actions de l’État (II.1.) que par ses omissions (II.2.).

II.1. Les actions de l’État contre la laïcité

La laïcité suppose que l’État prenne des actions, non pas de promotion des religions ou de répression des non religieux, mais qui permettent aux uns et aux autres de pratiquer sereinement leur culte. C’est dans ce sens par exemple que les agents de service public ont droit à leur liberté de conscience, mais pas à la manifestation de leurs convictions religieuses et que les usagers, ont pour leur part le droit d’exprimer leur croyance, « dans les limites du respect de la neutralité du service public et du bon fonctionnement de celui-ci ». Ainsi, les usagers s’abstiennent de tout prosélytisme » (Willaime, op. cit., 74.) et ne doivent en aucun cas récuser un agent public ou d’autres usagers en raison de leur conviction. Seulement, c’est une toute autre réalité qu’il faut constater au Cameroun avec l’institutionnalisation des privilèges pour certaines religions (II.1.1.) et leur promotion explicite (II.1.2.)

II.1.1. L’institutionnalisation des privilèges de certaines religions

La consécration de la laïcité dans les textes les plus éminents de l’État n’empêche pas des tensions et crispations face aux religions. Celles-ci révèlent la persistance implicite d'un régime qui pose les bases d’une inégalité dans la considération des religions. Par exemple, en France, malgré tous les moyens qui sont mis en œuvre pour implanter le principe de laïcité, certains pensent qu’ils cachent un projet islamophobe (Dominique Schnapper dans Scott., Schnapper, 2018)38. Bien que le constat puisse être fait au Cameroun, ce n’est par contre pas l’Islam qui est discriminé. Une analyse du régime et de la pratique des religions au Cameroun montre qu’en dehors des religions chrétiennes et musulmanes, les autres se trouvent de fait, moins bien prises en compte.

II.1.1.1. La formalisation des jours de consécration des religions privilégiées

S’il y a égalité de droit des cultes au Cameroun, il y a par contre une inégalité de fait entre elles. Certaines religions bénéficient au détriment des autres, d’un régime de privilèges. Il s’agit spécifiquement du Christianisme et de l’Islam. Pour le premier, l’accent est plus marqué sur le catholicisme. Le dimanche est consacré comme un jour d’inactivité dans la mesure où les chrétiens doivent en disposer pour leurs différents cultes (Hennion-Moreau, 1990, 434)39. Par conséquent, le service public exclut le dimanche qui est considéré comme jour de repos en référence au 7e jour que mentionne le livre de la Genèse comme étant le jour où Dieu s’est reposé après la création du monde40. C’est donc, selon l’expression chrétienne, le « jour du seigneur ». La détermination de ce jour spécifiquement comme jour de repos pour tout le monde établit une « discrimination fondée sur la religion au profit des pratiquants de religions qui prescrivent le dimanche comme jour de repos » (Couffin, 1997, 28)41.

C’est la même considération que l’on retrouve notamment en France ou le Conseil d'État a eu à reconnaître que ce pays met en œuvre « une laïcité sur fond de catholicisme »42. Dans un commentaire de la décision, Patrice Rolland relève qu’il s’agit là d’un « aveu intéressant et honnête de la haute assemblée qui admet ainsi que le modèle à travers lequel la République Française règle les relations Églises-État reste très marqué par le catholicisme » (Rolland, 2012, 20 ; Poulat, 2003, 160)43. Ce jour de consécration est un héritage de la colonisation qui ne repose sur aucun élément objectif et neutre. Ce choix est d’autant plus marqué du catholicisme que le Cameroun ne faisait pas partie de l’AEF qui avait le statut de colonie contrairement à ce pays qui n’était que sous tutelle française.

À côté du Christianisme, l’Islam fait également office de religion de privilèges au Cameroun (Boyer, 1993, 223)44. Si le vendredi qui est le grand jour de prière musulmane n’est pas explicitement consacré comme un jour d’inactivité pour les agents publics de cette confession religieuse, il reste que leur permission dans les services publics est devenue systématique lorsque vient l’heure de la prière. Le fonctionnement du service public a depuis longtemps intégré cette pratique comme la norme. En dehors de ces religions, aucune autre ne bénéficie de privilèges liés au jour qu’elle consacre à son culte. Cette considération inégalitaire s’inscrit en contradiction avec l’idée de traitement égalitaire des religions qui est le socle de la laïcité. Le constat du traitement différencié des religions doit être fait également au niveau des jours dédiés à leurs festivités.

II.1.1.2. La formalisation des festivités des religions privilégiées

La formalisation des jours de fêtes religieuses est sans doute l’un des faits les plus marquants de l’occlusion du principe constitutionnel de la laïcité. En effet, l’inégalité entre les religions est très marquée à ce niveau. Comme préalablement relevé, le christianisme (surtout le catholicisme) et l’islam sont mieux pris en compte que les autres. Les religions dites animistes mais qui correspondent à la qualification de religions traditionnelles africaines, pourtant antérieures aux religions privilégiées, sont tout simplement ignorées.

Cette discrimination a pour socle juridique la loi n° 73/5 du 7 décembre 1973 fixant le régime des fêtes légales en République Unie du Cameroun. L’article 3 dispose que :

« sont considérées comme fêtes légales religieuses et célébrées comme telles les fêtes d’inspiration religieuses ci-après :
- l’Ascension ;
- le Vendredi Saint ;
- l’Assomption (15 août) ;
- la Noël (25 décembre) ;
- la Fête de fin de Ramadan (Djouldé Soumaé) ;
- la Fête du Mouton (Djouldé laïhadji).
Lorsqu’une fête légale religieuse est célébrée un dimanche ou un jour férié, le Président de la République peut, par arrêté, déclarer férié non chômé le jour consécutif ».

À l’analyse, tous les jours consacrés pour les fêtes religieuses ne concernent que deux religions exclusivement, le Christianisme et l’Islam. Cette reconnaissance des jours de fêtes de ces religions renforce grandement l’idée du traitement différentiel et prouve s’il en était encore besoin, la lésion des autres religions et de ceux qui les pratiquent telles que les religions fondamentalement africaines, le bouddhisme, etc. Comme le souligne, Bernard Momo, « l'insertion des fêtes religieuses dans le calendrier national est une limite juridique au principe de la laïcité de l'État du Cameroun » (Momo, op. cit., 841).

Par ailleurs, les jours fériés obligent également les non-croyants qui ne peuvent bénéficier des services publics. Une neutralité plus réelle serait notamment comme dans le cas de la France où malgré la prise en compte de certains jours de fêtes par le code du travail, le Ministère de la fonction publique publie chaque année pour les agents publics une circulaire dans laquelle sont listées, à titre d’information, les dates des principales fêtes religieuses des cultes orthodoxe, israélite, musulman et bouddhiste. Ainsi, les agents publics peuvent demander l’autorisation d’absence pour ces jours-là. Dès lors, leurs chefs de service détiennent un pouvoir discrétionnaire pour l’accorder ou non. Cette absence doit en effet demeurer compatible avec le fonctionnement normal du service. Pour les élèves de l’enseignement scolaire public, des autorisations peuvent également être accordées mais le Conseil d’État a souligné que ces absences ne pouvaient être que ponctuelles (rejet d’une dérogation systématique de présence le samedi, jour du Shabbat, par exemple)45. C’est donc dire qu’en France, il y’a une reconnaissance par le Code du travail des fêtes religieuses chrétiennes et un aménagement pour les fêtes des autres religions46.

