Les anniversaires offrent l’occasion de dresser un bilan et de dessiner des perspectives. Cinquante ans après la signature de la Convention de Niamey en 1970, qui a créé l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) dont l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) est l’héritière, l’ouvrage collectif dirigé par Christophe Traisnel (Université de Moncton) et Marielle A. Payaud (Université Jean Moulin Lyon 3) propose un ensemble de contributions qui sont autant de réflexions sur les réalités institutionnelles de la francophonie et sur les processus qui ont amené la francophonie à s’institutionnaliser. La démarche suivie est intéressante à plus d’un titre.
En premier lieu, l’ouvrage combine une approche théorique et une approche pratique. Les contributions d’universitaires sont en effet précédées d’entretiens menés avec cinq responsables en charge de grandes institutions de la francophonie : l’OIF et quatre opérateurs – l’Agence universitaire de la Francophonie, l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, l’Université Senghor et TV5 Monde. Ces pages rendent compte de la vitalité et des limites d’un ensemble qui, avec 88 membres, associés ou observateurs, réunit désormais plus de quatre États sur dix dans le monde.
En outre, le volume présente une vraie dimension pluridisciplinaire grâce à des études qui relèvent de l’histoire, de la sociologie, de la science politique et de la linguistique. Cette diversité des approches et des méthodes permet de restituer la profondeur comme l’étendue du sujet, tout en rendant compte de sa complexité. À cela s’ajoute une approche résolument multiscalaire. La francophonie institutionnelle est évidemment abordée à l’échelle internationale. Mais la focale se resserre pour travailler aussi à des échelles nationale, régionale, locale voire très locale. Le lecteur évolue entre la politique étrangère conçue à l’Élysée et les foires gastronomiques qui promeuvent les produits des comtés francophones de Prescott et Russel dans l’Ontario anglophone ! L’intérêt de la démarche est évident car varier les échelles conduit à révéler la diversité tant des acteurs de la francophonie que de leurs stratégies, au-delà des grands organismes.
Bien entendu, tout ouvrage collectif se caractérise par son hétérogénéité et ne saurait prétendre à l’exhaustivité. Celui-ci ne fait pas exception. Certaines contributions occupent ainsi une place saillante dans le recueil, qu’il s’agisse de l’ample synthèse rédigée par Frédéric Turpin sur la politique française à l’égard de la francophonie ou des études de cas très minutieuses sur le Canada, qui intègrent le sujet dans une réflexion plus générale sur le régime linguistique du pays (Michelle Landry, Anne Mévellec et Linda Cardinal, François Charbonneau, Guillaume Deschênes-Thériault et Christophe Traisnel). La combinaison de ces quatre contributions sur le Canada est d’ailleurs une des forces du livre. On peut en revanche regretter la place fort modeste occupée par le Pacifique et les Caraïbes, avec une seule contribution pour chacun de ces deux espaces, et surtout l’absence de travaux sur le domaine africain. Les dynamiques démographiques et migratoires actuelles militent pourtant en faveur d’un intérêt plus manifeste pour l’Afrique francophone.
En fin de compte, deux enseignements importants s’imposent parmi d’autres en terminant la lecture de l’ouvrage. Tout d’abord, et cela peut sembler paradoxal, la France resta longtemps réticente quant à la formation d’une organisation intergouvernementale de la francophonie, préférant privilégier jusqu’aux années 1980 la coopération bilatérale comme vecteur d’influence ; autrement dit, elle fut d’abord un frein à cette institutionnalisation de la francophonie et ses élites, d’ailleurs, continuent souvent à porter davantage d’intérêt à une mondialisation anglophone plutôt qu’aux États francophones – Frédéric Turpin signale à cet égard la permanence de « vieux réflexes cartiéristes ». Ensuite, l’institutionnalisation de la francophonie s’est réalisée et se poursuit « par le haut », grâce à l’engagement des États et même d’un nombre croissant d’États, mais aussi « par le bas » par l’action d’associations militantes, même si ces dernières peuvent être amenées à nouer des relations étroites avec les autorités publiques comme le montre l’exemple canadien. Les forces qui contribuent au processus, par leur diversité, en assurent le dynamisme.