II.1.2. La promotion institutionnalisée des religions privilégiées

Bien que le principe de laïcité emporte obligation pour les pouvoirs publics de ne pas manifester un intérêt particulier pour une ou des religions particulières, fort est de constater qu’au Cameroun, cette exigence n’est pas rigoureusement prise en compte. En effet, les pouvoirs publics affichent une attitude particulièrement bienveillante à l’égard des religions chrétiennes et musulmanes. À celles-ci, il est accepté et promu des manifestations sur les places publiques, de même que dans les médias.

II.1.2.1. La promotion sur les places publiques

Participe à conforter l’idée des religions privilégiées au Cameroun, le fait qu’à certains moments, certaines religions soient davantage mises en exergue dans les évènements et lieux publics. Concernant premièrement certains évènements nationaux qu’organisent les pouvoirs publics, sont très souvent conviés les représentants de ces religions et pas ceux des autres. Ainsi, on verra davantage représentés les religions catholiques, protestantes et musulmanes. En vain y cherchera-t-on les représentants par exemple des témoins de Jéhovah, des représentants des bouddhistes pourtant en nombre de plus en plus important au Cameroun, des représentants des religions traditionnelles africaines. À l’occasion de la cérémonie de présentations des vœux au Président de la République, le Nonce apostolique au Cameroun qui est systématiquement convié a eu à plusieurs reprises la charge de faire une intervention au nom du corps diplomatique47. La présence des représentants de ces religions est également à noter lors de la soirée de l’unité offerte traditionnellement au palais de l’unité où lors des hommages officiels de toutes sortes. Ces invitations ne sont pas adressées sur la base de l’équilibre afin que toutes les religions y soient représentées. Par ailleurs, s’il existe des cimetières musulmans et chrétiens, on ne peut en dire autant pour les autres. Au Bénin, ce privilège va jusqu’à l’obligation pour le Président de la République de prêter serment au nom de « Dieu, les Mânes des Ancêtres »48.

Il convient également de rappeler, pour relever l’influence de certaines religions qui sont mieux mises en exergue que les conférences nationales des années 1990 ont été présidées par des éminences catholiques. C’est le cas de Mgr Isidore de Souza pour le Bénin, de Mgr Philippe Kpodzro pour le Gabon. Un cas marquant a été celui de la RDC (ex-Zaïre) où il a fallu la pression du Vatican pour que la conférence reprenne après sa suspension par le président Mobutu (Codja, 2018).

Concernant deuxièmement les manifestations religieuses sur les places publiques, les religions privilégiées obtiennent aisément les autorisations nécessaires et même de l‘accompagnement des forces de maintien de l’ordre pour permettre le déroulement harmonieux de leurs activités. Voit-on donc très régulièrement le vendredi - considéré comme jour de prière des musulmans - des routes barrées à proximité des mosquées et des forces de maintien de l’ordre déployées pour faciliter aussi bien le déroulement de ce culte que la circulation qui ne manque pas d’être gênée dès la sortie de la mosquée par les fidèles. Dans le même ordre d’idée, principalement le jour de « la fête Dieu » dans le culte catholique, d’importants déploiements sont observés sur la voie publique sans que besoin soit pour ces religions d’obtenir une autorisation. En effet, la loi n° 90/055 du 19 décembre 1990 portant régime des réunions et des manifestations publiques prévoient que ces manifestations n’ont pas besoins de titre particulier parce que considérées « comme des sorties sur la voie publique conformes aux traditions et usages locaux ou religieux »49.

Troisièmement, la promotion des religions dans les institutions publiques est faite notamment à travers l’institution d’un système d’aumônerie dans certains lieux tels que les églises et les prisons. Dans ces cas, non seulement n’y sont considérés que certaines religions, mais en plus, la désignation des aumôniers dépend pour une large part de l’État ou de la personne publique considérée.

Quatrièmement, alors que le principe de laïcité exclut la subvention des cultes par l’État, il est devenu traditionnel que le Chef de l’État offre des dons aux pèlerins pour « Hadj »50 . Pour l’année 2019, le président a fait un don de 1 milliard de francs CFA pour soutenir les frais de transport des fidèles et a offert des vêtements et accessoires pour 2839 pèlerins51. En 2018, il avait fait un don de deux valises par pèlerin52. Il devient clair à partir de là qu’au Cameroun il est appliqué une laïcité à contenu variable. Cette difficulté d’effectivité de la laïcité est révélatrice de l’absence de prise en compte de nos réalités socio-politiques dans la fabrication de la norme. En important, sans qu’elles recouvrent forcément les réalités des États africains, des règles d’ailleurs qui sortent, comme c’est le cas de la laïcité, de deux siècles de batailles idéologiques françaises, ces États sont contraints de procéder à des adaptations qui vident le texte même de sa substance. En effet, financer le pèlerinage sur fond public peut être justifiable culturellement compte tenu de la sociologie camerounaise. Encore faudrait-il que le droit puisse s’insérer ou soit compatible avec les réalités auxquelles il s’applique.

Le traitement des religions à travers les médias de service public est également révélateur de l’occlusion de la pratique de la laïcité au Cameroun.

II.1.2.2. La promotion dans les médias de service public

La neutralité de l’État qui se traduit par le traitement égalitaire des religions implique logiquement que les médias du service public doivent prendre en compte toutes les religions ou alors toutes les ignorer. Un média de service public qui diffuse des cultes religieux ou des programmes d’enseignements ou de promotion d’une religion, doit en faire de même pour toutes celles qui sont reconnues. À ce niveau au Cameroun, la laïcité a du mal à s’incruster. Par exemple, la radio et la télévision nationales diffusent systématiquement des cultes chrétiens le dimanche matin et les cultes spéciaux les jours de fêtes de cette religion. De même, le vendredi, sont diffusées des émissions d’enseignement et de promotion de l’Islam. Ces espaces de promotion sont réalisés au grand dam même des autres variantes du christianisme qui ne voient jamais leurs cultes promus dans ces médias censés respecter le principe d’équilibre qu’emporte la laïcité. Sur quel critère porterait donc le choix de la diffusion des programmes relatifs à l’une ou quelques-unes des confessions religieuses et non sur une ou les autres ? Le choix ne semble pas répondre à une logique cohérente avec l’idée de laïcité, mais davantage de la logique politique. Il semble se situer sur le caractère dominant de ces religions qui comportent un plus grand nombre de fidèles.

Contrairement au Cameroun, la diffusion des programmes religieux en France concerne les principales religions qui sont pratiquées. Le cahier des charges de France 2 approuvé par le décret du 16 septembre 1994 modifié indiquait que : « La société diffuse le dimanche matin des émissions à caractère religieux, consacrées aux principaux cultes pratiqués en France ». Ces émissions sont financées par la société télévisuelle et ce coût représente une subvention non négligeable pour les cultes qui en bénéficient. Analysant cette pratique, Jean-Paul Willaime note que « l’on peut dire qu'en France il y a un régime des cultes médiatiquement reconnus » (Willaime, op. cit., 70). Les religions traditionnelles africaines pourtant originelles devraient y être mieux prises en compte.

L’obstruction de la réalisation de la laïcité se manifeste donc à travers des actions de l’État, mais également à travers l’omission d’un certain nombre de mesures et d’actions qui devraient participer à ancrer le principe de laïcité.

II.2. Les omissions de l’État contre la laïcité

La différence est a priori toujours perçue comme un danger. Bien que certaines religions soient antérieures à celles qui ont, comme précédemment démontrées, les faveurs du droit, il reste qu’elles ont depuis la colonisation été perçues comme des particularismes. C’est ainsi que dès l’arrivée du christianisme en Afrique, les religions traditionnelles africaines sont présentées comme étant diaboliques. Elles sont taxées de barbares, de fétichistes, d’idolâtres, d’animistes. Les consignes des « pères » dans leurs évangiles embarrassent les africains chrétiens qui acceptent les prescriptions en journée et vont nuitamment continuer les pratiques ancestrales qui ont structuré leur vie et qui leur ont été transmises par leurs ancêtres. Cette perception négativiste des religions africaines va se décrisper quelque peu dans les années soixante avec le Concile Vatican II tenu en 1962. Le mouvement se poursuivra en 1994 avec le premier synode des évêques pour l'Afrique et en 2009 avec le deuxième synode pour l’Afrique. Ces différentes assises vont permettre de prendre en considération les relations entre l'Église catholique et les religions traditionnelles africaines. Malgré cette considération donnée aux religions africaines ancestrales par l’Église catholique, le Cameroun ne leur a pas reconnu un statut officiel comme pour le Christianisme et l’Islam. L’État n’a pas mis en place des mécanismes qui en permettent la protection (II.2.1.) et toutes sortes d’attaques contre ces religions ne sont ni condamnées, ni réprimées par les autorités (II.2.2.).

II.2.1. L’absence d’une protection des religions traditionnelles africaines

Les religions traditionnelles africaines ne bénéficient pas d’une protection semblable à celle des religions dites « du monde », considérées comme universelles. Non seulement elles ne sont pas consacrées même implicitement comme les autres, mais de surcroit, elles ne sont pas impliquées dans les évènements publics qui rassemblent les différentes confessions religieuses.

II.2.1.1. L’absence de consécration des religions traditionnelles africaines

Le Christianisme et l’Islam qui sont, dans une certaine mesure, perçus au Cameroun comme des religions universelles, des religions qui ont dépassé leur lieu de naissance pour s’étendre au-delà des frontières continentales. Ce succès a tendance à faire apparaître les religions qui n’en sont pas comme sectaires et dangereuses. Il pèse donc sur les religions traditionnelles africaines une présomption d’obscurantisme. Pourtant, la religion relève de l’identité de chaque peuple, de son vécu, de sa perception des phénomènes qui l’environnent, du cosmos. Dans ce sens, il devient indiscutable qu’avant le Christianisme et l’Islam, l’Afrique avait sa religion et celle-ci ne doit absolument pas son existence à une reconnaissance, soit-elle faite de bon cœur par les religions importées qui n’en n’ont ni la qualité, ni la légitimité. Les religions traditionnelles africaines existent en elles-mêmes et non à travers les autres. Par conséquent, elles devraient être reconnues de manière tout à fait formelle comme les autres, faire l’objet de protection, ses jours particuliers de célébration consacrés ; ses prêtres devraient participer aux cultes œcuméniques, etc. D’ailleurs, le préambule de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des peuples de 1981 précise que les États doivent prendre en compte « les traditions historiques et les valeurs de civilisation africaine ».

Malheureusement, il faut faire au Cameroun le constat d’une consécration discriminatoire, qui lèse les religions traditionnelles africaines et qui dans leur conception même, n’ont pas besoin d’une reconnaissance formelle. Elles ne sont pas conçues sur le modèle des religions « du monde », ne reposent pas sur les mêmes paradigmes et ne s’organisent pas comme celles-ci. C’est pour cette raison que la formalisation de l’existence des religions à travers les autorisations d’associations tranche avec la conception de ces religions millénaires. Non reconnues formellement, les religions traditionnelles africaines sont mises en marge et il ne leur est aménagé aucun jour de célébration des cultes, leurs jours de festivités sont ignorés et ne font pas comme ceux des religions privilégiées, l’objet de jours fériés. Il serait opportun de revisiter la laïcité à la camerounaise afin de la rendre plus protectrice de toutes les religions et notamment des religions de souche africaines.

Dans cette mesure, l’égalité qui est le socle du principe de laïcité se trouve piétinée au travers également d’une absence d’intégration des représentants de ces religions traditionnelles africaines aux évènements à caractère œcuménique.

II.2.1.2. L’absence d’intégration aux évènements œcuméniques

Deux perceptions de la laïcité s’affrontent en France. L’une est rigide et entend évacuer des lieux publics tous les signes religieux ostensibles : interdiction des croix, voiles et même des menus. Pour celle-ci, la religion c’est exclusivement dans l’espace privé qu’elle doit s’exprimer, ce qui favorise le développement des groupes exclusifs. L’autre est plutôt ouverte et admet que les signes soient affichés en public à condition que ce soit la même chose pour toutes les religions. L’égalité est donc le socle de cette conception. Cette vision favorise une communion et un vivre ensemble dans la différence religieuse. D’une France à une autre, les deux visions sont implémentées, les élus locaux y allant de leur perception propre. La seconde vision de la laïcité semble être celle qui est pratiquée au Cameroun. En effet, bien que la neutralité soit consacrée, les signes religieux ne sont pas interdits dans les lieux publics53, les prières se pratiquent dans ces enceintes et lors des cérémonies officielles, les représentants des différentes confessions religieuses sont parfois invités à célébrer un culte œcuménique.

Mais ces moyens d’expression et de promotion des religions sont réservés à certaines seulement, toute pratique qui s’en éloigne est systématiquement stigmatisée, taxée de sorcières, dénoncée et peut même faire l’objet de poursuites judiciaires. Dans cette logique, les adeptes des religions exclusivement africaines s’abstiennent de manifester ou pratiquer leur culte en public et préfèrent les lieux plus discrets pour leur culte. Comme une suite logique de cette méfiance à l’égard des religions traditionnelles africaines, en vain verra-t-on invités lors des cérémonies publiques, les prêtres et autres représentants de ces religions ; dans une moindre mesure des chefs traditionnels qui ne sont pas toujours sur le plan des pratiques cultuelles africaines, les plus indiqués. Cela démontre une laïcité de deux poids deux mesures, une pratique de discrimination des religions qui conduit à s’interroger sur l’effectuation de la laïcité dans ce pays.

Cette discrimination est également perceptible dans l’absence de répression des actes profanatoires et blasphématoires des religions traditionnelles africaines par les religions dites « du monde ».

II.2.2. L’absence d’action contre les atteintes aux religions traditionnelles africaines

Les institutions des religions qui sont sous un régime de privilège au Cameroun bénéficient en dehors de la protection et de la promotion susmentionnées, d’une certaine immunité qui les amène à porter atteinte aux religions traditionnelles africaines. En face, il faut noter une absence d’indignation sociale et de répression effective des atteintes à ces religions.

II.2.2.1. L’absence d’indignation face aux atteintes

Les causes de l’absence de répression des atteintes aux religions traditionnelles africaines au Cameroun sont paradoxalement d’abord religieuses. Dès la colonisation, les racines religieuses des peuples d’Afrique dans leurs manifestations, à savoir les rites54, les musiques et les danses, les prières et les autres observances, ont été considérées a priori par les premiers missionnaires comme diaboliques. Cette appréciation est bien entendu faite sans que les contours exacts de ces religions aient été étudiés (Bujot, 2000, 41). Tout ce qui importait alors était que ces religions étaient contraires à la nouvelle religion qu’ils apportaient et qu’ils défendaient en brandissant régulièrement l’exclusion des fidèles de la communauté chrétienne. À la question de savoir si on pouvait être africains et chrétiens (Sourou, 2009), en même temps, la réponse était négative. Il fallait abandonner les traditions et répondre à un appel nouveau, celui du Christ. La différence était mal acceptée. Il faudra le Concile Vatican II pour que l’Église déclare officiellement que par principe, il était possible de réconcilier certaines pratiques des religions traditionnelles africaines55. Mais dans les aspects distincts, ces dernières n’étaient pas tolérées. Elles étaient pour le christianisme ce que la coutume est aujourd’hui pour le droit, c’est-à-dire qu’elle ne doit être prise en compte que dans ses aspects qui ne sont pas contraires au droit. Ainsi, les religions traditionnelles n’étaient tolérées que dans leurs implications qui ne contredisaient pas le christianisme. C’est ainsi qu’il est devenu possible de faire des cultes en langues locales et donc moins de latin, qu’il est devenu possible d’exécuter des chants et d’utiliser des objets de la tradition lors des messes56, etc. Ces considérations ont également été prises en compte dans une moindre mesure dans l’Islam.

La majorité des populations colonisées ayant adhéré à ces religions importées, s’est cristallisée au fil du temps, une méfiance à l’égard de ces religions traditionnelles au point où elles sont devenues comme étrangères. Dans ces dispositions d’esprit, lorsque les prêtres et autres imams tiennent des propos pour dénigrer les religions africaines, ceux-ci ne sont pas perçus comme blasphématoires au même titre que des propos tenus contre les religions « du monde ». L’offense n’est pas suffisante pour justifier une levée de boucliers et ainsi motiver une réelle indignation. Il s’agit d’une conséquence de l’aliénation mentale causée par une colonisation aussi bien physique que psychique57.

Cette absence d’indignation justifie que, malgré le fait que le droit ait prévu des peines en cas de blasphème, on note plutôt une rareté d’action de répression.

II.2.2.2. L’absence de répression des atteintes

La Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 consacre la liberté de conscience et la législation pénale punit l’atteinte qui peut y être faite. L’article 269 du Code pénal dispose dans ce sens que : « est puni d’un emprisonnement d'un mois à un an et d’une amende de cinq mille à cinquante mille francs, celui qui, par voies de fait ou menaces, contraint ou empêche de pratiquer un culte n’impliquant pas la commission d’une infraction ». Cette pénalisation des atteintes aux autres cultes témoigne de la volonté du législateur d’égaliser les différentes religions et d’éviter les discriminations. Seulement, cette disposition ne suffit pas à dissuader certains agissements qui pourraient être constitutifs de cette infraction58. Exemple peut être pris de l’opposition depuis 1959 entre l’Église catholique et la communauté Bassa-Bati-Mpoo. En 2017, cette dernière avait porté plainte contre l’évêque du diocèse d’Édea, Mgr Jean Bosco Ntep, pour « profanation des terres sacrées ». En 1959, l’évêque d’Édea, Mgr Thomas Mongo, avait fait ériger une croix en bronze et une statue de la Vierge Marie sur cette montagne sacrée des Bassa-Bati-Mpoo, pour qu’il y soit organisé un pèlerinage. Une initiative qui avait été mal vue par cette communauté qui estimait que cette montagne était un haut lieu de la tradition qui abritait les guerriers lors des conflits tribaux et les rendait invincibles. En janvier 2017, les Bassa-Bati-Mpoo avaient arraché de la grotte les symboles catholiques. Un mois plus tard, l’Église catholique, avec le soutien des forces policières, érigeait de nouveau les symboles catholiques qui avaient été ôté59. La justice n’a toujours pas donné suite à cette affaire qui est le symbole du conflit entre les religions traditionnelles et les religions dites « du monde » et l’absence de répression des actes qui nuisent aux cultes des uns et des autres. En tant qu’elle est antérieure à l’Église catholique, la religion traditionnelle Bassa-Bati-Mpoo devrait normalement être protégée au nom de la laïcité qui rejette l’idée de la neutralisation de certaines religions par d’autres60. En effet, le principe de la laïcité signifie que dans la République, si l’État ne reconnaît aucun culte, elle n’en méconnaît aucun non plus, des catholiques aux musulmans, en passant par les orthodoxes, les Témoins de Jéhovah et bien entendu les « animistes » qui sont en Afrique plus vieux que les autres.

La laïcité est-elle réalisable et réalisée au Cameroun ? Au regard de l’aménagement juridique des rapports entre les religions et l’État, la réponse peut être positive. Mais comme en France, la question de la laïcité au Cameroun ne peut être simplement laissée au droit. Elle implique des actions, et des comportements de nature variés qui ne peuvent être tous prévus sans être une menace pour les libertés publiques et spécifiquement pour la liberté de conscience. La laïcité ne peut s’ancrer que dans une pratique rigoureuse où l’égalité entre les croyances est le pilier. C’est loin d’être le cas au Cameroun. Il existe comme un régime préférentiel pour certaines religions qui sont mieux tolérées dans les lieux publics et dont les moments de célébration sont consacrés. Ainsi donc, dans son effectuation, la laïcité reste un défi encore difficile à relever au Cameroun comme dans la plupart des États qui ont réceptionné cette exception française. C’est un problème important, mais certainement moins que celui qu’il pose fondamentalement. En effet, faut-il sérieusement se battre pour relever le défi de la laïcité ou faut-il tout simplement tuer la laïcité ? La France qui a inspiré les modèles de laïcité des États francophones d’Afrique, peine à se retrouver dans un jeu d’équilibre où elle perd en identité61. Si la génitrice de la laïcité peine à se retrouver, qu’en sera-t-il des héritiers ? L’identité de l’Afrique n’est-elle finalement pas ici en jeu ?

1 Sarr, 2017.

2 Titre de chef traditionnel chez les peuples de la tribu Bassa-Bati-Mpoo que l’on retrouve dans plusieurs régions du Cameroun, essentiellement dans

3 Une croix en bronze et une statue de la Vierge Marie avaient été érigées sur cette montagne en 1959 par Mgr Thomas Mongo qui était alors évêque d’

4 Les républicains désignent les fondateurs de la IIIe République française mise en place en 1875.

5 On attribue cette formule à Aristide Briand au moment de la loi de séparation de 1905.

6 Le régime concordataire de 1801 est le celui qui organisait les rapports entre l’État et les religions en France. Il est abrogé par la loi de

7 La question de la séparation de l’Église et de l’État est relancée en France dès le 18e siècle par les philosophes des lumières. Dès 1794, ils ont

8 Les deux premières dispositions de cette loi de séparation en donne d’ores et déjà les principes. L’article 1 dispose que « la République assure la

9 Cette suppression libérait un budget de 40 millions de francs.

10 Voir article 8 de la loi de septembre 1905.

11 « Nul ne peut être inquiété en raison de ses origines, de ses opinions ou croyance en matière religieuse, philosophique ou politique sous réserve

12 Constitution de 2001 révisée en 2009.

13 Article 4. À la suite, l’article 5 précise que « un processus de laïcisation émerge quand l'État ne se trouve plus légitimé par une religion ou une

14 Le rapport Stasi publié en France clarifie bien cette laïcité lorsqu’il énonce que « le temps de la laïcité de combat est dépassé, laissant la

15 Les rapports entre État et religions ont été tout au long des XVIIIe et XIXe siècle une question centrale en Europe et notamment en France comme l’

16 L’auteur souligne pour soutenir son idée que les principes contenus dans le préambule « ne sont pas des articles de lois précis et exécutoires. Ce

17 C’est une disposition de la Constitution elle-même qui accorde cette place privilégiée au préambule. L’article 65 dispose, à cet effet, que « le

18 Le modèle de contrôle relativement uniforme au départ s’est diversifié. Ainsi, il arrive que le juge constitutionnel soit appelé à contrôler la

19 La constitutionnalisation renvoie à l’opération formelle qui consiste par une révision constitutionnelle, à insérer une norme existante dans le

20 C’est dans ce sens que l’article 2 alinéa 1 dispose que « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la

21 L’article 5 alinéa 2 dispose dans ce sens que « Relèvent du régime de l'autorisation, les associations étrangères et les associations religieuses »

22 L’article 23 précise que « l'autorisation d’une association religieuse ou d’un établissement congrégationniste est prononcée par décret du

23 L’article 24 dispose que « les associations religieuses ne peuvent recevoir de subventions publiques ou de dons et legs immobiliers. Toutefois

24 L’article 26 dispose que « Les associations religieuses tiennent un état de leurs recettes et dépenses et dressent chaque année, le compte

25 En France par exemple, « parce que la laïcité de l’État est pour la liberté », l’administration lorsqu’elle porte atteinte ou pose une limite à un

26 L’article 271 dispose par ailleurs que « est puni de la peine prévue à l’article 270, celui qui empêche, avec violences ou menaces, l’exercice de

27 Lire utilement Eyike-Vieux, Boukar, 2004.

28 Même si certains tendent aujourd’hui à considérer que cette laïcité cache en réalité un projet islamophobe.

29 L’auteur souligne que « la laïcité est un principe mettant en œuvre l'exercice de la liberté de religion et de non-religion dans les sociétés

30 Évangile selon saint Marc, chapitre 12, versets 13 à 17. Mais bien que vulgarisé, cet enseignement du christ n’a pas empêché plusieurs siècles de

31 Eitel Mouelle Koula c/République fédérale du Cameroun, arrêt n° 178/CFJ/SCAY du 25 mars 1972.

32 Nana Tchana Daniel Roger c/ République fédérale du Cameroun, arrêt n° 194/CFJ/SCAY du 25 mai 1972.

33 Décret n° 70/DF/19 du 13 mai 1970, Journal officiel de la République fédérale du Cameroun, 1970, p. 403.

34 Épiscopat camerounais, « Communiqué », Essor des jeunes, n° 185, 5 septembre 1970.

35 Complété par l’article 45 qui dispose que « la source de la loi est le Livre de Dieu et la Sunnah ».

36 Cette conception de la laïcité correspond en France à l’approche qui était celle des protestants en France et qui contrairement aux catholiques

37 Le Rapport Stasi a été déposé sur la table du président Jacques Chirac Chef de l’État le 11 décembre 2003. Il s’agissait des conclusions de la

38 Sur cette question il existe effectivement en France une différence d’approche entre ceux qui considèrent que la laïcité suppose une pratique

39 Le repos dominical a été fixé en France par la loi du 13 juillet 1906. Le législateur considère après la séparation Église-État « comme un fait

40 Le Livre de la Genèse, 2, verset 1-3.

41 Moyens soulevés devant la Cour de cassation par des sociétés contestant sur le fondement de la liberté religieuse le principe de la fermeture

42 Les réflexions sur la laïcité du Conseil d'État du 5 février 2004, p. 316.

43 E. Poulat relève en 1905 que « la séparation de corps n'a pas entraîné la séparation de biens ».

44 Contrairement au Cameroun, en France, on note une démarcation importante entre les privilèges de fait du christianisme (catholicisme) et ceux de l’

45 Voir décision du 31 mars 1995. Le Conseil d'État examinait les requêtes attaquant le décret du 18 février 1991 relatif aux « droits et obligations

46 Malgré ces précautions que la France prend pour garantir la laïcité, il reste que même dans ce pays, demeure une grande discrimination concernant d

47 En 2017, Mgr Piero Pioppo, doyen du corps diplomatique, y était convié et y avait même pris la parole à propos du contexte de tension politique au

48 Article 53 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990. La cour Constitutionnelle avait contraint en 1996 le président Mathieu Kérékou à

49 L’article 6 dispose sur ce point que « Sont soumis à. l’obligation de déclaration préalable, tous les cortèges, défilés, marches et rassemblements

50 Pèlerinage à la Mecque.

51 Lire Cameroun Tribune, 24 juillet 2019.

52 Ibid.

53 On trouve facilement les images et autres objets de dévotion exposés dans les services publics. Les services d’aumônerie se pratiquent dans les

54 Par exemple, le passage à l’âge adulte, le culte des morts, la relation avec les esprits.

55 Le Concile Vatican II convoqué par le Pape Jean XXIII en 1962 a rassemblé beaucoup d’ecclésiastiques africains qui ont amenés avec eux la question

56 Notamment l’arbre de la paix, les tissus traditionnels, les tambours et autres tam-tams traditionnels.

57 Au titre du traumatisme et des dégâts causés par la colonisation, il faut citer au premier plan le formatage de l’Homme africain pour en faire un

58 De tels actes ont été commis contre l’Église catholique par le pasteur Martin Tsala Essomba, d’une église pentecôtiste baptisée « Va et raconte ».

59 Après cette remise, la tribu Bassa-Bati-Mpoo a bien fait comprendre qu’elle ne devait pas en rester là. « Mbombog » Simon Mbog Bassong soulignait

60 Des propos contre les autres confessions sont chaque jour prononcés dans des cultes divers. Les pasteurs protestants dénigrent en plein culte les

61 Tant qu’il s’agissait de gérer des populations de culture européenne ou judéo-chrétienne, l’équilibre semblait possible. L’arrivée de population de

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Notes

1 Sarr, 2017.

2 Titre de chef traditionnel chez les peuples de la tribu Bassa-Bati-Mpoo que l’on retrouve dans plusieurs régions du Cameroun, essentiellement dans le Littoral et le Centre. Mais il faut préciser que tous les « mbombog » ne sont pas chefs même si tout chef est forcément « mbombog ». La colonisation a institué des chefferies qui sont devenues des auxiliaires de l’administration. Mais le mbombog n’a normalement aucun lien avec l’administration.

3 Une croix en bronze et une statue de la Vierge Marie avaient été érigées sur cette montagne en 1959 par Mgr Thomas Mongo qui était alors évêque d’Edéa. La grotte de Ngog Lituba était alors devenue un important lieu de pèlerinage pour les chrétiens.

4 Les républicains désignent les fondateurs de la IIIe République française mise en place en 1875.

5 On attribue cette formule à Aristide Briand au moment de la loi de séparation de 1905.

6 Le régime concordataire de 1801 est le celui qui organisait les rapports entre l’État et les religions en France. Il est abrogé par la loi de séparation des Églises et de l’État en décembre 1905 à l’exception de l’Alsace-Moselle, où il reste en vigueur. Ce régime appelé Concordat prévoyait notamment que la religion catholique, apostolique et romaine est librement exercée en France, que les archevêques et évêques sont nommés par le gouvernement français bien que recevant l’institution canonique du pape, qu’il « sera fait par le St-siège, de concert avec le Gouvernement, une nouvelle circonscription des diocèses français ».

7 La question de la séparation de l’Église et de l’État est relancée en France dès le 18e siècle par les philosophes des lumières. Dès 1794, ils ont un premier succès avec la première séparation qui est instaurée par la Convention Nationale à travers le décret du 2 sans culottes an II. Celui-ci qui supprime le budget de l’Église constitutionnelle est confirmé le 21 février 1795 par le décret sur la liberté des cultes dont l’article 2 précise que « la République ne salarie aucun culte ». Bien que le Concordat de 1801 vienne abroger cet acquis, il s’agissait des prémisses de la séparation qui devait survenir en 1905.

8 Les deux premières dispositions de cette loi de séparation en donne d’ores et déjà les principes. L’article 1 dispose que « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes (…) ». L’article 2 précise que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. (…) ».

9 Cette suppression libérait un budget de 40 millions de francs.

10 Voir article 8 de la loi de septembre 1905.

11 « Nul ne peut être inquiété en raison de ses origines, de ses opinions ou croyance en matière religieuse, philosophique ou politique sous réserve du respect de l'ordre public et des bonnes mœurs ; L’État est laïc. La neutralité et l’indépendance de l’État vis-à-vis de toutes les religions sont garanties ; La liberté du culte et le libre exercice de sa pratique sont garantis ».

12 Constitution de 2001 révisée en 2009.

13 Article 4. À la suite, l’article 5 précise que « un processus de laïcisation émerge quand l'État ne se trouve plus légitimé par une religion ou une famille de pensée particulière et quand l'ensemble des citoyens peuvent délibérer pacifiquement, en égalité de droits et de dignité, pour exercer leur souveraineté dans l'exercice du pouvoir politique. En respectant les principes indiqués, ce processus s'effectue en lien étroit avec la formation de tout État moderne qui entend assurer les droits fondamentaux de chaque citoyen. Des éléments de laïcité apparaissent donc nécessairement dans toute société qui veut harmoniser des rapports sociaux marqués par des intérêts et des conceptions morales ou religieuses plurielles. »

14 Le rapport Stasi publié en France clarifie bien cette laïcité lorsqu’il énonce que « le temps de la laïcité de combat est dépassé, laissant la place à une laïcité apaisée reconnaissant l'importance des options religieuses et spirituelles, attentives également à délimiter l'espace public partagé ». Voir la deuxième partie du rapport intitulée La laïcité française, un principe juridique appliqué avec empirisme, p. 79. Il précise par ailleurs que « dans le cadre laïque, les choix spirituels ou religieux relèvent de la liberté individuelle : cela ne signifie pas pour autant que ces questions soient confinées à l'intimité de la conscience, “privatisées”, et que leur soient déniées toute dimension sociale ou capacité d'expression publique. La laïcité distingue la libre expression spirituelle ou religieuse dans l'espace public, légitime et essentielle au débat démocratique, de l'emprise sur celui-ci, qui est illégitime. Les représentants des différentes options spirituelles sont fondés à intervenir à ce titre dans le débat public, comme toute composante de la société. » (p. 31).

15 Les rapports entre État et religions ont été tout au long des XVIIIe et XIXe siècle une question centrale en Europe et notamment en France comme l’atteste le mouvement culturel et philosophique des Lumières plus particulièrement.

16 L’auteur souligne pour soutenir son idée que les principes contenus dans le préambule « ne sont pas des articles de lois précis et exécutoires. Ce sont purement et simplement des déclarations de principes ». Il faut dire que le juge camerounais n’avait pas tranché la question et la jurisprudence offrait le visage de la contradiction.

17 C’est une disposition de la Constitution elle-même qui accorde cette place privilégiée au préambule. L’article 65 dispose, à cet effet, que « le préambule fait partie intégrante de la Constitution ».

18 Le modèle de contrôle relativement uniforme au départ s’est diversifié. Ainsi, il arrive que le juge constitutionnel soit appelé à contrôler la conformité des lois à la Constitution en amont et en aval, c’est-à-dire avant et après la promulgation des lois. C’est notamment le cas de la RCA, du Tchad, du Bénin et du Gabon. Il arrive également que le juge constitutionnel n’ait pas la possibilité de contrôler la conformité des lois à la Constitution qu’exclusivement avant sa promulgation. C’est le cas au Cameroun. Dans l’un ou l’autre cas, il reste que les normes constitutionnelles ne doivent pas être contredites par les lois et dès lors que le constat de cette contradiction est fait, le juge constitutionnel peut sanctionner. Comme le précise la Constitution camerounaise, les décisions du conseil constitutionnel s’imposent à tous les organes et les citoyens de l’État et ne peuvent donc faire l’objet de recours. Ce trouve ainsi fondée l’incontestabilité du principe de laïcité. Une loi qui remettrait en cause ou limiterai le principe de laïcité sera donc normalement censurée sans qu’il y’ait possibilité pour un quelconque organe de l’État de remettre en cause la décision de censure.

19 La constitutionnalisation renvoie à l’opération formelle qui consiste par une révision constitutionnelle, à insérer une norme existante dans le texte de la constitution. Il s’agit de l’insertion de normes extérieures dans ce que le Doyen Louis Favoreu appelle le « bloc de constitutionnalité ». La constitutionnalisation permet à ces normes de déroger au régime général des traités internationaux. Les normes internationales relatives aux droits de l’Homme ont donc une valeur supérieure aux autres normes internationales.

20 C’est dans ce sens que l’article 2 alinéa 1 dispose que « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation »

21 L’article 5 alinéa 2 dispose dans ce sens que « Relèvent du régime de l'autorisation, les associations étrangères et les associations religieuses ». L’article 23 précise pour sa part que « Toute association religieuse doit être autorisée. Il en est de même de tout établissement congrégationniste ».

22 L’article 23 précise que « l'autorisation d’une association religieuse ou d’un établissement congrégationniste est prononcée par décret du Président de la République, après avis motivé du Ministre chargé de l'Administration Territoriale ».

23 L’article 24 dispose que « les associations religieuses ne peuvent recevoir de subventions publiques ou de dons et legs immobiliers. Toutefois, elles peuvent recevoir les dons et legs immobiliers nécessaires à l'exercice de leurs activités ».

24 L’article 26 dispose que « Les associations religieuses tiennent un état de leurs recettes et dépenses et dressent chaque année, le compte financier de l’année écoulée et l’état d'inventaire de leurs biens meubles et immeubles ». L’article 27 prévoit que « Les responsables des associations religieuses sont tenus de présenter sur réquisition du Ministre chargé de l'Administration Territoriale ou de son délégué, les comptes et états visés à l'article précédent ainsi que les listes complètes de leurs membres dirigeants ». Ce pouvoir d’immixtion de l’administration appelle somme toute une interrogation. En tant qu’association cultuelle, les Cultes ont-ils à rendre des comptes à une administration qui ne les salarie pas ni ne les subventionne ? À la limite, cette intervention de l’administration fiscale peut juste rentrer dans le cadre de son contrôle.

25 En France par exemple, « parce que la laïcité de l’État est pour la liberté », l’administration lorsqu’elle porte atteinte ou pose une limite à un droit ou une liberté en son nom, ne peut pas invoquer abstraitement le respect de l’ordre public ou l’existence de contraintes pour autrui. Il faut que ces éléments soient avérés et non pas simplement possibles. Il faut encore que la mesure soit nécessaire, c’est-à-dire qu’il n’y ait pas d’autres solutions plus respectueuses de la liberté. Il faut enfin que la mesure soit proportionnée, c’est-à-dire que les restrictions portées soient les plus limitées compte tenu du contexte. Il revient au juge administratif de contrôler ces éléments.

26 L’article 271 dispose par ailleurs que « est puni de la peine prévue à l’article 270, celui qui empêche, avec violences ou menaces, l’exercice de son ministère par le ministre d’un culte ».

27 Lire utilement Eyike-Vieux, Boukar, 2004.

28 Même si certains tendent aujourd’hui à considérer que cette laïcité cache en réalité un projet islamophobe.

29 L’auteur souligne que « la laïcité est un principe mettant en œuvre l'exercice de la liberté de religion et de non-religion dans les sociétés démocratiques soucieuses de non-discrimination et du respect des droits humains ».

30 Évangile selon saint Marc, chapitre 12, versets 13 à 17. Mais bien que vulgarisé, cet enseignement du christ n’a pas empêché plusieurs siècles de théocratie dans le monde occidental. Le concept « Chrétienté » désignait un ensemble de territoires ou de pays d’obédience chrétienne et il ne faut pas oublier non plus que la loi de séparation des Églises et de l’État a été très mal accueilli par l’autorité pontificale et bien sûr le clergé catholique en France.

31 Eitel Mouelle Koula c/République fédérale du Cameroun, arrêt n° 178/CFJ/SCAY du 25 mars 1972.

32 Nana Tchana Daniel Roger c/ République fédérale du Cameroun, arrêt n° 194/CFJ/SCAY du 25 mai 1972.

33 Décret n° 70/DF/19 du 13 mai 1970, Journal officiel de la République fédérale du Cameroun, 1970, p. 403.

34 Épiscopat camerounais, « Communiqué », Essor des jeunes, n° 185, 5 septembre 1970.

35 Complété par l’article 45 qui dispose que « la source de la loi est le Livre de Dieu et la Sunnah ».

36 Cette conception de la laïcité correspond en France à l’approche qui était celle des protestants en France et qui contrairement aux catholiques, ont accueilli positivement la loi de 1905. En effet, grâce à ce texte établissant une égalité de traitement, il n’y a plus de religion privilégiée.

37 Le Rapport Stasi a été déposé sur la table du président Jacques Chirac Chef de l’État le 11 décembre 2003. Il s’agissait des conclusions de la commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République, mise en place par en juillet et présidée par Bernard Stasi. Le texte propose que soit adoptée une loi interdisant dans les écoles, collèges et lycées les « tenues et signes manifestant une appartenance religieuse ou politique ». Les tenues et signes interdits sont « les signes ostensibles tels que grande croix, voile ou kippa » et non les « signes discrets ». Le Rapport propose par ailleurs que les jours de la fête juive de Kippour et de la fête musulmane de l'Aïd el-Kébir soient désormais fériés dans les écoles et pour les salariés qui le souhaitent.

38 Sur cette question il existe effectivement en France une différence d’approche entre ceux qui considèrent que la laïcité suppose une pratique religieuse non ostentatoire et une vision plus libérale qui voit dans toute restriction une atteinte à la liberté religieuse. Porter un voile, une kippa ou une croix de façon ostensible dans l’espace public (école, collège, lycée) serait une atteinte au principe de laïcité selon la législation française. En 1905, la question du voile musulman ne se posait pas, l’anticléricalisme ciblait l’Église catholique et visait à « décatholiciser l’État ». L’Islam est aujourd’hui la seconde religion en France. Les pratiques religieuses de certains musulmans sont en contradiction avec la conception française de la laïcité. Ces derniers comme les catholiques de 1905 se sentent sinon discriminés du moins endigués.

39 Le repos dominical a été fixé en France par la loi du 13 juillet 1906. Le législateur considère après la séparation Église-État « comme un fait sociologique la conception du dimanche qui prévaut dans toute société de tradition chrétienne ».

40 Le Livre de la Genèse, 2, verset 1-3.

41 Moyens soulevés devant la Cour de cassation par des sociétés contestant sur le fondement de la liberté religieuse le principe de la fermeture obligatoire des commerces le dimanche (Cour de cassation, chambre sociale, 2 février 1994, n° 568.

42 Les réflexions sur la laïcité du Conseil d'État du 5 février 2004, p. 316.

43 E. Poulat relève en 1905 que « la séparation de corps n'a pas entraîné la séparation de biens ».

44 Contrairement au Cameroun, en France, on note une démarcation importante entre les privilèges de fait du christianisme (catholicisme) et ceux de l’Islam. Comme le résume Alain Boyer, « la loi de séparation des Églises et de l'État n'a pas prévu la possibilité d'enracinement en France de cultes qui n'existaient pas en 1905. Ceux-ci, et c'est tout particulièrement flagrant pour l'islam, ne disposent donc ni d'un "patrimoine" ni d'édifices affectés ».

45 Voir décision du 31 mars 1995. Le Conseil d'État examinait les requêtes attaquant le décret du 18 février 1991 relatif aux « droits et obligations des élèves dans les établissements publics locaux d'enseignement du second degré ».

46 Malgré ces précautions que la France prend pour garantir la laïcité, il reste que même dans ce pays, demeure une grande discrimination concernant d’une part, la facilitation de l’acquisition foncière à certaines associations cultuelles et d’autre part, l’exonération fiscale. Ces privilèges accordés à ces religions sont perceptibles également au niveau de la promotion de certaines religions à travers des supports publics. En dehors de l’Alsace et de la Lorraine, régions dans lesquelles subsiste le Concordat, l’administration se réfugie souvent derrière le texte de 1905 pour ne pas intervenir. Plusieurs mairies qui accordaient un certain nombre de facilités à des associations cultuelles musulmanes justifient les réponses négatives apportées à certaines demandes en soulevant l’argument de la neutralité.

47 En 2017, Mgr Piero Pioppo, doyen du corps diplomatique, y était convié et y avait même pris la parole à propos du contexte de tension politique au Cameroun, avec, entres autres, préoccupation du corps diplomatique la question de « la crise anglophone ». La pratique a également cours en France et y est plus ancrée qu’au Cameroun au regard de l’histoire politique et religieuse de ce pays. Ainsi, au début de chaque année, le président de la République reçoit au Palais de l'Élysée les représentants des différentes religions pour la cérémonie des vœux. On note également que de plus en plus dans les mairies de grandes villes, des initiatives sont prises pour organiser des débats publics avec les représentants des différentes confessions religieuses de leur localité afin d'entretenir un climat de bonne entente entre les personnes de leur commune aux identités religieuses diverses.

48 Article 53 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990. La cour Constitutionnelle avait contraint en 1996 le président Mathieu Kérékou à prêter à nouveau son serment d’investiture, pour avoir délibérément omis, prétendant sa foi, la phrase « les Mânes des Ancêtres ».

49 L’article 6 dispose sur ce point que « Sont soumis à. l’obligation de déclaration préalable, tous les cortèges, défilés, marches et rassemblements de personnes et, d'une manière générale, toutes les manifestations sur la voie publique. Dérogent à l’obligation visée à l'alinéa 1er les sorties sur la voie publique conformes aux traditions et usages locaux ou religieux ».

50 Pèlerinage à la Mecque.

51 Lire Cameroun Tribune, 24 juillet 2019.

52 Ibid.

53 On trouve facilement les images et autres objets de dévotion exposés dans les services publics. Les services d’aumônerie se pratiquent dans les hôpitaux publics.

54 Par exemple, le passage à l’âge adulte, le culte des morts, la relation avec les esprits.

55 Le Concile Vatican II convoqué par le Pape Jean XXIII en 1962 a rassemblé beaucoup d’ecclésiastiques africains qui ont amenés avec eux la question fondamentale des « racines religieuses » africaines au sein de l’Église. Pour beaucoup d’Africains devenus chrétiens, ces impositions des missionnaires provoquaient une véritable question d’identité qui est bien ramassée en 1956 dans le manifeste théologique Des prêtres noirs s’interrogent. Ce document a en effet « marqué une césure historique... D’un âge où, (disent ces prêtres), l’on pensait pour nous, sans nous et malgré nous, on est passé à la prise de conscience d’une responsabilité : la théologie africaine naissait comme volonté de penser par nous, pour nous, et en plein consentement à une mission de quête d’intelligence de la foi. Une volonté de relai d’une mission d’évangélisation conduite par des missionnaires étrangers à la culture africaine était ainsi exprimée ». Cette prise de conscience des peuples apparaît dans la déclaration « Nostra Aetate » du 28 octobre 1965, sur les religions non chrétiennes, de Vatican II. Au n° 2 § 4, on lit : « L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent en beaucoup de points de ce qu’elle-même tient et propose, cependant apportent souvent un rayon de la Vérité qui illumine tous les hommes (…). L’Église catholique exhorte donc ses fils pour que, avec prudence et charité, par le dialogue et par la collaboration avec ceux qui suivent d’autres religions, et tout en témoignant de la foi et de la vie chrétienne, ils reconnaissent, préservent et fassent progresser les valeurs spirituelles, morales et socio-culturelles qui se trouvent en eux ».

56 Notamment l’arbre de la paix, les tissus traditionnels, les tambours et autres tam-tams traditionnels.

57 Au titre du traumatisme et des dégâts causés par la colonisation, il faut citer au premier plan le formatage de l’Homme africain pour en faire un individu d’un genre nouveau, docile et à disposition du système colonial. Les africains regardent désormais le monde à travers les lunettes de l’esprit occidental, ce qui implique des référents occidentaux, une vision du monde d’occidental. Les sociétés post-coloniales sont marquées durablement par ces transformations et cela se traduit dans la production des normes. La philosophie allemande a développé à ce sujet la notion de « weltanchauung » c’est-à-dire la vision du monde. Comment protéger ou poser un regard protecteur sur une religion de souche africaine alors même qu’on est le fruit d’une éducation puisée dans la culture européenne ?

58 De tels actes ont été commis contre l’Église catholique par le pasteur Martin Tsala Essomba, d’une église pentecôtiste baptisée « Va et raconte ». En 2010, il se lance dans une campagne de dénigrement de l’Église catholique en interdisant aux chrétiens de réciter le chapelet qu’il considère comme « des balles au service de la sorcellerie ». Il va jusqu’à détruire des chapelets, ce que l’archevêque de Yaoundé alors Mgr Victor Tonye Bakot considère comme « une attaque directe et violente contre l’Église catholique ». Voir la lettre à la communauté catholique de l’archidiocèse adressée à la Communauté des fidèles catholiques par l’archevêque et lue au cours des messes du dimanche 21 novembre 2010 dans toutes les paroisses.

59 Après cette remise, la tribu Bassa-Bati-Mpoo a bien fait comprendre qu’elle ne devait pas en rester là. « Mbombog » Simon Mbog Bassong soulignait au micro du site Camernews.com que : « l’Église catholique du Cameroun à Édéa va enfin se rendre compte que rien ne sera plus comme le passé. Plus jamais elle ne fera de pèlerinage à Ngog Lituba, plus jamais elle n’y mettra sa croix de fer et d’acier. Nous aiderons nos frères Bati, gardiens de notre sanctuaire à lutter sans merci, physiquement, spirituellement, mystiquement, contre toute tentative de l’église d’y remettre la croix, même en notre absence en ces lieux ».

60 Des propos contre les autres confessions sont chaque jour prononcés dans des cultes divers. Les pasteurs protestants dénigrent en plein culte les pratiques catholiques ; les prêtres catholiques menacent leur fidèles d’excommunication dans le cas où ils continuent à pratiquer des rituels issus de leur religions ancestrales ; etc.

61 Tant qu’il s’agissait de gérer des populations de culture européenne ou judéo-chrétienne, l’équilibre semblait possible. L’arrivée de population de l’ancien empire colonial sur le territoire français et l’émergence de l’Islam comme deuxième religion en termes de pratiquants a changé, sinon perturbé les équilibres jusque-là plus ou moins bien tenus.

Citer cet article

Référence électronique

Agnès Makougoum, « La laïcité au Cameroun : réflexion sur l’effectivité d’un principe constitutionnel », Revue internationale des francophonies [En ligne], 8 | 2020, mis en ligne le 04 décembre 2020, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/rif/index.php?id=1163

Auteur

Agnès Makougoum

Agnès Makougoum est enseignante à l’université de Yaoundé II depuis 2010, d’abord comme monitrice en charge des travaux dirigés et ensuite comme assistante. Elle a soutenu sa thèse de doctorat Ph.D en droit public en 2015. Elle est coauteur de deux ouvrages sur les libertés publiques et de plusieurs articles scientifiques. Elle est par ailleurs consultante en droit de l’homme et a participé à plusieurs missions nationales.

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